Volume 34, numéro 2, automne 2001 Comportements suicidaires et délinquance Sous la direction de Marc Daigle
Sommaire (8 articles)
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Comportements suicidaires et délinquance, des liens à (re)découvrir
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Droit français et prévention du suicide en prison
Martine Herzog-Evans
p. 9–29
RésuméFR :
Le système juridique français tente, depuis quelques années, d'organiser la prévention du suicide des détenus. Il était temps : le nombre de suicides n'a cessé d'augmenter depuis 10 ans. Cet article présente cette situation difficile, ainsi que les outils juridiques de prévention et de traitement du suicide. Il suggère également des changements de nature à l'améliorer.
EN :
The judicial system in France has been trying for the last few years to prevent suicide in prison. And it was high time too : the number of suicides has been increasing for the last ten years. This article presents this difficult situation as well as the legal tools for prevention and treatment. It also suggets changes aiming to improve it.
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Femmes et emprisonnement : le marquage du corps et l’automutilation
Sylvie Frigon
p. 31–56
RésuméFR :
À l'aide d'entrevues avec des femmes incarcérées dans un établissement cor- rectionnel provincial, l'auteure nous invite à réfléchir sur les effets de l'incarcération sur le corps des femmes et plus particulièrement sur la signification de l'automutilation. Cet article situe l'automutilation chez les femmes incarcérées dans une perspective plus globale du marquage du corps en prison et comme un cas de figure de la trajectoire iden- titaire trouble de ces femmes. Dans cette perspective, le « corps » est conçu comme un site central de la manifestation du pouvoir pénal. Cette discussion se divise en quatre parties. Une première partie présente un profil des femmes incarcérées au Canada. Une deuxième retrace l'itinéraire théorique, méthodologique et épistémologique, emprunté dans cette démarche de recherche. Une troisième présente les résultats de la recherche sur ce corps enfermé autour de deux axes conceptuels : le corps comme site de contrôle et le corps comme site de résistance. Une quatrième et dernière partie tente de proposer des pistes pour penser l'automutilation dans une perspective plus large d'analyse.
EN :
In the light of interviews conducted with provincially-sentenced women, the author invites the readers to examine the effects of incarceration on women's bod- ies and most particularly, the significance of self-mutilation. This article locates self- mutilation within a wider social perspective of the marking of the body and as an exam- ple of the troubled identity trajectory of these women. Moreover, the body is taken as a site of the manifestation of power. This discussion comprises four parts. The first part is a presentation of the profile of incarcerated women in Canada. The second one traces the theoretical, methodological and epistemological journey taken in this research project. The third one presents the research results on the topic of the imprisoned fem- inine body which is conceptually organised as the body as a site of control and the body as a site of resistance. The fourth and final part proposes ways of understanding self- mutilation within a wider social perspective.
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Suicide et tentatives de suicide en prison : vulnérabilité, ostracisme et soutien social
Joel Harvey et Alison Liebling
p. 57–83
RésuméFR :
Malgré L'attention considérable des politiques dans ce domaine, le nombre de suicides dans les prisons d'Angleterre et du pays de Galles continue de poser un problème. Suite à la prolifération des études entreprises, d'importants progrès ont été réalisés. Nous allons ici revoir les conclusions clés de différentes études menées dans plusieurs pays au cours des dix dernières années. De plus en plus, le suicide en prison est considéré comme un problème de vulnérabilité et d'adaptation, et l'on croit qu'en améliorant les politiques et les relations on pourra offrir aux prisonniers ce soutien dont ils ont un si grand besoin. Les liens entre la capacité à résoudre des problèmes, l'adaptation, le soutien social et le comportement suicidaire en prison sont évidents ; le présent article soutient donc qu'il faut aborder le suicide dans le cadre des relations sociales interpersonnelles pour arriver à le comprendre. La recherche devrait s'appuyer sur la littérature sociologique facilement disponible et qui insiste sur l'importance des réseaux sociaux au sein de la communauté carcérale. Les détenus qui constituent un risque de suicide sont souvent les plus démunis quand il s'agit d'obtenir du soutien social ou de réagir aux rares sources de soutien disponible. Parallèlement aux méthodes psychologiques et aux tests psychométriques, la recherche devrait s'appuyer sur l'ethnographie et sur les modèles qualitatifs, ainsi que sur l'examen systématique du tissu complexe des relations existantes dans la communauté carcérale. Si cet article sert de tremplin à de plus amples discussions et qu'il génère davantage de recherche, son but aura été atteint.
EN :
Prison suicides in England and Wales continue and present a problem despite considerable policy attention. Research has proliferated and some important advances have been made. Key findings from studies carried out over the last decade in several countries are reviewed. Prison suicide is increasingly seen as a problem of vulnerability and coping. Improvements to regimes and relationships can offer much needed support. There are clear links between problem-solving, coping, social support and suicidal behaviour in prison. This paper argues that prison suicide needs to be understood within a framework of interpersonal social relationships. Research should draw on readily available sociological literature, which highlights the significance of social networks in the prison community. Those at risk of suicide may be least likely to have, be able to summon, or respond to scarce sources of social support. Ethnographic and other qualitative modes of research should be used to supplement psychological methods and the use of psychometric tests. The complex web of relationships that constitute the prison community should be systematically examined. The aim of the paper is to serve as a springboard for further discussion and for the generation of further research.
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Suicide et délinquance juvénile : phénomènes distincts ou manifestations d’une même problématique ?
François Chagnon, Johanne Renaud et Lambert Farand
p. 85–102
RésuméFR :
Cet article examine la relation entre suicide et délinquance chez les jeunes. Une revue des recherches suggère que les comportements suicidaires sont exceptionnellement fréquents chez les jeunes Québécois qui présentent des comportements délinquants ou perturbateurs. Ainsi, au moins 32 % des jeunes de 18 ans et moins décédés par suicide au Québec au cours des années 1995-96 avaient reçu des services des Centresjeunesse, organismes responsables de l'intervention auprès des jeunes contrevenants et des jeunes en besoin de protection. Parmi ces victimes, les jeunes contrevenants et les jeunes qui ont des troubles sévères du comportement, qui constituent environ 33 % de la clientèle des Centresjeunesse, avaient commis 69 % des suicides. L'examen des recherches récentes propose trois ensembles d'hypothèses pour tenter d'expliquer les taux élevés de comportements suicidaires chez ces jeunes, hypothèses portant respectivement sur 1) la psychopathologie et les trajectoires de vie, 2) l'impulsivité, l'agressivité et la réaction au stress et 3) l'impact à plus ou moins long terme des événements de vie négatifs. Certains facteurs organisationnels liés aux milieux d'intervention destinés aux jeunes délinquants sont aussi discutés. En conclusion, nous faisons des recommandations pour améliorer la prévention du suicide dans ces milieux.
EN :
This article examines the relation between juvenile delinquency and suicide in adolescents. A review of the research suggests that suicidal behavior is extremely frequent among Quebec delinquent or severely disruptive adolescents. At least 32 % of Quebec adolescents who committed suicide in 1995 and 1996 had been involved with the "Centres jeunesse" (CJ), a governmental organization in charge of juvenile delinquents and youths in need of protection. Among those suicide victims, juvenile delinquents and severely disruptive adolescents, who represent 33 % of CJ customers, committed 69 % of all suicides. A review of recent research suggests three sets of hypotheses for explaining the high level of suicidal behaviors among délinquant and disruptive adolescents, in terms of 1) psychopathology and Life history, 2) impulsivity, aggressivity, and stress adjustment, and 3) the short and long term impacts of negative life events. Certain organizational factors of the intervention environments for delinquent and disruptive adolescents are also discussed. In conclusion, we recommend strategies for improving suicide prevention in those environments.
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Suicides et troubles mentaux chez des hommes incarcérés : faut-il en appeler à une prise en charge communautaire ?
Marc Daigle et Gilles Côté
p. 103–122
RésuméFR :
L'article porte sur un échantillon de 243 hommes incarcérés dans deux villes différentes, échantillon au sein duquel on retrouve des taux élevés d'antécédents suicidaires et de troubles mentaux. Les niveaux de gravité, d'urgence et de risque suicidaires caractérisant ce groupe d'hommes étaient également élevés. Des 243 détenus à l'étude, 43 (17,7 %) présentaient une urgence suicidaire élevée et/ou un trouble mental grave. L'analyse des dossiers institutionnels de ces individus en difficulté a révélé que seulement 35 % d'entre eux avaient été dépistés formellement, mais que 75 % avaient au moins été identifiés informellement. Les dossiers étaient peu annotés et ne rendaient peut-être pas justice au travail clinique qui n'est pas toujours consigné. Ce manque d'informations pouvait néanmoins laisser entrevoir un problème au niveau du suivi des individus. Par ailleurs, de grandes différences étaient observées entre les détenus des deux villes. Les services psychiatriques et de déjudiciarisation offerts dans les communautés respectives pourraient expliquer ces différences en ce qui concerne les prisons. Cela tendrait à démontrer que la prise en charge communautaire des délinquants suicidaires ou souffrant de troubles mentaux peut avoir une influence sur la qualité de vie de ces derniers mais aussi, indirectement, sur celle des personnes vivant ou travaillant en milieu carcéral.
EN :
High levels of suicide attempts, lethality of these attempts, suicidal urgency and risk, and mental disorders were found in a sample of 243 inmates incarcerated in two different cities. From the total sample, 43 inmates (17,7 %) were found to have a high suicidal urgency and/or a serious mental disorder. The problems of these high risk people were identified formally in only 35 % of the institutional files inves- tigated but informally in at least 75 %. The amount of information found in the files was low, which was probably not fair to the clinical job being done otherwise. Nevertheless, the fact that so little information was registered in the files could point to problems with the follow-up of high-risk individuals. Beyond these observations, great differences were found between the inmates of the two cities. The psychiatric and diversion services offered in the respective communities could explain the differences observed at the prison level. That would tend to confirm that community caring of the suicidal or mentally ill delinquents can have an effect on their quality of life but also, indirectly, on the quality of life of inmates and employees of prisons.
Hors Thème
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Mesure des symptômes dissociatifs chez des individus « borderlines » coupables de l’homicide de leur conjointe
Manon Blackburn et Gilles Côté
p. 123–143
RésuméFR :
La violence conjugale est un phénomène fréquent. Statistiques Canada (1994) a évalué que trois femmes sur dix au Canada ont été victimes au moins une fois d'un acte de violence physique ou sexuelle de la part d'un conjoint. Au Canada, les homicides conjugaux représentent près de 12 % de l'ensemble des homicides (Wilson et ai, 1995). L'homicide conjugal est généralement précédé par des incidents violents dans le couple. Les différentes formes de violence conjugale ne peuvent être graduées le long d'un con- tinuum de sévérité ; les typologies d'hommes violents le démontrent. L'objectif de cette recherche est d'identifier des facteurs associés à l'homicide dans un contexte de violence conjugale. L'hypothèse centrale porte sur la dissociation observée chez l'individu homi- cide suite à la perte de l'objet. L'étude comporte deux groupes de participants « borderlines » : 14 hommes coupables d'homicide conjugal, recrutés à l'intérieur de pénitenciers, et 14 hommes violents physiquement avec leur conjointe, recrutés dans des centres pour hommes violents. Les résultats au Hand Test (Wagner, 1983) et à l'échelle des expériences dissociatives (Bernstein et Putnam, 1986) sont comparés.
EN :
Conjugal violence is a frequent phenomenon. Statistics Canada (1994) estimated that three out of ten women in Canada have been victimized physically or sexually at least once by a spouse. In Canada, spousal homicides represent nearly 12 % of all homicides (Wilson et ai, 1995). Spousal homicide is generally preceded by acts of violence between spouses. The various forms of conjugal violence cannot be graded along a continuum of severity, as evidenced by the typologies for violent men. The pur- pose of this study was to identify factors associated with homicide within the context of conjugal violence. The central hypothesis concerned the dissociation observed in homicide patients following loss of object. The study involved two groups of borderline subjects: 14 men convicted of spousal homicide (recruited in penitentiaries) and 14 men physically violent with their spouses (recruited in centres for violent men). Results on the Hand Test (Wagner, 1983) and on the Dissociative Experiences Scale (Bernstein et Putnam, 1986) were compared.