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Ce livre cherche essentiellement à qualifier et à comprendre l’évolution de la gestion des conflits civils depuis la fin de la Guerre froide. En bref, l’auteure tente de démontrer que les interventions se sont transformées depuis la Guerre froide tant dans leur forme que dans leur fonction. Conséquemment, la postguerre froide serait une période de révolution normative, qui mettrait les principes au-dessus de la puissance et repositionnerait la légitimité étatique dans le contexte de la responsabilité. L’ouvrage s’insère donc au sein de la réflexion de l’après Guerre froide portant sur la gestion des conflits et l’interventionnisme humanitaire international. Ce sujet d’étude a, il faut l’avouer, perdu un peu de son lustre depuis le 11 septembre 2001.
La grande force de Military Intervention after the Cold War réside dans son ambition. En effet, en tentant de qualifier cette évolution, l’auteure cherche à établir un lien entre les diverses théories des relations internationales, plus spécifiquement leur compréhension des interventions dans les conflits civils, et l’évolution de la pratique de la gestion de conflit sur le terrain. Or, cette ambition fait cruellement défaut au sein de la littérature sur la gestion des conflits. Cette dernière reste essentiellement confinée à des analyses (généralement qualifiées de middle range) dont la portée théorique est limitée ou collée aux dimensions praxéologiques de la résolution de conflit. L’étude de la gestion de conflits apparaît ainsi comme l’un des parents pauvres des Relations internationales du fait de l’absence d’assises métathéoriques qui pourraient lier le phénomène des interventions au contexte plus large du comportement des agents au niveau international.
Tel qu’il a été spécifié précédemment, Talentino semble concevoir l’évolution des interventions à travers deux prismes. En ce qui concerne la forme, les interventions militaires dans les conflits civils se sont complexifiées au cours des années 1990. Talentino remarque que les diverses tentatives d’intervention dans les conflits civils ont progressivement intégré un ensemble de moyens, allant de l’aide humanitaire à l’imposition de la paix par la force jusqu’à la reconstruction institutionnelle, sociale et politique des États. Naturellement, cette constatation ne constitue pas une primeur car la majorité des commentateurs et auteurs sur le sujet ont relevé cette évolution de l’interventionnisme international des années 1990.
De façon plus intéressante, Talentino croit percevoir également une évolution de la fonction des interventions. Autrement dit, il y aurait eu une mouvance dans les années 1990 de l’argumentaire justifiant et légitimant l’interventionnisme international. À son avis, l’environnement normatif de la Guerre froide et du début des années 1990 (exemplifié magnifiquement par la guerre du Golfe en 1991) était excessivement empreint de considérations réalistes, comme la primauté des enjeux stratégiques et l’inviolabilité de la souveraineté étatique. Or, Talentino argumente que cet univers normatif réaliste laissa graduellement place, et souvent de façon accidentelle, à un cadre argumentaire mettant l’accent sur les droits de la personne, la démocratie et la liberté. En outre, la communauté internationale – les organisations internationales, régionales et les grandes puissances – aurait intégré ce discours en prenant conscience de sa responsabilité d’encadrer les interventions humanitaires afin de promouvoir ces valeurs.
Afin de mettre en perspective ces deux courants évolutifs des interventions humanitaires après la Guerre froide, Talentino propose d’analyser les interventions humanitaires à travers cinq études de cas survenue durant les années 1990 : la Somalie en 1992-1993, Haïti en 1994, l’opération de l’otan en Bosnie-Herzégovine en 1995, le Sierra Leone en 1997 et le Kosovo en 1999. De ces cinq études de cas, trois événements marquant ont symbolisé pour Talentino des « sauts » significatifs dans l’évolution de la résolution de conflit. D’abord, l’expérience somalienne a permis d’établir un lien entre les interventions humanitaires et la force militaire. Ensuite, l’intervention en Bosnie a permis de faire la jonction entre l’interventionnisme militaire d’une part, et la reconstruction étatique d’autre part. Enfin, le Kosovo a forcé la communauté internationale à réviser certains enjeux liés aux interventions tels que la souveraineté, la légitimité et la sécurité. Pour Talentino, ces trois moments doivent être considérés comme les jalons d’une révolution normative dans la gestion de conflits, modifiant de façon significative la nature et la légitimité internationale des interventions militaires. Les cas de Haïti et du Sierra Leone représentent des événements mitoyens, à cheval entre les divers « sauts » identifiés par l’auteur.
Malgré l’intérêt des études de cas, il faut remarquer que le positionnement théorique de l’auteure demeure ambigu. Elle tente de jongler avec ce qu’elle considère être les théories principales des Relations internationales, soit le réalisme, le libéralisme, le marxisme, le constructivisme et (curieusement) la gestion de conflits. Or, elle semble mal à l’aise avec les divers appareils théoriques qu’elle utilise. Si l’on accepte la pertinence d’un paradigme « gestion de conflits » au même titre que le réalisme, le libéralisme ou encore le constructivisme (ce qui demeure douteux), on comprend mal comment les idées et concepts véhiculés par cette « approche » ont influencé la mise en oeuvre des interventions militaires dans les conflits civils. Le lecteur demeure ainsi perplexe quant à la relation causale entre les idées et la réalité. La preuve n’est pas établie, les références sont anecdotiques et la plausibilité de l’explication de Talentino, contestable.
En dernière analyse, l’ambition du livre est trop grande pour son propre bien. Le désir de Talentino de développer une argumentation théorique de l’évolution de la gestion de conflits depuis la fin de la Guerre froide est louable (et même nécessaire aux fins d’un dialogue interparadigmatique). Cependant, la conclusion demeure en grande partie fragile. La démonstration empirique est essentiellement anecdotique et le fait de déceler une évolution des normes internationales à travers quelques épisodes de gestions de conflits au cours des années 1990 pose un problème. Talentino a « sélectionné » ses cas en fonction de l’hypothèse qu’elle voulait éclairer, ce qui peut laisser le lecteur perplexe quant à la validité des conclusions.
Military Intervention after the Cold War devrait intéresser principalement les spécialistes des relations internationales, et plus spécifiquement ceux qui ont une bonne connaissance de la littérature théorique et pratique de la résolution de conflits. Ils y trouveront en effet une source de réflexion intéressante, même si elle doit s’avérer plutôt critique.