Volume 38, numéro 1, printemps 2005 Filles et déviance : perspectives développementales Sous la direction de Nadine Lanctôt
Sommaire (8 articles)
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Introduction
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L’agression indirecte : un indicateur d’inadaptation psychosociale chez les filles ?
Pierrette Verlaan, Michèle Déry, Jean Toupin et Robert Pauzé
p. 9–37
RésuméFR :
Les résultats de la présente étude, menée auprès de 191 filles d’âge scolaire primaire et de leurs familles accréditent l’hypothèse voulant que le développement des filles qui manifestent fréquemment des conduites agressives indirectes soit qualitativement différent de celui des filles non agressives, mais analogue à celui des filles directement agressives. Les résultats montrent que les filles manifestant des conduites agressives indirectes éprouvent significativement plus de difficultés sociales et de problèmes de comportements intériorisés et extériorisés que les filles non agressives. Leurs relations parentales sont également davantage détériorées. Toutefois, elles se distinguent des filles qui utilisent à la fois des conduites agressives directes et indirectes par la manifestation moindre de difficultés sociales et comportementales. Nos résultats indiquent qu’il importe de tenir compte de la présence des conduites agressives indirectes dans le dépistage et le développement des conduites mésadaptées chez les filles.
EN :
This study examined the unique contribution of indirect aggression related to concurrent behaviour, social and family adjustment problems. A total of 191, 5th and 6th primary school girls (mean age 12.0 years) and their families participated. Results supported the hypothesis that the adjustment of indirectly aggressive girls is different than that of nonaggressive peers, but rather, are similar to that of overtly aggressive girls. No significant differences between the two groups were found. Indirectly aggressive girls showed significantly more internalizing and externalizing behaviour problems than their nonaggressive peers. These girls also experienced more social problems and parents reported less contentment regarding the relationship with their daughter. Our findings justify the need to consider indirect aggression as an important marker of risk in the prediction and development of girls’ maladjustment.
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De l’agressivité à la maternité : étude longitudinale sur 30 ans auprès de filles agressives devenues mères : trajectoires de leur agressivité durant l’enfance, indicateurs de leurs caractéristiques parentales et développement de leurs enfants
Dale M. Stack, Lisa A. Serbin, Naomi Grunzeweig, Caroline E. Temcheff, Natacha M. De Genna, Dahlia Ben-Dat Fisher, Sheilagh Hodgins, Alex E. Schwartzman et Jane Ledingham
p. 39–65
RésuméFR :
L’agressivité chez les filles tend à ne pas se manifester de la même façon que chez les garçons ; de plus, elle suit une trajectoire longitudinale particulière. Les filles agressives envers leurs pairs ne se caractérisent pas tant par leurs manifestations de délinquance et de criminalité ; elles s’orientent plutôt vers une trajectoire de troubles sociaux et de santé mentale qui, à terme, compromet leur avenir scolaire, social et professionnel, de même que leur état de santé physique. Les compétences parentales des filles agressives, de même que le fonctionnement de leur famille, peuvent aussi être affectées ; dans ce cas, c’est la socialisation, la santé et le développement de toute une nouvelle génération d’enfants qui sont menacés. La Concordia Longitudinal Risk Project (Enquête longitudinale sur les risques, Université Concordia) suit un échantillon intergénérationnel de 1 770 sujets vivant à Montréal, dont un sous-échantillon de plus de 200 filles dites très agressives, et le compare avec un échantillon de garçons agressifs et un groupe témoin composé d’enfants des deux sexes. Les participants sont suivis de l’enfance à l’âge adulte sur une période de 30 ans. Le présent article décrit les trajectoires à long terme des filles agressives et les conséquences de cette agressivité sur une large variété d’éléments psychosociaux et de santé comme la maternité et la transmission des risques à la prochaine génération. Plus particulièrement, nous souhaitons : (1) établir les trajectoires des filles qui mènent de l’agressivité dans l’enfance au développement négatif à l’âge adulte, (2) établir les indicateurs de santé et les facteurs physiologiques connexes qui comportent des risques pour les filles agressives et leurs enfants et (3) évaluer comment l’agressivité à l’enfance se répercute sur le rôle maternel et le développement de la prochaine génération. Enfin, les retombées de nos conclusions seront discutées.
EN :
Childhood aggression in girls may take different forms and follow different longitudinal trajectories from those typical of aggressive boys. Even when overt delinquency and criminality are avoided, girls who are aggressive towards their peers may follow a life course involving continuing social and mental health problems. From a longterm perspective, academic, social, health, and occupational achievement are likely to be negatively affected. Family functioning and parenting abilities may also be compromised, placing the offspring of these girls, a subsequent generation, at risk for social, health, and developmental problems. The Concordia Longitudinal Risk Project, which follows an intergenerational sample of 1770 inner-city Montrealers, includes a sub-sample of over 200 highly aggressive girls, with comparison groups of aggressive boys and normative children of both genders. Participants have been followed over a 30-year period, from childhood into adulthood. The present paper describes the long-term trajectories and sequelae of girlhood aggression in the context of a broad range of negative psychosocial and health outcomes, including parenting and the inter generational transfer of risk to offspring. More specifically, (1) trajectories by which childhood aggression places girls at risk for negative developmental outcomes are outlined, (2) health behaviours and physiological correlates that signify risk to aggressive girls and their offspring are delineated, and (3) pathways through which girlhood aggression influences parenting and offspring development are elucidated. Implications of these findings are discussed.
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Les conséquences développementales de la maltraitance des filles
Carolyn A. Smith et Timothy O. Ireland
p. 67–102
RésuméFR :
Objet : L’étude traite des conséquences des mauvais traitements, corroborés par des instances officielles, sur le comportement antisocial et sur d’autres indicateurs connexes chez les femmes d’un échantillon longitudinal et représentatif de la ville de Rochester aux États-Unis.
Méthodologie : Les données proviennent de l’étude de Rochester sur le développement des jeunes, une étude de cohortes portant sur l’apparition de problèmes comportementaux à partir d’un échantillon de 1 000 jeunes suivis de l’âge de 13 ans jusqu’à l’âge adulte. Les analyses se concentrent uniquement sur les 271 adolescentes d’origine afro-américaine ou hispanique de l’échantillon. La consultation des registres du Service de protection de l’enfance du comté a permis de découvrir 74 (27 %) filles ayant subi des mauvais traitements. Les conséquences qui seront analysées sont les arrestations, la délinquance et la violence autorapportées, la consommation de drogues, les problèmes liés à la consommation d’alcool, la violence subie et manifestée dans les relations de couple, les symptômes dépressifs et les risques de contracter des maladies transmises sexuellement (MTS) et le SIDA au début de l’âge adulte (20-22 ans).
Résultats : Les analyses bivariées indiquent que la maltraitance est associée à plusieurs conséquences négatives au début de l’âge adulte. La régression logistique, qui contrôle les variables sociodémographiques et la délinquance juvénile, confirme que la maltraitance augmente les risques d’apparition de plusieurs conséquences négatives. Les résultats suggèrent également que l’abus sexuel peut avoir des répercussions particulièrement graves chez les jeunes femmes.
Implications : La présente recherche vise l’amélioration des programmes de prévention et de traitement pour les jeunes femmes ayant été abusées et négligées au cours de l’enfance.
EN :
Purpose: The current study investigates the impact of substantiated maltreatment on antisocial behavior and other outcomes among young adult women in a representative community sample followed longitudinally.
Methods: Data come from the Rochester Youth Development Study (RYDS), a cohort study of the development of problem behaviors in a sample of 1,000 urban youth followed from age 13 into adulthood. Subjects include 68% African American, 17% Hispanic, and 15% White youth. This analysis focuses only on the 271 young women in the panel. County Child Protective Service records were searched and 74 (27%) of the young women experienced substantiated maltreatment. Outcomes include arrest, self-reported general and violent offending, drug use, problem alcohol use, partner violence perpetration and victimization, depressive symptoms, and STD/HIV risk in early adulthood (ages 20-22).
Results: We find that experiencing substantiated maltreatment increases the risk of most outcomes at the bivariate level. Employing logistic regression, maltreatment increases the odds of several negative consequences after controlling for confounding sociodemographic variables including poverty, family structure, parental education, race/ethnicity, and adolescent delinquency. Results also suggest that sex abuse may be particularly problematic for these young women in emerging adulthood.
Implications: We discuss implications for understanding pathways and processes, and for improving prevention and treatment for abused and neglected young women.
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Les types de délinquantes : une étude longitudinale des causes et des conséquences
Stephen A. Cernkovich, Catherine E. Kaukinen et Peggy C. Giordano
p. 103–138
RésuméFR :
L’existence de différences sexuelles sur le plan du comportement antisocial est un fait largement répandu et accepté en criminologie, et ce, depuis la naissance de cette discipline. Bien que depuis une trentaine d’années les chercheurs se soient intéressés plus que jamais à la recherche théorique et empirique du comportement antisocial des femmes, force est de constater que les criminologues n’ont pas encore pleinement exploré la diversité des types de délinquance féminine. Notre examen des causes et des conséquences de la délinquance féminine s’appuie sur trois postulats de base : 1) la population délinquante est hétérogène 2) l’existence de types distincts de délinquantes est le produit de processus causaux qui sont à la fois communs et distincts et 3) les conséquences à long terme de la délinquance varient selon le type de délinquantes. Les données autorapportées ont été recueillies à partir d’un échantillon de répondantes interrogées en 1982, alors qu’elles étaient adolescentes, et subséquemment en 1992, alors qu’elles avaient atteint l’âge adulte. Nos analyses ont décelé des facteurs étiologiques uniques et communs à l’ensemble des types de délinquantes, ainsi que des événements de vie variant en fonction d’une diversité de dimensions comportementales, personnelles et interpersonnelles. Nos résultats font ressortir qu’une consommation de drogues durant l’adolescence a des effets particulièrement délétères chez les femmes lors du passage de l’adolescence à l’âge adulte.
EN :
The gender difference in antisocial behaviour has been an accepted fact in criminology since the birth of the discipline. Although the past thirty years have seen more theorizing and research on antisocial behaviour among females than at any previous time, criminologists have yet to fully explore the diversity of types that make up the female offender population. Our examination of the causes and consequences of female offending begins with three basic assumptions: 1) a heterogeneity of types characterizes the offending population 2) distinct offender types are the product of both shared and unique causal processes and 3) the longterm consequences of offending vary among offender types. Self-report data were gathered from a sample of female respondents interviewed in 1982 when they were adolescents, and subsequently in 1992 when they were young adults. Our analyses identify both common and unique etiologies among several distinct types of offenders, as well as differential life course outcomes along a variety of behavioural, personal and interpersonal dimensions. Our findings are noteworthy in suggesting that adolescent drug use has particularly deleterious effects for females as they transition to young adulthood.
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Que deviennent les adolescentes judiciarisées près de dix ans après leur sortie du Centre jeunesse ?
Nadine Lanctôt
p. 139–162
RésuméFR :
Cette étude vise trois objectifs : 1) établir la prévalence des conduites déviantes manifestées au cours de l’adolescence et au début de l’âge adulte par les jeunes femmes ayant été prises en charge par la justice au cours de l’adolescence 2) déterminer les trajectoires de l’activité déviante de ces jeunes femmes, de l’adolescence au début de l’âge adulte 3) évaluer la proportion des adolescentes judiciarisées qui sont aux prises avec des difficultés personnelles et sociales au début de l’âge adulte. L’échantillon est composé de 97 jeunes femmes qui ont fait l’objet d’une ordonnance de la Chambre de la jeunesse de Montréal en 1992-1993. Les données proviennent de questionnaires autorévélés qui ont été complétés par les participantes à trois reprises : à 15 ans, à 17 ans et à 23 ans. Les résultats révèlent que, malgré le fait que certaines adolescentes aient été fortement impliquées dans la déviance à la mi-adolescence, aucune trajectoire ne se démarque par une participation persistante à des actes violents ou à des délits contre la propriété. D’autres difficultés compromettent toutefois le bien-être de ces jeunes femmes. Les adolescentes judiciarisées sont particulièrement à risque de se retrouver, au début de l’âge adulte, dans des situations où la monoparentalité, la pauvreté, la faible scolarisation, la violence conjugale et la détresse se juxtaposent.
EN :
This study has three objectives: 1) to establish the prevalence of deviant behaviours reported in adolescence and early adulthood by young women who were adjudicated during their adolescence, 2) to identify the developmental pathways of deviant activities of these young women, 3) to evaluate the proportion of adjudicated adolescent females who are facing personal and social difficulties at the beginning of their adulthood. The sample includes 97 young women who have received a court order from the Youth Court of Montreal in 1992-1993. The data comes from self-reported questionnaires filled out by participants on three separate occasions: at 15 years old, at 17 years old and at 23 years old. The results show that, even though some young women were strongly involved in deviant activities during their mid-teens, no trajectory denotes a persistent involvement in acts of violence or crimes against property. However, other difficulties compromise the well-being of these young women. Once reaching adulthood, adjudicated adolescent females are particularly at risk of cumulating adversive situations in which single-parenthood, poverty, low levels of education, domestic violence, and distress juxtapose.
Hors thème
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L’incarcération du père : expérience et besoins des familles
Denis Lafortune, Martine Barrette et Natacha Brunelle
p. 163–187
RésuméFR :
La problématique des pères détenus soulève de nombreuses questions relatives aux rôles et fonctions habituellement assumés par le père, aux différentes étapes qui jalonnent la peine (arrestation, détention, libération) et aux services qui pourraient être offerts aux familles. Dix-neuf pères incarcérés, sept conjointes et deux enfants ont été interviewés sur ces questions. Ils disent n’avoir pu compter que sur le soutien de leur réseau informel (essentiellement, la famille et la belle-famille). Le soutien formel, offert par les différents services ou ressources qui pourraient oeuvrer auprès des familles, est décrit comme lacunaire. C’est au moment de l’arrestation et de celui de la remise en liberté que les besoins d’intervention semblent plus pressants. Lors de l’arrestation, les familles désirent pouvoir bénéficier de renseignements et de conseils sur le déroulement du processus judiciaire et du procès. Durant la détention proprement dite, les répondants souhaitent l’amélioration des lieux réservés aux visites familiales, tel l’aménagement de salles pouvant favoriser les activités parents-enfants, ainsi que l’implantation d’un système de transport offrant plus de facilité. Lors de la réunification familiale, les pères et leurs conjointes ont également dit souhaiter être mieux encadrés par un programme ou une intervention visant spécifiquement les pratiques parentales.
EN :
The situation of incarcerated fathers raises numerous questions relating to the roles and functions normally assumed by the father in his family, to the different stages marking the sentence (arrest, detention, release), and to the services that could be offered to the families. Nineteen incarcerated fathers, seven spouses, and two children were interviewed on these questions. They report having only received assistance from their informal support network (primarily, the family and the in-laws). Formal support, provided by various services or resources that could work with these families, is described as deficient. The need for support and interventions appears to be most pressing at the time of the arrest and of the release. When the arrest occurs, families would like to receive information and advices about the functioning of the judicial process and the trial. During detention per se, participants wish for the improvement of the reserved family visit spaces, or even the fitting out of a unit favouring parents-children activities, as well as the establishment of a facilitating transport system. Upon family reunification, the fathers and their spouses mentioned their wish to be better supervised through a program or an intervention specifically focused on parenting skills.
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Psychopathie et lien avec la victime chez les agresseurs sexuels de femmes adultes
Normand Aubertin et Gilles Côté
p. 189–206
RésuméFR :
La psychopathie est un phénomène peu étudié chez les agresseurs sexuels des conjointes. L’hypothèse que les caractéristiques de ces agresseurs sexuels tiennent d’un mode de fonctionnement psychopathique, par opposition aux agresseurs sexuels de femmes sans lien d’intimité, a donc été étudiée. Pour ce faire, 27 agresseurs sexuels de conjointes et 70 agresseurs sexuels de personnes qui ne sont pas leurs conjointes furent comparés en utilisant la Psychopathy Checklist Revised (PCL-R). Dans l’ensemble, cinq sujets seulement ont rempli les critères de la psychopathie. Sur la base catégorielle, plus d’agresseurs sexuels de conjointes se retrouvent parmi les cas mixtes, les agresseurs sexuels de non-conjointes se retrouvant plus souvent parmi les non-psychopathes. Sur la base d’un continuum, les agresseurs sexuels de conjointes ont cependant obtenu un score moyen général plus élevé à la PCL-R.
EN :
Psychopathy has rarely been studied in the wife rapist population. The hypothesis of our study was that the characteristics of the spouse sexual offenders refer more to a psychopatic functioning than the non-spouse sexual offenders. A sample of 27 spouse sexual offenders and 70 non-spouse sexual offenders was selected. The «Psychopathy Checklist Revised» (PCL-R) was used to evaluate psychopathy. The results were that only five subjects meet the criterion of psychopathy in the whole sample. On a categorial basis, difference appeared in the distribution of the different samples among the cases categorised as ‘’mixed’’ and the ‘’non-psychopaths’’, the spouse sexual offenders being more often diagnosed as ‘’mixed’’ and the non-spouse sexual offenders being more often diagnosed as ‘’non-psychopaths’’. On a dimensional basis, the mean score at the PCL-R of the spouse sexual offenders was significantly higher than the non-spouse sexual offenders.