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Même si l’appellation de « dynasties » devrait être réservée aux familles princières, elle est couramment utilisée pour des familles d’affaires dont les membres ont créé, dirigé et contrôlé l’entreprise sur au moins deux générations. Ici, l’auteur décrit de manière successive sept marques dont seules trois sont restées contrôlées par la famille fondatrice : Chanel, Hermès et Ferragamo. Le style du livre est romanesque. Il narre les aventures des créateurs et de leur famille et cela avec des effets qui rendent la lecture agréable, bien que pas toujours précise. Il reste que cet ouvrage nous permet de comparer les trajectoires de trois grandes firmes de luxe encore familiales. Quels enseignements peut-on tirer ? Dans les trois cas, il s’agit de réussites internationales, fondées sur des stratégies d’intégration verticale avec contrôle de la fabrication et des fournisseurs mais surtout avec des changements d’échelle progressifs et autonomes. La description de ces ouvertures capitalistiques est un des grands intérêts de ce livre.
Prenons la société des parfums Chanel créée en 1924 et détenue à 90 % par Pierre Wertheimer (1888-1965) sur la lancée de la reprise avec succès des parfums Bourjois. Anticipant les politiques de spoliations des biens juifs en France, il choisit en 1938 de céder ces parts à l’avionneur Felix Amiot sans en parler à Gabrielle Chanel qui cherchera, en collaborant, à récupérer sans succès l’entreprise. Après10 ans d’exil en Suisse, elle accepte de céder ses parts pour un franc symbolique en échange de 2 % des bénéfices. La fermeture du capital de Chanel sur la famille Wertheimer est totale.
Dans le cas d’Hermès, l’ouverture se fait avec une confédération de cousins, de tantes et d’affiliés sur la quatrième et cinquième génération. Le verrouillage repose assez classiquement sur une société en commandite par actions créée en 1989 par Jean Claude Dumas (1938-2010). Cependant Yann Kerlau se demande fin 1992 pourquoi faire une introduction en bourse sur 25 % du capital et ne pas avoir tenu compte des leçons de Guerlain (voir p.314-315), alors même que la trésorerie importante permettait l’expansion ? Patrick Thomas (1947-), premier non affilié familial prend la tête de l’entreprise en 2006.
Enfin, Salvatore Ferragamo (1898-1960) crée en Californie une entreprise de chaussures qui est maintenant diversifiée dans laquelle la veuve, la deuxième et troisième génération jouent leur rôle. Pourtant à l’été 2006, rompant avec la tradition de gestion strictement familiale, Michele Norsa (1948-) est nommé directeur général et ouvre largement le capital au marché boursier.
Qu’est ce qui pousse ces entreprises pourtant très profitables à s’ouvrir hors des frontières familiales : un certaine créativité émoussée au fil des générations, un management de profession ? Autant de questions en suspens qui nous rappellent que les entreprises, même de luxe, ne passent pas toujours facilement la frontière symbolique des trois générations !