Volume 41, numéro 3, 2000
Sommaire (7 articles)
-
La règle de la bonne foi prévue dans l'article 1375 du Code civil du Québec : sa portée et les sanctions qui en découlent
Vincent Karim
p. 435–472
RésuméFR :
Le législateur codifie à l'article 1375 du Code civil du Québec (C.c.Q.) la théorie élaborée sous l'empire du Code civil du Bas Canada quant à l'existence de l'obligation de bonne foi en matière contractuelle. Cette règle doit désormais gouverner la conduite des parties à tout moment de la vie d'un contrat. Il s'agit en fait de la codification de la bonne volonté morale liée à l'équité. Cependant, la bonne foi est une source d'incertitude quant à son application, à ses effets et aux obligations qui en découlent. La jurisprudence et la doctrine reconnaissent l'obligation de renseigner et l'obligation de se renseigner comme des obligations corollaires de l'obligation de bonne foi. Existe-t-il d'autres obligations implicites découlant de cette obligation générale de bonne foi ? Quels critères les tribunaux doivent-ils appliquer pour évaluer la conduite du contractant à qui l'on reproche un manquement à cette obligation ? Un tel manquement peut-il excuser le comportement imprudent et peu diligent de l'autre partie ? Ce manquement lors de la formation du contrat peut-il être sanctionné par la nullité du contrat ? Cette dernière peut-elle se justifier par l'application de l'article 1375 C.c.Q. seul, et devient-il alors possible d'affirmer que cet article est générateur d'une sanction autonome ? D'autres questions surgissent quant à l'application de cette règle lors de l'exécution ou de l'extinction d'une obligation contractuelle. Par une analyse pragmatique d'un grand nombre de domaines et de circonstances au cours desquelles la bonne foi de l'une des parties peut être mise en question, l'auteur essaye de répondre à ces différentes interrogations.
EN :
Under Article 1375 of the Civil Code of Québec (C.c.Q.), the Legislator codified the theory developed in the Civil Code of Lower Canada as regards the existence of the obligation to exercise good faith in contractual relations. This rule must govern the parties' conduct at all times throughout the existence of the contract. This is, in essence, the codification of moral good will bound to equity. Nonetheless, good faith becomes a source of uncertainty in its applications, its effects and the obligations that arise from it. Jurisprudence and doctrine recognize the obligation to inform and to be informed as obligations corollary to that of good faith. What criteria must the courts apply to assess the behaviour of a contracting party accused of failing in this obligation ? Can such a failure excuse the careless and nonchalant behaviour of the other party ? Can this failure in the formation of the contract be sanctioned by the nullity of the contract ? Can nullity be justified by applying Article 1375 C.c.Q. alone, and does it then become possible to state that this article generates an autonomous sanction ? Other questions arise as to the application of this rule in the performance or extinction of a contractual obligation. Through a pragmatic analysis of a large number of fields and circumstances in which the good faith of one of the parties may be questioned, the author seeks to answer these various questions.
-
Réflexion sur l'assurabilité du risque environnemental au Québec
Isabelle Fortin
p. 473–512
RésuméFR :
L'assurance du risque environnemental engendré par les entreprises représente un défi de taille pour les assureurs, principalement parce qu'elle exige qu'ils composent avec l'incertitude, tant d'un point de vue technique que d'un point de vue juridique. En ce qui concerne le domaine technique, l'assurabilité du risque d'atteinte à l'environnement peut être accrue en ayant recours à l'audit environnemental d'assurance, qui permet de mieux le circonscrire et de le prévenir. L'approche préventive que doit préconiser l'industrie de l'assurance dans ce domaine ne peut toutefois suffire à repousser les limites afférentes à la technique de l'assurance ni à assurer une approche globale des enjeux liés à la protection de l'environnement. C'est pourquoi une action législative précise en vue de la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de dommages environnementaux est nécessaire. L'instauration d'un tel fonds permettrait de combler les deux grandes lacunes liées aux limites de l'assurabilité du risque environnemental que sont le non-respect du principe de l'indemnisation intégrale des victimes et l'absence de réparation satisfaisante du préjudice écologique.
EN :
Environmental risk insurance spurred by the business world represents a daunting challenge for insurers, mainly because this requires them to deal with uncertainty both from a technical and legal standpoint. As regards the technical aspect, the insurability of an environmental damage hazard may be increased by resorting to environmental insurance audit, which makes it easier to delineate and prevent such a hazard. The pro-active approach that the insurance industry must promote in this area will not be sufficient, however, to broaden the limits inherent in the technical application of insurance, nor to ensure an overall approach to the critical issues found in environmental protection. This reinforces the view that specific legislative action for the creation of a compensation fund for the victims of environmental damage is necessary. The setting up of such a fund would make it possible to resolve two major deficiencies limiting the insuring of environmental risks, namely the non-respect for the principle of full compensation for victims and the absence of satisfactory repairing of ecological damages.
-
L'industrie laitière canadienne devant les contraintes de la réglementation internationale de l'Organisation mondiale du commerce
Geneviève Parent
p. 513–566
RésuméFR :
L'industrie laitière canadienne a traditionnellement été l'un des secteurs d'activité agricole les plus florissants au Canada. Depuis les années 70, sa prospérité est assurée par un système de gestion des approvisionnements en lait. Ce système est le résultat d'une profonde mutation que l'industrie laitière canadienne a entreprise à la fin des années 50 et terminée dans les années 70, afin de s'adapter à l'environnement commercial d'après-guerre. Il a pour objet de contrôler la production de lait en vue d'assurer l’autosuffisance canadienne en fait de produits laitiers tout en évitant la surproduction. Un tel système a pu être maintenu en place par le Canada malgré l'entrée en vigueur du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade ou Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) en 1948 puisque le commerce agricole et agroalimentaire bénéficiait d'un statut particulier en étant maintenu à l'écart des discussions sur la libéralisation des échanges mondiaux. Or, depuis la clôture des dernières négociations multilatérales, en 1994, le commerce agricole et agroalimentaire est finalement soumis à la réglementation internationale de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) par l'entremise de l’Accord sur l'agriculture. Le protectionnisme nécessaire au maintien du système de gestion des approvisionnements en lait est donc appelé à disparaître. L'industrie laitière canadienne se trouve dès lors à la croisée des chemins. La réglementation internationale et les attaques répétées des Membres de l'OMC contre l'industrie laitière canadienne pressent de plus en plus l'ouverture du marché canadien de produits laitiers. La décision rendue le 13 octobre 1999 par l'Organe d'appel de l'OMC force le Canada à repenser son mécanisme d'approvisionnement en lait voué à l'exportation. Cette affaire offre donc l'occasion à l'industrie laitière canadienne de se repositionner par rapport au système de gestion des approvisionnements en lait et de s'engager, dès à présent, dans un véritable processus d'adaptation aux nouveaux paramètres du commerce international. Une anticipation des effets de la réglementation internationale et une adaptation de la politique laitière à ces paramètres seront garantes de la prospérité de l'industrie laitière canadienne dans un marché favorisant la libre concurrence. Le résultat des négociations actuelles entre les producteurs et les transformateurs quant aux modalités de la mise en oeuvre de la décision de l'OMC sera d'une importance majeure pour l'industrie laitière canadienne.
EN :
Traditionally, the Canadian Dairy Industry has in the agrofood industry been one of the most flourishing areas of activity in Canada. Since the 1970s, its prosperity has been guaranteed by a system for managing milk supplies. This system was the result of an in-depth change that the Canadian Dairy Industry undertook in the 1950s, then finished in the 1970s, in order to adapt to the post-war environment. Its purpose was to control milk production to ensure Canadian self-sufficiency for dairy products while avoiding overproduction. This system was successfully kept in place by Canada despite the coming into force of the GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) in 1948 since the agricultural and agrofood trades enjoyed a special status because they were kept separate from discussions on the liberalization of worldwide exchanges. Since the closing of the last multilateral negotiations in 1994, agricultural and agrofood trades have finally become subject to international regulations under the World Trade Organization through the Agreement on Agriculture. The protectionism required for maintaining a system for managing milk supplies is now doomed to disappear. Hence, the Canadian Dairy Industry is at a crossroads. International regulations and repeated attacks on the Canadian Dairy Industry by WHO members are forcing the Canadian dairy products market to open up. The decision handed down last October 13, 1999 by the WHO appeals tribunal requires Canada to redesign its supply procedures for milk destined for the export market. This situation therefore provides the Canadian Dairy Industry with an opportunity to redefine its position as regards the milk supply system and to make a new commitment as of now to a true process of adapting to the new rules in international trade. By anticipating the effects of international regulations and adapting dairy policies to these rules, the Canadian Dairy Industry will ensure its prosperity in a market favouring free trade. The outcome of current negotiations between producers and processors as regards the ways and means for implementing the WHO decision will be of critical importance for the Canadian Dairy Industry.
Notes
-
La modernité du droit vue à travers l'anthropologie dogmatique et la sociologie des sciences
Maurice Tancelin
p. 567–590
RésuméFR :
Le droit n'échappe pas à la mode des études sur la modernité, à l'occasion du changement de millésime. Deux ouvrages d'anthropologie parviennent par des voies différentes à un diagnostic étonnamment proche sur les expectatives en matière juridique et politique.
Selon le juriste Pierre Legendre, le droit n'est pas seulement le phénomène social auquel la société tend à le réduire aujourd'hui. L'animal politique d'Aristote est un animal parlant. Le langage, qui émane de la Raison, transmet au droit le caractère structural de ces deux facultés eminentes. Celui-ci n'est donc pas une simple commodité de la vie sociale (commodity, utility), sujette à des manipulations au gré des sondages d'opinion.
Le philosophe Bruno Latour, pour sa part, cherche à comprendre les liens entre sciences de la nature et les sciences sociales. Les premières ont la bride sur le cou depuis les Lumières. Cependant, la nécessité de les reconsidérer s'applique tout autant aux secondes. La science politique notamment a besoin de grilles d'analyse renouvelées pour répondre aux exigences de notre époque.
Les deux ouvrages s'accordent sur le fait que dans les contrées occidentales le roi est nu. Pour P. Legendre, il faudrait le convaincre d'apprendre à vivre en paix avec lui-même et avec son prochain avant de lui remettre ses vêtements d'apparat. D'après B. Latour, le roi a davantage besoin d'une chirurgie corrective que d'une psychanalyse avant d'appeler le tailleur.
EN :
Law is caught up in the general fashion for modernity studies at this double cusp : new century, new millenium. Through different pathways, two recent works on anthropology reach very similar conclusions about our legal and political future.
For the jurist Pierre Legendre, Law is more than a simple social phenomenon. The Aristotelian political animal is a speaking animal. Language stemming from reason instills to Law both of these eminent attributes. Therefore, Law cannot be reduced to a mere social commodity which could be twisted around the whims of opinion polls.
The philosopher Bruno Latour, endeavours to draw the bonds connecting the natural sciences to their social counterparts. Although the former have ridden roughshod since the Enlightenment, the need for re-evaluation applies to both of them. Political science is in dire need of an analytical retooling to face contemporary issues.
Both works basically agree that in contemporary Western societies, the King is naked. For P. Legendre, the King must learn to live with himself and his neighbour before he is given back his vestments. For B. Latour, the King is more in need of corrective surgery than psychoanalysis before the tailor is called upon.
-
Réflexions sur la passivité du législateur en matière de fiscalité internationale
André Lareau
p. 591–617
RésuméFR :
L'utilisation des juridictions étrangères à faible taux d'imposition dans le but de limiter le fardeau fiscal des entreprises canadiennes est devenue monnaie courante. Toutefois, cette stratégie fait perdre des sommes colossales au Trésor canadien. Cela ne constitue un secret pour personne, et encore pour moins pour les autorités fiscales canadiennes qui ont la fâcheuse habitude de réagir seulement lorsqu'elles sont acculées au pied du mur.
Le présent article consiste en une poursuite de la réflexion amorcée par certains auteurs quant aux principes de fiscalité internationale qui doivent guider le législateur dans un contexte de redressement des finances publiques. A cette fin, l'auteur analyse certains aspects du rapport sur la concurrence fiscale dommageable déposé en mai 1998 par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). De plus, appuyé par la littérature américaine et australienne, il examine certains concepts, tels que la capital import neutrality et la capital export neutrality avant de suggérer des solutions en vue de limiter les pertes occasionnées par l'usage des paradis fiscaux.
EN :
The resorting to off-shore low tax jurisdictions is a stratagem often used to reduce Canadian corporate taxes, one that is very costly for the Canadian Treasury. This is no secret for anyone, let alone the Canadian tax authorities whose Pavlovian reaction seems only to activate when their backs are to the wall.
This paper attempts to pursue the thinking initiated by various authors as regards international taxation principles that should guide government in its efforts to restore public finances. To this end, this study analyzes a portion of the OECD's Unfair Tax Competition Report. Also, with support from American and Australian authorities, it examines various concepts such as capital import neutrality and capital export neutrality so as to suggest solutions designed to limit the financial losses caused by corporate squirreling in tax haven jurisdictions.