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C’est une grande lacune dans l’histoire de la littérature des voyages que vient combler l’édition critique de l’Histoire des aventuriers Flibustiers établie par Réal Ouellet et Patrick Villiers. Si les rééditions récentes de ce classique de la piraterie ne manquent pas, aucune n’avait à ce jour réuni avec une telle rigueur scientifique autant d’atouts. La présente édition permet de redécouvrir et d’apprécier à sa juste valeur un texte éminemment problématique, écrit par le chirurgien Alexandre-Olivier Exquemelin, probablement protestant et flibustier dans les Antilles de la fin du XVIIe siècle. Son ouvrage, publié initialement à Amsterdam en 1678, fut réédité à Paris en 1686, dans une version sensiblement remaniée, puis en 1699. Avec une grande prudence, les éditeurs rappellent les rares éléments biographiques permettant d’établir le profil de cet auteur singulier, engagé en 1666 pour la Compagnie des Indes occidentales et qui, débarqué à l’île de la Tortue, fut vendu aux colons pour pouvoir rembourser son transport. La participation, directe et indirecte, d’Exquemelin aux actes de piraterie ne fait aucun doute : elle constitue le socle empirique qui va lui permettre de rédiger ses mémoires qu’il fera publier en Hollande une fois rentré des Antilles et après d’autres voyages. C’est aussi à ce moment qu’Exquemelin ou son libraire a recours à un rédacteur qui reprend, rédige (et probablement traduit en néerlandais) les écrits du flibustier, l’opération étant justifiée car, comme l’indique la préface écrite à l’époque, « ce manuscrit était difficile à entendre, et encore plus à faire entendre aux autres ». Cette intervention d’un tiers, réitérée dans l’édition française, fait que la version finale de l’imprimé, la seule que nous connaissions, relève d’un montage où les emprunts (entre autres à la récente Histoire générale des Antilles de Dutertre) et autres collages textuels sont manifestes. On peut à cet égard regretter que les éditeurs n’aient mieux rappelé la banalité du recours à un rédacteur anonyme capable de remanier les écrits bruts des marins pour satisfaire les attentes d’un public policé. Ce fut par exemple le cas d’un Pierre Bergeron, spécialiste de cette pratique dans le premier tiers du XVIIe siècle. L’intérêt de cette édition critique est bien de souligner l’oscillation du récit d’Exquemelin entre un versant descriptif qui, à la fin du XVIIe siècle, s’inspire encore du canevas général et de l’ambition encyclopédique de l’Histoire naturelle et morale des Indes d’Acosta, et un versant narratif, tendant vers le roman d’aventure et participant à la constitution du mythe de la flibuste. L’Histoire des aventuriers Flibustiers n’est cependant pas dénuée de valeur historique et de nombreux passages, tel le récit de l’expédition de Panamá, sont corroborés par d’autres sources historiques. Enfin, il faut souligner la richesse et la clarté de l’appareil critique, grandement utile dans l’accompagnement de la lecture : des notes précises et utiles (permettant de mieux évaluer la réécriture fictionnelle de l’édition française), la présence d’annexes variées, d’une solide bibliographie, ainsi que d’un index et d’un glossaire rendent extrêmement précieuse cette nouvelle édition de l’Histoire des aventuriers Flibustiers.