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INTRODUCTION

Associés à un plus grand de risque de prématurité, de faible poids de naissance, de césarienne et de bien d’autres complications sanitaires, les accouchements gémellaires constituent un défi de santé publique. Dans le contexte africain, la situation est d’autant plus préoccupante que non seulement on y rencontre le taux d’accouchements gémellaires le plus élevé au monde, mais aussi que le niveau de mortalité des enfants y est déjà plus élevé qu’ailleurs dans le monde. L’intérêt d’analyser les statistiques d’accouchements gémellaires en Afrique subsaharienne à travers les sites d’observatoires de population est double : documenter des situations qui, bien que très locales, peuvent informer sur les disparités en matière de taux de gémellité sur le continent ; et produire des statistiques d’utilité publique qui peuvent accompagner les actions visant à faire face aux défis sanitaires qu’engendrent les accouchements gémellaires.

Dans une étude précédente, nous avions fait une analyse des taux de gémellité en Afrique subsaharienne en utilisant des données d’enquêtes nationales (DHS[1] et MICS[2]). Cette analyse concernait 42 pays[3] du continent et elle couvrait la période 1986-2016. Elle nous a permis de décrire le taux de gémellité en Afrique au sud du Sahara (ASS), ses variations géographiques et son évolution dans le temps. Ce travail a aussi permis de faire une analyse multivariée des facteurs associés aux accouchements gémellaires. Les différents résultats obtenus indiquaient un taux de gémellité global de 17 ‰ en moyenne en Afrique subsaharienne. Les résultats de l’analyse des facteurs associés ont montré que le risque d’accouchements gémellaires est croissant avec l’âge de la mère et le rang d’accouchement. Ils ont aussi montré que ce risque variait selon le groupe ethnique de la mère, la sous-région géographique et le niveau de vie du ménage (Ouedraogo et collab., 2019 ; Ouedraogo, 2020).

Dans la continuité de ces travaux sur le taux de gémellité en Afrique subsaharienne, la présente note de recherche s’intéresse cette fois-ci aux données d’observatoires de population membres de l’International Network for the Demographic Evaluation of Population and Their Health (Indepth), qui est un réseau regroupant plusieurs dizaines d’observatoires de populations à travers le monde. La principale nouveauté du présent travail consiste au fait d’exploiter une autre source de données permettant d’estimer le taux de gémellité, complémentaire aux travaux précédents. Toutefois, le caractère local des données d’observatoires de population pourrait être perçu comme une limite du fait que, administrativement, elles ne sont représentatives d’aucun niveau supposé. Par conséquent, tout résultat trouvé ne sera statistiquement valable que localement. Cependant, outre les comparaisons de taux de gémellité qui seront faites entre les différents observatoires de populations, les résultats trouvés pourront valablement être mis en lien avec les taux nationaux. Enfin, cette étude se limite à des investigations de nature descriptive, puisque les données des observatoires de population contiennent moins de variables permettant de faire des analyses de type explicatif.

En somme, le but du présent travail est de faire une analyse comparative des taux de gémellité dans les observatoires de population d’Afrique au sud du Sahara. Les résultats trouvés seront comparés avec les taux nationaux calculés en utilisant des enquêtes nationales (Ouedraogo et collab. 2019 ; Ouedraogo, 2020)[4]. Il analysera en outre la variation du taux de gémellité selon l’âge de la mère, le temps, le rang de naissance et l’ethnie de la mère.

CONTEXTE

Il existe principalement deux types de jumeaux que sont les monozygotes (MZ), ou vrais jumeaux, et les dizygotes (DZ), ou faux jumeaux (Hall, 2003). Les jumeaux monozygotes qui sont issus de la fécondation d’un seul ovule par un seul spermatozoïde sont forcément de même sexe et présentent un phénotype identique. En général, le taux de gémellité MZ est constant autour de 3,5 à 4 ‰ et est indépendant de l’âge de la femme, du rang d’accouchement et de l’origine géographique (Pison, 2000 ; Long et collab., 2016). Les dizygotes, par contre, proviennent de la fécondation de deux ovules par deux spermatozoïdes distincts. À l’opposé des monozygotes, les dizygotes ne sont pas forcément de même sexe et ils n’ont pas un phénotype identique. Leurs fréquences d’accouchements varient sous l’influence de plusieurs facteurs (tableau 1) dont principalement l’âge de la mère, le rang de naissance, la zone géographique et l’Assistance médicale à la procréation (Bulmer, 1970 ; Pison, 1989 ; Couvert, 2011). Dans ce travail, aucune distinction ne sera faite selon le type de gémellité, à cause d’une contrainte liée aux données.

La littérature recense de nombreux facteurs biodémographiques et socioculturels influençant directement ou indirectement les fréquences d’accouchements de jumeaux. Les principaux d’entre eux sont l’âge maternel, le rang d’accouchement, la zone géographique, l’appartenance ethnique et l’utilisation des méthodes d’assistance médicale à la procréation (AMP). Ce dernier facteur étant très peu développé en Afrique subsaharienne (Bonnet [dir.], 2016), il ne sera pas pris en compte dans notre étude.

Concernant l’âge maternel, de nombreuses recherches ont établi que le risque d’accoucher de jumeaux augmente avec l’âge de la mère (Bulmer, 1970 ; Gabler et collab., 1994 ; Sear et collab., 2001 ; Satija et collab., 2008 ; Blondel, 2009 ; Pison et collab., 2015). Ainsi, Pison et collab. (2015) ont montré que la tranche d’âge maternel 35-39 ans est celle comportant les taux de gémellité les plus élevés au Japon, en Angleterre et pays de Galles, en France et aux États-Unis. Mais qu’est-ce qui explique ce lien ? La réponse serait d’ordre hormonal. En effet, en 2005, Bomsel-Helmreich et collab. (2005) ont expliqué l’augmentation du taux de gémellité avec l’âge de la femme par l’action de l’hormone folliculo-stimulante (follicle stimulating hormone, [FSH]), dont la concentration dans le sang est croissante avec l’âge. Ainsi, lorsque le taux moyen de FSH augmente, la probabilité de double ovulation et de double fécondation au cours du même cycle augmente (Couvert, 2011).

tableau 1

Probabilités d’accouchements multiples selon diverses caractéristiques dans quelques publications

Probabilités d’accouchements multiples selon diverses caractéristiques dans quelques publications

*APM : Assistance médicale à la procréation.

Source : Ouedraogo, 2020 ; inspiré de Shur, 2009

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La parité (considérée ici comme étant le nombre d’accouchements) est l’autre facteur démographique majeur qui est associé aux accouchements gémellaires. Selon Bulmer (1970), indépendamment de l’âge maternel, la parité possède un effet propre sur la gémellité. Daguet (2002) et Couvert (2011) dans leurs travaux respectifs sont parvenus à des conclusions similaires, stipulant qu’à âge identique, le risque d’accouchements gémellaires est plus important chez les femmes multipares comparativement aux nullipares et aux primipares.

La variabilité géographique constitue un autre facteur de premier plan dans l’étude des fréquences d’accouchements gémellaires. En effet, le taux de gémellité varie considérablement d’un continent à un autre. Dans les pays d’Afrique subsaharienne — où l’on enregistre les taux de gémellité les plus élevés au monde, entre 17 et 20 ‰ (Pison, 1989 ; Smits et collab., 2011 ; Gebremedhin, 2015 ; Ouedraogo, 2020) —, le taux de gémellité varie également selon les sous-régions, les pays, et à l’intérieur des pays. Ainsi, les travaux de Pison (1989), de Smits et collab. (2011) et ceux de Ouedraogo (2020) ont montré que le taux de gémellité était supérieur dans les pays bordant le golfe de Guinée, croissant de l’hinterland vers les côtes.

Plusieurs éléments peuvent expliquer le fort taux de gémellité observé en Afrique subsaharienne. D’emblée, il y a le contexte local de forte natalité qui doit être pris en compte. En outre, la gémellité nettement prononcée en Afrique au sud du Sahara pourrait aussi être due à une prédisposition génétique des femmes de certains groupes ethniques particuliers comme les Yoruba du Nigéria. En effet, Bomsel-Helmreich et collab. (2005) ont trouvé un taux de gémellité très élevé chez les femmes yoruba, qu’ils ont justifié comme étant lié au fait qu’elles montraient une concentration de FSH dans le sang qui est clairement supérieure à celle des femmes d’autres ethnies (celles d’Aberdeen en Écosse par exemple). Les disparités régionales des taux de gémellité en Afrique subsaharienne pourraient ainsi être, en partie, la résultante de la répartition géographique des ethnies parmi lesquelles les femmes présentent des prédispositions génétiques favorables aux grossesses gémellaires.

DONNÉES ET MÉTHODES

Bref aperçu sur les observatoires de population

Un observatoire de population est un système de surveillance démographique. Il consiste en un suivi sur une longue période (plusieurs années, voire plusieurs décennies) de la population entière d’une zone géographique bien délimitée. Contrairement aux suivis de cohortes, les observatoires de population ne se focalisent pas sur une portion de la population, mais sur toute la population des entités géographiques concernées (Pison, 2005).

L’intérêt pour les observatoires de population s’est accru dans les pays en développement depuis la fin des années 1980. Dans ces pays, le recours aux données d’observatoires de population permet non seulement de mieux étudier les questions de santé des populations, mais aussi de répondre au manque des données démographiques fiables compte tenu de la faiblesse de l’état civil (Pison, 2005).

Le réseau Indepth en bref

Créé en 1998, l’International Network for the Demographic Evaluation of Population and Their Health est une importante plateforme faîtière de plusieurs observatoires de populations ouverts dans plusieurs pays en développement (d’Afrique, d’Asie et d’Océanie) et comptabilisait 49 observatoires membres en 2018, dont 37 en Afrique subsaharienne. Elle mobilise plusieurs dizaines de chercheurs à travers le monde, travaillant sur des thématiques se rapportant à l’étude de la démographie et de la santé des populations (Baiden et collab., 2006). L’ensemble des observatoires membres d’Indepth couvre de nos jours une population de plus de 3,8 millions d’individus qui sont suivis régulièrement (http://www.indepth-network.org/about-us).

Un système d’harmonisation et de diffusion des données des observatoires est mis en place par l’Indepth par une plateforme en ligne du nom de iShare (https://www.indepth-ishare.org/). Le schéma en annexe 1 explique le fonctionnement de iShare, partant depuis la collecte des données par les observatoires jusqu’à leur harmonisation et leur mise à la disposition des utilisateurs.

Données

Les données d’observatoires de population qui sont employées ici sont de deux types : les données d’Indepth iShare téléchargées en ligne et les données obtenues directement auprès des observatoires de populations.

Les données d’Indepth iShare

Ces données ont été obtenues en ligne à partir de la plateforme iShare (https://www.indepth-ishare.org/) du réseau Indepth. Elles couvrent un grand nombre d’observatoires (plus d’une trentaine). Les informations portent sur la localisation de chaque observatoire, sur les individus suivis (identifiant, sexe, identifiant de la mère…) et sur les différents évènements vécus (naissance, accouchement, migration, décès) pour chaque individu suivi. Pour chaque observatoire, le fichier de données harmonisées se présente sous la forme indiquée dans le tableau 2 ci-dessous.

tableau 2

Tableau type des tables de données d’Indepth iShare

Tableau type des tables de données d’Indepth iShare

a Numéro ; b Identifiant.

Source : Indepth’s iShare Repository, construction de l’auteur

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La colonne code d’évènement comporte les valeurs suivantes : ENU (énumération), BTH (naissance), IMG (immigration), DLV (accouchement), DTH (décès), OMG (émigration), etc. Les données ont été analysées pour estimer le taux de gémellité pour chaque observatoire et ses variations selon le groupe d’âge maternel et selon le temps. Au départ, nous avons téléchargé (en début d’année 2018) les données d’une trentaine d’observatoires. Mais finalement, seules les données de 23 observatoires (22 d’Indepth iShare plus l’observatoire de Bandim urbain[5]) se prêtaient à notre analyse (tableau 3). L’exclusion de certains observatoires s’est faite sur la base de la qualité des données. Il s’agissait principalement de cas d’erreurs sur les identifiants des individus conduisant par exemple à ce que certaines mères soient reliées à des centaines d’enfants comme étant les leurs. Il s’agit probablement d’erreurs liées à l’anonymisation des données faite par les équipes de iShare. Cette anonymisation étant totale, les erreurs ne pouvaient pas être corrigées ; d’où l’exclusion des données concernées. Des démarches ont été faites auprès des sites concernés pour obtenir les fichiers de données sources, mais sans succès.

tableau 3

Effectifs des accouchements (totaux et de jumeaux) par observatoire

Effectifs des accouchements (totaux et de jumeaux) par observatoire

a Health Research Institute ; b Données ne provenant pas d’Indepth iShare, elles ont plutôt été directement obtenues auprès de l’observatoire.

Source : Indepth’s iShare Repository & observatoire de population de Bandim

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Les données obtenues directement auprès de quelques observatoires de population

Les données d’Indepth iShare comportent (comme signalé plus haut) un nombre restreint de variables, limitant ainsi les possibilités d’analyses. Pour avoir des informations supplémentaires, nous avons en second lieu contacté directement les responsables de tous les sites d’observatoires de population. Les variables supplémentaires sont par exemple l’ethnie des parents, le rang d’accouchement ainsi que le village ou le quartier de résidence. Sur l’ensemble des sites contactés, seulement quelques-uns ont répondu à nos demandes et ont fourni des données : Nanoro (Burkina Faso), Ouagadougou (Burkina Faso), Bandim (Guinée-Bissau), Bandafassi (Sénégal), Mlomp (Sénégal) et Niakhar (Sénégal). Ce second groupe de données (tableau 4) a été utilisé pour calculer les variations du taux de gémellité selon le rang de naissances et l’ethnie de la mère.

Malgré le recours à ce second groupe de données, nous sommes restés confrontés au problème du nombre limité des variables. Par conséquent, des analyses explicatives multivariées (facteurs associés aux accouchements gémellaires) n’ont pas pu être menées, car ne disposant pas d’un nombre suffisant de variables explicatives.

tableau 4

Effectifs des accouchements par observatoire

Effectifs des accouchements par observatoire
Source : Observatoires de population de Bandafassi, Bandim, Mlomp, Nanoro, Niakhar, et Ouagadougou

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MÉTHODES

Le taux de gémellité (ou fréquence d’accouchements gémellaires) est une mesure démographique des fréquences d’accouchements de jumeaux. Il est obtenu en rapportant le nombre d’accouchements de jumeaux au nombre total d’accouchements pour une période donnée (Pison et collab., 2017). Il s’exprime généralement en nombre d’accouchements gémellaires pour mille (‰) accouchements. Dans nos analyses, nous avons considéré les accouchements de triplés et au-delà avec ceux des jumeaux. En fait, le taux de triplés et plus dans nos données est de 0,2 ‰, ce qui aura un impact négligeable et ne modifiera donc pas les résultats trouvés.

Le taux de gémellité étant fortement dépendant de l’âge maternel (Smits et collab., 2011), nous avons calculé un taux standardisé par une répartition des naissances par âge des mères type, celle pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne telle qu’estimée par les Nations Unies pour la période 2000-2010 (Nations Unies, 2017). La standardisation permet d’éliminer les éventuelles variations du taux de gémellité dues aux différences dans la répartition des naissances par âge des mères entre observatoires, entre zones géographiques des observatoires, entre groupes ethniques et entre périodes. Toutes les analyses ont été effectuées grâce au logiciel SAS version 9.4.

Il faut noter aussi que pour chaque taux de gémellité, un intervalle de confiance à 95 % a été calculé. Ces intervalles de confiance permettent statistiquement de valider l’existence ou non de différences de taux de gémellité selon un certain nombre de catégories étudiées : observatoire, groupe ethnique, âge maternel, rang d’accouchement, etc. Le taux de gémellité étant une proportion, c’est l’intervalle de confiance (IC) d’une proportion selon une loi binomiale qui a été utilisée. Il s’exprime comme suit : IC = P ± ε. Avec P étant la valeur de la proportion et ε = forme: 2364633.jpg. ε est la marge d’erreur.

RÉSULTATS

Comparaison du taux de gémellité de chacun des 23 observatoires avec les taux nationaux de gémellité

Les résultats montrent d’abord un écart relativement important dans les taux de gémellité par observatoire (figure 1). Le minimum des taux de gémellité est celui de l’observatoire de Dabat en Éthiopie avec 9 ‰ et le maximum est celui de Nanoro au Burkina Faso qui enregistre un taux de 22 ‰. Le taux de gémellité médian est de 15,7 ‰. Les taux les plus faibles proviennent des observatoires de population situés en Afrique de l’Est.

figure 1

Taux brut et standardisé de gémellité dans 23 observatoires de population d’Afrique subsaharienne

Taux brut et standardisé de gémellité dans 23 observatoires de population d’Afrique subsaharienne
Source : Indepth’s iShare Repository & observatoire de population de Bandim ; calculs de l’auteur

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Au-delà d’une simple présentation des taux estimés dans chaque observatoire de population, l’un des objectifs de la présente étude est de comparer ces taux locaux de gémellité et les taux de gémellité nationaux. La carte (figure 2) ci-dessous illustre cette comparaison. Elle montre que pour chaque observatoire, le taux de gémellité trouvé est rarement très éloigné du taux national.

figure 2

Carte des tauxa de gémellité dans les observatoires de population d’Afrique subsaharienne et comparaison avec les taux moyens nationaux de gémellité

Carte des tauxa de gémellité dans les observatoires de population d’Afrique subsaharienne et comparaison avec les taux moyens nationaux de gémellité

a Taux standardisé pour l’âge de la mère.

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À l’aide de la carte présentée ci-dessus (figure 2), il est possible de classer les observatoires en trois groupes en se basant sur l’écart entre leurs taux de gémellité et les taux nationaux de gémellité. Un premier groupe est constitué des observatoires qui ont des taux de gémellité nettement supérieurs aux taux nationaux de gémellité. Ce groupe est composé des trois observatoires suivants : Africa HRI (Health research institute) et Agincourt en Afrique du Sud, et Kilifi au Kenya.

Le deuxième groupe est composé des 14 observatoires suivants : Arba Minch, Gilgel Gibe, Kersa et Kilite Awlaelo (Éthiopie) ; Bandim (Guinée-Bissau) ; Chokwe (Mozambique) ; Dikgale (Afrique du Sud) ; Farafenni (Gambie) ; Kintampo (Ghana) ; Mlomp (Sénégal) ; Nairobi (Kenya) ; Nanoro et Ouagadougou (Burkina Faso) ; et Taabo (Côte d’Ivoire). Dans chacun de ces observatoires, le taux de gémellité est assez semblable aux taux nationaux de gémellité.

Le troisième groupe quant à lui se compose des observatoires de Bandafassi et de Niakhar au Sénégal, de Dabat en Éthiopie, de Karonga au Malawi, de Navrongo au Ghana, et de Nouna au Burkina Faso. Ce sont des sites pour lesquels nos résultats indiquent des taux de gémellité qui sont nettement inférieurs aux taux nationaux de gémellité.

Évolution dans le temps du taux de gémellité dans 23 observatoires de population d’Afrique subsaharienne

Pour chacun des 23 observatoires de population, nous avons étudié la variation du taux de gémellité (taux brut et taux standardisé) dans le temps. C’est l’évolution annuelle du taux qui est étudiée dans le but de mettre en évidence les tendances. Mais, pour les observatoires de Bandafassi (Sénégal), Dikgale (Afrique du Sud) et Mlomp (Sénégal), le taux de gémellité standardisé a été calculé en années quinquennales (et non annuellement) compte tenu du très faible effectif annuel d’accouchements sur ces sites.

Les résultats obtenus montrent une évolution nettement croissante du taux de gémellité dans la plupart des observatoires étudiés. Ce n’est que dans l’observatoire d’Africa HRI (Health research institute) en Afrique du Sud que l’on observe une nette baisse du taux de gémellité avec le temps.

figure 3

Variation dans le temps du taux brut et standardisé de gémellité dans 23 observatoires de population d’Afrique subsaharienne

Variation dans le temps du taux brut et standardisé de gémellité dans 23 observatoires de population d’Afrique subsaharienne
Source : Indepth’s iShare Repository & observatoire de population Bandim ; calculs de l’auteur

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Variation du taux de gémellité selon quelques caractéristiques démographiques

Taux de gémellité selon l’âge de la mère (données agrégées des 23 observatoires)

Les données d’Indepth iShare (et des données de Bandim) permettent l’analyse de la répartition par âge de la mère du taux de gémellité des 23 observatoires de population pris ensemble. Les résultats obtenus confirment le lien important entre l’âge maternel et le taux de gémellité (figure 4). En effet, le taux de gémellité montre une corrélation positive avec le groupe d’âge maternel jusqu’à la tranche d’âge 35-40 ans où il dépasse 24 ‰, alors qu’il n’était que de 9 ‰ pour la tranche d’âge maternel des moins de 20 ans.

figure 4

Taux de gémellité par groupe d’âge maternel, Ensemble des observatoires de population d’Afrique subsaharienne

Taux de gémellité par groupe d’âge maternel, Ensemble des observatoires de population d’Afrique subsaharienne
Source : Indepth’s iShare Repository, calculs de l’auteur

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Taux de gémellité selon le rang d’accouchement : cas de Bandafassi, Mlomp et Nanoro

La variable rang d’accouchement n’est présente que dans les données de Bandafassi, de Mlomp et de Nanoro, obtenues directement auprès des observatoires. Les résultats montrent que le taux de gémellité est croissant avec le rang d’accouchement (figure 5). Cette relation semble être linéaire, même si à Bandafassi et à Mlomp les faibles effectifs d’accouchements rendent ce lien linéaire moins caractéristique.

figure 5

Taux bruta de gémellité selon le rang d’accouchement, Observatoires de population de Bandafassi (Sénégal), Mlomp (Sénégal) et Nanoro (Burkina Faso)

Taux bruta de gémellité selon le rang d’accouchement, Observatoires de population de Bandafassi (Sénégal), Mlomp (Sénégal) et Nanoro (Burkina Faso)

Note : Pour chaque rang, les effectifs d’accouchements gémellaires par âge sont très faibles, ce qui ne permet de produire (pour chaque rang) que des taux de gémellité standardisés avec l’âge maternel.

Source : Observatoires de population de Bandafassi, Mlomp et Nanaro

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Variation du taux de gémellité selon l’ethnie de la mère : cas de Bandafassi, Bandim, Mlomp, Nanoro, Niakhar et Ouagadougou

Les informations sur l’ethnie de la mère ne sont disponibles que dans les données obtenues directement auprès des six sites suivants : Bandafassi (Sénégal), Bandim (Guinée-Bissau), Mlomp (Sénégal), Nanoro (Burkina Faso), Niakhar (Sénégal) et Ouagadougou (Burkina Faso). La figure 6 présente la variation du taux de gémellité dans ces six observatoires en fonction de l’ethnie de la mère. Un test du khi 2 a montré l’existence d’une faible disparité statistiquement significative du taux de gémellité selon ces ethnies.

Dans l’observatoire de population de Bandafassi, nous avons obtenu des taux de gémellité de 24 ‰ chez les Bediks, 21 ‰ chez les Malinkés et 17,5 ‰ chez les Peulhs. Mais aucune différence statistiquement significative n’existe entre ces trois taux. En revanche, nos résultats montrent que le taux de gémellité des femmes bediks (24 ‰) et malinkés (21 ‰) de l’observatoire de population de Bandafassi est statistiquement plus élevé que celui des femmes sereers de l’observatoire de Niakhar (14,6 ‰).

Dans l’observatoire de population de Mlomp, nos résultats montrent un taux de gémellité de 18,5 ‰ chez les Joolas (qui est l’ethnie ultra-majoritaire dans l’observatoire : 95 %). Une comparaison de ce taux avec ceux des groupes ethniques des autres observatoires n’a pas permis de conclure à l’existence de différences statistiquement significatives.

Dans l’observatoire de population de Niakhar, 98 % des accouchements que nous avons analysés proviennent de femmes appartenant à l’ethnie Sereer qui constitue l’ethnie principale (97 %) de la population de l’observatoire (Delaunay et collab., 2013). Nos résultats montrent un taux de gémellité de 14,6 ‰ chez les femmes sereers. En comparant ce taux avec ceux des groupes ethniques des autres observatoires, nous sommes parvenus à la conclusion que le taux de gémellité chez ces femmes sereers est largement inférieur aux taux de gémellité obtenus chez les groupes ethniques suivants : Papels (18,5 ‰), Peulhs (18,9 ‰) et Balantes (19,5 ‰) dans l’observatoire de Bandim ; Mossis (21 ‰) dans l’observatoire de Ouagadougou et dans celui de Nanoro ; Bediks (24 ‰), Malinkés (21 ‰) dans l’observatoire de Bandafassi.

Pour ce qui concerne l’observatoire de population de Ouagadougou (OPO), nous avons obtenu un taux de gémellité de 21,2 ‰ chez les Mossis (qui est le groupe majoritaire dans l’observatoire : 92 %). C’est un taux de gémellité d’une même valeur (21 ‰) que nous avons obtenu chez les Mossis de l’observatoire de population de Nanoro (les Mossis y constituent l’ethnie de 90 % des individus de l’observatoire de Nanoro). Mais ce taux de gémellité chez les femmes mossis (des observatoires de Ouagadougou et de Nanoro) n’est significativement différent que de celui des femmes sereers (14,6 ‰) de l’observatoire de population de Niakhar.

Dans l’observatoire de population de Bandim, nous avons obtenu des taux de gémellité de 19,5 ‰ chez les Balantes ; 18,9 ‰ chez les Peuls ; 18 ‰ chez les Mancagnes ; 17,5 ‰ chez les Mandingues ; 16,8 ‰ chez les Mandjacques et 18,5 ‰ chez les Papels. Ces 6 groupes constituent les ethnies de 85 % des individus de l’observatoire. Statistiquement parlant, nous ne pouvons pas affirmer l’existence de différences quelconques entre ces 6 taux de gémellité. Mais en les comparant avec ceux des groupes ethniques d’autres observatoires, nous avons trouvé que les taux de gémellité chez les femmes papels (18,5 ‰), peulhs (18,9 ‰) et balantes (19,5 ‰) de l’observatoire de population de Bandim sont nettement plus importants que celui des femmes sereers de l’observatoire de population de Niakhar.

figure 6a

Taux brut et standardisé de gémellité selon l’ethnie de la mère dans six observatoires de population

Taux brut et standardisé de gémellité selon l’ethnie de la mère dans six observatoires de population

a Les ethnies minoritaires ont été exclues : les Bédiks, les Malinkés et les Peulhs représentent près de 100 % des ethnies de Bandafassi ; les Joolas représentent 95 % des ethnies de Mlomp ; les Sereers représentent 97 % des ethnies de Niakhar ; les Mossi représentent 90 % des ethnies de Nanoro et 92 % des ethnies de Ouagadougou ; les Balantes, les Peulhs, les Mancagnes, les Mandingues, les Mandjacques et les Papels représentent 85 % des ethnies de Bandim.

Source : Observatoires de population de Bandafassi, Bandim, Mlomp, Nanoro, Niakhar et Ouagadougou ; calculs de l’auteur

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DISCUSSION

Cette note de recherche a permis de présenter des taux de gémellité pour une vingtaine d’observatoires de population d’Afrique subsaharienne. Une mise en comparaison de ces taux de gémellité avec les taux nationaux de gémellité a permis de conclure globalement à une convergence des taux.

Nous avons aussi été en mesure de montrer une évolution croissante du taux de gémellité avec le temps dans les observatoires étudiés. Nous pensons que cette tendance est à mettre en lien avec la hausse continue de l’âge moyen à la maternité qui est observée un peu partout sur le continent. En fait, les probabilités d’accouchements gémellaires étant plus importantes aux âges maternels avancés, la hausse progressive et continue de l’âge moyen à la maternité est un facteur qui maintient le taux de gémellité croissant avec le temps. Cela est d’autant plus plausible que dans les zones étudiées, la baisse de la fécondité aux âges très jeunes et aux âges élevés (qui aurait pu tirer le taux de gémellité vers le bas) serait mitigée.

Nous avons par ailleurs analysé le lien entre le taux de gémellité et quelques caractéristiques démographiques. D’abord, comme nous venons de le mentionner, nous avons confirmé le lien positif entre le taux de gémellité et l’âge de la mère. De plus, en utilisant les données des trois observatoires (Bandafassi, Mlomp et Nanoro) dont nous avons pu obtenir les renseignements sur le rang d’accouchement, nous constatons une évolution croissante du taux de gémellité avec le rang d’accouchement. Finalement, les données de trois observatoires de population du Sénégal (Bandafassi, Mlomp, Nikhar), de deux observatoires de population du Burkina Faso (Nanoro et Ouagadougou) et de l’observatoire de Bandim (Guinée-Bissau) montrent quelques disparités plus ou moins importantes du taux de gémellité selon l’ethnie de la mère. Nos résultats confirment bien le fait qu’il existe en Afrique subsaharienne une disparité, mais qui n’est pas si importante, du taux de gémellité selon l’appartenance ethnique. Une étude précédente menée au Malawi par Pollard (1996) avait aussi trouvé des disparités du taux de gémellité selon l’ethnie, avec un taux de gémellité très élevé (30 ‰) chez l’ethnie Tumbuka. Toutefois, l’auteur n’a pu confirmer si le taux élevé de gémellité chez les Tumbukas est dû à un facteur génétique ou à un facteur de style de vie. Dans notre cas, les disparités restent vraiment très modestes. Nous n’avons cherché à avancer aucune hypothèse plausible sur ces disparités.

Les différents résultats que nous avons obtenus confirment une fois de plus le niveau élevé de taux de gémellité en Afrique subsaharienne. En effet, même si les données des observatoires de populations ne sont pas statistiquement représentatives de l’entité géographique « Afrique subsaharienne », nous constatons une proximité entre le taux de gémellité de chaque observatoire de population et ceux de chaque pays estimés par Smits et Monden (2011), Gebremedhin (2015), et Ouedraogo (2020).

CONCLUSION

Les résultats obtenus montrent des niveaux importants des taux d’accouchements de jumeaux dans la majorité des sites étudiés. Ils montrent aussi des disparités de taux de gémellité dans le temps et selon les groupes ethniques des mères. Toutefois, dans certains observatoires étudiés (en l’occurrence Bandafassi et Mlomp), les effectifs d’accouchements n’étaient pas très nombreux, ce qui n’a pas permis d’avoir des résultats très robustes. Mais l’ensemble des résultats obtenus confirment plus ou moins ceux d’autres études précédentes.

L’apport principal de cette note de recherche se situe dans l’usage qui est fait des données de plusieurs observatoires de population d’Afrique subsaharienne pour mener une étude originale sur les facteurs de variation du taux d’accouchements gémellaires à travers un accent sur des espaces très locaux que constituent les observatoires de population. Par ailleurs, l’analyse de l’évolution du taux de gémellité dans le temps, qui a été faite dans le présent travail, constitue un apport nouveau, en ce sens que la plupart des études sur le taux de gémellité en Afrique subsaharienne n’abordent pas cet aspect des choses.

Pour être plus complet, nous avons cherché à connaître les disparités sanitaires qui existent entre les jumeaux et les singletons dans les observatoires de population étudiés ici, notamment les différences en matière de mortalité. Cette recherche a fait l’objet d’un document de travail publié en 2021 (https://www.ined.fr/fichier/rte/158/WP7.pdf) en collaboration avec différents acteurs des sites d’observatoires.