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Suburban Xanadu est un ouvrage théorique qui explique la naissance et l’évolution des casinos états-uniens, et d’abord ceux de Las Vegas où s’affirment des éléments essentiels de la culture américaine. Si Las Vegas est aujourd’hui la capitale mondiale du jeu et l’une des premières destinations récréo-touristique, accueillant trois millions de visiteurs dans ses hôtels-casinos, on est d’abord surpris de leur apparition tardive, dans les années 1950. Schwartz explique le contexte socio-économique et culturel de l’immédiat après-guerre qui a permis l’essor rapide des casinos dans des espaces non pas urbains, mais périurbains. La thèse de l’auteur est de montrer qu’historiquement les casinos de Las Vegas furent créés exnihilo à l’extérieur de la ville, même si, plus tard, ils furent rattrapés par l’urbanisation galopante due, en partie, à leur formidable succès.
L’auteur affirme, à partir d’une double argumentation, que les complexes des casinos sont par essence incompatibles avec un espace urbain. D’une part, l’idéologie américaine en vigueur à l’époque où ils se sont développés voulait que l’industrie du jeu soit perçue comme une menace envers les valeurs de moralité prônées par le plus grand nombre, voire comme le repaire d’un monde souterrain du crime. Dès lors, faute de pouvoir l’éradiquer, il s’agissait, en sus de l’adoption de lois anti-jeu, de cantonner le jeu dans des espaces bien délimités et identifiables, de préférence loin des villes pour éviter une trop grande visibilité et donc une trop grande tentation. Le Nevada paraissait alors être un espace adéquat à cette mise en quarantaine des jeux d’argent, du fait de son caractère périphérique par rapport aux grandes agglomérations.
D’autre part, les casinos furent conçus pour être des oasis autonomes isolées, où le client pourrait trouver sur place les services répondant à tous ses besoins; des espaces comparables à des parcs à thèmes, en quelque sorte, accessibles en voiture. Ils sont donc des complexes insulaires, non pas parce que les visiteurs doivent être préservés de l’influence négative du monde extérieur, mais bien parce qu’il s’agit de tout faire pour garder le plus longtemps possible le client à l’intérieur. À l’inverse des parcs à thème, les casinos de Las Vegas s’apparentent, non pas à des forteresses, mais à des prisons, et cela justifie leur implantation périurbaine originelle. Las Vegas reste encore aujourd’hui une ville qui fascine et qui suscite bien des controverses, une ville où crime, corruption, exotisme, dépaysement et divertissement familial coexistent en une alchimie que l’auteur déconstruit dans cet ouvrage enrichissant et pertinent.
Schwartz prend le parti de débarrasser la ville et l’industrie du jeu de leur image mythique véhiculée par le cinéma et les imaginaires touristiques pour donner à voir les véritables mécanismes qui font le succès des casinos. Il analyse dans cet ouvrage documenté les différentes forces socioculturelles, politiques, économiques et juridiques qui ont accompagné et conditionné cet essor. Au-delà même du cas de Las Vegas, c’est tout «l’Archipel du Casino» qui est étudié, dans cet ouvrage essentiel à quiconque s’intéresse à la problématique de la culture américaine.