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Ouvrage sous-titré « la représentation de la guerre dans les conflits récents : enjeux politiques, éthiques et esthétiques », cette somme reprend une grande partie des communications de trois jours de colloque. L’ouvrage tente d’analyser les différents moyens de représentations des guerres et des conflits à travers l’examen des médias, de la littérature, du cinéma, des bandes dessinées et de l’art. Assurément, les domaines sont larges et les contributions de niveaux très variables.

La structuration en quatre grandes parties permet néanmoins de ne pas s’y perdre : guerre et idéologie, guerre et technologie, guerre, éthique et affects et enfin, guerre et esthétique. Nous sommes bien dans l’approche pluridisciplinaire qui mobilise dans un même ouvrage sciences sociales, psychanalyse, philosophies et domaines de l’art sans nécessairement que les travaux soient rédigés de manière collective. Nonobstant cela, des ponts peuvent s’imaginer et donnent à penser que les thématiques ouvrent la voie à d’autres travaux. L’originalité de l’ouvrage collectif et ses 31 contributions réside aussi dans l’intégration, en introduction à chaque article, d’un résumé ainsi que d’un petit développement précisant le cadre historique, culturel et conflictuel. Certaines contributions sont également illustrées de photos, dessins et reproduction de peintures et de bd.

Parmi les contributions très éclectiques, nous sommes entraînés dans des réflexions sur la diversité des concepts de sécurité et des langages associés (Duray) ou sur la distinction entre guerre et crime en faisant appel à la notion de culture de la peur pouvant être le moyen le plus approprié pour contrecarrer la dégénérescence de la guerre en crime (Sokolovic). Il est aussi question de la comparaison des oeuvres d’écrivains russes par l’analyse narrative autour de la guerre en Tchétchénie aux contenus idéologiques opposés (Dalipagic), mais aussi de l’analyse du rôle identitaire et guerrier des chansons patriotiques dans les guerres yougoslaves (Ilic). Vantapour aborde, quant à elle, le corps (devenant lieu de conflit et enjeux) et ses représentations dans les films sur la guerre en Irak alors que Louet analyse les codes de mise en scène sur la guerre avec l’image devenant sujet à caution ; la place du reporter devenant particulièrement délicate.

Nous retiendrons la contribution de François-Bernard Huyghe sur l’utilisation de l’image comme arme d’humiliation, de propagande et de diabolisation de l’ennemi. Elle devient en quelque sorte pièce à conviction, qu’elle soit exaltante ou repoussante. Elle fait naître de nouvelles relations d’hostilité, mais crée aussi le terreau pour des argumentaires complotistes. Et l’auteur de dénoncer notre « lâche consentement aux images qui nous confortent dans nos croyances ». Que de plus riche aussi que l’analyse pénétrante de Mak Ditmack sur une lecture historique et idéologique des jeux vidéos, réceptacles des discours idéologiques de ceux qui les fabriquent. L’occidentalisme et les visions stéréotypées y sont légion, avec pour effet miroir, une contre-culture entre l’Occident et les pays arabes. Jeux qui peuvent être à la fois le passage « obligé » pour s’engager au sein des forces armées américaines autant qu’instrument de contre-culture dans les centres universitaires ou par l’intermédiaire des concepteurs isolés, pouvant ici montrer les effets des dégâts collatéraux, les enjeux politiques ou mettre en doute la légitimité des interventions. Il s’agit bien de se réapproprier les clichés visuels occidentaux par le détournement de leur contenu. Les dessins d’enfants traumatisés récoltés dans la collection Brauner feront également l’objet de développements (Milkovitch-Rioux).

D’autres contributions abordent des études de cas comme l’usage critique des images de guerre dans le film « Erkonnen und Verfolgen » de Farocki démontrant la manipulation, y compris la complicité ou la victime potentielle que serait, finalement, le spectateur ! Quant à Cyrulnik, il aborde la réflexion éthique au combat dans la formation des militaires avec les notions de conséquence et de responsabilité individuelle. Il est rejoint en cela par Crépon qui en vient à considérer que la responsabilité des secours vaut pour tous et s’applique à tous, l’éthique ne connaissant pas de frontières.

Par ailleurs, comment l’écriture approche-t-elle de l’inconcevable à propos du génocide rwandais et le nettoyage ethnique dans les Balkans et sa brutalisation/traumatisation ? L’analyse de l’écriture, des mots, est aussi abordée de manière complexe (Delmeule, Dzanic), avec pour objet de dépasser le bestial, l’indicible, l’irrationnel pour s’interroger sur le fait que les génocides sont pensés, organisés par des êtres humains. Ici, la littérature pourrait enregistrer et examiner les changements sociaux en cours ou en gestation pouvant conduire aux génocides, tout comme dans la fiction littéraire soudanaise qui joue du « fantastique » pour échapper à la censure et témoigner à l’image des journalistes et dénoncer (Luffin).

Enfin, il sera aussi question de l’analyse des films de guerre de fiction comme outil pour comprendre ce qui se passe dans le réel (Veray) jusqu’à examiner le rôle de la peinture abstraite de Richter pour percer les traumatismes ou la fabrication du corps par la chirurgie esthétique au Liban, transformation vue comme élément révélateur des dysfonctionnements de la société – tatouage d’appartenance des communautés ou dissimulateur de blessures (Sfeir) – ou encore la représentation particulièrement révélatrice de l’Intifada dans la littérature qui suit l’évolution de la politique d’Israël par rapport à « l’autre » (Saquer-Sabin).

Assurément un ouvrage original aux entrées multiples, mais qui se doit d’être lu par chapitre et dont le principal attrait repose sur les nouvelles pistes qu’il suggère par le biais de la richesse plusieurs contributions.