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En 2002, le gouvernement du Québec a adopté une politique nationale de l’eau qui instaurait une gestion intégrée et concertée de l’eau basée sur une approche territoriale, soit le bassin versant, selon une approche certes inspirée du modèle français de 1964, mais qui n’en était pas pour autant une copie conforme. Le modèle québécois repose sur la responsabilisation de l’ensemble des acteurs d’un bassin versant : pouvoirs publics, municipalités, agents économiques, citoyens, associations. Il suppose la coordination des actions et projets de tous ces acteurs et la définition d’un consensus en matière de gestion des eaux, à partir d’un portrait de chaque bassin versant, ce qui pose aussi la question de l’accès aux données.

L’ouvrage pose donc la question des défis que représente la mise en oeuvre d’une réelle gouvernance de l’eau, comprise comme la sortie de l’approche antérieure, très sectorielle, cloisonnée, dans laquelle l’eau était gérée selon les préoccupations de chaque agent gouvernemental (transport, municipalités, agriculture, environnement, hydroélectricité) sans qu’une réelle coordination ne soit mise en oeuvre. Car le véritable défi de la gouvernance de l’eau, telle que définie en 2002 dans la politique nationale, est d’intégrer toutes ces dimensions, de réfléchir à un processus de gestion qui tiendrait compte des préoccupations et des objectifs de tous les acteurs du territoire.

Dans une première partie, consacrée à ce que les auteurs appellent les savoirs préalables à la gouvernance de l’eau, Bonn et Thomas présentent le concept de bassin versant, ses caractéristiques hydrologiques et son évolution dans le temps. L’aspect économique est traité, de façon un peu réductrice, par Boyer qui reprend l’idée de l’exportation de l’eau comme source potentielle majeure de revenus pour la société québécoise, sans convaincre tant l’analyse demeure légère et sans que soit évoqué tout le débat politique susceptible d’être soulevé par un tel projet. Mais la gestion de l’eau au Québec se caractérise avant tout par un imbroglio juridique où la complexité juridictionnelle n’a d’égal que le pandémonium normatif. Pour tenter de clarifier le système juridique de l’eau au Québec, Tremblay-McCaig décrit comment la gestion de l’eau a été façonnée par le partage des compétences qu’on trouve dans la Constitution canadienne. Suivent plusieurs chapitres qui décrivent la complexité du droit régissant la gestion de l’eau au Québec, droit fédéral, droit provincial, notion de chose commune, pouvoirs délégués aux municipalités, aspects du droit international. Le chapitre rédigé par Comtois et Turgeon, « Propos sur le régime juridique de l’eau au Québec », fait écho à celui de Tremblay-McCaig et souligne bien la complexité de l’échafaudage juridique en matière de gouvernance de l’eau, la multiplicité des acteurs impliqués, les diverses strates de droit qui se sont construites peu à peu, ainsi que la diversité des approches, tous des éléments qui ont contribué à produire cette complexité avec laquelle doivent désormais composer les pouvoirs publics.

Dans une deuxième partie, les auteurs se penchent sur la façon dont les concepts de gouvernance de l’eau au Québec ont été mis en oeuvre, surtout depuis la promulgation de la Politique nationale de l’eau en 2002. Milot signe un excellent chapitre sur la gouvernance des cours d’eau au Québec, brossant un état des lieux clair et précis, un portrait que complète la réflexion prospective de Raîche en fin de partie. Beaulieu évoque la difficulté pour les organismes de bassins versants (OBV) à définir leur identité et à construire leur légitimité opérationnelle, tant il est vrai que le caractère associatif de ces OBV, la volonté du gouvernement québécois de ne pas leur donner de pouvoir décisionnel ou fiscal et leur faiblesse institutionnelle rendent leur mandat – fondé sur la recherche du consensus – difficile à atteindre. Bryant et Desroches posent justement la question de la participation citoyenne dans ce mandat des OBV, qui contribue à la gestion du territoire et à son aménagement. Létourneau livre aussi une réflexion sur la problématique du modèle québécois de décision par consensus à l’échelle du bassin versant ; comme il le souligne, « la construction d’orientations partagées par tous est un défi majeur ». Or, à la différence du modèle français, où les agences de l’eau sont des organismes de décision, les OBV du Québec n’ont aucun pouvoir de prise de décision : ce sont davantage des facilitateurs, des organismes aviseurs, qui doivent permettre l’élaboration d’un consensus parmi les acteurs du territoire du bassin versant. La politique québécoise reste muette sur la démarche à suivre en cas d’absence de consensus.

Dans la dernière partie, « Pour une gouvernance de l’eau efficace », on s’efforce de lancer un débat et une réflexion sur les pistes existantes pour améliorer la structure actuelle en matière de gouvernance de l’eau au Québec. Choquette a largement contribué à la rédaction de cette partie, signant ou cosignant deux chapitres, sur le concept de contrat de bassin et sur l’évaluation du processus délibératoire de la politique de l’eau, tandis que Poitras et LaRue réfléchissent sur l’efficacité de la médiation dans les conflits environnementaux.

L’ouvrage souffre un peu du travers commun aux ouvrages collectifs, à savoir l’inégale qualité entre les chapitres. Mais ce défaut demeure mineur. Le principal reproche qu’on pourrait formuler aux auteurs est d’avoir cherché à brosser un portrait de la gouvernance de l’eau le plus détaillé possible, dans son contexte et dans sa conception, laissant de facto moins de place pour débattre des obstacles et des potentiels pour la mise en oeuvre d’une véritable gouvernance de l’eau au Québec. Sur le terrain, comment les différents acteurs de l’aménagement du territoire perçoivent-ils la nécessité de la concertation pour définir des plans d’action ? Procéder par la voie du consensus est-il réaliste ? Quels sont les succès, mais aussi les travers, les échecs de cette approche, sans doute idéale en théorie mais parfois bien difficile à mettre en oeuvre dès lors que les acteurs ont souvent des représentations contradictoires et des objectifs peu compatibles ? S’il est certainement un peu tôt pour faire un bilan définitif, six ans après le lancement de la Politique nationale de l’eau, on reste un peu sur sa faim face à ces grandes questions dont on mesure déjà les difficultés qu’elles représentent face au modèle québécois de la gouvernance de l’eau.

Un ouvrage malgré tout fort bien fait, avec de nombreux chapitres très documentés, rédigés par des auteurs du milieu communautaire ou des experts d’horizons disciplinaires différents, et qui permet de prendre la mesure du contexte politique, juridique et géographique tout autant que des enjeux de la mise en oeuvre de réels mécanismes de gouvernance de l’eau au Québec. Un livre fort intéressant donc pour tous les chercheurs dans le domaine de la gestion de l’eau.