FR :
Cet article traite de la « jouissance du voir » dans le premier long métrage de Chantal Akerman, Je tu il elle. Il entend démontrer comment, dès 1974, la réalisatrice belge faisait oeuvre de pionnière en utilisant des techniques de narration et de monstration destinées à briser l'effet fiction. Elle avait déjà le souci de prévenir toute tentative de fuite des spectatrices et des spectateurs dans une identification aliénante avec les images. Pour que leur regard réapprenne à voir, la cinéaste a très tôt recherché une épistémologie multisensuelle, riche de perspectives multiples où la vue, la vision ne sont pas plus privilégiées que l'ouïe, le toucher, le goût. Elle alertait ainsi le monde qui, 20 ans plus tard, allait dans son aveuglement postmoderne réduire les êtres à n'être plus que des fragments illusoires.
EN :
This article deals with the "joy of seeing" in Chantal Akerman's first feature film, Je tu il elle. Its purpose is to demonstrate how, beginning in 1974, the Belgian director's pioneering work used techniques of narration and monstration intended to break down the fiction effect. Akerman was concerned to prevent any attempt at flight by the spectators through an alienated identification with the images. In order to restrain their gaze in a new way of seeing, the filmmaker began very early to develop a multi-sensual epistemology, rich in multiple perspectives, in which sight and vision enjoy no precedence over hearing, touch and taste. Thus she alerted us to a world which, in its postmodern blindness twenty years later, would reduce beings to illusory fragments.