Étude bibliographique

Les nouvelles figures de l’hégémonie américaineLe rôle des pratiques dans la consolidation de l’ordre économique globalisé[Notice]

  • Grégory Vanel

Aux origines de la discipline de l’économie politique internationale (epi par la suite) se trouve un ensemble de questions qui ont toutes pour racine la volonté de comprendre, à travers une approche pluridisciplinaire, la direction que prend la mondialisation contemporaine de l’économie. Que ce soit dans la version étroite, qui considère l’epi comme « l’étude de l’interaction réciproque et dynamique dans les relations internationales entre la poursuite de la richesse et la recherche de la puissance », ou dans la version large, qui voit dans l’epi l’ensemble des « arrangements sociaux, politiques et économiques relatifs aux systèmes globaux de production, d’échange et de distribution, ainsi que le mélange de valeurs qu’ils incarnent », toutes les approches mettent en avant le rôle du politique dans la structuration et la direction de l’économie mondiale. En particulier, cette discipline située à la frontière de la science politique et de la science économique a eu pour principal objet, depuis ses débuts dans les années soixante-dix, la question de l’émergence et de la stabilité d’un ordre économique international dont le principal acteur serait l’État et le principal bénéficiaire les États-Unis. L’un des moyens de mobiliser l’économique et le politique afin de comprendre le rôle exercé par les États-Unis dans le monde est l’utilisation du concept d’hégémonie. L’idée de base est que la probabilité d’émergence d’un ordre économique international ouvert augmente avec la concentration du pouvoir. C’est un concept à la fois important par lui-même, dans la mesure où beaucoup d’auteurs l’ont appliqué à l’étude du système international, et où beaucoup d’autres l’ont critiqué, mais aussi parce qu’il est le centre analytique vers lequel convergent ou divergent les différents développements théoriques. Néanmoins, avec le retour, au tournant du millénaire, à une diplomatie américaine très clairement unilatérale, nombreux ont été les analystes à ressusciter la thématique de l’empire américain. Pour ces auteurs, la parenthèse hégémonique des États-Unis semble s’être refermée à la suite des attentats du 11 septembre 2001, et plus encore de l’invasion en Afghanistan et en Irak, traduisant soit un basculement impérial de l’ordre mondial, soit un déclin inexorable des États-Unis. Plusieurs travaux publiés par la suite rendent compte du caractère pour le moins utile de ce concept dans la compréhension du monde globalisé, à rebours de cette tendance générale à la négation du concept d’hégémonie au sujet de la relation entre les États-Unis et le reste du monde. En particulier, les trois ouvrages qui font l’objet de cette étude bibliographique tentent de remettre au goût du jour ce concept, mais à travers une grille d’analyse renouvelée. La question que l’on peut se poser est alors de savoir si ces ouvrages proposent réellement une nouvelle façon d’envisager l’hégémonie américaine. Il semblerait en effet que chaque auteur, à sa manière, mette l’emphase sur un facteur souvent négligé dans les analyses traditionnelles : les pratiques des acteurs. À travers trois prismes différents, à savoir pour Agnew celui de l’organisation spatiale du pouvoir dans la globalisation, pour Sinclair celui de l’emprise d’autorités épistémiques américaines de la finance, et pour Seabrooke celui du processus de légitimation interne des politiques économiques, l’hégémonie américaine se révèle être beaucoup plus profonde qu’on pourrait le croire, en mettant en jeu le comportement au jour le jour des acteurs économiques et politiques, mais toujours aussi fragile. Si la relation entre les États-Unis et le reste du monde a été à maintes reprises analysée tantôt par la notion d’empire, tantôt par celle d’hégémonie, l’originalité de John Agnew dans Hegemony. The New Shape of Global Power est de questionner ces deux notions pour rompre avec la première et renouveler en profondeur la seconde. …

Parties annexes