Comptes rendusReview

Ethnologie des gens heureux. Par Salomé Berthon, Sabine Chatelain, Marie-Noëlle Ottavi et Olivier Wathelet. (Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. Ethnologie de la France (cahier 23), 2009. Pp. 210, ISBN 978-2-7351-1247-0)[Notice]

  • Jocelyn Gadbois

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  • Jocelyn Gadbois
    Université Laval et EHESS

Titre inspirant, Ethnologie des gens heureux propose ni plus ni moins à l’ethnologie de percer le secret du bonheur. Dans cette perspective, les anthropologues Salomé Berthon (doctorante), Sabine Chatelain (docteure et chercheure), Marie-Noëlle Ottavi (A.T.E.R.) et Olivier Wathelet (doctorant et A.T.E.R.), rattachés au Laboratoire d’Anthropologie et de Sociologie Mémoire, Identité et Cognition sociale (LASMIC) de l’Université Nice-Sophia Antipolis et au Groupe de Recherche en Anthropologie du Bonheur (GRAB), dirigent ce collectif qui tente de défricher le champ jeune et fertile des Happiness Studies. Faisant suite à la journée d’étude « Ethnologie des gens heureux ? » organisée à Nice (2006) ainsi qu’à l’article « Le bonheur n’est pas l’essentiel ? De bribes de bonheurs à une “ethnologie des gens heureux” » de ces mêmes auteurs et de Yan Bour, publié dans le deuxième numéro de la revue Conserveries mémorielles (2006), l’ouvrage regroupe treize textes qui réfléchissent au projet interprétatif d’une ethnologie qui viserait à déterminer s’il existe des « formes élémentaires du bonheur » (11). Le collectif s’est donné comme (cruelle) ambition, l’exploration de toute la complexité d’un sentiment. Heureusement, il n’y est pas parvenu. « Heureusement », car en ne parvenant pas à défricher entièrement le champ d’études, le 23e cahier de la collection Ethnologie de la France invite l’ethnologie à de nouveaux chantiers. Encore plus, il invite la discipline à se questionner sur son objet et la manière de le problématiser tout en réussissant à soulever des interrogations sur la notion de problème en sciences sociales. Cependant, cette fraîcheur enthousiasmante s’accompagne, il faut dire, d’un frisson. Chercher à saisir ce qu’est le bonheur, c’est peut-être aussi craindre son inexistence, son exotisme, sa précarité. Comme d’autres objets ethnologiques, l’être heureux est menacé par le passage du temps et de la modernité. L’entreprise d’asseoir empiriquement ce bonheur se trouve peut-être là, dans l’urgence de prouver à l’humanité que ce sentiment fragile a déjà été présent. Il ne s’agit évidemment pas de l’avenue qu’empruntent les directeurs du collectif, quoique plane dans leur démonstration de l’intérêt d’une ethnologie du bonheur la rumeur d’une menace. Pour eux, le bonheur est pour ainsi dire malmené par la philosophie, la psychologie, l’économie et autres disciplines qui se sont plu à l’objectiver. L’ethnologie doit le (re)conquérir en (re)définissant son « espace notionnel » (10). Dans cet esprit, les auteurs relèvent d’une part les angles morts de quelques études qui ont touché de près à cette question et d’autre part quelques occurrences du bonheur dans la littérature anthropologique. Pour camper l’intérêt de leur ouvrage, ils affirment : « [Les questions soulevées dans l’ouvrage] viennent pallier l’absence de références proprement ethnologiques, illustrant, si besoin en est, la sécheresse conceptuelle de l’anthropologie à cet égard. » (10-11). Pour contrer la désertification du champ de recherche (voire de la discipline), il semble essentiel de se précipiter sur la question. Dans cette précipitation, les auteurs de la « trop courte introduction » (15) ont quelque peu négligé leur double mandat de présenter l’intérêt de l’ouvrage et de jeter les bases d’une « nouvelle » préoccupation. En ce qui a trait à la présentation de l’intérêt de la contribution, il aurait été je crois plus intéressant de replacer la préoccupation anthropologique pour le bonheur à l’intérieur de l’évolution récente de la discipline. Dans ce balayage des différentes approches, on comprend aisément que l’ethnologie peut contribuer au développement des connaissances sur le bonheur. Mais comprend-on pour autant le réel intérêt de se pencher anthropologiquement sur ce thème ? Présenté ainsi, un anthropologue peut conclure que l’ethnologie des gens heureux n’est qu’une autre preuve de l’éclatement de l’objet ethnologique, alors que cette préoccupation …

Parties annexes