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Dans son rapport annuel « PME 2016 », BPI France considère que la transmission d’entreprise constitue « un enjeu économique de premier ordre pour le tissu productif français » (p. 40). Au Québec, 23 % des chefs d’entreprise ont l’intention de transmettre leur entreprise dans les deux prochaines années (Cadieux, Lecorne, Gratton et Grenier, 2020). Ces enjeux macro-économiques et socio-démographiques concernent l’ensemble des pays développés (OCDE, 2018). À un niveau plus organisationnel ou managérial, des enjeux personnels affectent les protagonistes de ces opérations (Cadieux et Brouard, 2009) particulièrement lorsqu’elles concernent les reprises externes (rachat par un tiers sans lien préalable avec l’entreprise reprise, Deschamps, 2018). Ces reprises se situent en effet à l’intersection entre la sphère privée et la sphère professionnelle (puisque les parties prenantes sont des personnes physiques dont les enjeux personnels et professionnels des cédants et des repreneurs sont particulièrement marqués) (Lamarque et Story, 2018).

Praticiens et chercheurs soulignent l’importance de la phase de négociation, point charnière dans le processus de reprise d’entreprise (Deschamps, 2002; Meier et Schier, 2009). C’est en effet cette étape qui marque soit le début de la reprise, soit l’arrêt du processus de préparation, c’est-à-dire quand le candidat à la reprise n’a aucun lien préalable avec l’entreprise ciblée – Deschamps, 2018 du moins avec les interlocuteurs de l’entreprise identifiée (Deschamps et Paturel, 2009). La négociation d’une reprise d’entreprise est difficile à étudier, car elle est très confidentielle (Bornard et Thévenard-Puthod, 2009). Dans cet article, nous cherchons à lever cette confidentialité en nous attachant au point de vue du repreneur. En nous appuyant sur les écrits sur la négociation, qui en décrivent les étapes du processus et les stratégies des acteurs (Dupont, 1994; Lempereur et Colson, 2010; Bellenger, 2015; Guedj, 2015), nous cherchons à comprendre les stratégies du repreneur lors de la négociation d’une reprise externe d’entreprise. Au-delà d’approfondir une étape jusque-là méconnue du processus repreneurial global, nous montrons que le repreneur use de plusieurs stratégies de négociations, dans une logique de coopération, afin de faire aboutir le processus dans les meilleures conditions puisque la poursuite des relations entre le cédant et le repreneur est en jeu.

Dans la revue de littérature, nous décrivons le processus et les stratégies des acteurs d’une négociation. Nous relevons ensuite les éléments spécifiques aux négociations des reprises d’entreprises externes en mettant l’accent sur les enjeux pour le repreneur. Nous exposons alors notre méthodologie qualitative qui croise un recueil de données issues d’entretiens semi-directifs auprès de candidats à la reprise d’entreprise et l’observation participante des négociations. Les résultats montrent les stratégies de négociation utilisées par le repreneur, de manière chronologique, en suivant les étapes du processus de négociation. La discussion met en avant l’alternance des stratégies selon l’avancée dans le processus de négociation et l’importance de la confiance, condition nécessaire à l’aboutissement du processus.

Revue de littérature

La revue de littérature est organisée autour des deux concepts centraux de notre problématique : la négociation et la reprise d’entreprise.

Les négociations : approches et processus

La négociation est un processus par lequel deux ou plusieurs parties interagissent dans le but d’atteindre une position acceptable au regard de leurs divergences (Dupont, 1994; Bellenger, 2015). Les négociations interviennent dans des domaines très variés : psychologie, politique, avec les partenaires sociaux, commerce, vie quotidienne, sciences de gestion (Lax et Sebenius, 1986; Joule et Beauvois, 2002; Délivré, 2008; Lempereur et Colson, 2010; Bellenger, 2015). Dans un environnement de plus en plus complexe et aux activités mondialisées, tout semble sujet à négociation, ce que Bellenger (2015) nomme « la négociarisation des activités humaines ». Notre revue de littérature relève plusieurs courants que nous présentons ci-dessous.

Les négociations : entre compétition et collaboration

Nous pouvons synthétiser les recherches sur la négociation autour de deux approches.

  1. Les approches de négociations compétitives, parfois qualifiées de conflictuelles ou de distributives (Dupont, 1994), privilégient la recherche d’appropriation de la valeur en jeu par l’utilisation de la force ou de la ruse. Deux stratégies sont possibles : le rapport de force et la manipulation.

La stratégie du rapport de force s’inspire de la tradition militaire, et voit la négociation comme un conflit (Lempereur et Colson, 2010). Toute transaction est alors un affrontement se soldant par un dominant et un dominé, qui subit et se soumet. Les négociations de ce type consistent pour l’un des acteurs à établir une position de départ et à contraindre l’autre partie à s’y soumettre (Lempereur et Colson, 2010). Cette stratégie fait l’objet de nombreuses critiques, car elle mène au conflit (Bernatchez, 2003) et dégrade les relations entre les parties (Delecourt et Fine, 2008).

La stratégie de la manipulation est « l’ultime recours dont disposent ceux qui sont dépourvus de pouvoir ou de moyen de pression… autrui ayant le sentiment d’avoir agi librement sur la base de ses idées ou de ses valeurs » (Joule et Beauvois, 2002, p. 19). Les techniques de manipulation relèvent de la séduction, la flatterie, la ruse, le bluff, la rétention d’information, le mensonge, la mauvaise foi, la déstabilisation, l’intimidation, la menace, la roublardise (Axelrod, 2006; Lempereur et Colson, 2010). Plusieurs auteurs mettent en garde les négociateurs sur les risques inhérents aux manoeuvres manipulatoires : elles ne sont pas tenables sur la durée (Fisher, Ury et Patton, 1982); elles entrainent une mauvaise réputation des négociateurs (Lempereur et Colson, 2010); elles conduisent à un désir de vengeance chez ceux qui ont été trompés (De Callières, 2015).

2) Les approches coopératives, parfois qualifiées de collaboratives ou d’intégratives (Dupont, 1994), mettent en présence des négociateurs désireux de trouver un accord équitable permettant à chacun de satisfaire ses intérêts, sans chercher à nuire aux intérêts de l’autre partie. On distingue la stratégie du compromis et la stratégie des gains mutuels.

La négociation basée sur le compromis repose sur un échange de concessions mutuelles destiné à rapprocher des positions divergentes dans un esprit collaboratif. Un bon compromis donne lieu à un accord équilibré, et satisfait les deux parties (Audebert, 2005; Lamarque et Story, 2013). Mais, chaque acteur peut regretter a posteriori les contreparties accordées (Lempereur et Colson, 2010).

La stratégie des gains mutuels a pour objectif de trancher les litiges sur le fond, et de rechercher des avantages mutuels pour les deux parties (Fisher, Ury et Patton, 1982). Il s’agit là d’éviter les négociations conflictuelles, tout en produisant un accord entre des acteurs qui possèdent à la fois des intérêts communs et des intérêts opposés. Il est préconisé de prévoir des solutions de repli permettant de se désengager plus facilement dans le cas d’un accord insatisfaisant, mais aussi d’envisager les alternatives dont dispose l’interlocuteur (Lax et Sebenius, 1986; Bercoff, 2009; Watkins et Luecke, 2010). Pour Bellenger (2015), l’efficacité de la stratégie des gains mutuels repose avant tout sur un postulat moral : les deux parties en présence font preuve de loyauté, de franchise, de courtoisie, de bon sens, d’esprit d’équité et de raison. Les critiques de cette approche portent sur son côté idéaliste (Lempereur et Colson, 2010), la sous-estimation de l’égoïsme des acteurs (Fisher, Ury et Patton, 1982) et l’absence de valeurs en général dans les négociations (Bercoff, 2009).

Les négociations : entre interactions internes et externes

Plusieurs ouvrages remettent en cause cette vision dichotomique des négociations et voient la négociation comme un processus évolutif (McKersie, 2007; Bellenger, 2015) qui alterne les phases de compétition et de coopération (Lempereur et Colson, 2010; Bellenger, 2015). Guedj (2015) parle de tactiques mixtes. Cette manière de considérer la négociation émane de praticiens. Ainsi, Bellenger (2015) propose une méthode consistant à prendre en compte les attitudes et comportements des acteurs, et à utiliser des pratiques tels que le questionnement et la reformulation pour présenter des propositions de nature à rapprocher les positions des protagonistes. Lax et Sebenius (1986) prennent en compte les éléments statiques de la donne (analyse des intérêts des parties, des solutions de rechange et des ententes possibles), et les éléments évolutifs de la négociation (création et revendication de la valeur). Pour aboutir à une solution satisfaisante pour les deux parties, les négociateurs gèrent en permanence la tension induite par l’alternance compétition-coopération. « Toutes les négociations sont en définitive mixtes (intégrative/distributive) » (McKersie, 2007, p. 6).

Le processus de négociation est un jeu social à plusieurs niveaux puisqu’une négociation n’est pas qu’une interaction entre deux parties prenantes. Ainsi, en s’intéressant à ce qu’il se passe autour de la table de négociation principale (Druckman, 2008), on s’aperçoit que chaque négociation implique trois transactions distinctes (Lax et Sebenius, 1986). La première concerne les parties face à face, les deux autres sont constituées par les parties assises du même côté de la table. Dans une seconde table de négociation, en effet, on observe des relations intra-organisationnelles puisque deux coalitions d’experts et de conseils se constituent (Ury, 2006; McKersie, 2007). Chacune défend les intérêts de son client et intègre les spécialistes nécessaires à l’aboutissement de l’opération. Et entre ces acteurs, qui interviennent sur des plans différents, des négociations internes se produisent, basées sur des relations verticales (Lempereur et Colson, 2010). Ces négociations internes concernent la délégation de pouvoir, le contenu et l’exécution du mandat, la rémunération des mandataires ou les conflits d’intérêts (McKersie, 2007; Druckman, 2008).

Ce processus est également un jeu social à phases multiples, composé de cinq étapes : la préparation (Méry, 2013); la phase de pré-négociation qui se caractérise par la première rencontre des parties prenantes (Bercoff, 2009); la phase d’ouverture de la négociation lors de laquelle chacun se positionne sur les modalités de la négociation, en particulier sur le prix (Guedj, 2015); l’évolution de la négociation où se déroulent les quatre stratégies évoquées plus haut (rapport de force, manipulation, compromis, stratégie des gains mutuels); la clôture de la négociation qui marque la formalisation de l’accord, ou l’échec des pourparlers (Lempereur et Colson, 2010).

La négociation d’une reprise d’entreprise

La négociation est une étape importante dans le long processus repreneurial. Nous présentons la littérature portant sur la négociation d’un transfert externe d’entreprise et insistons sur les circonstances des négociations de transfert pour les acteurs principaux.

Le processus et les acteurs de la négociation d’une reprise d’entreprise

Le processus de reprise d’entreprise, c’est-à-dire la démarche de celui qui va devenir le nouveau propriétaire-dirigeant de l’entreprise, est décrit par Deschamps (2000) en trois phases (le processus de prise de décision, celui de reprise et celui de l’entrée dans l’entreprise). Le deuxième sous-processus, qui conduit à la signature de l’acte d’achat (Deschamps, 2002) comporte également plusieurs étapes : le projet de reprise, la détection de l’entreprise, les études de la cible, la recherche de financement et la négociation. C’est lors de la négociation que l’auteure décrit le plus grand nombre de retours en arrière, tant les risques de désaccords sont nombreux à ce stade : mésentente sur le prix (parfois lié à une mauvaise évaluation de l’entreprise), divergences sur les nombreux sujets de discussion, remise en cause du projet de transfert par l’un des acteurs, problème de financement de l’opération, audits d’acquisition dissuasifs,… (Deschamps et Paturel, 2009; Cadieux, Gratton et St Jean, 2014; Lamarque, 2018). La négociation constitue donc l’aboutissement d’un ensemble d’actions réalisées auparavant. Le processus de négociation, à proprement parler, est complexe et à envisager en perspective de toutes les étapes qui l’ont précédée (Deschamps et Lamarque, 2020a).

La négociation est présentée comme la phase ultime du processus qui précède le rachat effectif de l’entreprise par le repreneur, ce processus se poursuivant par notamment une période de transition entre le cédant et le repreneur (Picard et Thévenard-Puthod, 2004). Elle comporte selon Deschamps (2002), puis Deschamps et Paturel (2009) trois domaines. (1) Les réflexions sur la cohérence du projet peuvent amener le repreneur à renoncer à son projet de reprise notamment quand il met en rapport l’ampleur du projet avec ses ressources financières et donc ses enjeux personnels et familiaux; (2) Le plan de reprise se matérialise par le business plan et la stratégie du repreneur pour l’entreprise qu’il a identifiée. Il inclut toutes les phases d’études de l’entreprise, d’évaluation et de recherche de financement. (3) La signature des accords scelle les termes de l’opération. Si ces trois étapes s’inscrivent bien en amont du transfert effectif de l’entreprise, rien n’est dit sur le processus de négociation de la reprise en tant que tel, débouchant, ou pas, sur la signature des accords. Cadieux, Gratton et St Jean (2014) évoquent cependant l’asymétrie d’information ayant une incidence sur la phase de négociation. Durst et Gueldenberg (2010) identifient les ressources intangibles comme facteurs d’intérêt pour le repreneur; la cible étant identifiée à partir de critères non quantitatifs.

En revanche, on sait que plusieurs conseillers gravitent autour du dirigeant (qui souhaite quitter son entreprise) et du candidat à la reprise externe. Certains interviennent dans les négociations pour leur expertise : expert-comptable, avocat, ou fiscaliste. Ils apportent leur savoir-faire sur l’ensemble du spectre de leur discipline (finance, juridique, fiscalité) pour l’évaluation de la cible en amont, et la contractualisation des actes juridiques en aval (St Jean, 2011). D’autres sont spécialisés dans la négociation d’une reprise d’entreprise, comme les conseillers de l’acheteur par exemple qui représente un acteur tiers, neutre, à la fois à la table principale de la négociation, mais aussi au sein de la coalition du repreneur (Deschamps et Lamarque, 2020a). Ils ont développé un savoir-faire « processuel » issu de leur expérience dans ce type d’opérations. D’après St Jean (2011), le recours à ces spécialistes est faible, alors que la satisfaction des repreneurs à leur égard est élevée. Parfois, par mesure d’économie, le repreneur demande à l’un de ses experts, expert-comptable ou avocat, d’assurer tous les rôles d’accompagnement, mais ces mélanges de compétences ne sont pas les plus efficients (Lecointre, 2002).

Les enjeux du repreneur externe lors de la négociation d’une reprise d’entreprise

Les cédants et les repreneurs vivent des enjeux personnels forts puisque les premiers quittent une organisation à laquelle ils ont souvent consacré leur vie personnelle, professionnelle et sociale (Cadieux et al., 2020); et les seconds suivent la plupart du temps une trajectoire professionnelle qui les conduit au repreneuriat; psychologiquement, ils ne peuvent pas échouer (Cadieux et al., 2014). Il importe pour le repreneur de bien comprendre ce que le cédant vit, car ses difficultés expliquent ses attitudes et comportements lors de la négociation (Cadieux et Deschamps, 2011). La littérature évoque le processus de deuil du cédant (Pailot, 1999; Bah, 2009). En effet, il est susceptible de vivre la transmission de son entreprise comme une fin (Wennberg et Detienne, 2014) : perte de pouvoir liée à la fin d’activité, perte de son statut social, et in fine, confrontation à l’idée de sa propre mort (Cadieux et Deschamps, 2011; Wennberg, Wiklund, Hellerstedt et Nordqvist, 2011; Nordqvist, Wennberg, Bau et Hellerstedt, 2013; Mahé de Boislandelle et Estève, 2015). Bah (2009) observe que les étapes de deuil du cédant se manifestent dès les premières phases de négociation. On peut supposer qu’elles impactent son attitude lors des rencontres avec le candidat à la reprise.

Le repreneur externe, dans la plupart des cas, est un ancien salarié (Deschamps et Paturel, 2009). Il est susceptible également d’éprouver ses propres difficultés à changer de rôle (Cadieux et Deschamps, 2011) : perte de statut de l’ancien manager, disparition des égards et avantages dont il bénéficiait dans le salariat (Lamarque et Story, 2013). Il fait également face à ses propres émotions liées notamment à l’incertitude d’avoir fait, ou non, le bon choix (Deschamps et Lamarque, 2020b). Le candidat à la reprise peut se fourvoyer en recherchant des entreprises de taille équivalente aux équipes qu’il dirigeait dans le salariat (recherche de statut), ou des entreprises lui apportant le même confort économique (rémunération, voiture de fonction, bonus,…), sans s’apercevoir que ces cibles ne sont pas nécessairement à sa portée financièrement (Deschamps et Geindre, 2011; Lamarque, 2018). Les biais sont nombreux dans les phases amont de la négociation, et les risques d’échecs importants (Meier et Schier, 2014). D’Andria, Gabarret et Vedel (2018) montrent que le stress présent dans les négociations est contrebalancé par les émotions positives de la perspective de la signature et donc de l’engagement positif vers la reprise. Leur recherche évoque la résilience à toutes les étapes du processus repreneurial, cette résilience constituant un facteur-clé du succès de la négociation puisqu’elle permet de réguler les émotions.

Il existe peu de connaissance académique sur le processus de négociation d’une reprise externe d’entreprise. Néanmoins, la revue de littérature montre sa complexité (qui laisse supposer un caractère contingent des négociations) : posture des principaux acteurs, présence de conseillers, enjeux émotionnels. Pour identifier la stratégie du repreneur dans ce contexte, nous avons opté pour une méthodologie qualitative.

Protocole méthodologique

Sur ce sujet, notre recherche est exploratoire. Comme la négociation d’une reprise d’entreprise est très confidentielle, nous avons privilégié l’approche qualitative basée sur des entretiens auprès de plusieurs acteurs d’une même négociation.

Recueil des données

Nous avons croisé nos sources de recueil des données. Nous avons d’abord interrogé dix candidats à la reprise externe d’entreprise. Ces candidats repreneurs ont été identifiés grâce à un cabinet d’intermédiation qui accompagne les repreneurs dans leur démarche de reprise d’entreprise. La saturation théorique était atteinte après les différents entretiens auprès de ces dix repreneurs (Glaser et Strauss, 1967; Ganassali, 2014). Les entretiens semi-directifs ont été intégralement enregistrés et retranscrits. En parallèle, nous avons observé et consigné dans un « journal des négociations » les observations participantes de 35 séquences de négociations (chaque repreneur interrogé rencontrant et négociant plus d’une fois). Cette approche ethnographique (Gioia et Chittipeddi, 1991; Gioia, Corley et Hamilton, 2013) repose sur l’élaboration préalable de grilles d’observation à partir de la revue de littérature sur les négociations notamment. Nous avons observé les stratégies des repreneurs in situ et noté, dans les grilles d’observations, l’impression dominante de la négociation, l’attitude des acteurs, le langage corporel (Story, 2018), les verbatims qui nous semblaient les plus significatifs. Cet exercice est délicat, car il demande tout à la fois au chercheur d’observer, de noter et de participer. L’outillage méthodologique déployé a aidé dans l’observation. La confidentialité des opérations ne nous a pas permis de filmer les situations observées, ni d’interroger les cédants pour ces mêmes négociations. En revanche, afin d’enrichir notre recherche ou d’approfondir certains sujets, nous avons procédé par triangulation et mené cinq entretiens approfondis auprès de la coalition du repreneur : expert-comptable, avocat, conseil acheteur. Ce croisement des points de vue sur une même négociation de reprise externe apporte une vision plus élargie. Gavard-Perret et Avenier (2012, p 303) expliquent : « d’une manière générale, pour améliorer la crédibilité d’une recherche qualitative, il est conseillé d’utiliser la triangulation des données, des chercheurs, des méthodes d’analyse, etc. ».

Codages et traitements des matériaux recueillis

Les matériaux collectés ont donné lieu à un codage à partir de l’outil d’analyse statistique SPHINX iQ2 (version Quali). Deux types d’analyses ont été menées. Nous avons d’abord opéré une analyse lexicale des entretiens auprès des repreneurs et des experts. Celle-ci s’appuie sur une approche sémantique et statistique du corpus de données constitué par l’ensemble des entretiens. Nous avons ensuite procédé à une analyse de contenu manuelle afin d’ajouter les notes consignées dans le journal des négociations au corpus de données. Cette analyse a mis en évidence les thèmes, idées et concepts abordés par les répondants, en y associant le verbatim le plus évocateur.

Présentation de l’échantillon

Notre échantillon de repreneurs rassemble dix candidats à la reprise d’entreprise aux profils assez similaires : ils ont tous une expérience professionnelle antérieure de management et disposent de fonds propres personnels significatifs qu’ils consacrent à leur projet de reprise (entre 150 et 700 K€), ce qui se situe dans la fourchette haute des statistiques du CRA (2015) pour lequel l’apport moyen est entre 100 et 500 K€ pour les repreneurs individuels. Leur âge varie de 36 à 55 ans; leur formation initiale est élevée (BAC+5 minimum, voire MBA ou doctorat). Dans leur passé, les repreneurs interrogés ont tous déjà mené des négociations, et ont, pour certains (3 repreneurs sur 10), une première expérience de l’entrepreneuriat à leur actif. Presque tous montrent une professionnalisation de leur démarche de repreneurs par une formation à la reprise d’entreprise (7 repreneurs). 7 candidats repreneurs sont issus de familles d’entrepreneurs. La moitié des entreprises négociées a été transmise en raison du départ en retraite du cédant (qui était le fondateur). Les sociétés convoitées évoluent dans des secteurs très traditionnels (industrie, artisanat, formation, agro-alimentaire). Elles ont un effectif compris entre 2 et 100 salariés, et un chiffre d’affaires allant de 500 K€ à 8 M€. Nous avons veillé à ce qu’il y ait une variété en termes de profils repreneurs, en termes de position capitalistique du repreneur au sein de la cible (recherche d’une position majoritaire ou minoritaire), d’accompagnement du repreneur sur son projet (seul, conseil acheteur, expert-comptable, avocat d’affaires) et en termes d’issue des négociations. En effet, la moitié des négociations étudiées a réussi, c’est-à-dire qu’un accord a été signé; et la moitié a donc échoué.

Résultats

Nous proposons une présentation des résultats de manière chronologique en suivant les cinq étapes intervenant dans tout processus de négociation.

La phase de préparation de la négociation

En amont du processus de négociation, cette étape consiste pour le repreneur à analyser, seul ou avec ses conseils, les informations à sa disposition concernant la cible convoitée (mémorandum de présentation de la société, bilan et compte de résultat, recherches Internet). Nos répondants accordent une grande importance à cette étape préalable au premier rendez-vous avec le cédant. Pour autant, ils révèlent une contradiction : tous les repreneurs interrogés considèrent cette étape essentielle, et préparent effectivement ce premier rendez-vous avec le cédant. « C’est pas important [la préparation], c’est obligatoire » (Florent). « La préparation est fondamentale. Tout premier rendez-vous, s’il veut aboutir à une conclusion, doit être bien préparé » (Pascal). Pourtant, trois d’entre eux seulement ont effectivement eu recours à des conseillers dans cette phase. Ce paradoxe s’explique de deux manières : (1) à ce stade, le repreneur ne dispose pas toujours des éléments nécessaires à l’analyse complète du dossier avec ses conseillers (bilans, comptes de résultats). Ainsi, seuls trois de nos repreneurs avaient effectué une évaluation de l’entreprise avant le premier rendez-vous. (2) D’un point de vue économique, le repreneur ne souhaite pas engager des frais pour des conseils qu’il juge prématurés. « Dans tous les dossiers que j’ai regardés, ça [la préparation], je le fais toujours tout seul, car un expert-comptable, c’est aussi un coût » (Jean-Pascal).

La phase de pré-négociation

Cette étape correspond à la première rencontre entre le repreneur et le cédant, en présence ou non de leurs conseillers. L’importance de ce premier contact fait l’unanimité auprès de nos répondants. « Ce premier rendez-vous a été important, car, de part et d’autre, on s’est dit que ça pouvait coller » (Sylvain). « L’impact de ce premier rendez-vous est radical, définitif et total. On ne le savait pas, ni eux [les cédants] ni moi, mais l’affaire était entendue ce jour-là » (Pascal). Il s’agit là d’une étape de pré-négociation, car le sujet du prix ou des conditions de reprise sont rarement abordés (ces éléments l’ont été dans trois de nos cas). Elle consiste pour le repreneur à convaincre du sérieux de sa démarche, de sa capacité financière à mener l’opération à bien, et à séduire le cédant par sa personnalité, ses valeurs, leurs compatibilités avec celles du cédant et la culture qu’il a su insuffler dans sa société. Au-delà du montant de la transaction, cette opération combinée de conviction et de séduction devra en particulier emporter l’adhésion du cédant sur la capacité du repreneur à assurer la pérennité de l’entreprise. Cette approche peut être assimilée à une stratégie de manipulation caractéristique des premiers échanges repreneur-cédant, même si huit repreneurs la qualifient de coopérative (parce que les sujets sensibles ne sont pas abordés à ce stade). Nous avons relevé, lors de nos observations participantes, de la détente sur-jouée et des rires forcés, du bluff. C’est donc dès ce stade du processus de négociation que se constitue le socle de confiance permettant à chacun des acteurs de se projeter psychologiquement dans un processus de transmission serein et pérenne. Tous nos entretiens font état de cette phase d’observation lors du premier rendez-vous où cédant et repreneur tentent de déterminer le degré de confiance qu’ils peuvent s’accorder. « Au travers de petits points de détail… C’est des tas de petites choses qui font que la confiance s’installe, et ça a aidé à la conclusion de la vente » (Philippe). Le repreneur cherche à s’assurer que la société est saine, qu’il n’y a pas de vices cachés, que le potentiel de développement de l’entreprise présenté par le cédant est réel.

L’ouverture de la négociation

Après avoir fait connaissance et validé le sérieux de leur projet respectif, le repreneur et le cédant engagent les premières discussions concrètes sur les modalités de l’opération envisagée (valeur de transaction, financement de l’acquisition, montage de l’opération). Les verbatims montrent le changement d’attitude des cédants et de leurs conseillers : « Les échanges étaient extrêmement compétitifs. Les cédants étaient partis dans l’idée de me faire passer un “sale quart d’heure” pour voir si je passais la rampe » (Pascal). « Le cédant m’a mis dans une logique de compétition. Dès le départ, il m’a dit que le prix était ferme, qu’il était submergé de demandes, donc qu’il n’avait aucun intérêt à baisser le prix, qu’il n’allait donc pas négocier » (Jean-Pascal).

Dans cette phase, le cédant semble se situer dans une approche de rapport de force. Il ne cherche plus à « séduire » le repreneur, mais bien à lui imposer sa manière de faire, dans une posture positionnaliste. Nous avons observé ce changement d’attitude du cédant : visage fermé, rigidité, peu de sourires, gestes brusques, équipes de négociation en opposition, face à face. De fait, le repreneur subit l’attitude du cédant.

La phase d’évolution de la négociation

En général, l’ouverture des négociations a mis en évidence les premières divergences entre les acteurs. Dans cette nouvelle étape, le repreneur présente son offre financière, préparée avec ses conseillers. Les repreneurs interrogés décrivent unanimement un processus de négociation qui fait alterner des stratégies compétitives et des approches coopératives, dans un contexte de contractualisation difficile (neuf cas sur dix) où les points d’accords entre les parties sont remis régulièrement en cause (six cas). « On est passé d’une phase très collaborative pendant plusieurs rendez-vous, à une deuxième phase qui était plus compétitive avec l’arrivée de l’avocat » (Guillaume). « Les négociations ont été compétitives sur l’évaluation de la trésorerie. On a cru que les discussions allaient s’arrêter là. Pour le reste, ça a été plutôt coopératif » (Sébastien B.).

Le journal des négociations laisse apparaître des changements imprévisibles dans l’attitude et le discours des acteurs. Ces moments critiques, s’ils sont mal gérés par le repreneur, constituent des points de ruptures potentiels des discussions en cours. Nos entretiens semi-directifs font émerger plusieurs sujets de controverse lors des négociations de reprise d’entreprise : le prix (neuf cas), le mode de financement (5 cas), les clauses de garantie (3 cas), l’excédent de trésorerie (2 cas), le timing de l’opération (2 cas), les dividendes (1 cas). Les repreneurs parlent de « blocage, point tournant, coup de théâtre, crise, point de bascule, retournement de situation, revirement », voire de « arrêt des pourparlers, interruption des négociations ». « C’est l’évaluation financière qui a été un point de bascule. Après, le cédant s’est braqué. La discussion s’est vraiment tendue à ce moment-là » (Sylvain). Ces moments critiques provoquent une déviation de trajectoire dans la nature des échanges, et transforment les négociations les plus coopératives en négociations conflictuelles (chaque partie prenante défendant ses intérêts). Il serait inexact de considérer que seul le montant de la transaction intéresse les cédants. D’après les repreneurs, ils peuvent être guidés par d’autres motivations comme trouver un fils spirituel, assurer la pérennité de l’entreprise, ou s’assurer de l’avenir d’un de ses collaborateurs. « En fait, j’ai remporté le deal sur un sujet, c’est que j’ai dit “je reprends toute l’équipe”, alors que l’autre repreneur voulait virer tout le monde et mettre ses hommes à la place » (Philippe). Loin d’être anecdotiques, ces éléments confirment l’importance de la qualité de la relation repreneur-cédant, indispensable pour imaginer des solutions de sortie de crises.

La phase de clôture de la négociation

Cette phase marque la fin des négociations en actant un échec des négociations, ou en contractualisant un accord préservant les principaux intérêts du repreneur et du cédant. Les protagonistes procèdent aux derniers ajustements. Cette phase rassemble autour de la table principale de négociation l’ensemble des parties prenantes et une stratégie de compromis prédomine : « Ça peut capoter à tout moment si on refuse de faire une concession. De part et d’autre, on a fait des concessions » (Benoit). « C’est un compromis, car finalement, j’ai accepté sa partie fixe, et lui a accepté ma partie variable » (Jean-Pascal). Les conseillers du cédant et du repreneur sont assis côte à côte. On observe des sourires et des mouvements de rapprochement du cédant vers le repreneur.

Dans cette ultime étape du processus, nous observons cependant un sujet récurrent de mésentente, relatif à l’agenda du cédant quant au déroulement de l’opération (« timing de l’opération », « période d’accompagnement » et « calendrier de l’opération »). Ce point de discussion montre que le repreneur va devoir s’adapter en dernières instances aux desiderata (échéances familiales, raisons psychologiques) et aux contraintes (considérations financières et fiscales, échéances de départ en retraite) du cédant qui va accélérer ou ralentir le processus de négociation. « Ce que j’avais perçu au début, c’est qu’il [le cédant] était très attaché à son entreprise, et qu’il ne voulait pas la quitter trop vite » (Guillaume). « Le cédant veut vendre, car il a un ultimatum familial. Son épouse lui a dit « si tu n’as pas vendu à telle date, je pars ! » (Sébastien G.).

Nous proposons dans le tableau 1 une synthèse de nos résultats.

Tableau 1

Étapes de négociation et stratégies des acteurs

Étapes de négociation et stratégies des acteurs

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Discussion

Contributions théoriques

La négociation d’une reprise d’entreprise est multipartite : dans les cas les plus simples, les négociations de reprise d’entreprise rassemblent un cédant, actionnaire unique, accompagné de ses conseillers, et un repreneur « en solo », entouré de son équipe d’experts. Nous sommes alors dans un contexte de négociations bilatérales, avec face à face, la coalition du repreneur et celle du cédant. Ce schéma se complexifie dès lors que le cédant n’est pas seul détenteur des titres de la société, et partage l’actionnariat avec un ou plusieurs associés, ou lorsqu’un binôme de repreneurs se porte acquéreur.

Nos résultats montrent que les quatre stratégies présentées dans notre revue de littérature sur les négociations (le rapport de force et la manipulation dans une approche compétitive des échanges; le compromis et la stratégie des gains mutuels dans une approche coopérative des pourparlers) (McKersie, 2007; Lempereur et Colson, 2010; Bellenger, 2015) sont présentes dans une négociation de reprise externe, à des moments précis du processus de négociation et portées par des personnes précises. En effet, négocier une reprise externe d’entreprise est un processus évolutif faisant alterner des phases compétitives et des phases coopératives. Ces stratégies évoluent selon les acteurs. Le candidat repreneur et le cédant usent de la manipulation lors de leur première rencontre, pour se séduire mutuellement. Lors de l’ouverture de la négociation, c’est plutôt le cédant qui domine, par le rapport de force. Cette posture s’assouplit dans l’évolution de la négociation, au fur et à mesure que la perspective d’une issue favorable se concrétise. Enfin, la clôture de la négociation relève du compromis, notamment de la part du repreneur qui accepte des contraintes supplémentaires imposées par le cédant en dernier recours. Le fait que les stratégies changent d’acteurs au cours du processus de négociation marque la spécificité de la négociation en contexte de reprise externe.

Le repreneur est donc amené à gérer une tension continuelle entre création de valeur (approche coopérative) et revendication de la valeur de la part du cédant la plupart du temps (approche compétitive). Cette oscillation est provoquée par la survenance de moments de tension, parfois critiques dans le déroulement des échanges. Cette observation vient ainsi compléter le concept de « Turning Point » (Druckman, 2008; Cadieux et Deschamps, 2011) identifié lors de notre revue de littérature, car elle met en évidence un point tournant pour les deux acteurs, au-delà duquel soit le processus de reprise se poursuit, soit il s’arrête.

Contributions managériales

La négociation d’une reprise externe d’entreprise semble se caractériser par la prévalence de la dominante coopérative. Dès lors que les acteurs sont appelés à se revoir, la pérennité des relations entre les négociateurs doit être assurée (Fisher, Ury et Patton, 1982; Lempereur et Colson, 2010; Guedj, 2015). Dans une reprise d’entreprise, les acteurs sont appelés à collaborer au-delà de la signature de la transaction, puisque la négociation intervient dans un processus repreneurial plus global; celui-ci ne s’arrêtant pas à la négociation. Le repreneur cherche la pérennisation de l’entreprise cible. De manière générale, il collabore avec le cédant lors de la transition entre les deux dirigeants (Deschamps, 2018). Si la négociation aboutit, c’est que les acteurs partagent des valeurs et une morale dans les relations, ce qui contredit la logique décrite par Bercoff (2009) ou Lempereur et Colson (2010). La stratégie des gains mutuels apparaît comme la stratégie à recommander pour les négociations de reprise dans l’objectif de satisfaire à la fois le cédant et le repreneur.

Notre recherche met également en évidence la dimension humaine des négociations de reprise, les biais et les émotions impactant le processus. La posture stratégique du cédant lors de la négociation est extrêmement importante pour le repreneur (Deschamps et Lamarque, 2020b). En effet, après la négociation, le cédant représente un acteur-clé dans la socialisation du repreneur (Boussaguet, 2005). La négociation ne s’arrête donc pas aux aspects financiers de l’opération. Notre enquête montre que cette coopération, basée sur les stratégies de compromis et de gains mutuels, s’inscrit dans le cadre d’une relation de confiance entre le repreneur et le cédant, présentée comme indispensable à la réussite de l’opération. Cette question de la confiance est évoquée de manière générale concernant l’ensemble du processus repreneurial (Boussaguet, 2005; Meiar, 2015; Deschamps, 2018), mais elle n’est pas traitée de manière spécifique lors de la phase de négociation. Or, c’est l’un des apports de notre recherche. Cette confiance, nécessaire à installer dès les premières rencontres, dès les premières étapes de la négociation, ne doit pas être entachée par les questions juridiques, financières, fiscales qui peuvent être traitées par des spécialistes. Dans l’optique de réussir sa reprise, le repreneur est confronté à un double impératif : celui de gérer ses propres émotions (Deschamps et Lamarque, 2020b), ce qui peut s’avérer difficile en raison de son implication personnelle dans le processus et les enjeux des opérations; et celui d’identifier, voire de maîtriser, les émotions du cédant, parfois irrationnelles, liées aux étapes de deuil du dirigeant (Pailot, 1999; Bah, 2009; Cadieux et Deschamps, 2011; Mahé de Boislandelle et Estève, 2015) et à ses propres biais cognitifs et affectifs. Wood Brooks (2017, p 41) suggère ainsi de « sous-traiter les négociations à des négociateurs indépendants qui sont moins stressés, car leurs compétences sont plus affûtées et le résultat les affecte moins personnellement ». Deschamps et Lamarque (2020a) montrent en effet tout l’intérêt de recourir à un spécialiste pour accompagner le repreneur dans l’étape cruciale de négociation.

Conclusion

Notre revue de littérature sur la négociation d’une reprise externe d’entreprise a montré que la connaissance dans ce domaine était faible. Les apports théoriques de notre recherche portent sur la description de la négociation, étape essentielle du processus repreneurial puisqu’elle marque soit le début, soit la fin de la reprise. Nous montrons en particulier les stratégies de négociation du repreneur, stratégies de coopération, dans lesquelles il fait alterner le compromis et les gains mutuels. Cependant, il subit dès l’ouverture de la négociation le rapport de force imposé par le cédant, tous les deux usant de la manipulation au préalable quand ils font connaissance. Nous approfondissons donc les recherches sur le processus de reprise à partir de la littérature foisonnante sur la négociation. Négocier une reprise d’entreprise représente un cas particulier de situation de négociation qui tient à la relation cédant-repreneur, et au processus de confiance qui s’instaurent entre eux, et qui est nécessaire à la poursuite de leurs relations dans le processus repreneurial. D’un point de vue managérial, notre recherche éclaire les candidats repreneurs et leurs accompagnateurs sur ce qui les attend dans l’étape de négociation. Connaître les attitudes et stratégies potentielles du cédant aide à se préparer et à affuter son propre comportement. Enfin, notre méthodologie de recherche est originale puisqu’une approche classique de la méthodologie qualitative par entretiens semi-directifs est complétée par une observation participante des négociations in situ. La grille d’observation créée peut également représenter un outil utile aux repreneurs et leurs accompagnateurs afin de les aider à repérer par les gestes et les paroles des situations susceptibles de dégrader les échanges, et de s’y préparer.

Les principales limites à notre travail concernent la représentativité de notre échantillon et la généralisation de nos résultats. Nous n’avons, en effet, étudié que les négociations de reprises externes réalisées par des hommes. Il serait intéressant de questionner l’impact du genre ou du mode de reprise sur notre analyse (reprise par les salariés, reprise par les enfants du dirigeant) sur le déroulé de la négociation. Il s’agit là de suggestions de recherche future prometteuses. De même, nous n’avons étudié que le point de vue du repreneur. Observer et comprendre ce qui se joue pour chacun des acteurs lors de la négociation pourrait être passionnant; ce type de problématique impose de lever la confidentialité des opérations.