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Après que Louise Arbour eut estimé, concernant le présent ouvrage, qu’il s’agissait d’« une contribution précieuse et vitale pour faire avancer la protection des personnes civiles en temps de guerre » (selon les propos reproduits en quatrième de couverture de l’ouvrage, notre traduction), la voie était tracée pour une recension critique élogieuse.
Cette nouvelle publication intéressant le champ du droit international humanitaire, également connu sous l’expression « droit de la guerre », aborde, comme son titre l’indique, les questions centrales contemporaines de cette branche du droit international. Le sous-titre de l’ouvrage est d’ailleurs éloquent à ce sujet : groupes armés (leur place, leur participation et les règles qui leur sont applicables), compagnies militaires privées (avec notamment tout l’enjeu de leur participation directe aux hostilités ou non) et organisations humanitaires (au travers des règles applicables en matière d’assistance humanitaire, des principes de l’action humanitaire, ou des préoccupations grandissantes face aux attaques dont elles font parfois l’objet) forment les trois domaines qui remettent en question aujourd’hui de manière fondamentale les normes de droit international humanitaire telles qu’elles sont exposées dans un très grand nombre de textes internationaux. En cela, l’angle choisi par les initiateurs (si Benjamin Perrin en est le directeur éditorial, cet ouvrage est l’aboutissement d’un processus plus large ; voir en ce sens l’historique du projet retracé en préface, p. xi-xiii) de cet ouvrage collectif est résolument au coeur des débats qui animent aujourd’hui les spécialistes du droit international humanitaire, ce qui en fait une pièce importante au sein de la littérature de plus en plus foisonnante dans ce domaine.
Les contributions sont regroupées en quatre grandes parties. La première est relative aux groupes armés non étatiques et aux défis que pose la recherche du respect des normes de droit international humanitaire par ces acteurs cruciaux des conflits armés contemporains, puisque les conflits armés non internationaux dans lesquels ils sont impliqués sont ceux qui sont aujourd’hui, et de loin, les plus nombreux. Les cinq contributions de cette partie présentent chacune un intérêt particulier, puisqu’elles embrassent toutes les questions fondamentales auxquelles le droit international humanitaire est confronté. Notamment, comment faire pour que les groupes armés non étatiques respectent le droit international humanitaire (et pas simplement veiller à ce que ceux qui commettent des violations soient effectivement poursuivis) ? À cette question, René Provost et Sophie Rondeau apportent des éléments de réponse par le biais de la question délicate de la réciprocité, tout comme les membres de l’organisation non gouvernementale Geneva Call, spécialiste en la matière, et dont il faut rappeler l’accomplissement majeur récent, à savoir la constitution d’une base de données. Cette base, Their Words, lancée en novembre 2012, contient les engagements pris à Genève par des acteurs non étatiques en matière de respect des droits de la personne dans les conflits armés. Pour sa part, Sandesh Sivakumaran se livre à une analyse cherchant à répondre à une autre question cruciale : comment associer les groupes armés non étatiques, désormais incontournables, à l’élaboration de nouvelles normes de droit international humanitaire ? La deuxième partie aborde les thématiques, désormais bien connues, relatives aux sociétés militaires et de sécurité privées sous un angle précis, celui de l’association de ces compagnies à des organisations humanitaires. À cet égard, les rappels formulés par Jamie Williamson, conseiller juridique au sein de la plus importante organisation humanitaire au monde, le Comité international de la Croix-Rouge, sont fort intéressants. Alors que les principes de l’action humanitaire sont parfois négligés par certains acteurs, l’occasion est ici donnée de rappeler le sens et la nécessité d’une action humanitaire neutre et indépendante. La troisième partie, qui s’intéresse à l’« espace humanitaire » et aux débats qui y sont liés, fait d’ailleurs écho à cet état de fait, notamment grâce à la contribution de Sylvain Beauchamp et à celle de Michael Khambatta. La quatrième partie, enfin, examine les controverses auxquelles le droit international humanitaire est actuellement confronté dans les cas – qualifiés d’« endémiques » – de violence urbaine. La violence que l’on voit se développer aujourd’hui dans de grandes périphéries urbaines, au Mexique ou au Brésil par exemple, et plus généralement dans le contexte latino-américain, vient toucher à certains éléments fondamentaux du droit international humanitaire. En premier lieu, ce dernier s’applique-t-il dans ces contextes ? Autrement dit, peut-on considérer ces situations comme des situations de conflit armé, au sens auquel l’entend cette branche du droit international ? Et, si oui, les règles qu’elle énonce, initialement conçues, ou perçues, pour des terrains d’hostilités que l’on pourrait qualifier de plus « classiques », parviennent-elles à répondre à l’ensemble des problèmes que posent ce type d’affrontements, que l’on pourrait éventuellement qualifier de « nouveaux » ? Les quatre contributions regroupées sous ce thème dressent un état des lieux instructif.
Finalement, si un reproche devait être formulé, on pourrait simplement regretter qu’il s’agisse une fois encore d’un ouvrage en langue anglaise exclusivement. S’agissant d’une publication chapeautée par un chercheur canadien, n’aurait-ce pas été là une belle occasion d’offrir au public francophone la possibilité de lire des contributions substantielles de droit international humanitaire dans une langue qui, par ailleurs, est parlée par les acteurs de certains des conflits armés les plus sanglants qui se déroulent actuellement ? Certains auteurs sont de langue maternelle française ou peuvent contribuer au débat en langue française.