FR :
Ce que Novarina dit du langage de Rabelais attire l’attention sur sapropre création littéraire dont la forme ne vise pas un idéal artistique biendéterminé mais cherche au contraire à rester dans l’inachevé. Legigantisme verbal de Rabelais, fait de balourdises et de loufoqueries, instaure ununivers mythique où l’expression linguistique —bonimenteuse, affabulations du langage et enivrement duverbe — tient la place de l’intrigue. Sansatteindre les mêmes outrances, le langage novarinien devient chaotique, car ils’élabore en adoptant des formulations propres à rendre la confusion dumonde contemporain. En cela, il situe adéquatement des interrogations chaotiquesvécues mais restées ouvertes.
De cette lecture première et rapide des œuvres de Novarina se dessine cependantun mouvement animé par ce qui peut le nourrir. L’auteur cherche enquelque sorte à saisir le désir ou le manque. Plus l’objet se refuse,plus le verbe s’acharne, à force de pensée et d’intelligence.Se fraie alors un chemin (grâce à l’impulsion et àl’inspiration) qui mène au saisissement ou à l’ébranlement del’âme, non par la rationalité mais par une inventivité quin’hésite pas à faire appel à tous les recours del’imagination, une alliance de l’illusionnisme du logos et de l’eidos (la « forme ») quiengendre des formes langagières et structurelles étonnantes.
N’est-ce pas le fameux érosdu philosophe qui possède par le logos,comme le montre, par exemple, la chair montante de l’acteur en scène(Lettre aux acteurs) ou sa manièreexubérante de rendre la vie? « Toute la mise en scène del’érotisme a pour fin d’atteindre l’être au plusintime, au point où le cœur manque », dit Georges Bataille dans L’Érotisme. La poésie mène au mêmepoint que chaque forme : à l’érotisme, àl’indiscrétion, à la confusion des objets distincts. Elle nous mène aussià l’éternité. C’est dans ce sens que le langage de Novarinaest chaotique. Un chaos ordonnant, « très nécessaire » pourretrouver le mystère de la langue. De la parole nous sommes nés, à la parole nousretournerons.
EN :
Novarina's commentary on the language of Rabelais calls attention to his ownliterary works whose form, rather than seeking a determined artistic ideal aim onthe contrary to remain unfinished. Rabelais' zany and coarse verbal grandiositycreate a mythic world where an exaggerated and confabulated linguistic expression isthe ultimate source of intrigue. Novarinian language while not as exaggeratedbecomes chaotic due to its quality of self-invention and its adoptions of formsappropriate to confused and contemporary situations. In doing so, it becomes thesite of chaotic interrogations that remain open.
However, this first and quick reading of Novarina's texts reveals in them aforce that seeks to seize upon either desire or absence. The more stubborn itsobject, the more the language digs in with vigour and intelligence, chiseling itselfa path (thanks to both instinct and intuition) toward to seize or shake the soul.Not through reason but rather using an inventiveness that does not hesitate toappeal to all aspects of the imagination, counting on the illusionism of thelogos that allies itself to theeidos (form) to produce surprisingforms of language and structure.
Is this not the philosopher's erosthat possesses us through the logos? Theflesh of the actor upon the stage, for example (Lettreaux acteurs), the exuberance of life? The goal of the mise en scène of the erotic, as Bataille says inhis L’Érotisme, is to reach usin that most intimate space, where the heart is missing. Poetry leads us towards thesame space shared by eros, by indiscretion, by the confusion of distinct objects. Italso leads to eternity. In this sense, Novarina's language is chaotic. A chaos thatorders, requisite for the rediscovery of the mystery of language. We are born oflanguage and to language we return.