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Cet ouvrage vise à faire le point sur l’état de la géographie sociale. Il est le premier de trois volumes issus du colloque Espace et sociétés d’aujourd’hui. La géographie sociale dans les sciences sociales et dans l’action, qui s’est tenu à Rennes en octobre 2004. Il en présente les contributions à caractère théorique, ainsi que quelques autres textes sur les fondements de la géographie sociale sollicités dans sa foulée. Son but est d’approfondir l’identité de la discipline. Cette ambition n’est certes pas nouvelle dans ce haut lieu de la géographie sociale de langue française que sont les universités de l’ouest de la France : divers colloques en ont eu le projet au cours des derniers vingt-cinq ans, qui ont mené à plusieurs publications. Mais la diversité des initiatives récentes, l’émergence de questions jusqu’ici peu abordées, et surtout la volonté de réaffirmer sa portée justifient, selon Robert Hérin qui signe la conclusion, que « l’on s’interroge à nouveau tant sur les bases de la géographie sociale que sur sa place parmi les sciences sociales » (p. 351).
Cette fois, c’est autour de la problématique de l’action et de l’inscription de la géographie sociale dans les sciences de l’action que se situe la réflexion. Ainsi, l’acteur est omniprésent dans les textes. Un acteur qui, tout en étant capable de penser sa condition et ses actes, n’en est pas moins travaillé par ses origines et sa position sociale : « ni homo economicus, ni idiot culturel » pour reprendre la formule de Fabrice Ripoll (p. 202), qui invite aussi à replacer les acteurs dans leur corps, et leur corps par terre (p. 207). C’est ainsi qu’on s’intéresse à la distance, aux cadres matériels, aux contextes présentés comme essentiels à la compréhension du rapport de l’individu et des groupes à l’espace. L’action, quelque peu négligée par une géographie sociale, qui dans la foulée du tournant culturel la réduisait souvent à ses seules formes discursives, est aussi au centre du propos. La sociologie urbaine et l’anthropologie sont mobilisées. Le dialogue avec d’autres sensibilités de la géographie apparaît aussi clairement à la lecture de l’ouvrage. De nombreux auteurs s’y trouvent en phase avec la géographie culturelle pour intégrer à leurs préoccupations les questions des valeurs, du sens. Ils démontrent toute l’importance de la matérialité des conditions d’existence des registres symboliques de l’action sociale. Ce qui, de souligner Séchet et Veschambre en introduction, ne manque pas de donner à la géographie sociale « un surcroît de crédibilité » (p. 22). Des textes s’intéressent au patrimoine, à la mémoire, à l’identité. Ils comblent le fossé qui s’était creusé entre géographie sociale et géographie culturelle en France.
L’ouvrage qui compte une vingtaine de textes, est divisé en deux sections. La première porte sur le projet de la géographie sociale et le nécessaire engagement de ses protagonistes. Plusieurs textes réitèrent son ambition critique, faisant ressortir les effets performatifs des discours d’autorité sur la ville et l’espace public, les inégalités sociales, le risque, et les défis du vivre-ensemble. La seconde traite plutôt de ses façons de faire, en proposant différentes conceptualisations de la « dimension spatiale du social », expression qui semble faire consensus parmi les auteurs pour rendre compte de la spécificité de la discipline. Certaines catégories chères à la géographie sociale anglo-saxonne telles la communauté et la minorité sont explorées. On y propose des modalités nouvelles de compréhension de la relation à l’espace, notamment par une entrée par l’appropriation, qui met davantage de l’avant les rapports sociaux que les configurations spatiales. L’importance d’éviter toute forme de spatialisme revient en effet comme un leitmotiv.
Bref, cet ouvrage présente les évolutions communiquées à la géographie sociale française par une diversité de chercheurs, pour la plupart jeunes. Il témoigne ainsi de la vitalité de la discipline et de sa capacité de renouvellement. Mais s’il convainc de la richesse de son questionnement et des thématiques émergentes, il ne s’en dégage pas aisément une véritable théorie de l’action et des acteurs en géographie. Les introductions offertes à chacune des deux sections par Vincent Veschambre, tout habiles qu’elles soient, ne compensent que partiellement l’éclatement du propos. Malgré la qualité de plusieurs des textes ici réunis, l’absence d’une véritable synthèse de la géographie sociale de langue française qui permettrait de bien saisir ses questions, ses paradigmes et ses stratégies méthodologiques propres apparaît toujours aussi flagrante. Tout comme la difficulté du développement pour la géographie sociale d’une posture qui, tout en se rattachant aux autres sciences sociales notamment par le recours aux théories de l’action, reste d’abord et avant tout géographique.