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Au Québec, les archives provenant des hôpitaux sont souvent peu connues, car peu valorisées par les institutions elles-mêmes. La gestion des archives médicales, celle des dossiers des patients, est bien prise en main par les organismes de santé, mais le reste, c’est-à-dire les archives administratives, est généralement oublié. Pourtant, celles-ci contiennent une importante richesse patrimoniale qui reste à découvrir. En France, la réflexion sur les archives hospitalières est plus avancée. À preuve, cet ouvrage collectif où divers spécialistes, archivistes, avocats et professeurs d’université, réfléchissent sur le concept des archives hospitalières au sein de l’hexagone.
Tout d’abord, en introduction, Marie Cornu, directrice de recherche au CNRS, résume ce que sont les archives hospitalières : des archives plurielles concernant autant la gestion du dossier médical des patients que celle des autres types de documents (finances, ressources humaines, etc.) produits et reçus par un établissement de santé. Ces archives hospitalières se caractérisent parce qu’elles représentent un domaine très sensible, celui de la santé des gens. Elles ont un caractère confidentiel puisqu’elles contiennent des informations personnelles sur les patients, mais elles doivent aussi être transparentes puisqu’elles sont d’ordre public et normalement accessibles à tous (selon certaines conditions). Les archives hospitalières touchent autant au respect de la vie privée qu’au droit d’obtenir de l’information.
Sur un ton plus pratique, Frédérique Fleisch présente l’application des principaux outils de gestion documentaire à la Haute Autorité de santé (HAS), un organisme public qui vise à réguler le système de santé français, notamment en effectuant régulièrement des évaluations de procédures et en décernant des certifications aux différents établissements. Elle explique comment fonctionnent le plan de classification, le calendrier de conservation (charte de conservation), les règles de nommage et la portée d’un dictionnaire de données.
De son côté, Estelle François, responsable d’un service d’archives municipales, donne des exemples de valorisation des archives historiques provenant d’établissements de santé. Pour elle, un hôpital est une communauté de vie dans laquelle se retrouvent des centaines de personnes vivant et travaillant ensemble. L’histoire de cette communauté étant riche, ses archives historiques le sont tout autant. Elles démontrent, entre autres l’évolution des différentes techniques (ex. : médicales, architecturales, etc.) ainsi que celle de la société dans son ensemble. Les archives hospitalières représentent donc une grande richesse ; elles peuvent raconter l’histoire d’une communauté entière. La valorisation de ces archives historiques peut se faire à travers la publication d’études historiques sur un établissement hospitalier ou sur un éminent médecin. Elle peut également se faire par des expositions d’objets représentant un aspect de la médecine ou des photographies représentant la vie au quotidien dans un hôpital.
Jean-Marie Ponthier, professeur à l’université d’Aix-Marseille, traite du lien entre les politiques publiques et les archives hospitalières. Selon lui, l’application des politiques publiques dans ce domaine doit constamment faire face au même dilemme, soit la volonté de conserver les archives hospitalières et de les rendre accessibles à tous versus le désir de protéger la vie privée des gens, un sujet très sensible dans le milieu hospitalier. Les archives hospitalières seraient au croisement du droit public de savoir et celui de la protection de la vie privée. L’auteur souligne ici les difficultés que cela occasionne pour les législations en cause. Par ailleurs, il souligne à quel point les hôpitaux ont l’importante responsabilité de ne pas perdre leurs archives, ne serait-ce qu’une infime partie, car la perte d’un seul document pourrait avoir d’importantes conséquences sur la santé des patients.
Pour sa part, Sophie Monnier, maître de conférences en droit public à l’Université de Bourgogne, aborde le sujet du droit des patients vis-à-vis des archives hospitalières. Le devoir des hôpitaux de conserver leurs archives participe aux droits des patients. L’auteure aborde la question de la frontière entre les informations provenant des archives hospitalières qui peuvent être communicables et celles qui ne le peuvent pas. Elle souligne que les lois actuelles ne fournissent pas de listes exhaustives des types de documents qui peuvent être communicables, obligeant ainsi l’organisme à se poser un certain nombre de questions (L’information obtenue auprès d’un tiers qui n’intervient pas dans les traitements est-elle communicable ? Est-ce que l’hôpital peut donner certaines informations dans un dossier et en cacher d’autres ? Etc.) Elle conclut finalement que l’accessibilité ou non aux documents devrait se faire au cas par cas selon les documents. Ensuite, Sophie Monnier aborde la question du droit de propriété du dossier du patient. Appartient-il à l’hôpital ou au patient ? Doit-on penser à la dignité de la personne ou au droit de propriété intellectuelle de l’hôpital ? Alors que pour certains juristes, un droit de propriété pour le patient ferait craindre que l’individu renonce (volontairement ou involontairement) à la logique de protection de son dossier, d’autres préconisent une autodétermination informationnelle, c’est-à-dire un droit du patient à décider de la communication et de l’utilisation de son propre dossier.
Finalement, la dernière partie du livre donne deux exemples d’une utilisation des archives hospitalières à des fins d’études historiques. Tout d’abord, Éliane Lochot, directrice des archives municipales de Dijon, explique le rôle de ces archives dans l’étude historique des politiques municipales de santé et d’hygiène publique en France aux XIXe et XXe siècles. Elle y présente les différentes sources conservées dans les services d’archives des municipalités qui peuvent être considérées comme des archives hospitalières. Pour sa part, Karen Fiorentino, professeure d’histoire du droit à l’Université de Bourgogne, explique comment les archives hospitalières peuvent être utilisées pour étudier l’histoire des enfants assistés dans la région de Dijon. Ces archives sont riches et diversifiées. Elle démontre que la consultation de différentes archives conservées par l’Hôpital général de Dijon (ex. : rapports d’inspection, résultats d’enquêtes, lettres, etc.) combinée avec celles de la préfecture régionale peuvent témoigner des conditions de vie des enfants assistés. Elles permettent, principalement d’identifier ces enfants (orphelins, enfants délaissés), d’en faire un profil et d’analyser les conditions dans lesquelles ils étaient pris en charge par l’État.
La lecture d’un ouvrage collectif n’est pas toujours facile en raison des nombreux auteurs qui y collaborent. Parfois, différents styles d’écriture cohabitent ; souvent sur des sujets différents malgré la présence d’un thème central. Ce livre ne fait pas exception, certains textes sont plus faciles à lire que d’autres. Certains abordent des sujets avec une approche plus théorique tandis que d’autres y vont avec une démonstration plus pratique. Toutefois, c’est souvent ce qui en fait sa richesse et c’est justement le cas avec cet ouvrage. Évidemment, les sujets abordés par les auteurs touchent à des thématiques très françaises, mais les questionnements et les réflexions sont pratiquement les mêmes qu’au Québec (ex. : droit du patient à propos de son dossier médical, richesse des archives hospitalières pour l’étude historique).
Une seule déception, l’absence de conclusion à la fin du livre qui aurait résumé l’ensemble des textes et fait ressortir les principaux points de réflexion. Une telle fin aurait pu être le point de départ d’un prochain livre sur les archives hospitalières qui sera à écrire dans une dizaine, voire une quinzaine d’années.
Tel que mentionné au début de ce texte, les archives hospitalières québécoises sont peu connues et peu valorisées. À l’exception de celles de certaines communautés religieuses, les pionnières dans le milieu hospitalier au Québec, peu de gens en connaissent la richesse. Cette faible connaissance peut s’expliquer par le manque de ressources et de volonté des établissements actuels qui jugent coûteuse et peu utile la conservation de ces documents. Pourtant, l’ouvrage Archives hospitalières. Regards croisés démontre la pertinence d’une réflexion sur l’utilisation de ces archives au Québec.