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La recherche en didactique du français langue d’enseignement met de l’avant une approche dite articulée, où l’interrelation entre la langue et le discours est volontairement explicitée par l’enseignant.e (Buela Bronckart et Garcia-Debanc, 2022). Elle s’oppose à une vision en silos, où chaque composante du français est envisagée distinctement, et où on souhaite que les transferts et réinvestissements s’effectuent sans explicitation. Cette vision en silo, bien que répandue, s’avère peu efficace. Par l’enseignement articulé, notamment en articulation lecture-écriture-grammaire (ALEG), on vise à ce que les élèves puissent développer des savoirs et savoir-faire grammaticaux, qu’ils et elles sachent mettre à profit ces derniers pour l’écriture et la lecture de textes, et qu’ainsi, ils et elles stimulent le développement d’un rapport positif à la grammaire, par une transformation de leurs conceptions. En contrepartie, la mise à profit des textes lus et écrits leur permet de construire une représentation du système langagier complexe et critique, où les règles et normes sont inévitablement contextualisées et discutées dans des situations authentiques.

Prenons par exemple les règles de déplacement du complément de phrase. Un enseignement grammatical purement cloisonné consisterait à effectuer un possible rappel des groupes constituants de la phrase de base, à s’adonner à un enseignement des règles de ponctuation inhérente au déplacement du groupe et à faire une possible exercisation au sein d’exercices balisés par exécution de la règle apprise. Or, l’enseignement grammatical ainsi décontextualisé permet peu de transferts en situation de compétences, et si ceux-ci s’avéraient, de manière implicite, il en résulterait une maitrise permettant uniquement d’éviter les erreurs de ponctuation. En articulant, on peut aussi voir l’effet de tels déplacements à la lecture d’un texte, tant sur la compréhension que sur l’appréciation du style. L’ALEG permet également un réinvestissement comme scripteur, où de tels déplacements peuvent être réinvestis avec intention. Bref, c’est l’occasion d’établir des liens pertinents et bénéfiques entre le travail grammatical et celui autour de la lecture et de la production textuelle.

Dans le cadre d’une recherche collaborative[1],nous avons développé un modèle d’accompagnement des équipes enseignantes visant à planifier des séquences didactiques d’articulation de la lecture, de l’écriture et de la grammaire (ALEG) autour d’oeuvres de littérature jeunesse. Nous vous en présentons ici succinctement les principales étapes.

1. Ajuster sa perspective de macroplanification

Un simple regard aux contenus de la progression des apprentissages peut rapidement décourager les enseignant.e.s d’accorder du temps à une séquence articulée, même si celle-ci peut varier dans la durée. En effet, l’élaboration d’une séquence implique une double maitrise : maitrise des connaissances déclaratives (objets d’enseignement) et maitrise des connaissances procédurales (planification : phases et processus). Toutefois, si on regarde ceci de plus près, on voit que plusieurs contenus sont interreliés, et qu’une même séquence « couvrira » plusieurs contenus d’apprentissage à l’étude. La séquence permet donc d’établir des liens d’une activité à l’autre et d’offrir une cohérence à l’ensemble des apprentissages. L’enseignement articulé vise également à développer des savoirs et savoir-faire qui seront plus signifiants et durables, et ainsi éviter des redites année après année. Finalement, l’ALEG oblige à se questionner sur les savoirs essentiels et sur l’intérêt de leur enseignement/apprentissage, ce qui mène inévitablement à une sélection réfléchie des apprentissages visés.

2. Déterminer son intention didactique

L’ALEG n’est pas une fin en soi, et le fait d’y avoir recours doit être en relation avec une intention didactique précise. On peut par exemple vouloir amener les élèves à pouvoir utiliser explicitement les subordonnées relatives dans le cadre d’écriture de textes descriptifs, ou encore à savoir exploiter les organisateurs textuels afin de les amener à comprendre un texte explicatif. Cette intention didactique constitue ainsi le fil conducteur de l’ensemble des activités et oriente fortement le choix des textes et des dimensions à travailler.

3. Déterminer le point nodal

Les séquences d’ALEG sont souvent orchestrées autour d’un genre textuel. En effet, le genre est un puissant outil didactique qui est porteur de régularités et qui offre ainsi aux élèves des repères facilitateurs des apprentissages qu’ils réalisent. Cela dit, une séquence pourrait aussi s’organiser autour d’un ou plusieurs textes courants ou littéraires reliés par une thématique (exploitant plusieurs séquences à dominantes distinctes), ou autour d’une notion grammaticale que l’on peut aborder au sein de plusieurs genres ou de plusieurs textes appartenant à un même genre. Bref, ce point nodal sera en relation étroite avec l’intention didactique préalablement déterminée.

4. Choisir une finalité à la séquence

L’enseignant a bien sûr une intention didactique, mais à quoi, concrètement, mènera cette séquence ? Trop souvent, les séquences didactiques ne sont envisagées qu’autour d’une finalité évaluative. Certes, on peut imaginer qu’une évaluation de compétence sera envisagée à la fin de la séquence (voir étape 6). Toutefois, une finalité signifiante, par exemple par la production d’un écrit authentique, par la participation à une activité culturelle, par la participation à un cercle de lecture, etc., peut constituer un puissant motivateur qui transcende les finalités évaluatives de sanction.

5. Choisir ses principales activités d’enseignement-apprentissage et en déterminer l’ordre et le déroulement

Quelles sont les activités qui permettent de répondre à l’intention didactique ? Certaines peuvent être spécifiques au développement d’une compétence ou à l’acquisition de savoirs grammaticaux visant la compréhension du système langagier. Les apprentissages issus de ces activités structurantes seront par la suite réinvestis au sein d’activités contextualisées, où les savoirs grammaticaux seront mobilisés en situation de compétences.

Évidemment, ces activités devront être organisées de manière à respecter une progression vers l’autonomisation des élèves, de même que l’atteinte de la finalité de la séquence. Il pourrait être aussi important de mettre en place, notamment dans le cadre des séquences, des formes sociales de travail qui favorisent des discussions et réflexions chez les élèves.

6. Conjuguer l’évaluation à l’intention didactique

Trop souvent, l’évaluation est l’enfant pauvre de l’ALEG. Ainsi, on évalue distinctement l’acquisition des savoirs grammaticaux au sein d’épreuves qui ne tiennent pas compte de l’utilisation de ces savoirs en situation d’écriture ou de lecture. Inversement, l’évaluation des compétences, en particulier de la compétence à écrire, exclut la rétroaction sur l’objet d’apprentissage ciblé, et est habituellement construite selon la même structure que la grille des évaluations ministérielles. Il devient alors difficile pour les élèves de comprendre comment cet apprentissage bonifie le développement de compétences.

Comment y arriver ?

Enseigner en ALEG demande une certaine maitrise des connaissances déclaratives et procédurales, car la planification ne peut être organisée uniquement de manière séquentielle. Il est donc pertinent d’envisager celle-ci une fois l’expérience acquise à l’enseignement d’un niveau scolaire, ou d’avoir le soutien d’enseignant.e.s d’expérience. Bénéficier de l’accompagnement d’une équipe-niveau, d’un.e conseillèr.e pédagogique ou d’autres personnes expertes peut également favoriser l’implantation d’une planification en ALEG. Des ressources didactiques publiées ou en ligne peuvent finalement servir d’exemples[2].

Comme pour toute actualisation des pratiques, davantage de temps est au départ requis pour la formation et la planification. C’est pourquoi nous suggérons d’envisager le développement d’une séquence didactique à la fois, plutôt qu’une révision complète de la planification annuelle. Il sera par le fait même plus facile d’observer les résultats en les comparant à d’autres pratiques d’enseignement plus cloisonnées.