
Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 27, numéro 2-3, printemps 2017 Les salles de cinéma. Histoire et géographie Sous la direction de Claude Forest
Sommaire (12 articles)
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Présentation
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Quelles salles de cinéma en Afrique sud saharienne francophone ?
Claude Forest
p. 11–30
RésuméFR :
L’auteur de cet article revient sur les causes ayant provoqué la disparition des salles de cinéma en Afrique sud saharienne, phénomène propre à cette étendue géographique vaste comme treize fois la France. Après l’immobilisme du duopole français COMACICO-SECMA qui a cumulé durant un demi-siècle les fonctions d’importation et de distribution de la quasi-totalité des films, d’exploitation directe de la majorité du parc et de programmation des autres salles de la zone, l’aveuglement idéologique et la défense à court terme des intérêts corporatifs des cinéastes africains durant les deux décennies suivant les indépendances ont signé la disparition de toute la filière cinéma dans les années 1980. La méconnaissance des marchés internationaux de la distribution, l’absence de formation des exploitants, l’atomisation des marchés qui se sont repliés sur le pré carré national, le refus d’une billetterie contrôlée par la puissance publique, auxquels s’ajoutent la corruption et le piratage : les bases minimales d’une régulation étatique des marchés manquent encore, empêchant toujours la reconstruction des salles comme de toute la filière cinématographique.
EN :
This article reviews the causes of the disappearance of movie theatres in South Saharan Africa, a phenomenon peculiar to this vast geographical area thirteen times larger than France. Following the lack of initiative of the French duopoly COMACICO-SECMA, which over a half-century came to take over the importation and distribution of practically all the films shown in the region, the operation of most movie theatres and the programming of other cinemas in the region, the disappearance of the entire film sector in the 1980s was ensured in the various countries by ideological blindness and the short-term defence of the business interests of African filmmakers for two decades following independence. Unfamiliarity with international film distribution markets; the lack of training for distributors and exhibitors; the fragmentation of markets, which fell back on national territories; and the rejection of a ticketing system controlled by the state, in addition to piracy and corruption: the minimum requirements for state regulation of the market are still lacking, preventing even today the reconstruction of movie theatres and that of the entire film sector.
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Les salles de cinéma en Inde, un territoire à conquérir : perspectives historiques
Némésis Srour
p. 31–50
RésuméFR :
Les recherches sur l’histoire du cinéma en Inde, et en particulier celles sur le cinéma des premiers temps, attestent d’un manque cruel de sources, d’archives et de conservation des films. Comment documenter alors une histoire peu traitée, celle des salles de cinéma, sur un territoire aussi vaste ? Cet article, nullement exhaustif, cherche à mettre en évidence, de façon diachronique, les grands enjeux de l’exploitation en Inde. Des débuts du cinéma jusqu’à nos jours, une problématique de fond persiste : la conquête des zones rurales et de ses publics. À cette opposition entre territoires urbains et territoires ruraux se superpose, en ville, celle de la distinction entre différentes classes de cinémas. Variant dans la forme, ces analyses montrent toutefois une permanence de problèmes structurels, entre pénurie de salles et fortes disparités territoriales. Le déploiement des multiplexes, et de ses avatars en taille réduite, les miniplexes et les valueplexes, semble ouvrir la brèche des potentialités des marchés ruraux.
EN :
Research into the history of cinema in India, and in particular into early cinema, demonstrates a cruel lack of sources, archives and film preservation. How, then, is one to document a history so little discussed, that of movie theatres, in an area so large? This article, which is not at all exhaustive, seeks to identify, diachronically, the major issues around film distribution and exhibition in India. From cinema’s beginnings until the present day, an underlying issue remains: conquering rural areas and their audiences. To this contrast between urban and rural areas there is added, in cities, that of the distinction between different categories of movie theatre. These analyses, varying in form, nevertheless demonstrate permanent structural problems, from a shortage of movie theatres to strong regional disparities. The growth of multiplexes and their small-scale avatars, the miniplex and valueplex, appears to be opening up new possibilities in rural markets.
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Les salles de cinéma à Pékin. Entre croissance accélérée et réseaux indépendants
Christophe Falin
p. 51–70
RésuméFR :
L’auteur de cet article propose d’étudier l’évolution des salles de cinéma et des lieux de projection indépendants dans la capitale chinoise depuis les années 1990, leur place dans la ville, l’augmentation du nombre de spectateurs et l’évolution des pratiques culturelles, ainsi que les différentes politiques culturelles mises en place, entre encouragement au développement des salles et répression des réseaux indépendants. La vitesse de l’accroissement du parc de salles dans les grandes villes chinoises, à l’échelle de cette immense nation, du jamais vu dans le monde, y est soulignée à travers l’étude des principaux circuits d’exploitants à Pékin.
EN :
This article examines the growth of movie theatres and independent screening venues in the capital of China since the 1990s, their place in the city, the increase in the size of the audience and the evolution of cultural practices, in addition to the various cultural policies which have been established, such as encouraging the opening of movie theatres and the repression of independent circuits. The author underscores the speed with which the number of cinemas has grown in this immense country’s large cities, an unprecedented phenomenon in the world, through the study of the main exhibition circuits in Beijing.
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Reconquérir le public, le défi de l’exploitation cinématographique aux États-Unis et au Canada
Joël Augros
p. 71–89
RésuméFR :
Depuis 2003, année de fréquentation record des trois dernières décennies, les salles nord-américaines connaissent une érosion du nombre de leurs spectateurs, notamment des plus jeunes. Relativement à cette situation, le secteur de l’exploitation réagit de plusieurs façons. Classiquement, les exploitants rejouent la carte du spectaculaire ; les salles IMAX en sont l’exemple le plus frappant mais pas le seul (Cinemark XD, MAGI et HFR pour la projection, Dolby Atmos et Auro 11.1 pour le son). D’autre part, l’accent est mis sur l’amélioration du confort, haut de gamme (les salles VIP) ou plus grand public (fauteuils inclinables, places réservées, nourritures et boissons plus sophistiquées). La réflexion est également engagée sur le modèle économique du secteur, particulièrement sur la chronologie des médias. Enfin, certains circuits, et parmi eux les quatre plus importants, mécontents de l’offre de films actuelle, s’allient à des producteurs pour susciter une offre plus large. Course au spectaculaire, apport de nouveaux services, offre élargie, tout cela vise à redonner aux spectateurs nord-américains l’envie de sortir de chez eux et de retrouver plus nombreux le chemin des salles.
EN :
Since 2003, a record-setting year over a thirty-year period, North American movie theatres have been steadily losing audiences, particularly young viewers. In the face of this situation the film exhibition sector has reacted in various ways. In classical fashion, exhibitors have once again bet on the spectacular: IMAX theatres are the most striking example of this, but not the only one (Cinemark XD, MAGI and HFR for projection, and Dolby Atmos and Auro 11.1 for sound). At the same time, emphasis has been placed on improving comfort, both at the high end (VIP cinemas) and for the general public (reclining seats, reserved seats, more sophisticated food and drink). This article also examines the sector’s economic model, particularly its media chronology. Finally, some circuits, including the four largest, dissatisfied with the films on offer today, have joined with producers to broaden the range of films. The race to provide spectacle, the contribution of new services and a broader choice of films: all this has as its goal to give North American viewers a renewed desire to get out of the house and go out to the cinema in greater numbers.
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Multifunctional Halls and the Place of Cinema in the European Countryside, 1920-1970
Judith Thissen
p. 91–111
RésuméEN :
Beginning and ending with the question “what is a cinema?” and with a reconsideration of the notion of cinema’s second birth, this article examines the economic and socio-cultural dynamics of film exhibition and film-going in small-town and rural Western Europe, in particular in the Netherlands, Germany and France. Emphasis is placed on the history of itinerant film exhibition in multifunctional venues in the period after the era of the fairground shows—an important aspect of European film culture which has long been overlooked by cinema historians. Insights from these particular experiences of the cinema can help us to reconceptualize the place of cinema in both rural and urban contexts. A crucial aspect of film-going in multifunctional venues is the fact that it was located in spaces that were used for a wide range of commercial and community activities. The author thus advocates a new cinema historiography that breaks away from the fixation on the medium’s singularity to include its relation with the surrounding socio-cultural contexts in which cinema happened.
FR :
Prenant pour point de départ et d’arrivée la question « qu’est-ce qu’un cinéma ? », et reconsidérant la notion de seconde naissance du cinéma, cet article étudie les rapports économiques et socioculturels de l’exploitation et de l’expérience cinématographiques dans les petites villes et les zones rurales d’Europe occidentale, en particulier aux Pays-Bas, en Allemagne et en France. L’accent est mis sur l’histoire du cinéma ambulant présenté dans des lieux multifonctionnels dans la période qui a suivi celle des foires — un aspect important de la culture cinématographique européenne qui a longtemps été négligé par les historiens du cinéma. Un aperçu de ces expériences particulières du cinéma peut nous aider à reconsidérer la place de ce dernier dans les contextes ruraux et urbains. Un aspect crucial de la projection de films est le fait qu’elle prenait place dans des lieux multifonctionnels, c’est-à-dire des espaces utilisés pour un large éventail d’activités commerciales et communautaires. L’auteur préconise ainsi une nouvelle historiographie du cinéma qui rompt avec la fixation sur la singularité du médium pour inclure sa relation avec les contextes socioculturels environnants dans lesquels il prend place.
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L’émergence des multisalles en RFA : le cas de Düsseldorf
Frank Kessler et Sabine Lenk
p. 113–133
RésuméFR :
Dans cet article, les auteurs étudient l’évolution des salles de cinéma dans la ville de Düsseldorf entre 1920 et 1989, en particulier les développements de l’après-guerre. Entre 1945 et 1959, le nombre de salles augmente continuellement ; la première ferme en 1960, inaugurant un développement dégressif. En 1969, une nouvelle stratégie se manifeste : la partition d’un cinéma en plusieurs salles, ce qui deviendra une pratique dominante au cours des années 1970, selon un développement toutefois non linéaire ni homogène. L’article cherche à retracer la complexité de ce processus en tenant compte, entre autres, des phénomènes de croissance antérieurs entre 1920 et 1945, ainsi que des conséquences de changements sociaux pour le mode d’exploitation de salles. Il y retrace l’évolution adaptative des exploitants de cinémas qui sont passés de la formule « un bâtiment = une salle » à celle du cinema centre.
EN :
This article studies the evolution of movie theatres in the city of Düsseldorf from 1920 to 1989, particularly in the post-war period. Between 1945 and 1959, the number of cinemas grew constantly; the first closure came in 1960, beginning a decline. In 1969, a new strategy appeared: dividing cinemas into several screening rooms. This became a dominant practice throughout the 1970s, although it did not spread in a linear or homogeneous manner. The authors trace the complexity of the process, taking into account such things as earlier periods of growth, from 1920 to 1945, and the effects of social change on film exhibition. The article demonstrates how film exhibitors adapted as they transitioned from the formula “one building = one cinema” to that of the “cinema centre.”
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Du public populaire à l’art de la programmation : les salles de cinéma vues par les Cahiersdu cinéma dans les années 1980
Hélène Valmary
p. 135–154
RésuméFR :
Les années 1980 en France furent décisives dans l’histoire des salles de cinéma. L’auteure de cet article s’intéresse à la manière dont une revue cinéphile, les Cahiers du cinéma, s’est positionnée et a rendu compte de certaines problématiques liées notamment à la chute de fréquentation ou à la place prise par la télévision, dans une période qui était, pour la revue aussi, charnière. En effet, après leur période politisée des années 1970, les Cahiers se cherchent, cherchent leurs lecteurs, et leur discours sur les salles apparaît progressivement comme une projection des interrogations de la revue sur sa propre identité. Nourrie d’exemples parisiens, prenant pour modèle la programmation de la Cinémathèque française, la revue va développer un discours qui accompagne celui de sa mue vers une nouvelle formule qui veut renouer avec son public cinéphile, intégrer les nouveautés technologiques et faire dialoguer films du passé et films contemporains.
EN :
The 1980s in France were decisive in the history of movie theatres. This article explores the way in which a cinephile magazine, Cahiers du cinéma, positioned itself and discussed some of the issues around the drop in attendance and the place taken by television during the period, which was a turning point for the magazine as well. In fact, after its political period in the 1970s, Cahiers was trying to find itself and was looking for readers. Its discourse on movie theatres appeared gradually, as a projection of the magazine’s own inquiry into its own identity. Drawing on examples in the Paris of the day and taking as its model the programming of the Cinémathèque française, the magazine developed a discourse in keeping with its transformation to a new editorial line, one which tried to reconnect with its cinephile readership, to incorporate technological innovations and to bring films past and present into dialogue.
Hors dossier / Miscellaneous
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Vacances romaines. Sur La Sapienza d’Eugène Green
Guillaume Dulong
p. 157–177
RésuméFR :
L’auteur de cet article interroge la place de Rome dans le film d’Eugène Green La Sapienza (2014), par une analyse des présupposés métaphysiques et sémiologiques de sa poétique du cinématographe. L’auteur explique en quoi Rome illustre l’acte cinématographique en tant que « ville cachée » et ce que nous apprend la comparaison des cinéastes et architectes quant à la définition de l’auteur d’une oeuvre. Pour ce faire, l’expression « présence réelle » appliquée à la ville est examinée dans le sillage d’une esthétique néoplatonicienne pour montrer que l’identité paradoxale de référence du toponyme polysémique de « Rome » suppose une situation de communication poétique. Elle renvoie à un vécu d’hospitalité et de retour sur soi, mis en perspective avec le Journal de voyage en Italie par la Suisse et l’Allemagne en 1580 et 1581 de Montaigne. Par la suite, espaces urbains et filmiques sont comparés afin d’exposer la part du vide comme élément de composition de ce dernier. Le vide se comprend alors comme réceptivité de la lumière, patience. S’ensuit enfin une étude des analogies entre architecte et cinéaste et de la théorie esthétique de l’auteur les sous-tendant.
EN :
This article examines the role of Rome in Eugène Green’s film La Sapienza (2014) through an analysis of the metaphysical and semiological presuppositions of its cinematic poetry. The author explains how Rome, as a “hidden city,” casts light on the act of filming and what the comparison between filmmakers and architects can tell us about the definition of the author of a work. To do so, the application of the expression “real presence” to the city is examined from the perspective of a neo-Platonic aesthetic to show that the paradoxical sameness of the reference to the polysemous place name “Rome” creates poetic communication. It relates to an experience of hospitality and returning home, seen in light of Montaigne’s diary of his journey to Italy in 1580 and 1581 by way of Germany and Switzerland. Urban and filmic spaces are then compared to demonstrate the role of emptiness in the composition of the latter. Emptiness is thus seen as receptiveness to light and as patience. The article concludes with a discussion of the analogies between architects and filmmakers and of the aesthetic theory of the author underlying them.
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Georges Sadoul et la Fédération française des ciné-clubs ou Contribution à une histoire des usages non commerciaux du cinéma
Valérie Vignaux
p. 179–194
RésuméFR :
À partir des archives personnelles de Georges Sadoul, l’auteure de cet article s’interroge sur les raisons de son engagement en 1945 et de son désengagement en 1952 de la Fédération française des ciné-clubs. À l’encontre des récits historiques qui ont fait des ciné-clubs les agents d’une reconnaissance esthétique ou patrimoniale du cinéma, ceux-ci participent d’un mouvement culturel plus général — lancé dans l’entre-deux-guerres par Léon Moussinac — qui voit la généralisation d’activités de démocratisation et de décentralisation culturelle, ou autrement dit, d’éducation populaire. Compréhension sociale d’un art qui nuance les discours usuellement formulés sur les activités cinéphiliques de l’après-Seconde Guerre et qui, de surcroît, propose une autre définition de l’éducation populaire elle-même.
EN :
Drawing on the personal archives of Georges Sadoul, this article examines his reasons for joining the Fédération française des ciné-clubs in 1945 and for leaving it in 1952. Going against the grain of historical narratives, which see ciné-clubs as the agents of cinema’s aesthetic recognition or status as heritage, the author sees them as contributing to a broader cultural movement, launched in the inter-war period by Léon Moussinac, for widespread cultural democratization and decentralization. This is a social understanding of an art form which gives nuance to the usual discourses around post-war cinephile activities. In addition, the article offers a new definition of popular education itself.
Comptes rendus / Book Reviews
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Là où se joue la morphologie des médias / Guillaume Soulez et Kira Kitsopanidou, Le levain des médias. Forme, format, média, Paris, L’Harmattan, 2015, 272 pages
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La fabrique à fantômes : le spiritisme à l’ère de la culture de masse et des médias modernes / Simone Natale, Supernatural Entertainments: Victorian Spiritualism and the Rise of Modern Media Culture, University Park, The Pennsylvania State University Press, 2016, 235 p.