Depuis déjà un certain temps, l’idée d’un Moyen Âge qui serait une période « sombre » de notre tradition historique est rejetée par de nombreux chercheurs, le préjugé sans fondement de cette prétendue « obscurité » n’étant pas propre au monde médiéval, mais plutôt au spectateur qui le considère d’une position erronée. Nelson Cartagena fait clairement partie de ceux qui combattent ce préjugé, en nous offrant un échantillon hautement significatif de la façon dont la pratique de la traduction a été gérée à la « lumière » des réflexions que nous trouvons chez les traducteurs hispaniques des XIVe et XVe siècles. Cette étude couvre le catalan et le castillan, le catalan étant mieux représenté pour le XIVe siècle et le castillan pour le XVe siècle. Il s’agit là d’une étape cruciale pour le développement de ces langues comme langues de culture, une étape, le Moyen Âge, d’une intense activité traductologique pour la Péninsule ibérique. L’ouvrage de Cartagena a d’abord pour objectif d’apporter des témoignages documentaires de ces réflexions. Ensuite, l’intérêt fondamental de cette étude est d’illustrer à quel point un principe général (une norme) se manifeste dans un contexte historique particulier. On peut formuler ce principe général de la manière suivante : la traduction en tant que pratique culturelle implique toujours une prise de conscience de sa signification. En effet, l’on sous-entend que la (bonne) pratique de la traduction ne peut exister sans une théorie implicite ou explicite. Nous prenons ici le terme « théorie » dans un sens général qui inclut toute position critique ou évaluative concernant le processus et le produit de la traduction, ainsi que le but ultime ou la motivation primaire du traducteur. Les traducteurs hispaniques médiévaux confirment de manière évidente cette règle générale. Nelson Cartagena souligne leur exceptionnel effort d’intellectualisation d’une langue cible de traduction qui explore encore ses possibilités expressives dans l’écriture et pour différents domaines thématiques. Ce processus d’intellectualisation des langues vernaculaires fut, en grande partie, redevable au sujet traducteur, il en fut aussi sa responsabilité et sa réussite. En plus de la prise de décisions individuelles, il existe évidemment un contexte historique qui conditionne cette dernière et dont les sujets traducteurs sont tout à fait conscients quand ils apprécient ou, au contraire, corrigent les stratégies ou les solutions qui les ont précédées. Il s’agit là d’une coopération intense, s’enchaînant entre générations, qu’illustre parfaitement cette anthologie de textes ou, plutôt, d’ « indispensables paratextes » (Bastin 2010) dans lesquels les traducteurs éclairent leur position propre face aux processus historiques de modélisation des langues vernaculaires dont ils sont des acteurs importants. Les textes ou les paratextes recueillis dans cet ouvrage montrent quelles sont les différentes dimensions, textuelles, culturelles et personnelles de la pratique de la traduction. On est surpris d’y constater à quel point certaines questions, actuellement placées au centre des débats théoriques, ont déjà été ici entrevues ou explicitement formulées. Si l’on considère, à titre d’exemple, la conceptualisation du traducteur en tant que médiateur de la communication, il est possible de constater sa manifestation claire dans le modèle épistolaire dans lequel le paratexte traductologique s’inscrit fréquemment, que ce paratexte soit lui-même une lettre ou non. Dans l’Antiquité et le Moyen Âge, la question de savoir pour qui l’on traduit ou, plus génériquement, pour qui l’on écrit, a été littéralement, c.-à-d. épistolairement, résolue. La traduction, comme l’écriture en général, tend à prendre, en principe, la forme d’une communication interpersonnelle. Le destinataire de la traduction n’est pas un groupe indéfini de lecteurs potentiels, mais une personne connue du traducteur ou un cercle de gens proches de cette dernière et …
Parties annexes
Bibliographie
- Bastin, Georges L. (2010) : Traduction et histoire. Les indispensables paratextes. In : Juan Carlos de Miguel y Canuto, Carlos Hernández Sacristán, et Julia Pinilla, eds. Enfoques de Teoría, Traducción y Didáctica de la Lengua Francesa. Estudios dedicados a la Profesora Brigitte Lépinette. Valencia : Universitat de València, 47-59.
- Chesterman, Andrew (2008) : Ethics of renarration : Mona Baker is interviewed by Andrew Chesterman. Cultus. 1(1):10-33.
- Chesterman, Andrew (2009) : The Name and Nature of Translator Studies. Hermes – Journal of Language and Communication Studies. 42:13-22.
- Pym, Anthony (1997) : Pour une éthique du traducteur. Arras/Ottawa : Artois Presses Université/ Presses de l’Université d’Ottawa.