Notes critiques

Une brève étude d’une biographie du Buddha, le Lalitavistara sūtra[Notice]

  • André Couture

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  • André Couture
    Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval, Québec

À propos de La vie du Buddha. Lalitavistara sūtra outra du développement des jeux [du Bodhisattva], iie-viie siècle après J.-C., commentaire de Guillaume Ducoeur, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg (coll. « Classiques d’ailleurs/Commentaire »), 2018, 156 p.

Comme l’a déjà bien montré André Bareau, certains épisodes de la vie du Buddha ont depuis longtemps fait partie des premières collections de textes canoniques (Sūtra et Vinaya) avant de se trouver peu à peu réunis en biographies autonomes, mais partielles, en gros à partir du siècle qui a précédé l’ère chrétienne. Le Lalitavistara est l’une de ces biographies partielles qui s’est constituée en milieu mahāyāna, probablement au cours du iie siècle après J.-C. Ce livre s’est vraisemblablement inspiré des fragments de biographie contenus dans les textes canoniques ; on pense qu’il a dû également puiser dans les cycles d’épisodes liés à des lieux de pèlerinage spécifiques, comme Kapilavastu, le lieu de la naissance du Buddha, Bodhgayā, le lieu de son éveil, et Sārnāth, le lieu de son premier sermon. Ce sūtra, dont la première traduction complète à partir du texte tibétain a été réalisée par P.É. Foucaux en 1847-1848, a fait l’objet de diverses études ou essais d’interprétation. Le petit livre qui vient d’être publié par Guillaume Ducoeur est un commentaire basé sur le texte sanskrit et ses deux traductions chinoises anciennes (en 308 et 683 après J.-C.). Il est écrit dans une collection dont le format ne permet pas de longues discussions. Il aborde brièvement la question du genre littéraire de ce livre, celle de sa structure, de ses sources textuelles et mythologiques, et en étudie certains thèmes récurrents. Il s’agit d’un livre dans l’ensemble bien informé, facile à lire, et qui réunit une documentation souvent peu accessible. Pour comprendre la visée du Lalitavistara, on retiendra que cette biographie n’avait au point de départ aucune prétention historique : « La vie du fondateur telle qu’elle est narrée dans ce sūtra est une construction littéraire qui a pour objectif premier d’exposer les fondements de la doctrine » (p. 54). Le Buddha y devient un religieux archétypal qui est un modèle à suivre par tous les futurs moines bouddhistes. La doctrine qu’on y découvre coïncide avec celle qu’on trouve dans d’autres sūtramahāyāna (voir p. 54-55, 66-72). N’étant pas moi-même spécialiste du bouddhisme, je me contenterai de prendre le train en marche et de proposer sans prétention les remarques qui me viennent en tant que lecteur attentif du Harivaṃśa [HV], un complément à l’épopée du Mahābhārata [Mbh] datant probablement des iie-iiie siècles de notre ère, un livre parallèle hindou visant à présenter une biographie du dieu Kṛṣṇa répondant aux attentes des dévots de cette divinité et susceptible de répondre aux interrogations des lecteurs du Mbh. Ducoeur mentionne d’ailleurs explicitement l’intérêt scientifique qu’il peut y avoir à rapprocher le Buddha du mahāyāna du Kṛṣṇa de l’épopée, et indirectement le Lalitavistara du Harivaṃśa (voir en particulier p. 101-104). Il se fonde entre autres sur Émile Senart (1847-1928) qui, dans un célèbre essai sur la légende du Buddha, avait déjà noté que « la figure du Buddha du Lalitavistara empruntait à celles du Puruṣa-Viṣṇu et de Kṛṣṇa-Viṣṇu » (p. 103). Les suggestions qui suivent porteront tour à tour sur le contexte général de dévotion ou bhakti dans lequel ce livre évolue, la place des divinités dans ce contexte, la question de la « descente » du Bodhisattva dans le monde des humains et finalement le problème de la traduction du mot vyūha. Une première remarque concerne le contexte général de bhakti, qui est celui du livre bouddhique autant que du livre hindou. Le personnage dépeint dans le Lalitavistara est un bodhisattva, c’est-à-dire un être destiné à l’éveil. On lui donne dès le premier chapitre le titre de « Bhagavant », laissé tel …

Parties annexes