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Dans une perspective de contextualisation du marketing et des bibliothèques, les cinq lois de la bibliothéconomie de Ranganathan (1931) ont jeté les bases du marketing dans les bibliothèques. Ces lois ont fait l’objet de différentes interprétations selon les branches de la bibliothéconomie moderne. La rédaction du présent article comportait certaines difficultés, mais elle nous a fourni une nouvelle occasion d’aborder le sujet à la suite de notre article intitulé « Ranganathan’s philosophy and marketing » (Gupta 2010), paru dans le bulletin d’information Marketing Library Services. « Nous avons demandé aux experts d’écrire sur ce qu’ils enseignent en matière de service à la clientèle, alors pourquoi ne pas commencer par le commencement ? », avait demandé Kathy Dempsey, rédactrice en chef de la revue. « Et on peut certainement affirmer que tout a commencé avec Ranganathan. »

Mais comme le souligne Gupta (1998), beaucoup de mythes subsistent dans l’esprit des professionnels de la bibliothéconomie et des sciences de l’information, ce qui expliquerait leurs réticences à accepter le marketing comme un outil rentable. En effet, pour eux, le marketing est synonyme de vente et de promotion, son rôle se limite à favoriser la vente de biens de consommation pour maximiser les profits, son efficacité dépend de spécialistes de talent et, finalement, le client a toujours raison. Le présent article s’appuie sur les cinq lois de la bibliothéconomie pour tenter de démontrer le changement de perception positif qui s’opère dans l’esprit des bibliothécaires et des professionnels de l’information à l’égard du marketing ainsi que les conséquences favorables de celui-ci sur leurs activités professionnelles.

Marketing et bibliothèques : un développement en parallèle

Aussi incroyable que cela puisse paraître, le concept de marketing existe dans les bibliothèques depuis que nos ancêtres ont commencé à concevoir et à offrir des services, si limités soient-ils, qui facilitaient l’utilisation des bibliothèques en privilégiant la commodité, d’abord par le choix d’un emplacement au centre de la ville, puis par la prolongation des heures d’ouverture, l’établissement de relations entre les bibliothèques et les usagers, l’introduction de services mobiles, etc. (Gupta 2016). Comparons les activités décrites dans la littérature consacrée à ces deux champs d’activité que sont le marketing et la bibliothéconomie. Pour ce faire, une bibliographie sur le thème « Marché et marketing » publiée dans la revue Special Libraries (Special Libraries Association 1913) ainsi que les articles de Kleindl (2007) et Renberg (1999) sur le marketing des bibliothèques donnent un aperçu des divers concepts utilisés dans les deux disciplines au cours des premières années de leur existence (voir Tableau 1).

Tableau 1

Comparaison entre les termes utilisés dans la littérature consacrée au marketing et celle consacrée à la bibliothéconomie

Comparaison entre les termes utilisés dans la littérature consacrée au marketing et celle consacrée à la bibliothéconomie

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La bibliographie recensait plus d’une centaine d’articles rédigés en anglais et en d’autres langues publiés de 1891 à 1913. Ces articles révèlent que la théorie du marketing était appliquée aux produits agricoles, aux animaux et produits animaliers ainsi qu’à la volaille. La production et la distribution procuraient l’essentiel des emplois à cette époque. Bartels (1988) souligne que le terme « marketing » a été utilisé et mis en pratique pour la première fois quelque part entre 1906 et 1911. À peu près au même moment, le marketing dans les bibliothèques a pris diverses formes : publicité, services « hors les murs », collections adaptées à la clientèle, organisation des documents en fonction de groupes précis (segmentation), etc. Inutile de dire que les efforts pour développer et standardiser les pratiques en matière de classification, de catalogage et de circulation étaient déjà amorcés.

Ainsi, le marketing est devenu pour les bibliothécaires et les professionnels de l’information une chose naturelle qui prenait diverses formes et dont ils avaient plus ou moins conscience. Le marketing a fait son apparition dans les bibliothèques sans qu’on puisse véritablement expliquer pourquoi et avant même qu’il devienne matière à enseignement (Gupta 2016).

Converse (1921) a décrit les fonctions liées au marketing. Outre la vente, les principales fonctions du marketing sont les suivantes : le regroupement et la subdivision des marchandises ; la catégorisation, le tri et l’uniformisation des marchandises ; le conditionnement et le transport des marchandises ; l’entreposage des marchandises depuis leur production jusqu’à leur consommation ; le financement des opérations ; l’acceptation des risques.

Récemment, Gupta (2016) a établi une corrélation entre ces fonctions et celles de la bibliothéconomie (voir Tableau 2).

Tableau 2

Comparaison entre les fonctions du marketing et celles des bibliothèques

Comparaison entre les fonctions du marketing et celles des bibliothèques

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Les fonctions plus récentes à la fois du marketing et de la bibliothéconomie, notamment le partage, la participation et la publication, ont aussi été traitées dans l’article de Gupta (2016). Ainsi, une analyse fonctionnelle du marketing et de la bibliothéconomie démontre que le marketing fait partie intégrante des bibliothèques. D’ailleurs, en étudiant attentivement la question, on se rend vite compte que « le marketing est partout ».

Le point de vue de Ranganathan sur le marketing

De tout temps, on s’est interrogé à savoir si les concepts dérivés du monde des affaires pouvaient facilement être transposés dans les institutions publiques comme les universités, les hôpitaux et les bibliothèques. On argue généralement que les bibliothèques et autres établissements similaires ont un mode de financement différent, qu’ils visent des objectifs différents et que leur environnement externe est différent. Or, cette impression est sans fondement. Pour Ranganathan, la fonction d’une bibliothèque était comparable à celle d’un commerce, et il en tirait d’ailleurs des analogies, comparant le travail du bibliothécaire à celui d’un prospecteur, les usagers à des clients, mais surtout la bibliothéconomie à la vente. Ranganathan était favorable à ce genre de connotations à caractère commercial lors même que le marketing n’était pas appliqué aux organismes sans but lucratif (Gupta 2016). Ceci est d’ailleurs mis en évidence dans ses écrits :

La bibliothèque est une entreprise : Peter F. Drucker considère que toutes les organisations ont une théorie des affaires, même si d’emblée on associe le marketing à « l’autre monde », celui où chaque transaction est effectuée selon les présupposés du monde des affaires. Parce que le monde des affaires – les entreprises industrielles et commerciales – accorde une grande importance au temps. Pour lui, le temps, c’est de l’argent ; et l’argent, c’est du temps. Selon la quatrième loi [de la bibliothéconomie], l’argent dépensé pour les services et les bibliothécaires de référence est rendu au centuple à la communauté, que ce soit le pays dans son ensemble ou une entreprise en particulier, sous forme de gain de temps, si précieux pour les grands cerveaux, qu’ils soient membres de la haute direction, d’une équipe de recherche ou qu’ils travaillent sur le terrain.

Ranganathan 1961, 57

Les bibliothécaires comme vendeurs, tout est dans le savoir-faire : en référence au service personnalisé offert aux usagers, Ranganathan suggérait que ce type de service se situait entre les relations publiques et les services de référence :

C’est un peu comme le travail d’un promoteur des ventes ; les services de référence font appel à des techniques de vente : le consommateur est dans la boutique et il faut trouver, avec sa participation, le produit qui lui convient, et non se contenter de lui fournir une liste de produits. Les services de référence ne peuvent émerger que de la juxtaposition des entités lecteur-livre-bibliothécaire, celles-ci étant caractérisées par un lien irréfutable. J’en suis venu à la conclusion que les services de référence n’en étaient alors qu’à leurs balbutiements dans les bibliothèques publiques.

Ranganathan 1961, 31

Les méthodes d’un commerce moderne : la bibliothèque doit recourir aux mêmes méthodes qu’un commerce moderne. Il est vrai que bon nombre de bibliothèques ne comptent tout simplement pas assez d’employés pour accueillir chacun de leurs visiteurs. Le personnel doit faire des recherches, s’occuper de la correspondance, rédiger des fiches et accomplir mille et une autres tâches. Qu’importe, la règle doit toujours être la suivante : dès qu’un lecteur entre dans la bibliothèque, quelle que soit l’activité en cours, elle doit être interrompue sur-le-champ et tout doit être mis en oeuvre pour que le lecteur se sente bienvenu et écouté.

Ranganathan 1931, 61

Tout comme la popularité d’un commerce repose en grande partie sur la créativité, la connaissance approfondie des marchandises qui y sont offertes et l’empressement des vendeurs auprès des clients, le succès des services en bibliothèque repose en grande partie sur les qualités de l’esprit et du coeur du personnel de la bibliothèque.

Ranganathan 1961, 56

Le bibliothécaire perçu comme un commerçant : le commerçant astucieux, pour écouler sa marchandise, dressera son étal aux portes d’un temple très fréquenté. Le propriétaire d’un café, pour faire prospérer son commerce, établira celui-ci à proximité d’une grande auberge de jeunesse comme l’auberge Victoria. Le vendeur de bétel, pour assurer son gagne-pain quotidien, plantera sa tente en face d’un grand hôtel. Dans le même esprit, la bibliothèque qui souhaite maximiser l’utilisation de ses livres sera érigéelà où vitsa clientèle. Inversement, tous les temples populaires possèdent leurs étals et les abords des auberges Victoria sont invariablement peuplés d’une myriade de cafés et de vendeurs de bétel. La même logique s’applique aux bibliothèques.

Ranganathan 1931, 10-11

Prospecteur : l’être humain sera toujours indispensable dans son rôle de « prospecteur »de livres. Il est impératif que certains membres du personnel soient affectés à une fonction unique, soit celle d’aider le lecteur à utiliser le catalogue et à choisir ses livres. Leur fonction devrait être celle d’interpréter le livre pour les lecteurs et, en retour, de prospecter en quelque sorte des lecteurs pour les livres. La mise à disposition de tels employés, qui forment le personnel des services de référence, est un moyen efficace auquel ont recours les bibliothèques modernes pour mettre en application les principes de la troisième loi [de la bibliothéconomie].

Ranganathan 1931, 313

Chaque visiteur est un client potentiel : si l’on croit aux principes de la troisième loi, il est aussi absurde et inefficace pour une bibliothèque de restreindre l’accès aux livres et de se contenter de fournir ceux-ci sur demande qu’il le serait pour un commerce à la mode de mettre ses marchandises sous clé dans une armoire en pensant pouvoir les vendre. Le commerçant, qui ne souhaite qu’une seule chose, soit que chacun de ses articles trouve preneur, donne accès sans restrictions à ces derniers, du plus petit au plus gros. Les clients peuvent entrer à plusieurs dans le commerce, jeter un coup d’oeil à la marchandise et manipuler tous les objets, quels qu’ils soient. Chacune de ces personnes est un client potentiel, c’est pourquoi le commerçant lui permet d’aller et venir à sa guise dans son établissement. Le visiteur sera assurément convaincu de l’efficacité et de la pertinence de cette méthode. De même, cette méthode devrait être adoptée par la bibliothèque qui vise à trouver un lecteur pour chacun des livres de sa collection.

Ranganathan 1931, 301

La bibliothèque en tant qu’hôte : la bibliothèque reçoit l’usager comme s’il était un dieu visitant son établissement. Le lecteur est suprême :

  • Servez-le avec toute l’attention et la sincérité qu’il mérite.

  • Servez-le au mieux de vos capacités.

  • Servez-le en toute humilité et sans condescendance.

  • Servez-le en mettant tout en oeuvre pour répondre à ses besoins sous peine d’enfreindre les lois de la bibliothéconomie.

  • Approfondissez vos connaissances et renseignez-vous pour lui offrir le meilleur service possible.

Ranganathan 1961, 177

Beaucoup d’entreprises adoptent ces principes pour mettre leurs clients en confiance. Mais Ranganathan a peut-être été le premier à les appliquer à une organisation.

Servir avec agrément : il importe de comprendre les besoins psychologiques de monsieur Tout-le-Monde pour préserver sa clientèle, et on n’y parvient que si on lui offre un service personnalisé qui répond exactement à ses besoins, et ce, dans les meilleurs délais. Le client est un être humain et seul un autre être humain peut lui procurer une expérience qui lui plaira, faire grandir son intérêt pour le livre et le transformer en un bénéficiaire de la bibliothèque qui sera heureux de la fréquenter. Pour avoir envie de revenir encore et encore à la bibliothèque, il doit y être bien accueilli.

Ranganathan 1960, 104-105

Il ne faut pas ménager les efforts pour conserver les habitudes de chaque habitant de la ville qui visite la bibliothèque. Pour ce faire, il faut l’accueillir chaleureusement et le mettre à l’aise. Il doit être habité par une impression de calme. L’animation de la bibliothèque doit le charmer. Le silence qui y règne, malgré l’affluence, doit frapper son esprit.

Ranganathan 1960, 73

La collection de la bibliothèque [numérique] doit comprendre des exemplaires de tous les documents [objets] créés. On doit pouvoir y trouver toute l’information ou les connaissances que l’on recherche. Son organisation doit être parfaite [comme le Web sémantique]. Elle doit impérativement offrir un potentiel pour le déploiement des services. On doit pouvoir y trouver sans peine ce qui présente le plus grand intérêt pour soi [grâce à l’intégration des médias]. Dès qu’un lecteur se présente, tout doit être mis en oeuvre pour lui offrir un choix abondant et répondre à son besoin avec précision et rapidité.

Ranganathan 1961, 178

Le terme « marketing » a rarement été utilisé dans la littérature consacrée à la bibliothéconomie avant que Kotler ne lance l’idée, en 1969, du marketing pour les organisations sans but lucratif. Or, Ranganathan faisait déjà remarquer que les bibliothèques, comme les entreprises, avaient recours au marketing sous la forme d’affiches. « Certaines bibliothèques font la promotion de leurs services à l’aide d’affiches. En fait, il n’y a aucune forme directe de publicité à laquelle les bibliothèques n’ont pas recours. » (Ranganathan 1931, 323)

Bien que le terme « marketing » ait été absent des revues de bibliothéconomie jusqu’à ce que Kotler (1969) applique ses principes aux organisations sans but lucratif, ce qui a permis aux bibliothécaires de recourir quelques années plus tard à ce concept de manière favorable, les idées des pionniers de la bibliothéconomie comme Melvil Dewey, John Cotton Dana et Siyali Ramamrita Ranganathan sont demeurées, de façon générale, centrées sur la notion de marché.

Les cinq lois de la bibliothéconomie et le marketing

Introduire la notion de marketing dans le contexte des bibliothèques à l’époque de Ranganathan (1892-1972) était plutôt inhabituel. En effet, « marketing » et « bibliothèque » étaient des mots qui appartenaient à des univers distincts. La situation n’a pas complètement changé, même si de nos jours, on reconnaît les effets bénéfiques du marketing sur les bibliothèques. Le débat porte aujourd’hui sur la place qu’occupe le marketing dans les bibliothèques et les services documentaires. Suggérer de faire appel au marketing pour promouvoir les services documentaires peut paraître étrange et même contraire aux traditions. Nombreux sont ceux qui encore aujourd’hui croient que le marketing n’est pas une activité naturelle pour les bibliothécaires et autres professionnels des milieux documentaires. Si nous ne percevons pas le marketing comme une conséquence naturelle de ce que nous faisons jour après jour, c’est que nous n’avons pas bien saisi ce qu’est le marketing et que nous n’avons pas atteint notre cible (Gupta 2010).

Selon Arachchige (2005), la plupart des bibliothèques semblent sous-utilisées et, par conséquent, manquent à leur devoir de préserver leur tradition d’excellence. Il ne fait aucun doute que cette situation résulte d’une mauvaise application des cinq lois de la bibliothéconomie de Ranganathan dans les bibliothèques. Compte tenu de l’importance des cinq lois de la bibliothéconomie dans les activités courantes des bibliothèques et centres de documentation, il est indispensable de s’appuyer sur elles pour établir des lignes directrices qui orienteront la gestion de leurs activités et leur prestation de services, et ce, en raison de l’importance et de la pertinence de ces lois.

Abiola (2016) traite de la place des cinq lois de la bibliothéconomie de Ranganathan dans le marketing des ressources et des services documentaires, et souligne la nécessité de faire de ces lois des lignes directrices pour une bonne prestation de services aux usagers. Arumuru (2015) considère que les cinq lois de la bibliothéconomie telles qu’elles ont été formulées par Ranganathan sont axées naturellement sur le marché puisque les usagers de la bibliothèque en sont au coeur, ce qui motive aussi l’utilisation du marketing dans la promotion de n’importe quel produit ou service. Okon (2014) met en corrélation les cinq lois et l’application du concept de marketing dans les services documentaires. Il en ressort que le concept de marketing, de toute évidence, existe depuis déjà fort longtemps. Ce concept doit être vu dans une perspective de prestation de services et non d’achat-vente.

La communauté internationale des bibliothécaires est privilégiée d’avoir pu compter sur la contribution d’un penseur, philosophe et maître tel que Ranganathan, qui a oeuvré toute sa vie à la promotion de l’excellence dans les bibliothèques. Il a non seulement jeté les bases philosophiques de la bibliothéconomie qualitative, mais il a aussi révolutionné le modèle de pensée dans les bibliothèques ; il a dynamisé les services et jeté les bases culturelles pour leur prestation. On lui doit aussi la conceptualisation de toutes les activités liées aux cinq lois, qu’il a formulées en 1931 mais qui demeurent d’actualité, lesquelles placent l’usager au coeur des bibliothèques, quelle que soit leur taille ou leurs capacités technologiques.

Divers auteurs ont interprété chacun à leur façon les cinq lois de la bibliothéconomie de Ranganathan en lien avec le marketing des services documentaires (voir Tableau 3).

Tableau 3

Les cinq lois de la bibliothéconomie selon l’interprétation de différents auteurs

Les cinq lois de la bibliothéconomie selon l’interprétation de différents auteurs

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Dès les premières esquisses de la conceptualisation des activités d’un centre de documentation, Ranganathan y a intégré le concept d’approche orientée client. Le concept de marketing est de plus à la base des cinq lois de la bibliothéconomie et des sciences de l’information. Être à l’écoute du client et satisfaire ses besoins (deuxième loi) en lui faisant gagner du temps (quatrième loi) étaient des principes déjà inscrits clairement dans ces lois en 1931. Par ailleurs, la troisième loi sous-tend la recherche de lecteurs et donc la nécessité pour la bibliothèque d’aller au-devant de ceux-ci. Cette loi met l’accent sur la valeur de la bibliothèque en tant qu’espace (physique ou numérique) réunissant les connaissances et les usagers afin d’offrir à ces derniers un choix étendu et diversifié (Jain, Jambhekar, Rao & Rao 1999).

Selon Siess (2003), « le marketing n’a rien de sorcier ». Répétons-le : le marketing n’a rien de sorcier. Il suffit d’un peu d’organisation et de quelques bonnes idées. L’organisation vous incombe, mais les bonnes idées, il en existe un grand nombre. Certaines pourraient ne pas donner les résultats escomptés, mais vous devriez en trouver quelques-unes qui se révéleront efficaces. Établissant un parallèle entre les cinq lois de la bibliothéconomie et le marketing, Siess (2003) suggère que si vous substituez les ressources de la bibliothèque aux livres et les clients aux lecteurs, vous obtiendrez une ébauche d’un plan de marketing pour votre bibliothèque.

Le premier objectif du marketing est de maximiser l’utilisation des services documentaires. Par conséquent, le marketing des services et des produits documentaires est des plus pertinents. Les cinq lois de Ranganathan décrivent le concept de marketing, qui en est l’élément central (Gaur 2002).

Les bibliothèques ont recours au marketing dans le cadre de leurs activités courantes, avec des résultats parfois favorables, parfois défavorables. Dans ce dernier cas, la situation s’explique en général par la méconnaissance du marketing ou un manque d’intérêt envers celui-ci. Au fil des ans, nous avons compris que le marketing des services en bibliothèques n’est pas le fruit du hasard, mais plutôt d’une tendance innée, les gestionnaires de bibliothèque et de centre de documentation ayant en effet démontré depuis des siècles leur sensibilité, leur empressement, leur souplesse et leur ouverture à l’égard des utilisateurs à travers les diverses activités de leur établissement (Gupta 2003).

Le marketing et les cinq lois dans un nouveau contexte

Au cours de la dernière décennie, le concept de marketing a évolué et a pris de nouvelles dimensions (Gupta 2006) :

  • Le marketing est devenu la pierre angulaire de la philosophie de l’organisation tout entière ;

  • Le marketing est un ensemble de procédés (un procédé implique une interaction entre le client, la technologie, les méthodes, la procédure, l’environnement et le matériel (l’information ou les sources d’information dans le cas des bibliothèques) qui conduit à une offre de service orientée usager) ;

  • La valeur d’un produit ou d’un service se mesure à l’ensemble des avantages que peut en tirer le client, ce dernier doit clairement être informé de ces avantages pour qu’il puisse bien en saisir la valeur ;

  • Une relation à long terme s’établit entre les clients et les spécialistes du marketing à travers une compréhension profonde, une dépendance réciproque et une confiance mutuelle ;

  • Les deux parties profitent largement de cette relation ; pour l’organisation, la relation est stratégique, pour le client, il s’agit simplement d’une forme de communication.

Au cours des dernières années, les bibliothèques ont été marquées par les développements technologiques. Il y a eu une sorte d’excès de confiance dans les technologies de l’information, et aujourd’hui de nombreux professionnels de la bibliothéconomie et des sciences de l’information croient que ces nouvelles technologies procureront une plus grande visibilité à leur champ d’activité. À n’en pas douter, ces technologies sont importantes, et les bibliothécaires, archivistes et autres professionnels de l’information se doivent de les utiliser efficacement pour améliorer les services aux usagers. Les gestionnaires de bibliothèque et de centre de documentation doivent se rendre à l’évidence : ces technologies élargissent le marché et, de ce fait, procurent de multiples occasions d’offrir des services et des produits à divers degrés. Pour être en mesure de toucher ces usagers potentiels, une attitude favorable au marketing doit être inhérente à la culture organisationnelle. Puisque dans toute organisation les technologies viennent au premier rang des préoccupations, le marketing y est subordonné ; or, si l’approche marketing est déficiente, l’utilisation de la technologie se soldera par un échec. La technologie offre adaptabilité, personnalisation et programmabilité ; le marketing, lui, se développe à partir de ces attributs. Ainsi, dans les bibliothèques, les technologies et le marketing ne vont pas l’un sans l’autre, ce dernier doit par conséquent y jouer un rôle stratégique. Les cinq lois de Ranganathan offrent incontestablement aux bibliothèques des occasions à ne pas manquer pour intégrer les nouvelles dimensions de la technologie et du marketing dans leur offre de services.

En résumé, la première loi (« Les livres sont faits pour être utilisés ») est la plus importante de toutes ; elle sous-tend la mission ou raison d’être des bibliothèques. Pour atteindre cet objectif, il faut d’abord faire l’acquisition des bons documents et voir à offrir aux usagers suffisamment de ressources et de services par l’entremise de succursales bien localisées, d’une bonne organisation, d’une signalisation efficace, d’heures d’ouverture étendues et d’employés empressés d’amener les usagers à tirer pleinement profit de ces ressources et services. Les éléments physiques et tangibles de l’offre contribuent à faciliter son utilisation. Avec l’arrivée des livres électroniques, les vastes travaux de numérisation qui en découlent prolongent la vie des documents et en facilitent l’accès pour les usagers grâce à la participation à des consortiums, à des réseaux et à d’autres regroupements du même type, ouvrant la porte au marketing à grande échelle. La deuxième loi (« À chaque lecteur son livre ») implique une connaissance des usagers et autres parties prenantes grâce à la collecte et à l’interprétation d’information, à la compréhension des besoins des usagers et à un appariement entre ces besoins et les ressources organisationnelles. La bibliothèque doit concevoir un mécanisme pour offrir une prestation de service à l’emplacement qui convient le mieux à l’usager, qu’il soit physique ou virtuel. La troisième loi (« À chaque livre son lecteur ») préconise la mise en oeuvre de moyens efficaces pour faire connaître l’offre de services par la mise en lumière de ses avantages et de sa valeur, par des campagnes de promotion et de relations publiques, par des communications personnelles, etc. Cette loi met l’accent sur la facilité avec laquelle un usager peut s’approprier chaque titre ou profiter de l’offre de services par l’entremise de la triade livre-document-information. Les wikis, les blogues, les listes de discussion et les flux RSS sont des outils de marketing modernes très utiles pour faire la promotion des services basés sur la technologie et élargir sa clientèle. La quatrième loi (« Épargnons le temps du lecteur ») propose de « reconditionner » l’information pour la mettre à la disposition des usagers dans un format approprié, au moment où ils en ont besoin, et d’accorder une attention particulière à la qualité de l’offre. Il est primordial que les usagers aient accès à l’information, aux services ou aux produits lorsqu’ils en ont besoin. Si tel n’est pas le cas, l’offre perd de sa valeur. La cinquième loi (« La bibliothèque est un organisme en développement ») insiste sur l’adaptabilité aux besoins organisationnels futurs par la mobilisation des ressources et la prise en compte des incertitudes liées aux besoins des usagers, des nouveaux services, des nouvelles clientèles, etc.

Conclusion

Les services en bibliothèques sont proposés à des êtres humains, ils transforment l’homme ordinaire en citoyen éclairé. Quelqu’un a dit à juste titre que « le service que nous rendons à l’humanité est un service que nous rendons à Dieu ». Dans le même ordre d’idées, depuis l’apparition des premières bibliothèques, les gestionnaires de celles-ci ont toujours cherché de nouvelles façons de toucher les usagers, de les informer, de les motiver, de les attirer et de répondre à leurs besoins grâce à leur offre de services, ou aux améliorations et innovations qu’ils leur proposent. S. R. Ranganathan voyait les choses sous un autre angle. Le lecteur (maintenant l’usager ou le client) est Dieu, et cet invité suprême vient vers vous. Pour éclairer son esprit, vous devez le servir en faisant appel à toutes vos capacités, à votre dévouement et à vos connaissances. Les cinq lois ont été présentées dans la perspective des concepts modernes du marketing. Chose intéressante, ces lois sont parfaitement conformes à leurs principes. De ces lois découlent des corollaires logiques qui peuvent être directement associés au marketing.