Canadian Journal of Bioethics
Revue canadienne de bioéthique
Volume 3, numéro 2, 2020 Éthique et santé mentale Ethics and Mental Health Sous la direction de Jacques Quintin
Sommaire (12 articles)
Editorial
Article
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La face cachée de la coercition : une herméneutique de l’ambivalence
Jacques Quintin
p. 4–13
RésuméFR :
La coercition est un sujet épineux en santé mentale. Peu de philosophes s’y sont intéressés. En principe, dans un contexte où l’on valorise l’autonomie et la liberté, la coercition ne devrait pas exister. Pourtant, la coercition est bien présente et probablement pour les meilleures raisons. La coercition soulève plusieurs questions éthiques. Souvent le problème se pose relativement au bien et au mal à l’intérieur d’une logique binaire et du tiers exclu. De notre côté, il s’agit de montrer qu’il est avantageux de nous sortir du conflit en posant le problème autrement. Nous nous demanderons jusqu’où nous devons insister dans nos interventions et comment faire évoluer une situation. Nous verrons que ces deux questions se répondent l’une et l’autre. C’est en interrogeant nos présupposés concernant la santé, l’autonomie, la sécurité et la coercition que nous réussirons à modifier notre compréhension de la situation et, par le fait même, à tracer une limite qui prendrait en compte plusieurs perspectives. Au lieu de nous questionner sur la manière de respecter l’autonomie, la santé, la sécurité, il convient plutôt de nous demander comment accompagner le patient dans des situations difficiles. En guise de conclusion, il est souhaitable d’accepter l’ambivalence entourant la coercition et de demeurer prudent en maintenant le doute et le questionnement. En ce sens, l’éthique participe à la définition de la psychiatrie et à son devenir en mettant en valeur l’importance de l’accueil, de l’écoute et du dialogue avec ce qui donne sens à une vie.
EN :
Coercion is a thorny topic in mental health. Few philosophers have taken an interest in it. In principle, in a context where autonomy and freedom are valued, coercion should not exist. However, coercion is present, and probably for the best reasons. Coercion raises a number of ethical questions. Often the problem arises in relation to good and evil, within a binary logic. For my part, the goal is to show that it is advantageous to get out of this conflict by posing the problem differently. I will instead explore how far we should push in our interventions and how to make a situation evolve. We will see that both questions answer one another. It is by questioning our assumptions concerning health, autonomy, safety and coercion that we will be able to change our understanding of the situation and, in so doing, draw a line that would take into account several perspectives. Instead of asking ourselves how to respect autonomy, health and safety, we should rather ask ourselves how to accompany the patient in difficult situations. In conclusion, it is advisable to accept the ambivalence of coercion and to remain prudent by maintaining doubt and questioning. In this sense, ethics participates in the definition of psychiatry and its future by emphasizing the importance of welcoming, listening and dialogue with what gives meaning to life.
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Les substances chimiques utilisées à des fins de contrôle : un statut juridique controversé
Emmanuelle Bernheim
p. 14–23
RésuméFR :
Au Québec, les mesures de contrôle – isolement, contentions et substances chimiques – font l’objet d’un encadrement législatif depuis 1998. Or, depuis cette date, les substances chimiques sont au coeur d’un débat sur leur statut juridique, entre thérapie et contrôle. En 2015, le ministère de la Santé et des Services Sociaux publie un Cadre de référence révisé sensé établir des normes directrices en matière de substances chimiques utilisées à des fins de contrôle. Un examen de ce cadre laisse pourtant transparaître plusieurs incohérences, entretenant l’indétermination sur leur statut. D’une part, l’exception prévue en matière de consentement ne correspond pas au cadre juridique québécois en matière de soins, laissant penser qu’il s’agit bien d’une mesure de contrôle. D’autre part, les actes réservés sont les mêmes, que les substances chimiques soient utilisées à des fins de contrôle ou à des fins thérapeutiques, laissant penser qu’il s’agit plutôt d’une mesure thérapeutique.
EN :
In Quebec, control measures – isolation, restraints and chemical substances – have been the subject of a legislative framework since 1998. However, since that date, chemical substances have been at the heart of a debate on their legal status, between therapy and control. In 2015, the Ministry of Health and Social Services published a revised Reference Framework that is supposed to establish guidelines for chemical substances used for control purposes. A review of this framework, however, reveals several inconsistencies, continuing an indeterminacy about their status. On the one hand, the consent exception does not correspond to the Quebec legal framework for care, suggesting that it is indeed a control measure. On the other hand, the reserved acts are the same whether the chemical substances are used for control or for therapeutic purposes, suggesting that it is in fact a therapeutic measure.
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Le consentement dans les services de suivi intensif dans la communauté : de la contrainte à la personnification des soins
Marie-Christine Lavoie
p. 24–32
RésuméFR :
Le contexte historique des soins en santé mentale au Québec ayant fait place, dans les dernières années, à une plus grande participation du client dans le processus décisionnel qui le concerne, a renversé la conception médicale de la psychiatrie d’autrefois. D’une vision d’internement, les soins sont maintenant adaptés aux besoins individuels de la clientèle desservie allant jusqu’à une offre de soin à même le domicile. Toutefois, le travail auprès de personnes fragilisées par la maladie mentale est souvent parsemé de questionnements et d’enjeux éthiques parfois contradictoires. Les équipes de suivi intensif dans le milieu en sont un exemple. Travaillant auprès d’une clientèle des plus vulnérables, les intervenants doivent savoir faire preuve d’ouverture et de flexibilité afin d’établir une relation thérapeutique auprès d’une clientèle souvent non volontaire et réfractaire à toute forme de traitement. Pour y parvenir, ils doivent souvent passer outre les refus de suivi en usant de diverses stratégies issues du paternalisme libertaire dans le but de maintenir des contacts qui deviendront significatifs et permettront à ces individus de reprendre le pouvoir sur leur vie. Cette approche parfois intrusive soulève bien évidemment son lot d’enjeux éthiques, notamment au sujet du consentement aux soins, et peut être perçue comme une atteinte aux droits fondamentaux en imputant les droits à l’autodétermination et l’autonomie décisionnelle. Il est cependant possible de renverser cette position à travers une approche bienveillante soutenue par l’éthique du care qui favorise le respect de la singularité de chaque individu en le mettant au coeur de la relation thérapeutique. C’est à travers le dialogue, la place accordée à l’autre, le respect de ses choix, de sa singularité et de son autodétermination qu’il sera alors possible d’aller chercher un consentement implicite et une participation active de l’usager dans son processus de rétablissement, et ce, même si parfois, il y a présence de mesures légales contraignantes.
EN :
The historical context of mental health care in Quebec, which in recent years has given way to greater client participation in the decision-making process for which they are concerned, has reversed the previous medical conception of psychiatry. From a vision of internment, care is now adapted to the individual needs of the clientele served, even including the provision of care in the home. However, work with people weakened by mental illness is often fraught with questions and sometimes contradictory ethical issues. Intensive follow-up teams in the community are a case in point. Working with a very vulnerable clientele, health workers must know how to be open and flexible in order to establish a therapeutic relationship with a clientele that is often involuntary and refractory to any form of treatment. To achieve this, they often have to get past refusals to follow-up by using various strategies derived from libertarian paternalism in order to maintain contacts that will become meaningful and allow these individuals to regain control over their lives. This sometimes-intrusive approach obviously raises its share of ethical issues, particularly regarding consent to care, and can be perceived as an infringement of fundamental rights by infringing rights to self-determination and decision-making autonomy. However, it is possible to reverse this position through a benevolent approach supported by an ethics of care that favours respect for the uniqueness of each individual by placing them at the heart of the therapeutic relationship. It is through dialogue, the place given to the other, respect for their choices, uniqueness and self-determination that it will then be possible to seek implicit consent and active participation of the user in the recovery process, even if sometimes there are binding legal measures.
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Le suivi en première ligne sur une base volontaire : effets sur la patientèle en gérontopsychiatrie
Jessika Roy-Desruisseaux
p. 33–42
RésuméFR :
Au cours des dernières décennies, l’autonomie est devenue une valeur phare dans nos sociétés, consacrant la volonté des patients comme prémisse à l’accès aux soins et services en première ligne. Ainsi, dans le cas de patients refusant l’aide à domicile, la volonté de participer à une évaluation a souvent préséance aux besoins identifiés par les intervenants, aussi prégnants soient-ils. Pour la patientèle gérontopsychiatrique, cette position organisationnelle peut mener à plusieurs écueils, voire même à des situations risquées ou dangereuses. En effet, le refus de soins et services chez les ainés, fréquemment associé à des comportements d’autonégligence, peut évoluer jusqu’à une détérioration clinique, à l’hospitalisation ou même à la mort. Il est donc essentiel de s’intéresser aux motivations de ces choix faits par les ainés et d’adapter l’approche des intervenants face à ces situations. Le consentement aux soins est une démarche dialogique qui doit inclure l’explication des risques en cas de refus; aussi l’accès aux soins ne doit pas être limité à la moindre opposition sans engager une réflexion supplémentaire. Cet article décrit pourquoi des solutions concrètes doivent être activement recherchées pour nuancer la compréhension et l’application des valeurs d’autonomie et de protection auprès des ainés dans une prestation saine de soins et services, encore plus auprès de la patientèle vulnérable des patients vieillissants et souffrant de symptômes psychiques.
EN :
Over the past few decades, autonomy has become a core value in our societies, enshrining the will of patients as a premise for access to front-line care and services. Thus, in the case of patients refusing home care, the willingness to participate in an assessment often takes precedence over the needs identified by caregivers, however compelling they may be. For the gerontopsychiatric patient, this organizational position can lead to several pitfalls, and even risky or dangerous situations. Indeed, the refusal of care and services among seniors, frequently associated with self-neglecting behaviours, can lead to clinical deterioration, hospitalization or even death. It is therefore essential to examine the motivations behind the choices made by seniors and to adapt the approach of caregivers to these situations. Consent to care is a dialogical process that must include an explanation of the risks in the event of refusal. Access to care must not be automatically limited when there is the slightest opposition, without first engaging in further reflection. This article describes why concrete solutions must be actively sought to nuance the understanding and application of the values of autonomy and protection for seniors in the healthy provision of care and services, even more so for the vulnerable patient who is aging and suffering from psychic symptoms.
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Psychiatrie, soins palliatifs et de fin de vie : des univers (ir)réconciliables? Le cas de madame Sanchez
Marie-Eve Bouthillier et Hugues Vaillancourt
p. 43–53
RésuméFR :
Contexte : En psychiatrie, la question d’offrir des soins palliatifs et de fin de vie pour ce qui serait une « condition psychiatrique terminale » ou, plus globalement, de considérer adopter une approche palliative pour des problèmes de santé mentale sévères et persistants constitue encore un tabou. Méthodologie : Cette question est abordée par l’analyse d’un cas effectuée lors d’une consultation en éthique clinique à l’aide de la méthode des scénarios d’Hubert Doucet. Il s’agit de madame Sanchez, une patiente âgée de plus de 90 ans, présentant des troubles psychiatriques, exprimant le désir de mourir par des gestes suicidaires, refusant les traitements proposés, ainsi que refusant de boire et manger. Son histoire clinique est racontée par le filtre de l’accompagnement réflexif offert en éthique clinique aux diverses parties prenantes. Résultats : L’analyse de cas, loin de répondre aux défis posés par le concept des soins palliatifs et de fin de vie en contexte psychiatrique, présente néanmoins une occasion d’en nommer les enjeux éthiques principaux : la souffrance psychique, le refus de manger et de boire ainsi que le refus de traitement, la sédation palliative et l’aide médicale à mourir, les volontés et directives médicales anticipées, ainsi que les défis clinico-organisationnels suscités par la clientèle gérontopsychiatrique. Conclusion : Les défis cliniques et éthiques demeurent nombreux pour les professionnels et les décideurs afin de répondre aux besoins de la clientèle de santé mentale très âgée. Nous appelons à un plus grand développement des connaissances sur ce thème précis.
EN :
Background: In psychiatry, the issue of providing palliative and end-of-life care for what would be a “terminal psychiatric condition” or considering a palliative approach to severe and persistent mental health problems is still a taboo. Methodology: This question is addressed through an analysis of a case arising during a clinical ethics consultation, using Hubert Doucet’s scenario method. It is about Mrs. Sanchez, a patient over 90 years of age with a psychiatric profile, expressing the desire to die by suicidal gestures, refusing the proposed treatments, and refusing as well to drink and eat. Her clinical history is told through the filter of reflexive support offered in clinical ethics to the various stakeholders. Results: The case analysis, far from responding to the challenges posed by the concept of palliative and end-of-life care in a psychiatric context, nevertheless presents an opportunity to name its main ethical issues: psychic suffering, refusal to eat and drinking as well as refusal of treatment, palliative sedation and medical assistance in dying, wishes and advanced medical directives and clinical-organizational challenges for geriatric psychiatry clients. Conclusion: There are still many challenges for professionals and decision-makers to meet the needs of older mental health clients. We call for further development of knowledge on this specific topic.
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Psychiatrie transculturelle : pour une éthique de tous les mondes
Audrey Mc Mahon, Rahmeth Radjack et Marie Rose Moro
p. 54–62
RésuméFR :
La psychiatrie transculturelle s’intéresse à l’impact de la culture sur la santé mentale et la maladie et remet le patient au centre de la relation en respectant ses manières de faire et de penser, individuellement mais aussi collectivement. La culture définit les représentations ontologiques, les théories étiologiques et les logiques thérapeutiques qui influencent l’expression symptomatologique de la souffrance et les modes de résilience des individus, tout aussi variés que les cultures desquelles elles émergent. Or la psychiatrie occidentale est de la même manière indissociable de la culture dans laquelle elle est née, ce qui pose la question de la souffrance psychique et des soins en situation transculturelle. La psychiatrie transculturelle amène le clinicien à se remettre en question et à élargir la clinique aux questions sociales, géopolitiques et historiques qui teintent les liens du tissu social, les relations de pouvoir et l’accès aux soins pour les individus des communautés culturelles. Comment faire que notre rencontre avec les patients venus d’autres mondes et ne partageant pas la même langue que nous soit éthique? Comment soigner face à l’altérité culturelle? Et quels impacts pour la santé mentale des jeunes d’aujourd’hui qui grandissent dans ces sociétés mondialisées aux défis identitaires complexes qui peuvent mener à des radicalités? Nous proposons dans cet article quelques réponses à ces défis éthiques et cliniques, en passant par le métissage des représentations, gage d’un meilleur vivre ensemble et d’une créativité renouvelée, pour un « ethos de la solidarité » dans les soins en santé mentale.
EN :
Transcultural psychiatry is at the confluence of culture, mental health and illness. It places the patient at the centre of the relationship while respecting his or her individual and collective way of thinking and doing. Culture defines ontological representations, explanatory models and therapeutic practices which influence expressions of suffering and specific modes of coping and healing, as diverse as the cultures from which they arise. Yet, Western psychiatry is just as indivisible from the culture from which it emerged, which brings up the question of mental suffering and care in transcultural situations. Transcultural psychiatry brings the clinician to question and widen his or her clinical practice with regards to social, geopolitical and historical issues which colour the bonds in the social fabric, in power imbalances and in access to health care for individuals of cultural minorities. How can we make our consultations with patients from different parts of the world and who speak different languages ethical? How should one care for patients when faced with cultural otherness? And what are the effects on the mental health of today’s youth, who are raised in global societies which generate complex identity challenges that can lead to radicalization? This article offers some answers to these clinical and ethical questions through the hybridization of representations, in order to ensure a harmonious coexistence and a renewed creativity, for an “ethos of solidarity” in mental health care.
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Réduction diagnostique en psychiatrie : enjeux éthiques et implications pour la clinique
Félix Carrier
p. 63–71
RésuméFR :
Cet article aborde le thème de la réduction diagnostique en psychiatrie, un processus par lequel des situations forcément complexes et multifactorielles sont réduites à des conditions médicales. Ce processus présente des écueils évidents, mais aussi certaines fonctions, notamment celle de circonscrire ce sur quoi porte légitimement ou non le jugement psychiatrique. Nous discuterons parallèlement des distinctions entre souffrance narrative et pathologique, ainsi que des jugements moraux et médicaux qui peuvent leur être associés. Ceci mènera à argumenter en faveur d’une attitude pragmatique par rapport à la classification diagnostique psychiatrique, c’est-à-dire par rapport au vocable standardisé servant à catégoriser et identifier les troubles dits de santé mentale. Nous dégagerons par la suite des implications pour la pratique clinique, notamment qu’une discussion transparente de ces aspects avec certains patients peut bénéficier à la relation thérapeutique et permettre aux personnes atteintes de troubles mentaux d’envisager un narratif qui n’ait pas à se limiter à une condition psychiatrique ni à se constituer par le rejet de cette dernière, mais puisse lui laisser une place légitime. Ultimement, nous souhaitons que la sensibilisation des cliniciens aux enjeux éthiques inhérents au diagnostic psychiatrique permette de limiter le caractère potentiellement péjoratif et déshumanisant de la réduction diagnostique, en leur permettant d’adopter des attitudes réflexives et transparentes sur ces questions.
EN :
This article addresses the theme of diagnostic reduction in psychiatry, a process by which necessarily complex and multifactorial situations are reduced to medical conditions. This process presents obvious pitfalls, but also certain functions, in particular that of circumscribing what the psychiatric judgment can legitimately or not focus upon. In parallel, I will discuss the distinctions between narrative and pathological suffering, as well as the moral and medical judgments that may be associated with them. This will lead me to argue in favour of a pragmatic attitude with regard to psychiatric diagnostic classification, i.e., with regard to the standardized term used to categorize and identify so-called mental health disorders. I will then highlight the implications for clinical practice, notably that a transparent discussion of these aspects with certain patients can benefit the therapeutic relationship and allow people with mental disorders to envisage a narrative that does not have to be limited to a psychiatric condition or be constituted by the rejection of the latter, but which can leave it a legitimate place. Ultimately, I hope that raising clinicians’ awareness of the ethical issues inherent in psychiatric diagnosis will limit the potentially pejorative and dehumanizing nature of diagnostic reduction, by allowing them to adopt reflexive and transparent attitudes on these issues.
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Un lieu d’accueil pour l’élaboration de la souffrance du soignant : réflexion sur le cursus de formation en éthique au programme de psychiatrie de l’Université de Sherbrooke
Dany Lamothe, Benoit Bergeron, Joëlle Hassoun et Jessika Roy-Desruisseaux
p. 72–79
RésuméFR :
La spécificité des soins en psychiatrie liée au contexte actuel rend les enjeux éthiques particulièrement saillants. Les résidents en formation dans cette discipline médicale sont confrontés à de tels enjeux dans bien des situations difficiles, lesquels peuvent fréquemment occasionner un inconfort marqué et une souffrance morale. Les futurs médecins sont outillés de connaissances et de compétences qui devraient leur permettre d’aborder les enjeux éthiques inhérents à la pratique, car l’enseignement de cette discipline est maintenant une condition d’accréditation des programmes de résidence au Canada. Or, bien des questions subsistent quant à la conception d’un enseignement en éthique clinique qui soit valide et efficient pour ces jeunes praticiens. Dans cet essai, nous tenterons d’esquisser des pistes de réponses à ce champ large de questionnements, à partir de notre expérience vécue en tant que résidents. Après avoir examiné certaines spécificités du dispositif pédagogique dont nous avons bénéficié au sein du programme de résidence en psychiatrie à l’Université de Sherbrooke, nous analyserons en quoi la structure du cursus proposé peut être un exemple positif pour une formation en éthique adéquate pour les jeunes professionnels de santé que sont les résidents. Plus spécifiquement, nous mettrons en évidence comment le fait de créer un espace pour accueillir la souffrance du soignant en formation peut avoir un impact sur sa propre sensibilité à la souffrance du sujet qu’il soigne.
EN :
The specificities of mental health care combined with the contemporary context of health care make ethical issues particularly salient in psychiatry. Thus, residents in training in this medical discipline may be particularly exposed to difficult situations involving an ethical dilemma, which can be a cause of distress and moral suffering. Future physicians are equipped with knowledge and skills that should enable them to address the ethical issues inherent to clinical practice, as teaching of this discipline is now a requirement for accreditation of residency training programs in Canada. However, many questions remain about the design of a valid and effective clinical ethics education for these young practitioners. In this essay, we attempt to sketch out possible answers to this wide range of questions, based on our experience as residents. After having examined some of the specificities of the ethics curriculum which we benefited from the psychiatry residency program at the University of Sherbrooke, we analyze how its structure can be a good example for ethics training of other young professionals, that is, residents. More specifically, we highlight how creating a space to acknowledge the suffering of the care giver in-training can have an impact on their own sensitivity to the suffering of the patient who they are treating.
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The Hidden Curriculum in Ethics and its Relationship to Professional Identity Formation: A Qualitative Study of Two Canadian Psychiatry Residency Programs
Mona Gupta, Cynthia Forlini et Laurence Laneuville
p. 80–92
RésuméEN :
The residency years comprise the last period of a physician’s formal training. It is at this stage that trainees consolidate the clinical skills required for independent practice and achieve a level of ethical development essential to their work as physicians, a process known as professional identity formation (PIF). Ethics education is thought to contribute to ethical development and to that end the Royal College of Physicians and Surgeons of Canada (RCPSC) requires that formal ethics education be integrated within all postgraduate specialty training programs. However, a formal ethics curriculum can operate in parallel with informal and hidden ethics curricula, the latter being more subtle, pervasive, and influential in shaping learner attitudes and behavior. This paper reports on a study of the formal, informal, and hidden ethics curricula at two postgraduate psychiatry programs in Canada. Based on the analysis of data sources, we relate the divergences between the formal, informal, and hidden ethics curricula to two aspects of professional identity formation (PIF) during psychiatry residency training. The first is the idea of group membership. Adherence to the hidden curriculum in certain circumstances determines whether residents become part of an in-group or demonstrate a sense of belonging to that group. The second aspect of PIF we explore is the ambiguous role of the resident as a student and a practitioner. In ethically challenging situations, adherence to the messages of the hidden curriculum is influenced by and influences whether residents act as students, practitioners, or both. This paper describes the hidden curriculum in action and in interaction with PIF. Our analysis offers a complementary, empirical perspective to the theoretical literature concerning PIF in medical education. This literature tends to position sound ethical decision-making as the end result of PIF. Our analysis points out that the mechanism works in both directions: how residents respond to hidden curriculum in ethics can be a driver of professional identity formation.
FR :
Les années de résidence comprennent la dernière période de formation officielle d’un médecin. C’est à ce stade que les stagiaires consolident les compétences cliniques requises pour une pratique indépendante et atteignent un niveau de développement éthique essentiel à leur travail de médecin, un processus appelé formation d’identité professionnelle (FIP). On pense que l’éducation à l’éthique contribue au développement de l’éthique et à cette fin, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (CRMCC) exige que l’éducation formelle en éthique soit intégrée dans tous les programmes de formation spécialisée postdoctorale. Cependant, un programme d’éthique formel peut fonctionner en parallèle avec des programmes d’éthique informels et cachés, ces derniers étant plus subtils, omniprésents et influents pour façonner les attitudes et le comportement des apprenants. Cet article fait état d’une étude des programmes d’éthique formels, informels et cachés de deux programmes de psychiatrie postdoctorale au Canada. Sur la base de l’analyse des sources de données, nous relions les divergences entre les programmes d’éthique formels, informels et cachés à deux aspects de la formation de l’identité professionnelle (FIP) pendant la formation en résidence en psychiatrie. Le premier est l’idée d’appartenance à un groupe. L’adhésion au programme caché dans certaines circonstances détermine si les résidents font partie d’un groupe ou manifestent un sentiment d’appartenance à ce groupe. Le deuxième aspect du FIP que nous explorons est le rôle ambigu du résident en tant qu’étudiant et praticien. Dans des situations éthiquement difficiles, l’adhésion aux messages du programme caché est influencée et influence le fait que les résidents agissent en tant qu’étudiants, praticiens ou les deux. Cet article décrit le curriculum caché en action et en interaction avec le FIP. Notre analyse offre une perspective empirique complémentaire à la littérature théorique concernant le FIP dans l’enseignement médical. Cette littérature tend à faire de la prise de décisions éthiques saines le résultat final du FIP. Notre analyse souligne que le mécanisme fonctionne dans les deux sens: la façon dont les résidents réagissent au curriculum caché en éthique peut être un moteur de la formation de l’identité professionnelle.
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La contribution de l’approche par les capabilités d’Amartya Sen à la pratique professionnelle en santé mentale : une analyse éthique
Hubert Doucet
p. 93–101
RésuméFR :
L’étude cherche à montrer la contribution de l’approche par les capabilités d’Amartya Sen à la pratique professionnelle en santé mentale. Pour le faire, le texte précise d’abord la transformation qu’a connue le champ de la santé mentale depuis les 50 dernières années. Le « rétablissement », avec son accent mis sur l’empowerment de l’usager, témoigne de ce renouvellement. Dans une deuxième partie, est présentée l’approche par les capabilités d’Amartya Sen. Si celle-ci vise à renforcer le pouvoir des individus à choisir eux-mêmes la vie qu’ils aspirent à mener, se pose alors le problème des personnes qui sont privées de la liberté de choisir. Entre ici en jeu la justice qui est inséparable de la liberté. La troisième partie de l’étude aborde la question de la contribution de la pensée de Sen à la pratique professionnelle en santé mentale. Qu’apporte-elle de plus que ce qu’apporte déjà le rétablissement avec la valorisation de l’autonomie du sujet? Il y est discuté du fondement anthropologique qu’elle valorise, de même que des implications pour la pratique des intervenants. Ainsi, en conclusion, le lecteur peut constater que l’approche de Sen modifie la perspective bioéthique classique prédominante depuis les années 1980.
EN :
This study aims to show the contribution of Amartya Sen’s capabilities approach to professional mental health practice. To do so, the text first clarifies the transformation that has occured in the mental health field over the last 50 years. The “recovery”, with its emphasis on the empowerment of the user, testifies to this renewal. In a second part, the capabilities approach of Amartya Sen is presented. If its aim is to strengthen the power of individuals to choose the life they aspire to lead, there is then the problem of people who are deprived of the freedom to choose. Here then is the issue of justice that is inseparable from freedom. The third part of the study addresses the contribution of Sen’s thinking to professional practice in mental health. What more does it offer than what recovery already brings with the valorisation of the autonomy of the subject? Here is discussed its anthropological foundation, as well as the implications for the practice of caregivers. Thus, in conclusion, the reader can see that Sen’s approach modifies the classical bioethics perspective in force since the 1980s.
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Le dévoilement de soi dans la recherche d’aide et le suivi dans les services de santé mentale et psychiatrie
Marie-Claude Jacques
p. 102–111
RésuméFR :
Le dévoilement de soi des patients est essentiel au travail des professionnels de la santé, et ceci est encore plus critique en santé mentale où la parole du patient est le reflet du contenu de la psyché. Le dévoilement de soi concerne alors des symptômes invisibles qui sont associés à des problèmes de santé où la discrimination et la stigmatisation sont encore très présentes. Cet article explore les enjeux éthiques de ce phénomène encore très peu étudié. Le dévoilement en tant que processus décisionnel, interpersonnel, dynamique et complexe sera défini et approfondi à l’aide d’exemples tirés de la recherche. Par la suite, la vulnérabilité de la personne qui se dévoile sera abordée, suivie des enjeux liés aux normes de pratique professionnelle associées au dévoilement des patients et à leur responsabilité avers celui-ci. Ces éléments mettent en lumière de nombreuses questions éthiques et nous amènent, en dernier lieu, à une amorce de proposition pour positionner les professionnels impliqués.
EN :
Patient self-disclosure is essential to the work of health professionals, and this is even more critical in mental health where speech is a reflection of the content of thought. Self-disclosure is then about invisible symptoms that are associated with health problems where discrimination and stigmatization are still very prevalent. This article explores the ethical issues of this phenomenon which has received very little study. Disclosure as a decision-making, interpersonal, dynamic and complex process will be defined and deepened with the help of examples from research. Subsequently, the vulnerability of the person who discloses will be addressed, followed by issues of quality of care and related to the standards of professional practice associated with patient disclosure and their associated responsibility. These elements highlight many ethical issues and ultimately lead us to a proposal to situate the professionals involved.