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Cet article s’attarde aux pratiques éducatives suggérées par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) au sein des aires protégées. Au début des années 1970, sous l’égide de l’UNESCO, des initiatives institutionnelles majeures concernant le réseau de relations personne-société-environnement ont vu le jour, notamment la Déclaration de Tbilissi (UNESCO-PNUE, 1977), ainsi que le Programme de l’Homme et la Biosphère de l’UNESCO (en anglais, Man and Biosphere, à l’origine de l’acronyme MAB ; UNESCO, 2017).

Le Programme MAB vise à établir une base scientifique pour améliorer les rapports des populations à l’environnement au niveau mondial (UNESCO, 2019a). Après presque 50 ans d’existence, l’expression la plus tangible du Programme MAB est un réseau de plus de 701 réserves de biosphère réparties dans 124 pays (UNESCO, 2019b). Les réserves de biosphère englobent des aires protégées et souvent de plus vastes territoires afin d’encourager les communautés locales à conserver la biodiversité, à promouvoir le développement durable, ainsi qu’à renforcer leurs capacités logistiques notamment par la recherche et l’éducation (UNESCO, 1996).

C’est à ce dernier point que nous nous attardons dans cet article. Afin de mieux saisir comment s’exprime la dimension éducative du Réseau mondial des réserves de biosphère, nous avons mené une étude de cas visant à examiner de façon critique les pratiques en ce sens au sein de l’une de ces réserves de biosphère située au mont Saint-Hilaire, en banlieue de Montréal au Québec[1]. Celle-ci a d’abord été réalisée dans le cadre du 3e examen périodique de la Réserve de biosphère du mont Saint-Hilaire (RBMSH) (Gagnon, 2012). L’article 4 du cadre statutaire qui régit le Réseau mondial des réserves de biosphère prévoit qu’un bilan soit effectué tous les dix ans sur les actions et les résultats obtenus (UNESCO, 1996, 2017a). Bien que cet exercice puisse avoir une portée normative pouvant mener jusqu’à la radiation du Réseau mondial des réserves de biosphère[2], l’examen périodique est aussi abordé, comme le suggèrent Reed et Egunyu (2013) de manière formative, systématique et réflexive afin de partager les apprentissages qui en découlent.

Cette étude de cas poursuit trois objectifs. Premièrement, analyser les orientations et actions suggérées par le cadre statutaire et les plans d’action du Programme MAB pour les réserves de biosphère en matière d’éducation. Deuxièmement, recenser les initiatives d’éducation relative à l’environnement (ERE) déployées dans la RBMSH durant les 10 dernières années. Troisièmement, jeter un regard critique sur les actions et orientations suggérées par le Programme MAB, ainsi que les pratiques d’ERE déployées dans la RBMSH.

Pour ce faire, l’article présente d’abord un bref portrait de la stratégie, du cadre statutaire et des plans d’action relatifs aux pratiques éducatives prescrites par le Programme MAB et l’UNESCO. Suivra un aperçu des activités d’ERE recensées sur le territoire de la RBMSH. Finalement, la dernière section propose une analyse critique de ces observations afin d’alimenter une réflexion relative à certaines tensions associées aux pratiques en ERE dans la RBMSH, ainsi que dans le Réseau mondial des réserves de biosphère.

Vision de l’éducation dans le Réseau mondial des réserves de biosphère

L’analyse présentée dans cette section est le fruit de plusieurs années d’observation participante à différentes échelles dans le Réseau mondial des réserves de biosphère, à la fois comme praticiens dans certaines réserves de biosphère québécoises, comme membre du Comité MAB de la Commission canadienne pour l’UNESCO et comme participants dans des forums nationaux et internationaux associés au Programme MAB et à l’UNESCO. Ces observations ont été complétées par une analyse thématique par mots clés dans les documents statutaires et normatifs, ainsi qu’une recension d’écrits dans les bases de données du Education Resources Information Center (ERIC) et d’Elsevier’s abstract and citation database (SCOPUS) en septembre 2017.

Le Programme MAB encadre le Réseau mondial des réserves de biosphère à l’aide de stratégies. C’est de la première, appelée la Stratégie de Séville, que découle un cadre statutaire déterminant les règles de fonctionnement du Réseau mondial ainsi que des directives auxquelles doivent se conformer les réserves de biosphère. Par ailleurs, deux plans d’action et une nouvelle stratégie ont jalonné les deux dernières décennies, en suggérant des interventions à réaliser à différentes échelles par le Réseau mondial des réserves de biosphère. Cette section dresse un portrait sommaire des activités éducatives suggérées dans ces écrits.

La Stratégie de Séville (élaborée en Espagne lors du Congrès mondial des réserves de biosphère en 1996, ci-après nommée la Stratégie) clarifie le concept de réserve de biosphère en proposant une vision, de grands objectifs, des indicateurs de performance, ainsi qu’un cadre statutaire devant servir à baliser la mise en œuvre du concept, tout en tenant compte de la diversité des contextes culturels et organisationnels des pays membres. Relativement à l’éducation, l’UNESCO (1996, p. 5) précise le rôle de ces réserves :

[… les réserves de biosphère constituent des sites privilégiés pour la recherche, la surveillance à long terme, la formation, l’éducation et la sensibilisation du public tout en permettant d’associer pleinement les communautés locales à la conservation et à l’utilisation durable des ressources.[3]

Fait à noter, l’éducation, la formation et la sensibilisation sont souvent présentées comme des pratiques complémentaires, bien qu’elles ne soient pas distinctement explicitées.

La vision de la Stratégie fait aussi référence à l’éducation, à l’aide de deux orientations qui précisent la nécessité de :

4. Renforcer la recherche scientifique, la surveillance continue, la formation et l’éducation dans les réserves de biosphère, en raison de la nécessité d’avoir une base solide dans le domaine des sciences naturelles et sociales, afin de mieux promouvoir la conservation et l’utilisation durable des ressources naturelles dans ces sites. (p.9)

10. Investir dans le futur : les réserves de biosphère devraient être utilisées pour approfondir notre connaissance des relations de l’humanité avec le milieu naturel, grâce à des programmes de vulgarisation, d’information, et d’éducation dans une perspective intergénérationnelle à long terme [sic]. (p.9)

L’« éducation à l’environnement » est ainsi évoquée de façon parcimonieuse dans la Stratégie, et ce, dans une perspective d’éducation au sujet de l’environnement. De plus, sans nommer l’éducation au développement durable (EDD) proprement dite, le concept de durabilité est omniprésent dans les orientations associées à la vision ainsi que dans les objectifs de la Stratégie[4].

Les objectifs de la Stratégie permettent de favoriser une compréhension plus approfondie des pratiques éducatives suggérées. L’objectif 3.1 suggère d’améliorer les connaissances sur les interactions entre les humains et la biosphère en ayant recours notamment à des universités et à d’autres instituts d’enseignement supérieur et de recherche. L’objectif 3.3 propose quant à lui d’améliorer l’éducation, la sensibilisation du public ainsi que la participation citoyenne, cette fois par l’entremise d’une large gamme de pratiques allant de la révision des programmes scolaires à la promotion d’activités en nature dans les réserves. Finalement, l’objectif 3.4 spécifie la nature des activités de formation suggérées pour des spécialistes, gestionnaires et décideurs locaux portant sur des thèmes comme la surveillance continue des écosystèmes, l’analyse et l’étude des conditions socioculturelles, la résolution des conflits et la gestion des ressources de manière coopérative. Le cadre statutaire reprend l’essentiel des pratiques éducatives évoquées dans la Stratégie, sans réellement permettre d’en approfondir la portée. Il ne fait qu’évoquer le caractère essentiel de l’éducation afin d’être reconnu à titre de réserve de biosphère (UNESCO, 1996).

En 2008, un plan d’action est proposé pour orienter plus spécifiquement les actions du Réseau mondial des réserves de biosphère pour la période 2008-2013 (UNESCO, 2008). Ce plan, intitulé le Plan d’action de Madrid (élaboré en Espagne lors du Congrès mondial des réserves de biosphère en 2008), marque un changement important en ce qui a trait aux prescriptions éducatives du Programme MAB. Les réserves de biosphère sont maintenant invitées à devenir des sites d’apprentissage pour le développement durable. La mission évoquée dans le plan fait référence aux défis socioécologiques de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité, d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets, ainsi que pour contribuer au bien-être socioéconomique et culturel des communautés humaines. La mission du plan spécifie qu’il faut développer « (…) les capacités globales de gestion de systèmes socioécologiques complexes, notamment en développant le dialogue entre scientifiques et politiques, l’éducation environnementale et l’utilisation du multimédia pour toucher un public plus large » (p.9). Fait à noter, l’ERE est évoquée uniquement dans cet élément de la mission. Par la suite, lorsque l’éducation est mentionnée dans le plan, on fait surtout référence à l’éducation au développement durable ou encore au développement des capacités (p.25). La portée de ce plan d’action vise le Réseau mondial des réserves de biosphère ainsi que les répondants nationaux du Programme MAB. Il offre peu de précisions en ce qui a trait aux activités éducatives dans les réserves de biosphère à l’échelle locale.

La nouvelle stratégie du Programme MAB et le plan d’action de Lima visant la période 2016-2025 (adopté au Pérou lors du Congrès mondial des réserves de biosphère en 2016) viennent aussi apporter des changements importants, situant toutes les actions du Programme MAB dans une perspective de « sciences de la durabilité » (UNESCO, 2016). Cela s’applique aussi aux pratiques éducatives. L’ERE est complètement évacuée de ce plan au profit de l’EDD. Pourtant, la vision du plan réaffirme la nécessité de repenser notre rapport à la biosphère et de former des écocitoyens.

Notre vision est celle d’un monde où les hommes ont conscience de leur avenir commun et de leur interaction avec notre planète et agissent de façon collective et responsable pour construire des sociétés prospères en harmonie avec la biosphère.

Au terme d’une décennie consacrée à la promotion de l’EDD (Buckler & Creech, 2014), l’éducation devient une stratégie transversale qui recoupe plusieurs domaines d’action stratégique pour soutenir le Réseau mondial des réserves de biosphère. Les pratiques éducatives doivent aussi tenir compte des objectifs du développement durable des Nations Unies (ODD) (Nations Unies, 2016). Les pratiques éducatives visent la formation d’acteurs spécifiques, notamment les organisations privées. Dans ce plan d’action, l’éducation constitue une stratégie de développement des capacités, c’est-à-dire une stratégie pour renforcer les habiletés à réaliser des tâches et notamment les ODD au sein du Réseau mondial des réserves de biosphère (FAO, 2010 ; Nations Unies, 2008).

Comme le suggèrent Sauvé et coll. (2003), les propositions internationales peuvent servir de balises pour guider et légitimer les choix éducationnels dans les pays, pourvu qu’elles soient adaptées dans une perspective critique. Voyons maintenant comment les acteurs de la RBMSH naviguent entre certaines tensions associées à leurs pratiques et les balises offertes par la Stratégie de Séville ainsi que les plans d’action de Madrid et de Lima. Ces documents étant ceux qui étaient en vigueur durant la période visée par l’examen périodique.

RBMSH : survol des pratiques en éducation relative à l’environnement

En 1978, la Réserve de biosphère du mont Saint-Hilaire (RBMSH) est la première à être désignée par l’UNESCO au Canada (Centre de la Nature, 2017). La majeure partie de l’aire protégée centrale de la réserve appartient à l’Université McGill, une institution d’enseignement supérieur vouée à la recherche et à l’éducation. La RBMSH est actuellement coordonnée par le Centre de la Nature, une organisation non gouvernementale (ONG) qui possède plus de 40 ans d’expérience en ERE et qui a développé au fil du temps une grande diversité d’activités éducatives en partenariat avec des municipalités, des ONG et des institutions d’enseignement présentes sur le territoire de la réserve. Plus de 300 000 personnes fréquentent annuellement l’aire protégée centrale de la RBMSH, située sur cette colline montérégienne, pour y pratiquer des activités de plein air et d’interprétation de la nature. De plus, 44 000 personnes habitent les huit municipalités de la RBMSH. Contrairement à bien des réserves de biosphère au Canada et au Québec, elle dispose de moyens financiers, d’employés et de bénévoles lui permettant le déploiement d’une diversité de pratiques en ERE (Centre de la Nature, 2017).

Les éléments d’information retrouvés dans cette section sont issus des archives du Centre de la Nature ainsi que de divers documents produits par des partenaires locaux et visent à recenser et catégoriser les activités d’ERE qui se déroulent en lien avec la RBMSH.

Sur le territoire de la RBMSH, on dénombre trois commissions scolaires et treize établissements d’enseignement : dix de niveau primaire, deux de niveau secondaire et un de niveau universitaire. Parmi les écoles primaires, cinq écoles mènent des projets éducatifs associés au programme des écoles vertes Brundtland (EVB-CSQ) qui vise à éduquer en fonction de valeurs écologiques, pacifiques, solidaires et démocratiques (EVB-CSQ, 2017).

De plus, environ 400 étudiants universitaires reçoivent de la formation spécialisée dans divers domaines associés aux sciences naturelles et à la conservation. On y offre notamment des cours de géographie physique, de limnologie, d’écologie et de botanique dans la RBMSH (McGill, 2017).

On laisse à la discrétion d’un établissement scolaire d’établir un projet éducatif au Québec (MEES, 2017). Aucun établissement scolaire du territoire n’a de projet éducatif faisant directement référence à la réserve de biosphère. Certains établissements y font référence, mais les activités éducatives relatives à la réserve de biosphère dans ces établissements sont issues d’initiatives d’enseignants ou d’ONG comme le Centre de la Nature (Centr’ERE, 2018 ; Centre de la Nature, 2017).

Pour cette étude de cas, une trentaine d’activités et d’outils pédagogiques, offerts sur le territoire ont été recensés[5] (Tableau 1). Elles ont été classées par types de participants : des élèves et étudiants, des visiteurs, des citoyens, des élus et des professionnels municipaux. La majeure partie d’entre elles se déroulent à l’extérieur des établissements d’enseignement et rejoignent un vaste éventail de participants adultes.

Tableau 1 

Activités et outils pédagogiques en ERE recensés dans la RBMSH

Activités et outils pédagogiques en ERE recensés dans la RBMSH

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Les activités abordent principalement les thèmes de la biodiversité, de sa conservation et de l’importance des services écosystémiques. Dans une plus faible proportion, elles se penchent sur les concepts de réserve de biosphère et de développement durable, sans oublier les thèmes socioécologiques comme l’eau, la pollution, la recherche, les sciences ainsi que l’histoire naturelle et culturelle. À titre d’exemple, les pratiques prennent la forme de chroniques dans les journaux, d’ateliers avec les établissements scolaires, de programmes de science citoyenne (ex. : inventaires d’oiseaux, d’amphibiens ou de reptiles), de rencontre avec des écoconseillers ou d’outils interactifs sur Internet comme des cartes interactives ou encore un musée virtuel en ligne pour découvrir la RBMSH (Centre de la Nature, 2007).

Les pratiques éducatives peuvent aussi être triées par intention pédagogique. Bien qu’elles permettent toutes de transmettre des connaissances et de réfléchir au rapport humain-nature, certaines permettent aussi de cultiver un sentiment d’appartenance au territoire ou, dans une plus faible mesure, de favoriser l’engagement et l’utilisation de scénarios de résolution de problème. Les activités recensées comportent souvent des intentions pédagogiques multiples visant à la fois à cultiver un sentiment d’appartenance et à s’engager dans des projets ou actions de conservation en plus de rassembler plusieurs participants potentiels (ex. : étudiants, adultes, élus, fonctionnaires).

Ce survol a permis de formuler un certain nombre d’observations en ce qui a trait à l’ERE dans la RMBSH et, de façon plus générale, à l’éducation au sein d’une réserve de biosphère.

L’éducation dans la RBMSH en cinq observations

La revue des écrits des réserves de biosphère concernant l’éducation a permis de comprendre la portée des guides internationaux qui encadrent ces pratiques ainsi que celles de la RBMSH dans un contexte québécois. Cette section vise à effectuer une lecture transversale des activités d’ERE réalisées dans la RBMSH et nous permet de formuler cinq observations en plus d’identifier certaines tensions.

Des pratiques éducatives « au sujet de » et « pour » l’environnement

Dans le recensement des activités éducatives de la RBMSH, on remarque une diversité de conceptions de l’environnement, de l’environnement-nature à l’environnement-problème ou encore, à l’environnement-ressource (Sauvé, 1997, p. 14). Il en est de même dans les écrits du Programme MAB où l’on remarque à travers le temps, un délestage de la conception de l’environnement-biosphère (Homme et biosphère) pour une conception de l’environnement-problème et de l’environnement-ressource (Sauvé, 1997b).

À partir des écrits du Programme MAB analysés et du recensement des pratiques dans la RBMSH, une perspective environnementale de l’ERE semble prévaloir : on remarque en effet que les pratiques éducatives suggérées tentent de trouver réponse aux problématiques de dégradation de l’environnement (Sauvé, 1997, p. 22). Les perspectives sociales et pédagogiques de l’ERE sont moins développées dans les écrits du Programme MAB. Il en est de même dans les activités recensées au sein de la RBMSH.

La diversité des activités recensées témoigne aussi d’une pluralité de conceptions de la relation éducation-environnement (Sauvé, 1997b). Le recensement met en évidence des activités éducatives qui se pratiquent surtout « au sujet » de l’environnement et du concept de réserve de biosphère ainsi que « pour » l’environnement (Figure 1). Par ailleurs, on remarque dans une moindre mesure, des pratiques « dans » la nature[6]. Ces activités reflètent, à bien des égards, les pratiques recensées par Godmaire et coll. (2013) dans d’autres réserves de biosphère au Canada et pourraient servir de base à une étude comparative à l’échelle canadienne ou internationale.

Figure

Figure 1 : Des pratiques éducatives « pour », « dans » et « au sujet de » l’environnement

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Les pratiques éducatives de la RBMSH dans un cadre essentiellement non formel

Bien que la Stratégie de Séville et les plans d’action associés au Programme MAB suggèrent d’intégrer le concept de réserve de biosphère aux programmes scolaires (UNESCO, 1996), on remarque peu d’exemples à cet effet sur le territoire de la RBMSH. Rappelons qu’au Québec, l’éducation relève de la compétence provinciale et que l’ERE est associée à un domaine général de formation (MEQ, 2010). L’ERE est ainsi sous-développée et sans ancrage territorial (Centr’ERE et coll., 2017). Les écoles ont la liberté de déployer des projets d’établissement ou des activités pédagogiques qui auraient pu octroyer une place au concept de réserve de biosphère ; toutefois, cette étude de cas n’a pas permis d’identifier des initiatives probantes à cet effet. Sur les 30 pratiques recensées, 10 sont offertes aux élèves et aux étudiants des institutions d’enseignement présentes au sein de la RBMSH (du niveau primaire au niveau universitaire) et une vingtaine sont offertes dans un cadre non formel à des participants adultes ou à des acteurs municipaux.

Dans la RBMSH, plusieurs activités et outils ont été développés afin de répondre aux enjeux environnementaux ainsi que pour promouvoir indirectement la réserve de biosphère. Comme l’affirment certains praticiens de la RBMSH, mieux vaut agir comme une réserve de biosphère plutôt que d’en discuter (Raufflet, et coll., 2010). Force est de constater que l’ERE se déploie surtout dans un cadre non formel (Figure 2). Plusieurs motifs peuvent être suggérés pour expliquer cette tension, notamment les modestes ressources dont dispose la RBMSH, et les réserves de biosphère en général au Canada, pour rejoindre un nombre aussi important d’élèves, d’étudiants et d’établissements scolaires (Bridgewater, 2016 ; Francis, 2004 ; Price, 2017), ainsi que la place de l’ERE dans le cursus scolaire québécois (Centr’ERE. 2018).

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Figure 2 : Le contexte des pratiques éducatives de la RBMSH : prévalence du cadre non formel.

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Une axiologie des pratiques éducatives

Comme en témoignent les deux observations précédentes, les pratiques éducatives proposées par le Programme MAB et celles recensées dans la RBMSH reposent sur diverses conceptions de l’environnement et des relations entre environnement et éducation. De plus, elles se déploient surtout dans un cadre non formel au sein de la RBMSH. Peu de références sont établies avec les valeurs que ces pratiques soutiennent ou qu’elles tentent de promouvoir. Elles comportent souvent plus d’une intention pédagogique. L’importance des problématiques environnementales de la RBMSH comme la destruction des milieux naturels et l’introduction de multiples espèces exotiques envahissantes offre une légitimité implicite aux pratiques éducatives utilisées. Bien qu’elles visent principalement à transmettre des connaissances relatives à la nature et à susciter un sentiment d’appartenance aux milieux naturels, la perspective environnementale dominante de l’ERE (et le manque de prise en compte des dimensions sociales des réalités écologiques) ne facilite pas ici la réflexion critique sur les causes sous-jacentes à ces problématiques (Figure 3). Par ailleurs, les pratiques visant la participation citoyenne ou la coconstruction des savoirs mènent à un questionnement général à l’égard de l’environnement ; elles incitent aussi à la participation à des activités de conservation ou de restauration à l’échelle locale. Mais elles ne facilitent pas la réflexion éthique plus large et l’identification de conflits de valeurs qui sous-tendent les questions environnementales, de nature socio-écologiques.

Figure

Figure 3 : Axiologie des pratiques éducatives

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Par ailleurs, l’EDD est souvent invoquée dans les écrits du Programme MAB et très peu dans les pratiques éducatives recensées dans la RBMSH. Comme le suggèrent Scoullos et coll. (2013), la culture de l’EDD n’a pas vraiment pénétré les réserves de biosphère ayant une tradition d’ERE, comme c’est le cas dans la RBMSH. Il semble que les acteurs de la RBMSH aient dénoué cette tension en adoptant la posture de « faire sans » l’EDD, pour reprendre l’expression de Girault et Sauvé (2008). Il serait peut-être pertinent que le Programme MAB adopte une posture moins normative en ce qui a trait aux pratiques de la conservation (Sandbrook, et coll., 2013) et aux pratiques éducatives (Brianso et Girault, 2014 ; Girault et Sauvé, 2008) de manière à aborder les dimensions éthiques et politiques associées à ces pratiques. Cela permettrait de mieux rendre compte de la diversité des relations humain-société-environnement et des rapports entre éducation et environnement.

Pour améliorer les pratiques éducatives : un modèle-cadre en ERE

Pour améliorer les pratiques éducatives, plusieurs réserves de biosphère canadiennes ont participé à des travaux de recherche et de formation portant sur l’ERE et l’apprentissage collectif (Godmaire, Reed et Guertin, 2013 ; Godmaire, Reed, Potvin et Réserves de biosphère canadiennes, 2013 ; Reed et Abernethy, 2018 ; Reed, Godmaire, Abernethy et Guertin, 2014 ; Reed et Massie, 2013). Ces travaux ont permis d’identifier de « bonnes pratiques » dans divers domaines comme l’aménagement du territoire, le tourisme et l’éducation. Il s’agit bien ici du regard d’acteurs du réseau canadien des réserves de biosphère sur leurs pratiques. Même si on y reconnait l’importance de l’éducation et celle des apprentissages collectifs, les acteurs mobilisent peu de théories relatives aux approches, aux modèles et aux stratégies pédagogiques. Ils arrivent peu à justifier leurs pratiques ou à y jeter un regard critique au regard de l’environnement, de l’éducation et de l’ERE.

Par ailleurs, le Secrétariat du Programme MAB a produit des notes techniques pour clarifier la portée de certaines actions suggérées dans la Stratégie de Séville (Bouamrane, 2006, 2007). Un guide en EDD sur les réserves de biosphère a été produit pour la région de la Méditerranée (Scoullos et coll., 2013) ainsi que sur la thématique de la biodiversité (UNESCO, 2017b), permettant de clarifier certaines pratiques éducatives. À cet effet, rappelons que la RBMSH a été l’hôte d’une activité de promotion de l’EDD en 2013. Lors de cet événement, certains acteurs ont exprimé des tensions entre leurs pratiques, l’EDD et certains autres objectifs découlant du Programme MAB. En l’absence d’un modèle cadre offrant des repères aux praticiens, cette réflexion a eu peu d’impact sur les pratiques en ERE ou même en EDD dans la RBMSH.

Signalons enfin que des organisations spécialisées en ERE en France et aux États-Unis ont produit des guides et fiches thématiques (Sardin, Bauer et Thubé, 2008 ; NAAEE, 2004, 2009, 2017) qui pourraient inspirer le Programme MAB à proposer un modèle-cadre en ERE pour les réserves de biosphère, de manière à clarifier, entre autres, les tensions éthiques et politiques entourant les propositions de l’EDD.

Au-delà de l’examen de conformité : vers une évaluation formative des pratiques éducatives

L’importance de l’évaluation comme processus de rétroaction formatif dans les écrits du Programme MAB est faible. La stratégie de Séville ainsi que le cadre statutaire du Réseau mondial impliquent des examens périodiques tous les 10 ans. Les critères d’examen périodique portant sur les pratiques éducatives sont plutôt quantitatifs et descriptifs. Ils permettent peu de clarifier les pratiques elles-mêmes. Le formulaire d’examen suggère d’identifier les principales institutions d’enseignement actives dans la réserve de biosphère et d’y décrire les programmes destinés aux écoles ainsi qu’aux adultes qui contribuent à la réalisation des objectifs d’une réserve de biosphère. Par ailleurs, on y demande de commenter les changements organisationnels survenus dans ces institutions et dans les programmes éducatifs afin d’en apprécier l’efficacité au regard des objectifs de conservation de la biodiversité, de développement durable et de développement des capacités (UNESCO, 2017a).

La pertinence de ces critères d’examen périodique peut être remise en cause à la lumière des observations formulées précédemment, notamment pour dégager un modèle-cadre en ERE propre aux réserves de biosphère ou pour mener une réflexion critique relative aux tensions normatives de l’EDD ainsi qu’aux enjeux éthiques et politiques qui en découlent (Girault et Sauvé, 2008 ; IUCN, 2000 ; Sauvé, 2009). Au-delà d’un exercice de conformité, le caractère formatif de l’examen périodique devrait être renforcé (Reed et Egunyu, 2013)[7].

Conclusion

Ce tour d’horizon des écrits du Réseau mondial des réserves de biosphère a permis de mener une réflexion sur les pratiques éducatives proposées. Le recensement des pratiques de la Réserve de biosphère du mont Saint-Hilaire (RBMSH) a permis d’observer la manière dont les acteurs locaux se les approprient. Rappelons que le concept de réserve de biosphère est une forme de reconnaissance qui n’attribue pas de pouvoir d’action. Il est plutôt une invitation à travailler avec la pluralité des acteurs impliqués sur un territoire englobant plusieurs municipalités autour d’une aire protégée centrale.

La diversité des pratiques éducatives de la RBMSH est riche. Elle se traduit principalement par des pratiques « au sujet » de l’environnement et des réserves de biosphère, mais également par des pratiques engagées « pour » la nature. Ces pratiques se déploient surtout dans un cadre non formel. Une réflexion axiologique s’impose dans la RBMSH et le Réseau mondial des réserves de biosphère, notamment pour évaluer la pertinence des pratiques suggérées par l’EDD, ainsi que pour réfléchir aux prescriptions normatives issues des stratégies et plans d’action qui régissent les réserves de biosphère. De quelles représentations de l’environnement, de l’éducation et de l’ERE veut-on faire la promotion pour répondre aux visées des réserves de biosphère ?

Cette étude de cas démontre certaines tensions entre les pratiques éducatives suggérées à l’échelle internationale et les pratiques à l’échelle locale afin de rendre compte des contextes culturels très variés (Sauvé et coll. 2003) comme celui de la RBMSH. Pour améliorer les pratiques éducatives et les arrimer au contexte local, il serait pertinent de proposer un modèle-cadre plus explicite en éducation relative à l’environnement (Sauvé, 1997a). Cette proposition devrait, entre autres, orienter le processus d’examen périodique de façon à renforcer le caractère formatif de celui-ci (Reed et Egunyu, 2013). Comme le suggèrent Schultz et Lundholm (2010), si les réserves de biosphère visent à devenir des sites d’apprentissage pour améliorer nos rapports à la biosphère, il faudra développer des compétences en évaluation et créer un contexte propice au partage des leçons apprises.