Volume 36, numéro 2, automne 2003 Le construit de l’ethnicité en criminologie Sous la direction de Mylène Jaccoud
Sommaire (7 articles)
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Le construit de l’ethnicité en criminologie
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Le monde judiciaire selon Garfinkel
Fabienne Brion
p. 9–26
RésuméFR :
1949 : H. Garfinkel publie dans Social Forces un article intitulé Research note on inter- and intra-racial homicides, lequel doit « en premier lieu, fournir des matériaux relatifs au traitement réservé aux auteurs blancs et noirs impliqués dans des homicides inter ou intraraciaux, et en second lieu, soumettre une hypothèse qui rende compte des particularités des données mises en évidence lorsque les différents indicateurs de traitement […] sont classés selon la race de l’auteur et de la victime ». Il y montre comment la différenciation raciale du travail pénal reproduit la structuration raciale de la société. Le monde judiciaire selon Garfinkel décrit dans un premier temps les termes et l’articulation de la démonstration à laquelle Garfinkel se livre dans cette étude. Dans un deuxième temps, il explicite le choix de raison où son interprétation de la différenciation raciale du travail pénal s’enracine, avant d’en tirer, dans un troisième temps, les implications pour l’étude du droit, du crime et de la discrimination.
EN :
In 1949, Garfinkel published his famous article called Research note on inter- and intra-racial homicides, whose objectives were firstly to « furnish material dealing with the treatment of white and colored offenders involved in inter- and intra-racial homicides » and, secondly, to submit a hypothesis accounting « for the peculiarities of the data that [emerged] when the various indexes of treatment [were] categorized by race of offender and victim ». He showed that the racial differentiation of penal work reproduced the racial structure of society. This article describes, in a first step, the terms and articulations of the « demonstration » that Garfinkel operated in this text. In a second step, it makes explicit the choice of reasoning in which he rooted his interpretation of the racial differentiation of penal work. And, in a third step, it draws the implications for the study of law, crime and discrimination.
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Délinquance et immigration en France : un regard sociologique
Laurent Mucchielli
p. 27–55
RésuméFR :
En France, comme dans la plupart des pays occidentaux, la figure de l’immigré est fortement associée à celle du délinquant, dans les représentations collectives et dans les discours médiatico-politiques sur l’« insécurité ». Cette association se scinde en deux problématiques : la délinquance des étrangers et celle des « jeunes issus de l’immigration ». Cet article se propose de faire une synthèse critique des connaissances sur ces deux questions, à partir des données administratives et des travaux sociologiques de nature quantitative et qualitative. L’examen rigoureux des statistiques policières ne permet pas de mesurer la délinquance des étrangers. Il invite toutefois à distinguer une délinquance professionnelle des étrangers non résidents d’une délinquance d’étrangers résidents qui s’apparente aux vols et aux violences physiques classiquement observés dans les couches les plus pauvres de la population. Les travaux sociologiques permettent ensuite de mettre en évidence le fait qu’une sur-représentation des jeunes issus de l’immigration africaine dans la population délinquante juvénile peut être observée localement mais non de façon uniforme sur le territoire national. Ce constat amène alors à rechercher les effets de contextes locaux qui favorisent le développement de cette spécificité, dans une perspective tant sociologique que psychosociologique.
EN :
In France as in most western countries, the immigrant is strongly associated with delinquency in collective representations and in media and political discourses concerning « insecurity ». This association can be decomposed into two distinct concerns : the delinquency of foreigners and the delinquency of French youth born of immigrants. This article proposes a critical survey of French research on these questions, based on administrative data and sociological research, both qualitative and quantitative. The rigorous examination of police statistics does not allow for the measurement of foreigners’ delinquency. It does, however, invite us to distinguish between the professional delinquency of non resident foreigners and the delinquency of resident foreigners, such as theft and physical violence, a type of delinquency classically observed in the poorest part of the population. Sociological research allows us, then, to emphasize the fact that an overrepresentation of youth born of African immigrants among juvenile delinquents can be observed in some places but not as a general and uniform process. This statement of fact leads us to try to discover the local processes that favour the development of this local variation, from both sociological and psycho-sociological points of view.
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Gangs juvéniles et construits ethniques dans le contexte américain
Laurence Tichit
p. 57–68
RésuméFR :
En nous appuyant sur une revue de la littérature criminologique essentiellement américaine à propos des gangs de rue, nous interrogerons la construction ethnicisante, voire racialiste des conduites délinquantes collectives des jeunes issus des minorités, en prenant l’exemple des gangs afro-américains. Ceci en ramenant cette construction à deux lignes d’analyse dont la première est celle du contexte historico-national de production de l’objet « gangs de rue » et de l’ethnicité qui y est associée, avec les notions de « relations raciales » et d’« interethnicité ». La seconde est celle de l’agir ethnique, s’observant sur les deux faces interne et externe de la communalisation. C’est la construction ethnique de l’individu dans le rapport qu’il entretient avec sa communauté idéelle d’appartenance, sa culture et son histoire, et simultanément, le rapport qu’il entretient avec les autres, dans un double mouvement de désignation et d’autodésignation, traçant une frontière labile, parfois statique, entre les « eux » et les « nous ».
EN :
Considering an array of mainly North-American scientific works on street gangs, we will examine the ethnicized and racialized construction of minority-issued youth groups’ offending behaviour, focusing on African-American gangs. We will consider this issue from two points of view. The first one will be the national and historic creation of the « street gang » object/subject and its related ethnicity, combined with notions of racial relationships and inter-ethnicity. The second perspective will study ethnic behaviour in terms of inner and outer communalization. We will study one’s ethnic construction through one’s relationship with an ideal community, one’s culture and history, and simultaneously, the relationship one has with others, in a twofold movement of identification and auto-identification, drawing an indefinite line, sometimes an unwavering one, between « Them » and « Us ».
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Les frontières « ethniques » au sein de la police
Mylène Jaccoud
p. 69–87
RésuméFR :
Les « programmes d’accès à l’égalité » ont été mis en place dans les services de police au Canada en vue de favoriser l’insertion de groupes définis dans les catégories officielles comme appartenant, entre autres, à des groupes « ethnoculturels » et des « minorités visibles ». Dans quelle mesure ces programmes facilitent-ils l’insertion ? Quel est l’impact de ces programmes sur les rapports entre policiers issus du groupe majoritaire et policiers issus des groupes ciblés par ces programmes ? Ces programmes ont-ils pour effet de déconstruire, de recomposer ou de renforcer les frontières ethniques ? L’impact de la présence de groupes minoritaires ou minorisés dans les services de police est analysé à partir des récits d’expérience de 47 policiers et policières oeuvrant au sein du Service de police de la Ville de Montréal.
EN :
The equity access programs were implemented within police departments throughout Canada with the aim of encouraging the inclusion of groups defined as ethnic and visible minorities. To what extent do they facilitate inclusion ? What is the impact of these programs on the quality of the relationships between police officers from the majority group and minority police officers ? Do these program deconstruct, transform or reinforce ethnic boundaries ? The impact of the presence of minority groups within police services is analyzed from the experiences of 47 police officers from the Montreal Police Service.
Hors thème
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Pour comprendre la pratique du « squeegee » à Montréal
Véronique Denis
p. 89–104
RésuméFR :
La pratique du « squeegee », relativement récente à Montréal et rendue illégale, a été l’objet d’une importante couverture médiatique mais n’a que très peu été étudiée. Même si les adeptes du « squeegee », communément appelés les « squeegees », sont souvent considérés comme des « jeunes de la rue », cet article met en évidence l’hétérogénéité de leurs expériences de vie ainsi que de leur rapport à cette pratique, rendant réductrice cette catégorisation. En outre, la méthodologie qualitative, incluant des observations sur le terrain et des entretiens non directifs auprès de jeunes qui pratiquaient le « squeegee » en 1999, permet d’esquisser le contexte social entourant la pratique du « squeegee » à Montréal. Enfin, à partir des sens que cette pratique revêt pour les jeunes qui l’exercent, l’article examine en quoi la pratique du « squeegee », socialement vue comme « hors normes », pourrait s’avérer pour eux un agent d’insertion sociale marginalisée.
EN :
Squeegeeing is a relatively new and illegal practice in Montreal. The media has talked a lot about this practice but there have been few proper studies of the phenomenon. This article shows that, while the young people that adopt this practice are generally regarded as « squeegee » and as « street youth », the variety of their experiences and motives belies any such reductive categorizations. By way of qualitative methodology, including in-depth interviews and field observations carried out in 1999, the social context of squeegeeing is illustrated. Finally, starting from the meaning that squeegeeing has for those who practice it, the author examines how this activity, despite being viewed as an « outlaw » practice, may allow these young people a degree of social integration, however marginalized.
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Show sportif et buffet froid. Interactions sportives et sociales entre détenus et joueurs extérieurs
Laurent Gras
p. 105–125
RésuméFR :
En France, depuis vingt ans, la dynamique d’ouverture des établissements pénitentiaires sur leur environnement s’accentue. Par l’entremise d’une offre croissante d’activités, le personnel de l’administration pénitentiaire sollicite de plus en plus de partenaires sociaux afin qu’ils participent à leur mission de réinsertion. Parmi ces activités, le sport tient une place particulière. Par sa capacité à aligner spontanément les conduites sur un langage corporel, réglementaire et rituel préétabli, la rencontre sportive entre détenus et sportifs « libres » instaure un rapport inédit entre « normaux » et « stigmatisés » quand bien même chacune des deux parties en présence appréhende quelque peu l’accueil que l’autre lui réserve. Cet événement reposant sur des bases normatives communes, il peut faire disparaître le stigmate carcéral communément attaché aux représentations de la prison et des détenus. De plus, au cours de la période d’après-match, le jeu de l’interaction sportive glisse progressivement vers celui d’une interaction sociale dans laquelle le détenu peut être reconnu dans sa dimension humaine. La rencontre sportive permet ainsi aux détenus d’apprendre à manier leur « déficience identitaire ».
EN :
In France, for the last twenty years, opening up dynamics of prisons on their environment has been emphasising. By means of an increasing offer of activities, the staff of the prison authority seeks more and more social partners allowing them to participate to their mission of reintegration. Among these activities, sports hold a very particular position. Through its ability to align spontaneously the behaviours on a pre- established physical, statutory and ritual language, the match among prisoners and « free » sportsmen actually establishes an incomparable association between « regular » and « stigmatised » people even though each of them slightly dreads the greeting which the other one holds for him. This event being based on common normative foundations, it can extract the prison stigma normally linked to the representations of the prison and the prisoners. Furthermore, during the after match period, the sports interactions slide gradually towards that of a social interaction in which the prisoner can be recognised in his human magnitude. The match hence allows the prisoner to learn to handle its « selfdom deficiency ».