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Il s’avère parfois complexe de planifier des situations d’enseignement et d’apprentissage (SEA) qui, comme le mentionne le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ), exploitent les champs d’intérêt des élèves, respectent les différents rythmes et préférences d’apprentissage tout en s’appuyant sur leurs forces, les ressources disponibles et les acquis de chacun d’eux, et ce, tout en composant avec les différents contextes personnels, sociaux et familiaux. Cette chronique abordera un projet de collaboration entre chercheuses, conseillères pédagogiques et enseignants en classe spécialisée provenant de trois écoles d’un même centre de services scolaire (CSS).

Un programme qui ouvre des portes

Le Programme de formation de l’école québécoise du deuxième cycle du secondaire comporte une partie spécifique au parcours de formation axée sur l’emploi (PFAE) et ses deux volets : la Formation préparatoire au travail (FPT) et la Formation menant à l’exercice d’un métier semi-spécialisé (FMS). Les élèves qui composent les groupes en FMS ont 15 ans et plus et n’ont pas obtenu les unités du premier cycle du secondaire, bien qu’ils fréquentent une école secondaire depuis déjà 3 ans. La réussite du volet théorique (langue d’enseignement, langue seconde et mathématique) ouvre sur un plus grand nombre de possibilités pour l’élève qui persévère dans ses études. En effet, une passerelle permet aux élèves qui ont obtenu les crédits du premier cycle du secondaire d’aller directement dans un centre de formation professionnelle et d’y suivre une formation en lien avec une quarantaine de métiers et d’obtenir un diplôme d’études professionnelles (DEP). Ils peuvent également être scolarisés dans une école à vocation pré-DEP qui les mènera ensuite vers le DEP de leur choix. La réussite des élèves dans les matières de base en FMS devient donc un enjeu important pour les enseignants de ces groupes.

Répondre aux besoins diversifiés des élèves

Au centre de services scolaire des Patriotes (CSSP), le service des ressources éducatives met tout en oeuvre pour accompagner les enseignants du secondaire, afin qu’ils puissent mettre en oeuvre une différenciation pédagogique centrée sur les capacités et les besoins des élèves. Les groupes FMS sont composés d’élèves à besoins très diversifiés. Pour les enseignants de ces groupes, répondre à ces besoins et soutenir l’engagement et la motivation des élèves constitue un défi important. Cette grande diversité amène parfois les enseignants à élaborer des plans de travail individualisés, ce qui peut avoir un effet démotivant pour plusieurs. Dans une recherche de Rousseau et Bergeron (2017), la parole a été donnée aux élèves du PFAE. Or, ceux-ci mentionnent que la redondance des apprentissages scolaires engendre peu de motivation de leur part. De plus, ils affirment que les activités proposées ne suscitent pas le plaisir d’apprendre (« s’amuser » ou « faire des activités agréables ») (Rousseau et Bergeron, 2017, p. 142).

Soutenir le plaisir d’apprendre

Comme conseillère pédagogique des parcours de formation axée sur l’emploi, j’avais à coeur de collaborer avec les enseignants en FMS pour les soutenir dans la mise en place d’activités de groupe pouvant être différenciées pour répondre aux besoins des élèves. Or, une collaboration avec une chercheuse de l’UQAM, France Dubé, a permis d’obtenir du soutien financier dans le cadre d’un Projet de partenariat en adaptation scolaire du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, visant notamment la mise à l’essai de nouvelles approches et pratiques pédagogiques. Cette recherche-action avait donc pour objectif de planifier de manière concertée la différenciation pédagogique pour mieux répondre aux besoins diversifiés des élèves du secondaire.

Dans une synthèse des connaissances liées aux approches ou pratiques à adopter afin de favoriser le développement de la compétence à lire et à écrire en tenant compte de la diversité des élèves au secondaire, Dubé, Ouellet et Dufour (2019) affirment que des approches d’enseignement explicites, différenciées et collaboratives favoriseraient l’engagement des jeunes dans la tâche ainsi que leur motivation. Ainsi, depuis décembre 2019, des rencontres mensuelles entre chercheuses, enseignants et conseillère pédagogique ont permis de planifier et mettre en oeuvre plusieurs SEA différenciées et collaboratives qui considèrent d’abord les champs d’intérêt des élèves tout en respectant les contenus à enseigner selon ce qu’ont ciblé les enseignants. De plus, les SEA codéveloppées visent à engager les élèves dans leur apprentissage en suscitant leur intérêt avec le souci constant de donner du sens aux apprentissages en tissant des liens avec des repères culturels riches et signifiants. Ceci permet aux élèves de s’ouvrir sur le monde tout en soutenant leur plaisir d’apprendre et en offrant à l’enseignant l’opportunité de jouer son rôle de médiateur d’éléments de culture, tel que décrit dans le référentiel de compétences de la profession enseignante (MEQ, 2020).

Les retombées sur les élèves et sur les enseignants

Le projet tire à sa fin, mais de belles retombées sont constatées ! Les groupes FMS ne sont pas si nombreux dans les centres de services scolaires et sont parfois dispersés dans plusieurs écoles secondaires afin de répondre aux besoins des élèves provenant de tout le territoire du CSS. Ainsi, pour les enseignants participant à la recherche-action, les rencontres mensuelles (bimensuelles depuis mars 2021) ont d’abord été une occasion privilégiée de développer un réseau de collaboration entre eux. Bien que structurées, les rencontres laissaient une grande place aux échanges et au partage du vécu en classe afin de coconstruire des activités pédagogiques qui tiennent compte des différents contextes d’enseignement-apprentissage. Au fil des mois, un climat de confiance et d’échanges a permis à chacun de mettre à l’essai les SEA codéveloppées tout en les personnalisant pour leur groupe d’élèves. Au début de chaque rencontre, les enseignants partageaient leurs expériences de pilotage des SEA réalisées depuis la dernière rencontre. Avec des SEA comme « Mes valeurs, j’y tiens ! », « L’unité dans la diversité » ou « À chaque problème sa solution ! », les disciplines du volet théorique ont été abordées de même que les domaines généraux de formation comme « Vivre ensemble et citoyenneté ». Ainsi, nous avons vu poindre des activités collaboratives qui se sont installées sur une base régulière. Bien qu’elle ne soit pas toujours facile à instaurer, lorsqu’elle est accompagnée, la collaboration est de toute évidence un facteur de motivation pour les élèves. Cependant, force est de constater que cette collaboration doit être enseignée, modélisée et mise en oeuvre dans des pratiques quasi quotidiennes. Les effets positifs sur les élèves se font déjà sentir : motivation, assiduité, engagement, confiance en soi et même, moins de gestion de classe pour l’enseignant. D’ailleurs, ceux-ci témoignent des effets positifs sur leur propre développement professionnel. L’une des participantes mentionne avoir un meilleur sentiment d’efficacité personnelle, constatant les effets bénéfiques de la collaboration sur l’engagement de ses élèves bien sûr, mais surtout sur leur sentiment de compétence. Lors d’une des dernières rencontres, les participants ont mentionné à leur conseillère pédagogique qu’ils souhaitaient poursuivre cette collaboration l’an prochain, malgré la fin du financement, démontrant ainsi toute sa pertinence.

Conditions gagnantes à la mise en place d’un tel projet

Pour conclure, il nous apparaît important de nommer quelques conditions gagnantes à la mise en oeuvre de ce projet. Le financement obtenu a contribué à la reconnaissance du temps des enseignants engagés dans le projet. Cette reconnaissance constitue un atout important pour les enseignants afin de ne pas alourdir leur tâche. En outre, toutes les rencontres ont eu lieu par visioconférence via la plateforme Teams, ce qui simplifiait aussi l’organisation des rencontres. Tous les documents proposés ou codéveloppés étaient déposés sur cette plateforme collaborative et numérique, qui permettait aussi de converser, si nécessaire. La durée du projet, sur deux ans, a permis de mettre en place un climat de confiance qui a certes facilité le travail collaboratif des élèves, mais également celui des enseignants. À la lumière de ces constats, les participants soulignent que les SEA différenciées et collaboratives font toute la différence auprès des élèves qui ont, au sein de leur groupe, des besoins et intérêts diversifiés.