Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 26, numéro 2-3, printemps 2016 La télévision… selon Jean-Christophe Averty Sous la direction de André Gaudreault et Viva Paci
Sommaire (14 articles)
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Une nouvelle direction à la revue : l’avenir et le passé d’une discipline en développement
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Présentation
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Influences et trajectoire professionnelle : de l’enfance à l’entrée à la RTF (1928-1952)
Sylvie Pierre
p. 31–49
RésuméFR :
Diplômé de l’IDHEC, Jean-Christophe Averty a entamé sa carrière à la Radiodiffusion-télévision française (RTF) en 1952. Ses réalisations couvrent plusieurs genres (documentaires, variétés, dramatiques), dans lesquels il se distingue par une recherche graphique et narrative sans précédent. Il est aujourd’hui connu comme celui qui est à l’origine de l’art télévisuel, c’est-à-dire de l’écriture par l’image. Apporter un éclairage sur l’influence de la période précédant son entrée à la télévision comme facteur explicatif de ses choix esthétiques constitue le sujet de cet article, qui s’appuie sur une série d’entretiens menés avec lui de 2011 à 2014. Il s’agit ici de présenter les hommes auprès desquels il a oeuvré, ainsi que les courants littéraires et artistiques qui l’ont influencé, afin de reconstituer le cheminement personnel et professionnel au cours duquel se forgeront les idées et les orientations qui marqueront sa carrière à la télévision.
EN :
A graduate of IDHEC, Jean-Christophe Averty began his career at Radiodiffusion-télévision française (RTF) in 1952. The shows he directed cross several genres (documentary, variety, drama), in which he distinguished himself by his unprecedented graphic and narrative experimentations. Today he is known as the pioneer of televisual art, meaning writing with images. This article shines light on the influence of the period previous to his entry into television on his aesthetic choices, based on a series of interviews with Averty from 2011 to 2014. The article introduces the men with whom he worked and the literary and artistic currents which influenced him in order to recreate his personal and professional path, in the course of which were forged the ideas and directions that would define his career in television.
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Le jazz à la télévision française dans les années 1950 : du didactisme des premières représentations aux expérimentations de Jean-Christophe Averty
Gilles Mouëllic
p. 51–71
RésuméFR :
Très présent à la radio et dans la presse françaises après la Seconde Guerre mondiale, le jazz va conquérir peu à peu la télévision à partir de 1955. À la recherche du jazz, première série régulière sur le sujet, créée par Maurice Blettery et réalisée, pour l’écrasante majorité des émissions, par Jean-Christophe Averty, révèle une tension entre deux ambitions didactiques : l’une qui fait du jazz un prétexte pour aborder des « sujets de société », l’autre qui marque une volonté d’étudier la musique pour elle-même et d’affirmer le jazz comme témoignage d’un nouvel équilibre entre le « savant » et le « populaire ». Alors que les premières émissions sont construites autour d’une succession souvent maladroite d’extraits de longs métrages et de discours d’experts reconnus, Averty s’émancipe progressivement des contraintes éditoriales de la série pour mettre en images la musique et explorer les moyens propres à la télévision. À partir de la fin de la décennie, il prend en charge de nouvelles émissions, dont Modern Jazz at Studio 4, dans lesquelles il privilégie la performance des musiciens et fait du jazz un terrain d’expérimentation idéal pour inventer un univers plastique que l’on peut qualifier, bien avant les oeuvres de Nam June Paik, d’art vidéo.
EN :
Jazz had a prominent place on French radio and in the French press after the Second World War, and gradually took its place on French television after 1955. The vast majority of the programs making up the first regular series on jazz, À la recherche du jazz, created by Maurice Blettery, were directed by Jean-Christophe Averty. They reveal a tension between two didactic ambitions: one used jazz as a pretext to address “social topics,” while the other sought to explore music for its own sake and to espouse jazz as the sign of a new equilibrium between “high-brow” and “popular” culture. Although the earliest programs were constructed around an often awkward alternation of clips from feature films and remarks by acknowledged experts, Averty gradually broke free of the series’ editorial constraints to set the music to images and explore the resources television offered. In the late 1950s, he took over new programs such as Modern Jazz at Studio 4, in which he featured musical performances and made jazz an ideal locus of experimentation for inventing a visual world which we might describe, long before the work of Nam June Paik, as video art.
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Uscopie électronique. Muabilité & simultanéité
Joris Guibert
p. 73–98
RésuméFR :
Ce texte examine, à travers l’oeuvre de Jean-Christophe Averty, les différences fondamentales entre cinéma et vidéo. La démarche du réalisateur y est mise en parallèle avec les utopies des artistes pionniers de la vidéo, qui visent une picturalité par la malléabilité de l’image vidéographique, tandis qu’Averty en expérimente la plasticité pour inventer une écriture inédite spécifiquement télévisuelle. Prenant en considération la dialectique essentielle réel/artificiel de la vidéo, Averty utilise le signal et le trucage (notamment l’incrustation) comme figures d’expression. Il compose avec la simultanéité de cette technologie de flux, et avec la planéité de l’écran du téléviseur, pour conférer des dimensions nouvelles à l’image — contre le réalisme perspectiviste. L’auteur propose ainsi d’étudier l’ontogenèse de l’image électronique, afin de concevoir ce qui détermine une esthétique du médium. Si la technique ouvre des potentialités de création et d’énonciation singulières, elle engage une logique créatrice, et infuse alors une pensée inventrice. En interrogeant les notions de montage, de mixage, d’assemblage et de collage, l’approche technique et théorique adoptée ici élabore des distinctions entre fixation et transmission, représentation et simulation, afin d’évaluer l’écart entre écriture cinématographique et écriture vidéographique.
EN :
This article examines the fundamental differences between cinema and video through the work of Jean-Christophe Averty, considering his work alongside the utopias of pioneer video artists. The latter sought a pictorial quality through the malleability of the image, whereas Averty experimented with plasticity to invent a new form of writing specific to television. Taking into account the essential real/artificial dialectic of video, Averty used signals and trick effects (and in particular the keyed image) as expressive devices. He worked with the simultaneity of this technology of flow, and with the flatness of the television screen, to endow the image with new dimensions, against perspectival realism. The author thus proposes to examine the ontogenesis of the electronic image as a way of understanding what determines the medium’s aesthetic. While technology opens up singular creative and enunciative possibilities, it engages a creative logic and thus instils inventive thinking. By interrogating the concepts editing, mixing, assembly and collage, the technical and theoretical approach adopted here develops distinctions between fixation and transmission and between representation and simulation, in order to evaluate the gap between cinematic and videographic writing.
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Du renoncement à la couleur à une esthétique et à une éthique du noir et blanc : Averty dans ses oeuvres
François Jost
p. 99–127
RésuméFR :
Lorsqu’il arrive à la télévision, Averty est saisi par un sentiment de grisaille : alors même qu’elles sont tournées dans des décors en couleurs, les émissions sont filmées en noir et blanc. S’insurgeant contre ce qu’il considère comme une absurdité, il va fonder son esthétique sur le contraste de ces deux couleurs. Les bases en sont jetées par Ubu roi, qui s’appuie sur « De l’inutilité du théâtre au théâtre », de Jarry, et sur une conception de l’image qui mêle à la « perspective signifiante » du Moyen Âge l’art du papier découpé de Braque. En résulte une conception de la télévision qui tourne le dos au cinéma en prenant à la lettre les prescriptions de l’auteur d’Ubu. Mais le noir et blanc n’est pas qu’une position esthétique. Averty va en faire une « affaire de morale ». Le 24 décembre 1964, il offre aux téléspectateurs l’adaptation des Verts pâturages, où les rôles traditionnels sont inversés : Dieu est noir, de même que Jésus et le premier homme, né en Afrique. Cette émission paraît scandaleuse à certains, non seulement parce qu’elle va à l’encontre de la vulgate, mais aussi parce que sa réalisation, basée sur un usage systématique des trucages électroniques, remet en cause le style des émissions de variétés de la décennie précédente tout en fondant un art vidéo.
EN :
When he arrived in television, Averty was gripped by a sense of greyness: shows were filmed in black and white, even though they were shot on colour sets. Rebelling against what he saw as an absurdity, he went on to found his aesthetic on the contrast between these two colours. The groundwork was laid by Ubu roi, drawing on Jarry’s idea of “the uselessness of theatre to theatre” and on a conception of the image which blended Braque’s art of cut-up paper with the “perspective of importance” of the Middle Ages. The result was a conception of television which turned its back on cinema by following the prescriptions of Ubu’s author to the letter. But black and white was not just an aesthetic position. Averty would make of it a “question of morality.” On December 24, 1964, he offered viewers his adaptation of The Green Pastures, in which the traditional roles were inverted: God was black, along with Jesus and the first man, born in Africa. This show scandalized some, not only because it went against the Bible, but also because its production, based on the systematic use of electronic special effects, called into question the style of variety programs of the previous ten years while at the same time founding a video art.
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« Un jeu bête et méchant » : l’art du détournement du poste de télévision (1963-1964)
Caroline Tron-Carroz
p. 129–150
RésuméFR :
Dans l’émission Les raisins verts (1963-1964), le réalisateur Jean-Christophe Averty propose une séquence intitulée « Un jeu bête et méchant avec le Professeur Choron », dans laquelle Georges Bernier, par ailleurs directeur du mensuel satirique Hara-Kiri, se livre systématiquement à des détournements du poste de télévision qui dévient l’objet de ses usages ordinaires. Cet article met en relation le vocabulaire anticonformiste du « jeu bête et méchant » avec l’esprit contestataire du journal Hara-Kiri, tout en analysant la façon dont la séquence expose à l’écran différentes formes d’appropriation du médium télévisuel. À travers cette lecture, c’est la coexistence des démarches de détournement de l’objet télévision dans divers domaines de la création, au début des années 1960, qui est interrogée.
EN :
For the series Les raisins verts (1963-64), the director Jean-Christophe Averty created a sequence entitled “A Foolish and Nasty Game with Professor Choron,” in which Georges Bernier, director of the satirical monthly magazine Hara-Kiri, systematically puts a television set to new uses, making it the object of his experimentations. This article compares the nonconformist vocabulary of this “foolish and nasty game” with the anti-establishment spirit of Hara-Kiri and analyzes the way in which the sequence shows various ways to appropriate the televisual medium. This reading interrogates the coexistence of means for redeploying the television set in various creative fields in the early 1960s.
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Les utopies électroniques de Paik et d’Averty : investigations et expérimentations télévisuelles
Marc Plas
p. 151–172
RésuméFR :
La visée principale de cet article, qui fait suite à des recherches dans les archives de l’INA, est la mise en évidence d’un aspect essentiel de l’oeuvre et de la démarche de Jean-Christophe Averty : la singularité de son approche de la télévision. L’auteur a pour cela jugé nécessaire de rapprocher Averty d’un autre créateur contemporain, Nam June Paik, qui a lui aussi été un pionnier de l’utilisation du médium vidéo dans une perspective artistique. Sans faire l’impasse sur les conditions sociales et historiques qui ont pu rendre possible l’émergence de telles entreprises, l’auteur cherche, dans son texte, à rendre compte de la part d’innovation radicale qu’elles comportent. L’activité d’Averty et celle de Paik sont liées à l’apparition massive de la technologie dans l’art de la seconde moitié du xxe siècle et aux particularités tant matérielles que conceptuelles de cette technologie. L’importance de leurs expérimentations apparaît d’une manière peut-être plus précise aujourd’hui, dans le contexte d’expansion et de généralisation des outils numériques.
EN :
The main goal of this article, the result of research in the archives of the INA, is to bring out an essential aspect of the work and methods of Jean-Christophe Averty: the singularity of his approach to television. To do this, the author thought it necessary to compare Averty with another contemporary creator, Nam June Paik, another pioneer in the artistic use of video. Without overlooking the social and historical conditions which made the emergence of their endeavours possible, the author seeks to document the role of radical innovation in their work. Averty’s and Paik’s activities are linked by the massive arrival of technology in art in the latter half of the twentieth century and by the peculiarities, both material and conceptual, of this technology. The importance of their experiments may now be more clearly apparent today, in the context of the growth and spread of digital tools.
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The American Connection: Jean-Christophe Averty and his U.S. TV Contemporaries
Lynn Spigel
p. 173–197
RésuméEN :
This essay explores the television productions of Ernie Kovacs and Charles and Ray Eames, analyzing their pioneering audio-visual experiments in the American network broadcast system of the mid-century period. It examines how their work with TV graphics, montage, collage, sound, video tricks and special effects relates to Jean Christophe Averty’s work in French TV in the same period. It explores the “experimental spirit” across the Atlantic before the rise of video art per se, demonstrating how all of these early TV artists challenged dominant conceptions of what TV should be in their respective national and industrial contexts. Finally, it calls for more historical research on and theoretical inquiry into the complex relationships between art, design and commercial TV at mid-century.
FR :
Cet article analyse les productions télévisuelles d’Ernie Kovacs et du couple Eames (Charles et Ray) au sein du réseau de télédiffusion américain des années 1950, en examinant comment leur façon d’utiliser le graphisme, le montage, le collage, le son, les trucages et autres effets spéciaux se rapproche de ce que faisait Jean-Christophe Averty à la télévision française à la même époque. L’auteure y explore « l’esprit d’expérimentation » qui a prévalu des deux côtés de l’Atlantique avant la naissance de l’art vidéo en tant que tel, et montre de quelle manière ces artistes pionniers de la télévision ont remis en question les conceptions dominantes de ce que devait être le nouveau média dans leurs contextes nationaux et industriels respectifs. Elle conclut sur la nécessité d’étudier dans une perspective historique et théorique les relations complexes qu’entretenaient les arts, le design et la télévision commerciale au milieu du siècle dernier.
Hors dossier / Miscellaneous
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Tester des attractions, penser le film musical. Le studio de la Paramount à Astoria (1929-1931)
Katalin Pór
p. 201–218
RésuméFR :
Cet article cherche à mettre en lumière la dimension expérimentale conférée par la Paramount à son studio new-yorkais durant les premières années du cinéma sonore. Par l’analyse de l’évolution des processus de production et des stratégies publicitaires de la Paramount, il examine la manière dont celle-ci profite de la proximité géographique de son studio d’Astoria avec les ressources de Broadway pour en faire un espace de recherche et d’expérimentation sur la musicalité au cinéma, notamment en ce qui a trait au potentiel cinématographique des divers types d’attractions musicales scéniques et à leurs modalités d’inscription dans le long métrage de fiction. Il vise ainsi à montrer la place prépondérante occupée par les ressources théâtrales dans l’établissement des formes du cinéma musical.
EN :
This article seeks to bring into focus the experimental dimension of Paramount’s New York studio during the earliest years of sound film. Through an analysis of Paramount’s production processes and advertising strategies, it examines the way in which the company profited from its Astoria studio’s closeness to the resources of Broadway to make it a place for exploring and experimenting with musicality in the cinema, and in particular film’s potential with respect to various kinds of staged musical attractions and the ways in which they could be incorporated into feature fiction films. The article thus seeks to demonstrate the predominant role of theatrical resources in the establishment of the forms of musical cinema.
Comptes rendus / Book Reviews
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La 3D au cinéma : nouvelle dimension historique et économique / Martin Barnier et Kira Kitsopanidou, Le cinéma 3-D. Histoire, économie, technique, esthétique, Paris, Armand Colin, 2015, 188 p.
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La galaxie cinéma : migration et retour à la salle / Francesco Casetti, The Lumière Galaxy: Seven Key Words for the Cinema to Come, New York, Columbia University Press, 2015, 293 p.
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Entre liminarité et construction moderne / Laura Isabel Serna, Making Cinelandia: American Films and Mexican Film Culture before the Golden Age, Durham, Duke University Press, 2014, 336 p.