Timothée Léchot
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Résumé
Aux xviie et xviiie siècles, les extraits constituent le type d’article privilégié de nombreux périodiques qui, sur le modèle du Journal des savants, rendent compte des livres parus dans les différents domaines des lettres. En étudiant la manière dont les journalistes francophones définissent l’extrait et ses principales fonctions dans l’espace médiatique, nous verrons que ce genre est au centre d’un faisceau de tensions qui mobilisent une éthique de la lecture et une déontologie journalistique en plein développement. On se demande alors notamment si l’extrait doit contenir une critique impartiale, ou s’il peut servir d’instrument de promotion au libraire, voire à l’auteur de l’ouvrage recensé. De telles réflexions situent l’extrait à l’intersection de l’histoire du livre, de la presse, de la lecture et de la critique.
Laurel Brake
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Résumé
Dans la Grande-Bretagne du 19e siècle, le commerce du livre se caractérise entre autres par l’essor de l’objet livre bon marché et son incidence sur les pratiques de lecture. En parallèle, on observe une hausse du taux d’alphabétisme et du nombre bibliothèques de prêt, une popularité grandissante des ouvrages de fiction en général et du roman en particulier, et un boum sans précédent du côté de la presse, stimulé par l’abrogation de la taxe sur les feuilles de journaux, la publicité et le papier entre 1855 et 1861. La conjugaison de ces éléments forge l’interdépendance entre le livre et la presse périodique. Ces liens se manifestent sous des formes très variées – livraisons d’extraits de livres dans des magazines, publications en série, romans en trois volumes, collections ou « bibliothèques » de réimpressions bon marché –, avec les différences que cela suppose du point de vue de l’édition. Cet article s’intéresse au phénomène de la « re-médiation » entre livre et feuilleton, c’est-à-dire au mouvement d’aller-retour entre l’article de périodique et l’oeuvre de fiction, puisqu’il est fréquent à l’époque que les périodiques publient des critiques de livres, généralement accompagnées de longs extraits. Nous soutiendrons que certains auteurs, scientifiques et historiens britanniques de renom, se font en quelque sorte journalistes, leurs écrits émaillant le discours populaire et littéraire. Les « auteurs » sont également rédacteurs en chef, voire propriétaires de revues; de leur côté, les éditeurs fondent des revues rattachées à leur maison, moyen de mettre sous contrat des auteurs qui recevront dès le départ une rémunération puis verront par la suite leur livre être publié. Enfin, nous examinerons l’incidence qu’a la publication sérielle sur la forme narrative du livre qui en découle, que celui-ci soit de fiction ou non.
Mélodie Simard-Houde
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Résumé
Au début du xxe siècle, l’invention de l’aviation a fasciné les foules et suscité un important continent d’écrits documentaires (reportages, témoignages, souvenirs de pilotes, histoires vulgarisées, biographies). Afin d’approfondir la connaissance de cette production et les liens qu’elle révèle entre la presse et l’édition dans la France des années 1908 à 1945, cet article tente une cartographie de la littérature aéronautique documentaire. Celle-ci s’intéresse principalement, d’une part, aux profils-types, aux trajectoires et aux réseaux sociaux des médiateurs (écrivains, journalistes et aviateurs), et, d’autre part, aux lieux éditoriaux qu’ils investissent, notamment les collections thématiques et spécialisées. De ce recensement émerge le rôle de la ligne idéologique et des réseaux politiques d’extrême-droite chez les éditeurs (Baudinière et les Nouvelles Éditions latines) qui ont le plus investi la littérature aéronautique.
Jean-Michel Gouvard
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Les petits poèmes en prose réunis dans Le Spleen de Paris ont été composés à la toute fin des années 1850 et dans la première moitié des années 1860, une période où la presse connaît un réel essor et une profonde transformation. De plus, ces textes ont été pour la plupart d’entre eux publiés dans des revues et des journaux. Or, il est possible de montrer qu’il y a eu une double influence de la presse sur la genèse des petits poèmes en prose. D’un côté, les conditions matérielles dans lesquelles travaillaient les journalistes se reflètent pour partie dans la thématique du recueil, dans la mesure où Baudelaire y puisait des représentations propres à nourrir sa réflexion sur le statut du poète et de la poésie dans la société moderne. D’un autre côté, les pratiques d’écriture et les contraintes génériques des différents genres journalistiques se retrouvent en partie dans les poèmes du Spleen de Paris, même si l’on ne saurait réduire ces textes à des articles de journaux.
Jérémy Naïm
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Si deux textes disent littéralement la même chose mais qu’ils sont publiés sur deux supports différents, ont-ils encore le même sens? Cette vieille question que Borges avait posée à propos de Pierre Ménard, le présent article la repose à partir d’une nouvelle de Maupassant. On y verra entre autres choses que nos principaux outils d’analyse sont fondés sur une illusion rétrospective, qui, partant de ce que les oeuvres littéraires auraient toujours été pensées pour le livre, a donné à croire que celui-ci était un support neutre, sans contrainte ni influence.
Alexia Kalantzis
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Le recueil de chroniques apparaît comme un terrain d’expérimentation privilégié pour les écrivains fin-de-siècle. L’étude de sa genèse montre le fonctionnement des transferts médiatiques et l’hybridité générique qui en découle : les textes circulent d’un média à l’autre entre le journal, la revue et le livre et empruntent des traits à ces divers modèles éditoriaux. La chronique oscille entre journalisme et littérature, elle s’incarne en de multiples microformes dans lesquelles s’exerce tout l’art de l’écrivain. L’effet-recueil tend à figer ces formes et à leur faire perdre de leur richesse, mais le jeu qu’il instaure entre unité et fragmentation en fait une oeuvre hybride, résolument moderne.
Liliana Rizzuto
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Résumé
L’oeuvre de la journaliste Françoise a été maintes fois étudiée, mais jamais sous l’angle de ses supports. De la chronique à la revue, en passant par le recueil, la somme des publications de l’écrivaine donne à voir les différentes appropriations possibles de la forme médiatique, en même temps que la problématique catégorisation des textes en fonction de leur seul mode de diffusion. Alors que la « Chronique du lundi », malgré sa mise en recueil, apparaît comme un genre dépendant du contexte journalistique, le Journal de Françoise se lit sinon comme un livre, du moins comme une anthologie. L’hybridité et les contradictions qui caractérisent les textes de Françoise dévoilent différentes facettes de l’auteure, ni journaliste littéraire, ni écrivaine journalistique, mais femme de lettres bien de son temps.
Charlotte Biron
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Le présent article cherche à décrire les usages des supports du livre et du journal chez Albert Laberge et Damase Potvin. Il s’agit d’interroger la manière dont ces derniers ont conçu et mené la publication de leurs textes en livres et en périodiques, en fonction des contraintes éditoriales d’un milieu littéraire marqué par l’idéologie du terroir. L’article éclaire à la fois les prescriptions entourant l’objet littéraire de l’époque et les stratégies diamétralement opposées des deux écrivains-journalistes en s’attachant, d’une part, à l’influence du support journalistique dans la construction du seul roman de Laberge, La Scouine, publié en journal, puis en tirage limité de 60 exemplaires; et, d’autre part, à l’abondance de la production livresque et journalistique de Damase Potvin, partisan de la veine régionaliste. Ces aspects de leur production permettront non seulement de circonscrire les démarches inversées de Laberge et Potvin, mais également de saisir l’importance distincte de deux supports, le journal et le livre, pour la littérature de l’époque.
Stéphanie Bernier
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Salué par la critique et récompensé pour son oeuvre, Robert Choquette est l’un des poètes canadiens-français les plus reconnus de sa génération. Parallèlement à sa production poétique, l’écrivain fait figure de pionnier dans l’écriture radiophonique. Existe-t-il un fil conducteur entre ces deux moments de la trajectoire de l’écrivain, entre la littérature « traditionnelle » et celle d’une modernité médiatique? Comment s’articule chez Robert Choquette le passage du médium livre à celui de la radio? Le noeud de ce basculement se trouve à notre avis dans la décennie 1930. À ce moment, Choquette fait non seulement ses premiers pas à la radio, mais il occupe également le poste de directeur littéraire de La Revue moderne. Son travail à la revue constitue d’après nous un moment décisif dans le déploiement d’une oeuvre « intermédiatique », révélant l’étonnante polyvalence d’une production capable de s’adapter à différents supports. Dans cet article, nous proposons d’étudier l’influence de ces trois médiums (livre-revue-radio) sur la production des années 1930 de Robert Choquette, à la lumière d’une poétique historique des supports, telle que théorisée par Marie-Ève Thérenty.