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S’il est fréquent d’associer la protection de la « culture » au « développement durable » – l’idée de préservation d’un patrimoine aux bénéfices des générations présentes et à venir est en effet inhérente aux deux concepts – la définition classique du développement durable et le contenu de cette notion tel que précisé par certains textes fondateurs passent généralement sous silence l’importance de la culture pour le développement des sociétés. Depuis la publication du rapport Brundtland en 1987 (Commission mondiale sur l’environnement et le développement, 1989)[1], il est traditionnellement admis que le développement durable repose sur trois piliers qui sont de nature environnementale, économique et sociale. Les États ont d’ailleurs plusieurs fois manifesté leur attachement à cette conception, notamment en 1992 lors de l’adoption de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement et en 2002 dans la Déclaration de Johannesburg sur le développement durable. Dans ce dernier instrument, ils ont réaffirmé la nature environnementale, économique et sociale des trois piliers du développement durable, en précisant que ceux-ci se renforçaient mutuellement[2]. Compte tenu de la structure de cet édifice conceptuel, il n’est donc guère surprenant que la culture ait souvent été considérée comme ne constituant qu’une simple composante du pilier social.

Pourtant, des liens juridiques intimes unissent désormais les deux notions, comme en témoignent les récents développements du droit international en ce domaine. Ces évolutions normatives, qui se fondent en grande partie sur une prise de conscience de l’inestimable contribution de la culture au développement durable des sociétés, tendent cependant à passer sous silence l’autre dimension de la relation, soit le potentiel que représente la notion de développement durable pour la protection des cultures. En utilisant l’exemple de la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, cette contribution vise à explorer ce potentiel en trois temps : en identifiant d’abord les instruments juridiques internationaux qui ont contribué à la reconnaissance explicite d’un lien entre la culture et le développement durable (I) ; en précisant, ensuite, le contenu conceptuel et juridique de cette notion de développement durable à laquelle sont attachés certains « principes de développement durable » (II) ; en procédant, enfin, à une analyse critique de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel à la lumière de ces principes de développement durable (III).

La reconnaissance juridique du lien entre culture et développement durable

Nombreux sont les textes, instruments juridiques ou documents d’autres natures, qui reconnaissent les liens qui unissent la culture aux processus de développement. Dès 1966, la Déclaration des principes pour la coopération culturelle internationale s’est inspirée de ce lien pour proclamer le droit et le devoir de tout peuple de développer sa culture[3]. Ce lien fut également reconnu par de multiples instruments juridiques contraignants qui ont établi les bases d’une coopération internationale dans divers secteurs liés à la préservation des cultures[4]. Enfin, la Décennie mondiale pour le développement culturel 1988-1997, lancée conjointement par l’ONU et l’UNESCO, fut sans aucun doute le plus beau témoignage de l’importance accordée à cette relation culture/développement par la société internationale.

Pourtant, lorsque la notion de développement durable est apparue dans le vocabulaire des relations internationales, le lien entre la culture et cette conception revisitée du développement s’est révélé plus diffus. Aussi, les organisations internationales compétentes ont été amenées à s’interroger sur la place qu’allait occuper la culture dans de cette nouvelle « matrice conceptuelle » (Dupuy, 1997 : 886) que le développement durable était appelé à incarner et au sein de laquelle serait désormais appréhendé l’ensemble des relations entre les sphères environnementales, économiques et sociales. Des éléments de réponse ont été apportés à partir de la fin des années 90, d’abord par quelques rapports ou documents de travail élaborés principalement à l’UNESCO[5], puis par quelques instruments juridiques internationaux.

Le premier de ces instruments est la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, adoptée en 2001 à l’unanimité des Membres de l’UNESCO, qui affirme que « la préservation et la promotion de la diversité culturelle [est] gage d’un développement humain durable ». Bien que ce texte soit non contraignant, l’importance de celui-ci mérite d’être soulignée en raison de son influence notable sur le contenu de deux autres instruments juridiques, de nature contraignante cette fois, élaborés ultérieurement sous l’égide de l’UNESCO.

Il s’agit premièrement de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel de 2003 qui souligne dans son Préambule « l’importance du patrimoine culturel immatériel, creuset de la diversité culturelle et garant du développement durable »[6]. En outre, la définition du patrimoine culturel immatériel retenue par la Convention précise qu’« [a]ux fins de la […] Convention, seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement durable » (art. 2 (1))[7]. Bien que certains estiment que « [l]a durabilité, dans ce cas, tient plus de l’idéal, du résultat espéré et d’une estimation normative voulant que la tradition survive » (Kurin, 2004 : 61), il n’en demeure pas moins que d’un point de vue juridique, le patrimoine culturel immatériel visé par la Convention est celui qui est « conforme […] à l’exigence […] d’un développement durable »[8].

Deuxièmement, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée en 2005 franchit une étape supplémentaire et déterminante pour la reconnaissance du lien entre culture et développement durable. D’abord, elle affirme que la « diversité culturelle […] est […] un ressort fondamental du développement durable des communautés, des peuples et des nations » (préambule, § 4) et elle institue un « principe de développement durable » qui précise que « [l]a protection, la promotion et le maintien de la diversité culturelle sont une condition essentielle pour un développement durable au bénéfice des générations présentes et futures » (art. 2.6). Mais surtout, elle engage formellement « [l]es Parties […] à intégrer la culture dans leurs politiques de développement, à tous les niveaux, en vue de créer des conditions propices au développement durable et, dans ce cadre, de favoriser les aspects liés à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles » (art. 13). Cet engagement, qui figure dans la partie IV de la Convention consacrée aux « [d]roits et obligations » implique par conséquent, pour l’ensemble des Parties à la Convention, une intégration tant normative qu’institutionnelle de leurs politiques de développement, « [l]es aspects économiques, culturels, sociaux et environnementaux du développement durable [étant] complémentaires »[9]. La mise en oeuvre de cette disposition sous-tend non seulement la prise en compte des préoccupations culturelles[10] dans tous les secteurs et à tous les niveaux de la société, mais également la prise en compte des considérations économiques, sociales et environnementales dans l’élaboration et la mise en oeuvre de politiques culturelles.

Ces deux conventions reconnaissent ainsi l’interdépendance des objectifs de protection des cultures et de promotion du développement durable, en poursuivant une double finalité normative : d’une part, elles dictent expressément des prescriptions en matière de développement durable que les Parties doivent respecter afin de se conformer aux règles internationales instituées par ces instruments[11] ; d’autre part, elles influencent l’évolution générale des politiques culturelles de manière à ce que ces dernières s’inscrivent progressivement dans une optique de développement durable[12]. Or, l’élaboration et la mise en oeuvre de politiques et actions culturelles conformes au développement durable exigent la clarification du sens et du contenu de cette notion.

Le contenu juridique du concept de développement durable

La définition du développement durable, extraite du Rapport Brundtland de 1987 et reprise ultérieurement par d’innombrables textes, est bien connue : le développement durable est « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (51). Cette définition ne donne cependant aucune indication sur la façon de répondre aux besoins de ces générations présentes et futures. Des éléments de réponse furent néanmoins apportés par certaines juridictions internationales amenées à se pencher sur le statut juridique de la notion de développement durable.

Dans un arrêt de la Cour internationale de Justice (CIJ) du 25 septembre 1997 relatif au Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), des juges ont ainsi affirmé que « [l]e concept de développement durable traduit bien cette nécessité de concilier développement économique et protection de I’environnement »[13]. Ce célèbre dictum de la CIJ appelle deux commentaires. D’une part, qualifié de « concept », le développement durable n’a pas été considéré comme une règle contraignante coutumière qui s’imposerait à l’ensemble des États et par conséquent, il n’existe actuellement aucune obligation pour les États de se « développer durablement »[14]. Mais d’autre part, la Cour évoque tout de même la « nécessité de concilier », ce qui implique que les États déploient divers moyens en vue de lier et de soupeser, dans l’élaboration de leurs politiques, une pluralité de « considérations » ou de « valeurs » associées au développement durable.

Pour opérer une telle conciliation, les États ont progressivement élaboré des lignes directrices, également qualifiées de « principes de développement durable », inscrites dans des instruments juridiques internationaux, contraignants et non contraignants. Bien qu’aucun instrument ne soit officiellement reconnu comme présentant une liste exhaustive de ces principes, l’autorité de certains textes permet d’identifier avec certitude quelques principes généralement associés au concept de développement durable[15].

Deux principes se trouvent d’abord au coeur de ce concept. Le premier est le « principe d’intégration » qui exige une prise en compte des valeurs du développement durable dans l’ensemble des politiques publiques[16], quel que soit le secteur d’activité et quel que soit le niveau d’intervention, international, national, régional ou local. En ce qui concerne la relation entre la culture et le développement durable, le principe d’intégration peut alors être envisagé sous deux angles : d’abord, la prise en compte des dimensions économique, sociale et environnementale du développement dans les politiques et actions culturelles ; ensuite, la prise en compte de la valeur culturelle dans les politiques et activités de développement économique, social et environnemental. Le second est le « principe d’équité », qui se décline en « équité intergénérationnelle », soit le devoir de transmission des ressources du présent aux générations à venir, et en « équité intragénérationnelle » qui vise la satisfaction des besoins des générations présentes par la promotion d’un accès équitable aux ressources naturelles mais aussi culturelles[17].

À ces deux principes fondamentaux du développement durable s’ajoute une série d’autres principes qui dictent des actions en vue d’atteindre le développement durable. Le « principe des responsabilités communes mais différenciées », intimement lié au principe d’équité intragénérationnelle ainsi qu’à l’objectif de réduction de la pauvreté (Barral, 2015), implique par exemple pour tous les États un devoir de coopérer à la réalisation du développement durable, devoir néanmoins ponctué d’une différenciation au niveau des responsabilités que chacun doit assumer en vue d’atteindre cet objectif[18]. Le « principe de précaution », pour sa part, oblige les États à s’abstenir de toute activité susceptible de causer un dommage significatif aux ressources de la planète, même en cas d’incertitude scientifique quant au caractère dommageable de l’activité considérée[19]. Le « principe de conservation et d’utilisation durable des ressources » guide plutôt les États vers l’élaboration de politiques de conservation et d’utilisation de ces ressources d’une manière et à un rythme qui n’entraînent pas leur appauvrissement à long terme, mais qui au contraire, stimulent leur dynamisme et leur régénérescence en fonction de la ressource utilisée, du contexte ainsi que de sa capacité de support et de renouvellement[20]. Enfin, le « principe d’engagement du public », quant à lui, incite les États à démocratiser les processus décisionnels, à garantir le droit d’accès à l’information et à impliquer formellement les citoyens dans l’élaboration, l’exercice et l’évaluation de leurs politiques de développement[21].

De tels principes, longtemps associés à la protection de l’environnement, ont graduellement permis aux préoccupations écologiques de trouver leur place dans les politiques de développement des États, en vue d’atteindre le développement durable. Plus encore, les évolutions récentes en droit international de la culture incitent désormais ces mêmes États à entreprendre des actions précises pour que la culture trouve sa place dans le développement durable et, inversement, pour que les actions menées dans le secteur culturel soient conformes au développement durable. En ce sens, les principes de développement durable ont un rôle important à jouer dans la protection des cultures sous toutes leurs formes. Or, si plusieurs de ces principes occupent une place importante au sein du droit international de la culture, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel leur accorde un statut variable.

Les principes de développement durable dans la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel

Bien qu’elle établisse explicitement un lien entre la culture et le développement durable, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel n’intègre que partiellement les principes de développement durable reconnus par le droit international.

Ainsi en est-il d’abord des principes fondateurs du développement durable, que sont l’équité et l’intégration. S’il est incontestable que la Convention encourage les États à protéger leur patrimoine culturel immatériel en vue d’assurer sa transmission aux générations futures, consacrant ainsi l’équité intergénérationnelle en principe directeur du traité, le principe d’intégration n’est pas formellement incorporé au texte. Certes, un lien d’interdépendance entre nature et culture est partiellement reconnu, en particulier dans la définition du patrimoine culturel immatériel qui englobe « les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers » (note 5, art. 2 (2) (d)). Mais en ce qui a trait aux lieux susceptibles d’être protégés par le traité, seuls les « espaces culturels » sont pris en compte (art. 2 (1)), les espaces « naturels », terreaux fertiles d’évolution du patrimoine culturel immatériel, n’étant pas visés par le régime de sauvegarde. Une telle distinction entre les aspects matériels et immatériels du patrimoine, de même que cette rupture du lien culture-nature pourraient poser quelques difficultés dans la mise en oeuvre de cet instrument juridique[22].

En outre, contrairement à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles qui demande aux États parties d’« intégrer la culture dans leurs politiques de développement, à tous les niveaux, en vue de créer des conditions propices au développement durable » (note 16, art. 13), la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel n’engage pas les Parties sur la même voie. L’intégration demeure pourtant fondamentale, car la sauvegarde d’un patrimoine culturel immatériel menacé ne peut reposer uniquement sur des politiques et actions culturelles, mais doit également être prise en compte dans l’élaboration et la mise en oeuvre d’autres politiques, qu’elles soient territoriales, environnementales, économiques, touristiques, ou autres. Une approche « intégrée » de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel invite en effet à l’implication tous les acteurs, agissant dans tous les secteurs et à tous les niveaux, afin que l’ensemble des politiques puisse tenir compte de la spécificité et de la vulnérabilité de ce patrimoine. En ignorant l’interdépendance des aspects culturels, économiques, sociaux et environnementaux du développement, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ne guide cependant pas les États vers une telle intégration. Le potentiel de retombées économiques que peut engendrer la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel pour une communauté, ou encore la contribution de ce patrimoine au maintien de la cohésion sociale d’un groupe sont pourtant des réalités connues et documentées[23].

Au cours des dernières années, cette lacune du texte de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel a retenu l’attention des Parties et une révision des directives opérationnelles réalisée par le Comité intergouvernemental lors de sa dixième session en 2015 a été inscrite à l’ordre du jour de la Conférence des Parties de juin 2016. Cette révision vise l’ajout d’un chapitre VI consacré à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et au développement durable à l’échelle nationale. Conformément à ce nouveau chapitre des directives opérationnelles, les Parties devront s’efforcer « par tous les moyens appropriés, de reconnaitre l’importance et de renforcer le rôle du patrimoine culturel immatériel en tant que facteur et garant du développement durable, et d’intégrer pleinement la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel dans leurs plans, politiques et programmes de développement à tous les niveaux ». Dans le cadre de ce nouveau chapitre, la mise en oeuvre du principe d’intégration s’appuie sur une série d’énoncés visant notamment à promouvoir un « développement social inclusif » ainsi qu’un « développement économique inclusif ». L’esprit du principe d’intégration imprègne ainsi l’ensemble du nouveau chapitre, une avancée des plus significatives pour l’affermissement de la relation entre le patrimoine culturel immatériel et le développement durable[24].

Au-delà de ce principe d’intégration qui tend à prendre de l’importance dans la mise en oeuvre de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, d’autres principes de développement durable apparaissent en filigrane dans le texte de cet instrument. Ainsi en est-il du « Principe de conservation et d’utilisation durable des ressources », également lié aux principes de « prévention » et de « précaution », lesquels inspirent vaguement l’ensemble des engagements des Parties en matière de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, sans pour autant garantir l’élaboration de politiques s’inscrivant véritablement dans la « durabilité ». La Convention engage en effet les Parties à « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel présent sur son territoire » (note 5, art. 11 (a)), ces mesures pouvant comprendre « l’identification, la documentation, la recherche, la préservation, la protection, la promotion, la mise en valeur, la transmission, essentiellement par l’éducation formelle et non formelle, ainsi que la revitalisation des différents aspects de ce patrimoine » (art. 2(3)). Les États possèdent ainsi une importante marge de manoeuvre quant au choix des mesures de « sauvegarde » à adopter[25]. D’une part, cette marge de manoeuvre est positive puisqu’elle permet à chaque État de choisir les mesures qu’il adoptera en fonction du patrimoine culturel immatériel à sauvegarder, des moyens à sa disposition et de son niveau de développement. D’autre part, cette liberté permet cependant difficilement de garantir l’élaboration d’un plan complet, structuré et efficace de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Ainsi, si l’ensemble des mesures énumérées par la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel véhicule indéniablement un potentiel de préservation du patrimoine culturel immatériel au bénéfice des générations présentes et à venir, les obligations, qui possèdent d’ailleurs un faible niveau de contrainte[26], n’offrent pas les garanties d’une sauvegarde effective et durable de ce patrimoine.

D’autres principes de développement durable imprègnent davantage les engagements inscrits dans la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Il s’agit notamment du « principe d’engagement du public », qui se manifeste non seulement par l’insertion de mesures d’éducation et de sensibilisation auxquelles les parties doivent recourir[27], mais aussi dans leur engagement « d’identifier et de définir les différents éléments du patrimoine culturel immatériel présents sur son territoire, avec la participation des communautés, des groupes et des organisations non gouvernementales pertinentes » (art. 11 (b)). En outre, dans le cadre de leurs activités de sauvegarde, les parties doivent « assurer la plus large participation possible des communautés, des groupes et, le cas échéant, des individus qui créent, entretiennent et transmettent ce patrimoine, et de les impliquer activement dans sa gestion » (art. 15). Cette participation paraît d’ailleurs logique, dans la mesure où le patrimoine culturel immatériel visé par la Convention est précisément celui « que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel » (art. 2 (1)).

Enfin, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel met en place « un mécanisme d’assistance aux États parties dans leurs efforts pour sauvegarder le patrimoine culturel immatériel » (art. 19), ce qui reflète bien l’esprit du « principe des responsabilités communes mais différenciées ». Ainsi, puisque la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel constitue une responsabilité commune, elle incombe à chaque État partie et ce, quel que soit son niveau de développement. L’État concerné doit donc au premier chef « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel présent sur son territoire » (art. 11 (a)) et sa participation au projet doit se faire dans la mesure de ses moyens[28]. Le « principe des responsabilités communes mais différenciées » se reflète également dans la mise en place d’un Fonds pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel dont les contributions sont généralement le reflet des capacités financières des États (art. 25). Aussi, bien que la participation à ce Fonds soit obligatoire pour tous les États parties, traduisant ainsi l’idée d’une responsabilité commune, la contribution de chacun est « calculé[e] selon un pourcentage uniforme applicable à tous les États » (art. 26) selon leur cotisation à l’UNESCO, ce qui donnera lieu à une participation différente selon le PNB de chaque État.

Conclusion

Les États sont de plus en plus nombreux à reconnaître le lien étroit unissant la culture au développement durable et les références à la dimension culturelle du développement durable se multiplient dans les textes qu’ils adoptent[29]. Les instruments juridiques culturels auxquels ils adhèrent devraient par conséquent s’inscrire dans cette mouvance, notamment en incorporant de manière explicite les principes de développement durable reconnus par le droit international et applicables à la protection des cultures (Guèvremont, 2012b). Sur ce point, le texte de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel peut paraître décevant, mais les avancées réalisées dans le cadre de la mise en oeuvre de cet instrument au cours des dernières années pourraient combler certaines lacunes, en reconnaissant, du moins partiellement, le rôle fondamental de ces principes pour l’atteinte d’un développement durable. L’adoption du nouveau Chapitre VI des directives opérationnelles de cette Convention poursuit précisément cet objectif en donnant vie au principe d’intégration, une notion inscrite au coeur même du développement durable.

D’autres avancées de ce type ne pourront qu’être positives pour l’atteinte des objectifs de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Car si l’esprit du développement durable imprègne indéniablement certaines dispositions, en particulier la définition du patrimoine culturel immatériel, les engagements contractés par les États parties ne semblent pas toujours aptes à garantir l’élaboration et la mise en oeuvre de politiques de sauvegarde de ce patrimoine en adéquation avec ce concept. Pour parer à cette lacune, et puisqu’il est peu probable que le traité puisse être amendé dans un avenir rapproché, sans doute serait-il souhaitable que les directives opérationnelles liées à la Convention continuent d’être révisées en vue de donner une portée réelle, et surtout opérationnelle, à tous les principes qui permettent de renforcer le lien profond qui unit la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel au développement durable des sociétés.