Débats

La révolution mallarméenne. Politique et poétiqueJean-François Hamel, Camarade Mallarmé. Une politique de la lecture, Paris, Éditions de Minuit (Paradoxe), 2014[Notice]

  • Giulia Agostini

L’étude de Jean-François Hamel intitulée Camarade Mallarmé. Une politique de la lecture est consacrée à la myriade de « vies posthumes » de Mallarmé. Passant en revue différentes lectures de Mallarmé proposées tout au long du vingtième siècle (de LaNRF et des surréalistes à Badiou, Lacoue-Labarthe, Rancière et Milner), elle se présente tout d’abord comme une contribution importante à cette « autre histoire » de la « réception différée » de Mallarmé évoquée par Bertrand Marchal, que l’on a commencé à écrire il y a quelque temps seulement. Or en retraçant les métamorphoses multiples de la figure du « camarade » Mallarmé (selon l’expression de Jean-Pierre Faye) et en racontant l’histoire inédite de l’« écoute politique de Mallarmé » – « écoute » dont parlait Barthes en 1978 et que Leiris, contrairement au Sartre de Qu’est-ce que la littérature ?, avait perçue dès 1943 lorsqu’il présentait Mallarmé comme un « professeur de morale » enseignant que « l’engagement consiste aussi à savoir se taire » (CM, 26) –, cette étude riche et perspicace adresse également des questions de théorie littéraire, et notamment la question épineuse de l’engagement en matière de littérature. Et comme ce ne sont pas les actes d’écriture, mais au contraire les stratégies de lecture et d’interprétation qui sont visées par Hamel, la question de l’engagement littéraire apparaît de son point de vue comme une véritable « politique de la lecture ». Cette politique, explique-t-il, procède d’une sorte de mécanisme de glissement plus ou moins conscient, « consist[ant] à attribuer à une oeuvre ancienne une signification différée […] qui engage une prise de position idéologique dans le présent » (CM, 34 s.). C’est ce qu’illustrent par exemple les deux politiques de la lecture « diamétralement opposées dans leur rapport au temps » (CM, 35) analysées par Hamel en guise d’introduction contrastive : d’une part la politique de la lecture heideggérienne de Hölderlin, « vis[ant] à articuler le déploiement de l’avenir à la continuation du passé pour fonder l’existence d’une communauté nationale », et d’autre part la politique de Benjamin qui, en lisant Baudelaire, découvre « l’actualité intempestive du passé » et souhaite « briser la continuité de l’histoire et le fil de la tradition » (CM, 34 s.). D’où s’ensuit que toute politique de la lecture relève de l’« invention » : littérature engagée veut toujours dire lecture engagée. C’est donc l’engagement herméneutique des « militants de l’action restreinte » (selon l’expression de Badiou), qui fait tout d’abord apparaître la figure du camarade Mallarmé. Selon l’alternative proposée par Hamel, qui regroupe en deux catégories les différents types d’exégèses de l’oeuvre mallarméenne proposées au cours du siècle dernier, le poète fera office de « terroriste » intransigeant ou sera considéré comme une « taupe » minant secrètement le terrain et préparant de la sorte la révolution imminente. C’est surtout Blanchot qui, se référant à la Terreur dans les lettres de Paulhan et s’opposant en même temps radicalement à ses réflexions des Fleurs de Tarbes, trace le portrait d’un Mallarmé « terroriste », dont le pouvoir, ou plutôt le « contre-pouvoir », relève du plus pur « refus », d’un refus « absolu, catégorique » : À cette lecture blanchotienne d’un Mallarmé terroriste s’ajoute celle de Sartre, qui, sous l’influence de Blanchot, fait apparaître le « terrorisme [mallarméen] de la politesse » (CM, 95), en rupture avec sa propre doctrine de l’engagement. Alors que l’essentialisation blanchotienne fait de la poésie l’expression d’une liberté absolue, Mallarmé reste pour Sartre étroitement lié à sa situation …

Parties annexes