PrésentationQue peut l’approche synchronique ? Ou quand le littéraire fait date[Notice]

  • Geneviève Sicotte

Qu’est-ce qu’une date dans l’histoire de la littérature ? Pour une large part, nous sommes encore tributaires d’une pensée où le social, et tout particulièrement le politique, imprime sa marque et ses scansions de manière directe sur l’univers des lettres ; par un glissement insidieux, la date littéraire est bien souvent dans les faits une date politique. Cela commence d’ailleurs avec cette partition de l’histoire littéraire en deux vastes époques, la littérature de l’Ancien Régime et la littérature moderne, en une périodisation reposant davantage sur une pensée mythique de la césure révolutionnaire (et sur la commodité de la relative symétrie séculaire des deux époques) que sur des données objectives liées aux corpus. Et cette primauté du politique sur le littéraire s’accentue et joue systématiquement dans le cas du xixe siècle. Cela est explicable. Rythmé par d’incessantes révolutions et contre-révolutions, marqué par la promotion de doctrines sociales de tout acabit, ayant vu naître la presse et l’opinion publique, ce siècle est non pas plus politique qu’un autre, mais confère au discours politique une présence forte et continue. De là à conclure que la littérature en est influencée, il n’y a qu’un pas, que l’on peut franchir sans trop de précaution puisqu’il est certain que l’oeuvre de Chateaubriand est structurée par la fracture révolutionnaire, que La confession d’un enfant du siècle est un commentaire de la défaite napoléonienne, que Le rouge et le noir porte en sous-titre « Chronique de 1830 », ou que Les châtiments s’érigent contre la figure de Napoléon III. Mais il est banal et pourtant important de le souligner, les « grandes dates », 1789, 1815, 1830, 1848, 1870, n’ont souvent de pertinence directe que pour l’examen des circonstances politiques. La littérature possède sa vie propre, ses événements marquants, ses durées, ses périodes et ses générations singulières. Cela devient d’autant plus vrai à mesure que le champ littéraire s’autonomise et met en jeu des déterminants irréductibles au politique. En effet, s’il y a sans doute d’emblée une hétéronomie des scansions politiques et littéraires, cette hétéronomie tend à s’accentuer tout au long du xixe siècle. L’autonomisation du champ génère une histoire parallèle : la publication d’Atala de Chateaubriand (1801), des Méditations poétiques de Lamartine (1820), la bataille d’Hernani (1830), la sortie d’À rebours de Huysmans (1884), la mort de Victor Hugo (1885) ou d’Émile Zola (1902), l’enquête de Jules Huret (1891) sont autant de moments où, indépendamment de toute autre considération, le littéraire fait date. Nous avons voulu, dans le cadre du présent numéro, examiner une telle date littéraire, date qui d’ailleurs a déjà retenu l’attention des chercheurs : 1857. Au point de vue social et politique, 1857 est une année comme bien d’autres et ne marque pas de rupture particulière. Deux événements sortent de l’ordinaire, il est vrai : la première grande crise économique mondiale éclate cette année-là ; et les badauds inquiets suivent, dans le ciel de Paris, la trajectoire de la comète de Charles-Quint en attendant de voir si elle va leur tomber sur le nez. Sur le front politique, pas d’affrontement, plutôt le calme plat et quelque peu sinistre du Second Empire fermement établi. Et pourtant, en ce qui concerne le monde des lettres, l’année 1857 est sans conteste un étonnant millésime, et cette remarque vaut aussi bien pour l’histoire de la vie littéraire que pour celle des formes. Mille huit cent cinquante-sept, c’est l’année de Madame Bovary de Flaubert, des Fleurs du mal de Baudelaire, des procès intentés à ces deux oeuvres par le procureur Pinard ; c’est l’année des Odes funambulesques de Banville et de La question d’argent …

Parties annexes