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Introduction

L’objectif principal de cet article est de présenter l’expérience vécue par les demandeurs d’asile adultes détenus au Canada pour des motifs liés à la migration. Nous ferons d’abord un survol du régime canadien de détention des demandeurs d’asile, suivi d’une recension des écrits au sujet de l’impact de la détention sur la santé mentale. Ensuite, des résultats d’une étude qualitative et quantitative que nous avons menée, à Montréal et à Toronto, auprès de 122 demandeurs d’asile adultes détenus et un groupe témoin de 66 demandeurs d’asile non détenus seront exposés. Nous présenterons aussi l’expérience vécue par un groupe particulier de demandeurs d’asile qui sont arrivés à bord du navire Sun Sea en 2010 et qui ont été emprisonnés pour une période exceptionnellement longue. Enfin, nous examinerons les perspectives d’avenir en matière de détention des demandeurs d’asile au Canada, notamment les conséquences probables de la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada (projet de loi C-31), avant de discuter des solutions de rechange à la détention.

Le contexte de la détention des demandeurs d’asile au Canada

En vertu du droit international, un demandeur d’asile ne peut être pénalisé par le pays hôte du fait d’y être entré sans autorisation, notamment en utilisant de faux papiers[1]. Toutefois, au Canada, comme dans bien d’autres pays, les demandeurs d’asile sont sujets à la détention administrative : 5 à 10 % d’entre eux sont détenus (Edwards, 2011 ; Nakache, 2011 ; Cleveland et al., 2012). Alors que la détention est souvent présentée comme un moyen de dissuader les « faux » demandeurs d’asile, l’agent d’immigration n’a pas le droit de s’enquérir du bien-fondé de la demande et encore moins d’en tenir compte pour déterminer si la détention est justifiée. Plus de 94 % des demandeurs d’asile détenus le sont parce qu’un agent d’immigration n’est pas convaincu de leur identité ou qu’il croit qu’ils pourraient ne pas se présenter à une procédure d’immigration. Même si moins de 6 % des demandeurs d’asile détenus sont soupçonnés de criminalité ou de risque pour la sécurité, tous sont emprisonnés dans des établissements de type carcéral (Nakache, 2011).

À Toronto et à Montréal, les demandeurs d’asile sont détenus dans des centres de surveillance de l’immigration (CSI), destinés exclusivement aux migrants et gérés par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Il y a aussi, à Vancouver, un CSI pour les détentions de moins de 72 heures. Dans toutes les autres régions ou lorsqu’il n’y a pas assez d’espace dans les CSI, les demandeurs d’asile sont détenus dans des prisons provinciales (Nakache, 2011). Les CSI sont également destinés aux migrants sans statut qui attendent d’être renvoyés, principalement des individus dont la demande d’asile a été refusée ou dont le visa est expiré. Il ne sera cependant question, dans ce texte, que des demandeurs d’asile, c’est-à-dire les personnes ayant soumis une demande de statut de réfugié qui n’a pas encore été entendue.

À maints égards, les CSI sont assimilables à des prisons : les caractéristiques physiques des lieux (caméras de surveillance, portes verrouillées par commande centrale, clôtures surmontées de barbelés), le niveau de surveillance (forte présence de gardes de sécurité en uniforme, fouilles systématiques et répétées) et le degré de liberté accordé aux détenus (utilisation de menottes, règles et horaires stricts) en font partie. Les hommes et les femmes sont détenus dans des ailes séparées et il y a une aile spéciale pour les enfants accompagnés de leur mère. Il y a très peu d’activités, à l’exception de la télévision et de quelques jeux de société. Une infirmière et un médecin à temps partiel offrent des soins de première ligne, mais il n’y a aucun service de santé mentale. Les détenus suicidaires sont soit placés sous surveillance individuelle 24 heures sur 24, généralement en isolement, soit transférés dans une prison provinciale où il y aurait davantage de ressources. Tous les demandeurs d’asile, sauf les femmes enceintes et les mineurs, sont menottés lors des déplacements, notamment lorsqu’ils ont besoin de soins médicaux spécialisés à l’hôpital. Ces informations proviennent de deux sources, soit de l’observation effectuée au cours de nos nombreuses visites dans les centres de détention et des discussions avec nos organismes partenaires, qui oeuvrent, depuis plus de 20 ans, auprès des demandeurs d’asile détenus.

Entre 2005 et 2010, 650 enfants, en moyenne, ont été officiellement détenus chaque année au Canada pour des motifs d’immigration (Nakache, 2011). Le chiffre réel est cependant plus élevé, puisque cette moyenne ne tient pas compte des enfants « accompagnant » un parent détenu sans être personnellement visés par une ordonnance de détention. Par exemple, si une femme donne naissance durant son emprisonnement et qu’elle retourne au centre avec son nouveau-né, celui-ci n’est pas comptabilisé dans les statistiques. Il arrive également que les enfants soient séparés de leurs parents détenus et placés en foyer d’accueil.

La détention est d’une durée indéterminée, jusqu’à ce que les autorités de l’immigration soient satisfaites de l’identité de la personne ou qu’elles aient terminé les vérifications d’admissibilité au pays. En 2009-2010, le temps de détention moyen était de 28 jours (Nakache, 2011). Une audience de révision de détention doit être effectuée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) dans les 48 heures suivant l’arrestation, puis après 7 jours et ensuite tous les 30 jours. Toutefois, le pouvoir d’intervention de la CISR est très limité, surtout dans les cas de détention liée à l’identité, où elle ne peut ordonner une libération que si elle constate que l’ASFC ne fait pas d’efforts « valables » pour établir l’identité du demandeur d’asile[2]. L’ASFC n’a donc qu’à prouver qu’elle a effectué un nombre raisonnable de démarches depuis la dernière audience pour que la détention soit maintenue, ce qui lui laisse un pouvoir discrétionnaire considérable.

L’impact de la détention sur la santé mentale des demandeurs d’asile : recension des écrits

De nombreuses études scientifiques et cliniques ont constaté que la détention des demandeurs d’asile était associée à un niveau élevé de symptômes psychiatriques (Keller et al., 2003 ; Ichikawa et al., 2006 ; Momartin et al., 2006 ; Steel et al., 2006 ; Silove et al., 2007 ; Robjant et al., 2009a ; Robjant et al., 2009 b). Au Royaume-Uni, après une détention médiane de 30 jours, 76 % des demandeurs d’asile détenus étaient cliniquement déprimés, contre seulement 26 % des demandeurs d’asile non détenus, faisant partie du groupe témoin (Robjant et al., 2009b). Aux États-Unis, une étude longitudinale auprès de demandeurs d’asile, qui avaient été détenus pendant une période médiane de cinq mois, a révélé que 86 % d’entre eux étaient cliniquement déprimés, 77 % avaient un niveau clinique d’anxiété et 50 % avaient un niveau clinique de troubles de stress post-traumatique (TSPT) (Keller et al., 2003). Le niveau de détresse était proportionnel à la durée de la détention. Quelques mois plus tard, la santé mentale de ceux qui étaient encore détenus avait continué à se détériorer, alors qu’elle s’était nettement améliorée chez ceux qui avaient été libérés et à qui on avait accordé un statut permanent.

L’impact de la détention peut être aggravé si l’on n’accorde qu’un statut précaire au demandeur d’asile après sa libération. Une étude australienne a révélé que, trois ans après la fin de leur détention, les réfugiés ayant reçu un statut temporaire continuaient d’éprouver des niveaux élevés de troubles psychiatriques (Steel et al., 2006). La sévérité des symptômes augmentait avec la durée de la détention. La moitié de ceux qui avaient été détenus plus de six mois avaient encore des niveaux cliniques de dépression et de TSPT. Quatre ans plus tard, une étude de suivi a montré une importante diminution des symptômes psychiatriques chez ceux qui avaient enfin obtenu la résidence permanente (Nickerson et al., 2011). Une autre étude longitudinale a obtenu des résultats concordants (Momartin et al., 2006 ; Steel et al., 2011). En somme, les demandeurs d’asile à qui l’on accorde un statut temporaire après une longue détention risquent d’éprouver des problèmes de santé mentale persistants.

Étude sur l’impact de la détention sur les demandeurs d’asile[3]

Les principaux objectifs de notre étude étaient de documenter l’expérience vécue par les demandeurs d’asile adultes détenus au Canada et d’évaluer l’impact de la détention sur leur santé mentale en comparant les niveaux de symptômes psychiatriques chez des demandeurs d’asile détenus et non détenus. L’étude a été réalisée en collaboration avec deux groupes communautaires, l’un à Montréal et l’autre à Toronto, qui offrent, depuis plus de vingt ans, des services aux demandeurs d’asile détenus.

Méthodologie

L’étude s’appuie à la fois sur des méthodes quantitatives et qualitatives. Les participants étaient invités à parler de leur expérience postmigratoire au cours d’entretiens semi-dirigés de 60 à 120 minutes. Au début de chaque entretien, l’intervieweur posait oralement des questions structurées sur la santé mentale, pour ensuite convier les participants à donner plus de précisions sur leur vécu. Des données plus générales sur les politiques et pratiques en vigueur dans ces institutions ont été obtenues par trois méthodes : l’observation directe, les discussions avec nos partenaires communautaires et l’étude de documents gouvernementaux tels les manuels d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

Le groupe de détenus comptait 122 participants et le groupe témoin, 66 participants. Tous les participants étaient des demandeurs d’asile adultes. Pour le groupe de détenus, il leur fallait être incarcérés depuis au moins une semaine dans un CSI, soit à Laval (Montréal) ou à Toronto. Pour le groupe témoin, il fallait avoir vécu au Canada depuis moins d’un an et ne jamais y avoir été détenu. Notre hypothèse était que le niveau moyen de symptômes de stress post-traumatique, de dépression et d’anxiété serait significativement plus élevé chez les détenus que chez les non-détenus. La comparaison de deux groupes similaires, sauf sur le plan de la détention (demandeurs d’asile adultes, récemment arrivés, même niveau moyen d’exposition traumatique prémigratoire), visait à faire ressortir l’effet de la détention.

À Montréal, nous avons eu la permission de l’ASFC de recruter directement dans les salles communes du CSI, où tous les demandeurs d’asile détenus se tiennent pendant le jour. Cela n’a pas été autorisé à Toronto, où les participants ont plutôt été recommandés par notre partenaire communautaire, qui visitait le CSI plusieurs fois par semaine pour offrir de l’information aux personnes détenues. En 2010-2011, nous avons visité le CSI de Montréal 35 fois et celui de Toronto 22 fois. Le taux de réponse chez le groupe de détenus était de 90,4 %. Pour le groupe témoin, les participants ont été recommandés par six agences communautaires ou gouvernementales, offrant des services d’établissement aux demandeurs d’asile. Toutes les personnes recommandées ont accepté de participer.

La dépression et l’anxiété étaient mesurées à l’aide du Hopkins Symptoms Checklist-25 (HSCL-25) (Derogatis et al., 1974), alors que l’exposition traumatique prémigratoire et le TSPT étaient mesurés à l’aide du Harvard Trauma Questionnaire (HTQ) (Mollica et al., 1992). Ces deux instruments, bien validés, ont été utilisés dans de nombreuses études auprès de réfugiés et de demandeurs d’asile (Kleijin et al., 2001 ; Hollifield et al., 2002), incluant quatre autres études quantitatives sur la santé mentale des demandeurs d’asile détenus (Keller et al., 2003 ; Ichikawa et al., 2006 ; Momartin et al., 2006 ; Steel et al., 2006). Pour les besoins de notre étude, les instruments ont été traduits en français, espagnol, arabe, farsi, tamoul et ourdou, selon la procédure reconnue (Kleijin et al., 2001).

L’impact sur la santé mentale : résultats quantitatifs

L’analyse des réponses au Harvard Trauma Questionnaire indique que les demandeurs d’asile des deux groupes ont vécu, en moyenne, environ 9 événements traumatiques, ce qui est exceptionnellement élevé. Comme indiqué dans le tableau 1, les sept événements traumatiques le plus fréquemment rapportés étaient les mêmes pour les deux groupes. Il n’y avait aucune différence significative entre les deux groupes sur le plan de l’exposition traumatique prémigratoire. Ces résultats démontrent que les demandeurs d’asile qui arrivent au Canada ont généralement été exposés à de multiples événements traumatiques graves et sont des personnes potentiellement vulnérables sur le plan de la santé mentale.

Tableau 1

Événements traumatiques prémigratoires rapportés par les demandeurs d’asile détenus et les demandeurs d’asile non détenus

Événements traumatiques prémigratoires rapportés par les demandeurs d’asile détenus et les demandeurs d’asile non détenus

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Il ressort de l’analyse des réponses au HSCL-25 que les demandeurs d’asile récemment arrivés au Canada vivent des niveaux élevés de détresse psychologique, même lorsqu’ils ne sont pas détenus, comme indiqué au tableau 2. Nos résultats démontrent cependant que la détention, même de courte durée, est associée à un niveau significativement plus élevé de symptômes de TSPT, de dépression et d’anxiété, au-dessus du seuil clinique.

Tableau 2

Pourcentage des répondants présentant des symptômes au-dessus du seuil clinique chez les demandeurs d’asile détenus et les demandeurs d’asile non détenus

Pourcentage des répondants présentant des symptômes au-dessus du seuil clinique chez les demandeurs d’asile détenus et les demandeurs d’asile non détenus

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Ces résultats sont d’autant plus frappants que les participants ont été détenus pendant des périodes assez courtes. Le temps médian en détention, au moment de remplir les questionnaires, était de 18 jours, et la moyenne de 31 jours. En somme, même après une détention assez brève, les demandeurs d’asile détenus sont presque deux fois plus susceptibles d’éprouver un niveau clinique de stress post-traumatique que leurs pairs non détenus. Le taux de dépression est 50 % plus élevé chez les demandeurs d’asile détenus que chez les non-détenus et le taux d’anxiété est également considérablement plus élevé.

L’expérience subjective de la détention

Menottes et autres contraintes

La majorité des arrestations de demandeurs d’asile surviennent à leur arrivée à l’aéroport ou à un autre poste frontalier. Ils sont immédiatement menottés, à l’exception des mineurs et des femmes enceintes, et menés en fourgonnette sécurisée vers le CSI situé, à Montréal comme à Toronto, loin du centre-ville. Les participants ont affirmé, presque unanimement avoir été surpris, voire terrassés lorsqu’on leur a mis les menottes pour la première fois : « Le pire était les menottes. Je n’en avais jamais vu de près avant. J’ai pleuré pendant tout le chemin. Tu te dis : « Mon Dieu, pourquoi ? » » (MV20). La très grande majorité des participants affirment que, dès le moment où ils ont été menottés, ils ont senti qu’on les traitait comme des criminels. Plusieurs s’indignent d’être soumis à une telle mesure, alors qu’ils n’ont commis aucun acte criminel et qu’ils sont venus trouver refuge au Canada afin d’échapper à la violation de leurs droits dans leur pays d’origine.

Le transport entre le CSI et toute autre destination se fait en fourgon cellulaire, que plusieurs participants qualifient de « cage » ou de « camion pour criminels ». À l’arrivée au CSI, les effets personnels sont confisqués, incluant téléphone cellulaire, photos de famille et produits de soins personnels. Les détenus sont fouillés avant et après chaque déplacement, incluant ceux à l’intérieur du centre, par exemple, pour aller rencontrer un visiteur ou pour être interviewés par l’ASFC. Les visiteurs sont également inspectés à l’aide d’un détecteur de métaux.

Les demandeurs d’asile détenus sont placés sous un régime de surveillance, de règles strictes et de contraintes, ce qui vient amplifier leur sentiment de perte de liberté. Un des participants a, par exemple, été placé en ségrégation pendant 24 heures parce qu’il avait refusé de se lever à l’heure réglementaire (6 h 30) au lendemain de son arrestation. Son geste a été perçu comme de l’insubordination, alors qu’il était tout simplement fatigué. Plusieurs participants expriment de la frustration quant à un régime inutilement sévère et auquel ils n’ont d’autre choix que de se soumettre :

La nuit, à minuit, par exemple, on essaie de dormir. Le gardien va ouvrir la porte et crier aux autres gardiens : « Il y a trois personnes dans la chambre ! » Cela nous réveille. Tu n’as aucun pouvoir de leur dire de s’en aller ou d’arrêter. Périodiquement, ils passent dans le couloir. La lumière du couloir s’allume. Ils l’allument et ils l’éteignent. Toi, tu dors dans ton lit. Ils ne sont pas respectueux. Pourquoi ? Ils n’ont pas besoin de faire ça, il y a des caméras partout.

MV10

Lorsque les demandeurs d’asile doivent être menés à un hôpital ou à une clinique, pour y recevoir des soins médicaux spécialisés, ils sont menottés et parfois enchaînés (fers aux pieds et à la taille), en plus d’être accompagnés par un gardien de sécurité. Certains le sont même pendant les procédures médicales, comme un de nos participants, qui a été menotté pendant une chirurgie dentaire. En cas d’hospitalisation, les détenus, incluant les femmes qui viennent d’accoucher, sont menottés à leur lit. Plusieurs participants nous ont dit avoir refusé de se rendre à l’hôpital afin d’éviter l’humiliation de porter des chaînes en public. Par exemple, un homme qui avait de graves problèmes de dos, séquelles de la torture subie dans son pays d’origine parce qu’il avait participé à un mouvement pro-démocratie, a déclaré :

Je voulais me rendre à l’hôpital, mais je n’y suis pas allé parce qu’ils voulaient me menotter et m’enchaîner aux pieds. J’ai refusé. J’avais honte d’être conduit à l’hôpital comme ça. J’avais mal, c’était terrible. [...] Pourquoi était-ce aussi important pour vous de ne pas être enchaîné ? Parce que je ne suis pas un criminel. J’avais honte d’aller à l’hôpital parce que les gens auraient pensé : « Qui est-il ? A-t-il tué quelqu’un ici ? » J’avais honte. Dans mon pays, j’étais à la recherche de la liberté et j’ai vécu l’emprisonnement politique, c’était trop terrible, je ne peux pas expliquer à quel point c’était terrible. Vous savez, quand je suis venu dans ce pays, je suis venu pour la liberté.

MM 2

Les participants affirment que la plupart des gardiens de sécurité les traitent de façon acceptable, soulignant que ces derniers ne font qu’appliquer les règles de l’institution. Mais la moindre dérogation à la routine nécessite l’autorisation préalable d’un supérieur hiérarchique et aucune remise en question de l’autorité n’est tolérée. Par exemple, le participant qui avait subi une chirurgie dentaire a demandé à répétition un médicament pour soulager la douleur, dans les heures suivant la chirurgie, d’abord à un gardien, ensuite à son superviseur, qui lui ont dit qu’ils ne pouvaient pas lui en donner, bien que cela avait été autorisé par le dentiste. Quand il a insisté pour parler à leur supérieur hiérarchique, un agent de l’ASFC, ils ont offert de mettre son nom sur une liste. Après plusieurs heures, incapable de supporter la douleur, le détenu a appelé les services d’urgence. À la suite de l’intervention du service ambulancier, le détenu a finalement obtenu son analgésique, mais a été placé en ségrégation pendant 24 heures pour avoir contourné les autorités du centre de détention.

Manque d’activités et isolement

Les CSI n’offrent que peu d’activités : la télévision, des jeux de société, et de rares livres, des appareils de conditionnement physique et des ordinateurs sans connexion Internet. Les participants détenus affirment n’avoir à peu près rien à faire sauf attendre : attendre de recevoir leurs pièces d’identité, attendre que leur agent d’immigration ou leur avocat les rappelle, attendre l’heure pour sortir dans la cour, pour manger ou pour se coucher, et attendre la décision de la CISR autorisant leur libération. Ils rapportent éprouver un profond ennui qui, ajouté à l’incertitude quant à la durée de leur détention, génère un sentiment d’impuissance (disempowerment[4]) et de perte d’agentivité. En début de détention, la plupart espèrent être libérés rapidement, mais, à chaque audience de révision de détention, ils vivent un sentiment croissant de frustration et de désespoir si leur détention est maintenue.

L’isolement qui caractérise la détention au CSI est accentué par l’absence d’accès à Internet et le coût des appels interurbains. Pour communiquer avec leurs familles, notamment pour demander l’envoi des pièces d’identité dont ils ont besoin pour être libérés, les détenus doivent acheter des cartes d’appel. Plusieurs n’ont que des devises étrangères, qu’ils ne peuvent pas échanger sur place, ou n’ont tout simplement pas d’argent. Certains détenus sont encore plus isolés parce qu’ils ne parlent ni anglais ni français et qu’il n’y a aucun accès à des interprètes au CSI.

Personnes vulnérables

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (art. 60)[5] stipule que la détention doit être évitée ou n’être utilisée qu’en dernier recours pour les enfants, et le manuel ENF 20 de Citoyenneté et Immigration Canada (2007) incite les agents d’immigration à minimiser le recours à la détention dans le cas d’enfants, de personnes âgées, de femmes enceintes, de personnes malades ou handicapées, et de celles souffrant de troubles de comportement ou de maladies mentales. Nous avons cependant observé la présence de plusieurs enfants, femmes enceintes et autres personnes visiblement vulnérables dans les CSI. À titre d’exemple, un homme a été détenu pendant cinq jours alors qu’il était blessé à la jambe et qu’il devait se déplacer en fauteuil roulant. Le centre ne possédant pas les installations nécessaires pour permettre aux personnes à mobilité réduite de se déplacer, l’homme a été confiné à l’étage des dortoirs pour toute la durée de sa détention. De même, une femme incapable de marcher, en raison de très graves engelures aux pieds survenues lorsqu’elle a traversé la frontière canado-américaine en plein hiver, a été emprisonnée pendant plusieurs semaines.

Histoires de cas

Pour illustrer plus concrètement l’expérience des demandeurs d’asile détenus, voici l’histoire de deux personnes rencontrées au cours de l’étude.

Marie est une jeune femme d’Afrique subsaharienne qui a été forcée d’épouser un homme plus âgé qui avait déjà d’autres épouses. Elle porte encore les cicatrices des nombreuses agressions que lui a fait subir son mari violent. Marie revendique le statut de réfugié à son arrivée au Canada. Lors de son examen médical obligatoire, elle apprend qu’elle est séropositive. Le lendemain, son agent d’immigration décide de l’arrêter en raison de doutes au sujet de son identité. Elle est détenue pendant trois mois. En état de choc, à la suite de l’annonce de sa maladie, Marie rapporte qu’elle pleure tous les jours et que c’est encore pire les jours où elle est menottée. Elle est également très inquiète pour ses deux jeunes enfants qu’elle a dû laisser en Afrique avec une amie, car elle est désormais incapable de leur envoyer l’argent pour les faire vivre. Au fil des jours, alors que sa détention perdure, elle devient de plus en plus angoissée, alternant entre des périodes de repli sur soi, de larmes, d’agitation et de désespoir.

Abdi est un jeune homme somalien dont le père a été tué, devant lui, par des seigneurs de la guerre. Il nous dit : « Le jour où j’ai vu mon père disparaître, je me suis dit : « C’est la fin de ma vie ». » Dans son pays d’origine, il a essayé de se pendre, mais a été arrêté par un oncle qui a ensuite réussi à lui obtenir de faux documents afin qu’il puisse fuir au Canada. Les yeux remplis de larmes, Abdi nous raconte qu’il a constamment en tête les images de l’assassinat de son père :

C’est comme si je le voyais encore. Je rêve tous les jours. Dans ma tête, je ne crois pas et parfois je pense que je peux voir mon père à nouveau.
Es-tu triste ? Oui, je me sens triste. (Il commence à pleurer.) Je me sens en colère parfois. C’est la seule personne qui m’a aidé. Il m’a tellement aidé. J’essaie d’oublier, mais ce n’est pas facile. Je me rappelle de plusieurs choses. Si mon père n’était pas mort, je serais avec lui, je ne serais pas ici. Mon père m’aimait. Il a tellement fait pour moi. En Somalie, c’est difficile d’aller à l’école et il s’est battu pour que je puisse aller à l’école. Il est tout pour moi. Il m’a aidé pour tout.

Abdi souffre d’insomnie grave et de cauchemars répétés. Il rapporte qu’il pleure tous les soirs et qu’il a parfois des pensées suicidaires. Il est également de plus en plus frustré parce que son agent d’immigration refuse d’accepter le fait qu’il est incapable d’obtenir des documents d’identité supplémentaires de son pays déchiré par la guerre. Il ajoute : « C’est comme si je ne suis pas un être humain. J’essaie de dire la vérité et il te traite comme si tu mentais. » À mesure que sa détention se prolonge, Abdi se sent de plus en plus désespéré.

En définitive, ce qui perturbe le plus les demandeurs d’asile, c’est le sentiment que leur incarcération est injustifiée, voire absurde, puisqu’ils ne sont pas des criminels et qu’ils n’ont aucune raison de fuir : « Si on voulait fuir, on n’aurait pas demandé l’asile. On veut être acceptés, alors on ne va pas fuir ! » (MJ33).

Le cas particulier des demandeurs d’asile du Sun Sea

Le 13 août 2010, 492 demandeurs d’asile sri-lankais tamouls, dont 63 femmes et 49 enfants, sont arrivés en Colombie-Britannique à bord du navire le Sun Sea. Tous ont été immédiatement détenus. La veille, le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, avait déclaré que l’arrivée du Sun Sea était « l’oeuvre des Tigres tamouls » et qu’il y avait « des passeurs et des présumés terroristes » parmi les passagers (Spencer et Stone, 2010). Dans un mémo confidentiel, la haute direction de l’ASFC a ordonné à ses représentants locaux de demander systématiquement le maintien de la détention des migrants du Sun Sea, d’abord pour des motifs d’identité, puis, si l’identité était établie, « en invoquant tout autre motif disponible » (Skelton, 2011). Cette politique a donné lieu à des détentions exceptionnellement longues, de 5 mois en moyenne.

À l’automne 2010, dans la foulée de l’arrivée du Sun Sea, le gouvernement fédéral a présenté un projet de loi visant à dissuader d’autres demandeurs d’asile de venir au Canada, en groupe, à l’aide de passeurs[6]. Nous avons réalisé des entrevues semi-dirigées auprès d’un échantillon de 21 demandeurs d’asile du Sun Sea après leur libération. Notre objectif était d’explorer le vécu de demandeurs d’asile ayant été détenus pendant une longue période après être arrivés en groupe à l’aide de passeurs, puisque ce type de détention risque d’être utilisé plus souvent à l’avenir en vertu des nouvelles dispositions législatives.

Tous, sauf deux des répondants, avaient souffert des mois de bombardements et de tirs d’artillerie lourde, pendant la phase finale de la guerre civile au Sri Lanka, et ont vu leurs proches se faire tuer ou mutiler. Quinze des vingt et un répondants avaient été torturés. Par exemple, un homme a décrit avoir été pendu par les pieds, pendant des heures, plongé dans une cuve d’eau, battu avec des tuyaux en plastique remplis de sable et soumis à un simulacre d’exécution. Après la guerre, la plupart ont été confinés, pendant des mois, dans des camps gérés par l’armée sri-lankaise. À bord du Sun Sea, tous ont souffert d’un manque de nourriture et d’eau. Puis, en arrivant au Canada, tous ont été détenus : les hommes dans une prison à sécurité élevée, les femmes sans enfant, dans une autre, et les enfants accompagnés de leur mère, dans un centre jeunesse sécurisé. Ils ont été interrogés à plusieurs reprises par l’ASFC, de trois à vingt fois selon les individus. Les entrevues duraient entre deux et huit heures. Les agents auraient posé les mêmes questions, à répétition, en les confrontant au sujet d’incohérences mineures, insinuant souvent qu’ils mentaient. Les questions traitaient fréquemment des événements traumatiques extrêmement douloureux qu’ils venaient de vivre.

Une jeune femme a raconté à quel point son traitement au Canada a intensifié la détresse qu’elle ressentait en raison des traumatismes endurés au Sri Lanka :

La pire chose qui m’est arrivée ici était que l’AFSC continuait de me poser des questions à propos de l’événement qui m’a causé tant de chagrin. (Elle se met à pleurer.) Nous étions tous dans un bunker. Il y avait une autre famille là, avec de jeunes enfants. Il n’y avait pas assez d’espace pour tout le monde. Nous avons donné les meilleures places protégées aux jeunes enfants et mon oncle et mes grands-parents dormaient sur le dessus parce qu’il n’y avait pas assez d’espace à l’intérieur. Un obus est tombé sur nous. Mon oncle est mort ce jour-là et aussi mes grands-parents, qui m’avaient élevée. Ma mère a été blessée. Elle a eu des éclats d’obus dans la jambe et n’était pas capable de marcher. Ma tante aussi. Tous ceux qui n’étaient pas complètement à l’intérieur du bunker ont été blessés ou tués. L’ASFC m’a demandé encore et encore de répéter cette histoire, encore et encore, même si je pleurais. Ça m’a causé tellement de stress et de souffrance.

Plus de deux ans après l’événement, elle avait encore des cauchemars à ce propos presque toutes les nuits. La plupart des participants du Sun Sea ont signalé des problèmes majeurs de sommeil, des cauchemars et des pensées intrusives. En plus des images intrusives liées à la guerre et à la torture, de nombreux participants étaient hantés par la peur d’être à nouveau arrêtés et interrogés par les autorités canadiennes. Par exemple, un jeune a rapporté avoir des cauchemars où un gardien de prison criait son numéro pour le convoquer à un entretien de l’ASFC, expérience qu’il avait vécue à répétition lors de sa détention.

En somme, la longue détention, conjuguée aux nombreux interrogatoires serrés de l’ASFC et au risque persistant de renvoi, est venue aggraver les effets des événements traumatiques prémigratoires.

Les perspectives d’avenir : le projet de loi C-31

Le 29 juin 2012, la Loi visant à protéger le système d’immigration canadien (C-31)[7] obtint la sanction royale. Cette loi accorde notamment au ministre de la Sécurité publique le pouvoir discrétionnaire de désigner comme « irrégulière » l’arrivée au Canada d’un groupe d’étrangers sans visa s’il a des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils ont reçu l’aide de passeurs ou s’il est d’avis que les procédures normales de contrôle de leur identité ou de leur admissibilité ne peuvent avoir lieu « en temps opportun ». Le terme « groupe » n’est pas défini et pourrait donc inclure tout ensemble de deux personnes ou plus. Les « personnes désignées » seront automatiquement détenues pour une période indéterminée et auront accès à la révision de détention après 14 jours, et ensuite tous les six mois. La libération lors de la révision de détention de 14 jours est improbable, ne serait-ce qu’à cause du temps nécessaire pour obtenir et vérifier des documents d’identité additionnels. En pratique, les « personnes désignées » risquent fort d’être détenues pendant six mois ou jusqu’à l’issue du processus de détermination du statut de réfugié.

Les enfants de moins de 16 ans ne seraient pas automatiquement détenus, contrairement à ceux de plus de 16 ans. Si les parents sont détenus dans un CSI, l’enfant de moins de 16 ans pourrait choisir d’y séjourner avec sa mère, sans être officiellement détenu. Dans les autres cas, il serait confié à l’agence provinciale de protection de la jeunesse pendant la détention de ses parents, à moins d’être lui-même détenu en vertu des dispositions générales de la loi (par exemple, pour des motifs liés à l’identité). Les enfants de moins de 16 ans seraient toujours séparés de leur père et, dans de nombreux cas, seraient également séparés de leur mère.

Les « personnes désignées » seraient privées du droit d’interjeter appel d’une décision rejetant leur demande d’asile. Si leur demande d’asile est acceptée, elles seraient privées pendant cinq ans du droit de demander le statut de résident permanent et donc du droit de parrainer les membres de leur famille et de voyager à l’extérieur du Canada.

À la lumière des recherches scientifiques dans ce domaine, dont la nôtre, il y a tout lieu de croire que ce régime aura des conséquences désastreuses pour la santé mentale des demandeurs d’asile. Notre étude démontre que le niveau moyen d’exposition traumatique prémigratoire est très élevé chez les demandeurs d’asile arrivant au Canada et qu’il s’agit donc d’une population potentiellement vulnérable. Même après une détention de courte durée, le niveau moyen de symptômes de stress post-traumatique, de dépression et d’anxiété est très élevé chez les demandeurs d’asile. Plusieurs études ont révélé que la sévérité des troubles psychiatriques et le risque de séquelles à long terme sont proportionnels à la durée de la détention (Keller et al., 2003 ; Ichikawa et al., 2006 ; Steel et al., 2006). En Australie, des politiques semblables au projet de loi C-31, impliquant une détention à long terme qui échappe au contrôle judiciaire, ont donné lieu à un taux élevé de comportements suicidaires chez les demandeurs d’asile détenus. En 2010-2011, sur une population d’environ 6000 migrants détenus pour une période médiane de 10 mois, il y a eu 6 suicides et 1100 incidents d’automutilation (Barlow, 2011 ; Suicide Prevention Australia, 2011). Des études australiennes ont également démontré que le statut temporaire vient aggraver les effets néfastes de la détention (Momartin et al., 2006 ; Steel et al., 2006 ; Nickerson et al., 2011 ; Steel et al., 2011).

Séparer des enfants de leurs parents détenus, pour les placer dans un centre jeunesse ou un foyer d’accueil, risque d’être très dommageable pour eux, surtout dans le contexte de l’arrivée dans un pays étranger (Garbarino, 1992 ; Ajduković et Ajduković, 1993 ; Maggi et al., 2005). Il n’est guère mieux de les retenir officieusement dans un CSI, auprès de leur mère. De nombreuses études ont démontré que le fait de détenir des enfants, surtout pour de longues périodes, peut être très néfaste pour leur santé psychologique et leur développement (Mares, 2002 ; Human Right and Equal Opportunity Commission, 2004 ; Steel et al., 2004 ; Silove et al., 2007 ; Newman et al., 2008 ; Lorek et al., 2009 ; Kronick et al., 2011). Le fait qu’il s’agirait d’une détention non officielle n’atténue aucunement son effet délétère. Bien au contraire, cela permettrait vraisemblablement au gouvernement de se soustraire à son obligation de limiter au minimum la durée de la détention des enfants.

En somme, les dispositions du projet de loi C-31, qui permettent de détenir automatiquement des demandeurs d’asile, avec un accès très limité à la révision par un tribunal indépendant, risquent d’entraîner des dommages graves à la santé mentale des personnes visées, surtout lorsque cette détention est suivie de cinq ans de statut temporaire, sans possibilité de réunification familiale.

Les solutions de rechange à la détention

Si le Canada est souvent cité en exemple en matière de détention des immigrants, notamment en raison de la fréquence acceptable des révisions de détention, plusieurs garanties additionnelles devraient être mises en place afin de respecter la dignité des détenus, la première étant une présomption contre l’incarcération.

Pour la majorité des demandeurs d’asile, il est rarement nécessaire d’imposer des mesures aussi restrictives que l’emprisonnement avant un rejet final de leur demande, au moment où leur expulsion du pays devient une réalité concrète (Field, 2006 ; Edwards, 2011). Le risque de non-respect des procédures d’immigration par les demandeurs d’asile est en effet faible, parce qu’ils ne veulent pas compromettre leur demande et qu’ils veulent à tout prix éviter d’être renvoyés là où ils seront persécutés (Field, 2006). Une supervision adéquate et la création de liens avec la communauté suffisent dans la majorité des cas pour assurer le respect des procédures et éliminer le risque de fuite.

La détention des mineurs et des familles devrait être évitée ou, à tout le moins, limitée dans sa durée par des balises précises. Par exemple, en 2010, le gouvernement britannique a annoncé son intention de mettre fin à la détention des enfants pour des raisons d’immigration (Clegg, 2010). Les parents ne seront plus détenus non plus, puisque le gouvernement reconnaît qu’il est généralement dommageable de séparer les enfants de leurs parents. Les familles et les enfants demandeurs d’asile ne peuvent être emprisonnés que pour un maximum de 24 heures au point d’entrée, pour être ensuite, le plus souvent, relâchés et référés aux services sociaux. Leur détention ne peut être prolongée que dans les cas où les autorités jugent qu’ils sont inadmissibles ou dangereux (Gower, 2011).

Pour les demandeurs d’asile, la loi devrait comporter l’obligation de recourir aux moyens les moins intrusifs. Il faudrait, dans tous les cas, procéder à une analyse de proportionnalité et de nécessité de la mesure choisie pour chaque individu, avec une échelle de moyens, du moins au plus restrictif (par exemple, de la liberté inconditionnelle à l’incarcération) (Field, 2006 ; Edwards, 2011 ; Sampson et al., 2011). Dans ce système d’évaluation en fonction du risque, les demandeurs d’asile subiraient des contrôles de sécurité, de santé et d’identité à leur arrivée. Puisqu’il s’agit d’une échelle de supervision basée sur une évaluation individualisée, les demandeurs seraient logés dans un établissement répondant au niveau de sécurité nécessaire pour chacun d’eux. Le plus bas niveau de sécurité (en général, adapté aux enfants et leur famille) serait l’hébergement communautaire, comme cela existe en Suède (Crawley et Lester, 2005), et le niveau moyen de sécurité serait l’hébergement supervisé ou l’obligation de vivre à une adresse désignée. Seuls les demandeurs pour lesquels il y aurait des motifs sérieux de croire qu’ils pourraient présenter un danger pour la sécurité publique seraient emprisonnés.

Afin qu’un tel système soit mis en place au Canada, il faudrait notamment élargir le pouvoir de révision de détention de la CISR, pour permettre aux commissaires de tenir compte, par exemple, de la vulnérabilité du demandeur au moment de déterminer si l’emprisonnement doit être maintenu. Cela permettrait aussi un recours plus fréquent à des mesures existantes, telle la libération sous cautionnement ou sous l’obligation de se présenter périodiquement aux autorités de l’immigration.

Ces différents niveaux de surveillance pour les demandeurs d’asile ont de nombreux avantages : ils aident à éviter les dommages psychologiques que la détention peut provoquer et réduisent considérablement le coût financier (Justice for Asylum Seekers Alliance, 2002 ; Amaral, 2011). Cependant, plus le nombre de restrictions imposées est grand, plus elles sont susceptibles de porter atteinte à la santé et au bien-être des demandeurs d’asile (Crawley et Lester, 2005). Toute mesure réduisant la liberté d’un demandeur d’asile doit donc respecter la dignité et la vie privée de celui-ci, être fréquemment soumise à une révision et être réajustée lorsque cela est nécessaire.

Enfin, la présence d’un travailleur social, indépendant des décideurs, qui guide un demandeur d’asile à travers les processus d’immigration, comme c’est le cas notamment en Suède (Crawley, 2010), permet de répondre aux besoins des autorités de l’immigration, en plus de respecter les droits et les intérêts des demandeurs d’asile. Ce travailleur social peut expliquer le processus de détermination du statut et les droits d’un demandeur d’asile, s’assurer qu’il est traité équitablement et garantir qu’il ait accès à un représentant juridique ou à un interprète au besoin.

Conclusion

Les demandeurs d’asile qui sont détenus en arrivant au Canada ont le sentiment d’être injustement traités comme des criminels. Venus au Canada pour échapper aux sévices vécus dans leur pays, ils n’ont aucune raison de fuir tant que leur demande de statut de réfugié n’a pas été entendue. L’incarcération constitue une expérience de disempowerment et de perte d’agentivité qui est particulièrement destructrice pour ces individus ayant réussi à surmonter des traumatismes, souvent sévères, parce qu’ils étaient portés par l’espoir de vivre dans un pays où ils seraient libres, respectés et en sécurité. Pour la très grande majorité de ces personnes, des solutions de rechange moins contraignantes et sévères que l’incarcération devraient être envisagées afin de minimiser les dommages à leur santé mentale et de respecter leur dignité.