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Introduction

La création du Consortium national de formation en santé (CNFS) en 2003 avait pour but d’améliorer l’accès aux services de santé en français pour les communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) et de contribuer à leur plein épanouissement en augmentant le nombre de professionnelles et professionnels de la santé et des services sociaux formés en français (Bouchard, Vézina et al., 2017). Cinq ans plus tard, le rapport d’évaluation du projet de formation et de recherche du CNFS (LeBlanc, 2008) révèle des lacunes importantes dans la formation de ces futurs professionnels[1]. Ceux-ci ne seraient pas suffisamment outillés pour relever les défis liés au travail en contexte minoritaire francophone. Ils se retrouveraient généralement, au terme de leurs études, dans des milieux de travail anglodominants qui valorisent peu leurs compétences linguistiques, ce qui risque de les mener à l’assimilation. Le rapport recommande au CNFS d’inclure, dans les programmes de formation, des mesures pédagogiques concrètes permettant aux futurs professionnels d’être plus sensibilisés aux réalités des CFSM et de favoriser un engagement de leur part envers la francophonie.

Cet article fait un survol de travaux réalisés depuis 2008 afin d’élaborer un cadre éducatif pour la formation sur les besoins des CFSM et l’offre active de services en français (OA), d’appuyer la préparation des formateurs à enseigner ces contenus, d’expérimenter des stratégies pour intégrer cette formation dans les cours existants et dans les stages ainsi que de développer des outils validés pour évaluer ces apprentissages. Ce survol est fondé sur ce qui a été publié dans les écrits ou présenté dans les conférences (par ex. Acfas, colloques régionaux du CNFS, etc.). Les travaux répertoriés proviennent majoritairement du Groupe de recherche et d’innovation sur l’organisation des services de santé (GRIOSS) formé en 2009, du Groupe de recherche sur la formation et les pratiques en santé et service social en contexte francophone minoritaire (GReFoPS) fondé en 2011, d’autres groupes de formateurs au sein d’institutions membres du CNFS et du Réseau du mieux-être francophone du Nord de l’Ontario. Ces groupes ont travaillé parfois en parallèle, parfois en collaboration, mais les travaux des uns ont régulièrement éclairé ceux des autres, grâce aux nombreux échanges sur ces thèmes dans différents forums.

L’article traitera d’abord des cinq étapes du design pédagogique : 1) identifier le contexte; 2) définir les objectifs d’apprentissage; 3) clarifier et sélectionner les contenus de formation; 4) formuler les stratégies d’enseignement; et 5) élaborer une stratégie d’évaluation (Lanarès et al., 2023). En discussion, il présentera les défis de la formation à l’OA et les avenues pour le futur.

1. Identifier le contexte et les besoins de formation

Une première démarche pour identifier les besoins de formation a été entreprise en 2008 par le GRIOSS, suivant les principes de la recherche-action (Chevalier et al., 2013; Bouchard, Vézina et al., 2017). Elle a consisté en 40 entretiens auprès de personnes expertes, un sondage auprès de personnes étudiantes ou nouvellement diplômées en santé et service social ainsi qu’un dialogue national dans trois régions : l’Est (Moncton), le Centre (Ottawa) et l’Ouest (Winnipeg), au cours desquels une centaine d’acteurs clés ont pu se prononcer. Les constats et les pistes de solution issus de ces travaux sont présentés dans deux rapports, soit L’outillage des étudiants et des nouveaux professionnels : un levier essentiel pour l’amélioration des services de santé en français (Bouchard et Vézina, 2009) et le Rapport du Dialogue sur l’engagement des étudiants et des futurs professionnels pour de meilleurs services de santé en français dans un contexte minoritaire (Bouchard et al., 2010). Parmi ces constats, soulignons le manque notable de sensibilisation des futurs professionnels francophones, notamment quant au rôle de la langue sur la qualité et la sécurité des services offerts et aux défis de l’OA. Parmi les pistes de solutions, il est suggéré qu’une meilleure sensibilisation à ces réalités, ainsi que le développement d’un sentiment de fierté, serait nécessaire pour préparer les futurs professionnels à exercer un leadership mobilisateur afin d’influencer, voire de transformer, la culture organisationnelle du milieu sur la question des services en français, dans le but ultime d’améliorer l’accès à des services de santé en français pour les CFSM (Bouchard, Vézina et al., 2017; Bouchard et al., 2010; Bouchard et Vézina, 2009).

D’autres études soulignent les défis que rencontrent les intervenantes et intervenants francophones et bilingues oeuvrant en milieu anglodominant dans leur offre de services en français. On note d’abord la difficulté à identifier la personne bénéficiaire francophone, car celle-ci hésite à demander des services en français (de Moissac et al., 2017). Ayant réalisé être en présence d’une personne francophone, le professionnel doit ensuite faire preuve de flexibilité sur le plan de la communication : il doit adapter son langage à divers niveaux de langue de la clientèle qui présente un niveau de littératie variable et des accents divers, et qui fait souvent usage de régionalismes ou d’alternance codique, c’est-à-dire de passage d’une langue officielle à l’autre au sein d’une même conversation, voire d’une même phrase (Drolet et al., 2014; de Moissac et al., 2017). Le professionnel doit avoir une bonne connaissance des deux langues officielles pour pouvoir suivre ces conversations ou encore pour alterner entre l’entrevue faite en français et les notes prises en anglais pour le dossier ainsi que pour communiquer en français avec la personne bénéficiaire et en anglais avec certaines personnes aidantes, ses collègues et ses gestionnaires (Bouchard, Vézina et al., 2017; Drolet et al., 2014; de Moissac et al., 2017; S. Savard et al., 2017). Certains notent aussi la difficulté à maintenir leurs compétences langagières en français lorsque l’environnement de travail ne permet pas beaucoup l’utilisation de cette langue (Bouchard, Vézina et al., 2017; S. Savard et al., 2017) ainsi que les défis pour trouver le vocabulaire professionnel en français pour les francophones qui ont fait leur formation professionnelle en anglais (de Moissac et al., 2017).

Les professionnels sont souvent confrontés au défi de ne pouvoir offrir un service complet en français, par manque de ressources bilingues (par ex., ressources éducatives, outils d’évaluation) ou la difficulté à trouver les ressources où diriger la clientèle pour assurer la continuité de services en français (de Moissac et al., 2017; Drolet et al., 2014). Pour compenser ce manque, certains choisissent de consacrer du temps à la recherche ou à la traduction de ressources, ou encore à l’accompagnement des bénéficiaires qui doivent utiliser un service en anglais. Les collègues font aussi appel à ces professionnels bilingues pour traduire ou agir comme interprète, ce qui s’ajoute aux tâches professionnelles régulières (Bouchard, Vézina et al., 2017; Drolet et al., 2014; de Moissac et al., 2017). En l’absence de soutien organisationnel valorisant l’OA, le professionnel francophone peut se sentir isolé dans une équipe anglophone, surpris que l’on valorise peu ses compétences linguistiques qui étaient pourtant recherchées à l’embauche (Bouchard, Vézina et al., 2017; de Moissac et al., 2017; S. Savard et al., 2017). Le bilinguisme peut aussi être source de tensions entre les membres du personnel ou avec le syndicat (Bouchard, Vézina et al., 2017, S. Savard et al., 2017). Le réseautage entre professionnels francophones semble une façon efficace de contourner les problèmes associés à l’isolement, à la connaissance et à l’obtention de ressources adaptées aux besoins des CFSM (Drolet et al., 2014; S. Savard et al., 2013). La capacité de mobiliser un capital social important à l’intérieur de la CFSM a été décrite comme un facteur de rétention des intervenantes et des intervenants bilingues en milieu anglodominant (S. Savard et al., 2017).

Pour aider à affronter ces défis, une transformation de la formation offerte dans les programmes en santé et service social était nécessaire, mais les programmes et leurs éducatrices et éducateurs étaient-ils prêts à l’opérer? Une recension des écrits (Benoît et al., 2015) a permis de recueillir des informations sur les concepts de compétence linguistique et culturelle ainsi que les approches et les stratégies de formation qui s’y rattachent. Toutefois, il existait alors très peu d’écrits sur l’inclusion de ces concepts dans le processus de formation professionnelle en santé et service social au Canada, et encore moins en contexte francophone minoritaire. Le GReFoPS a donc lancé un sondage sur les approches pédagogiques et les contenus de formation touchant les besoins des CFSM et l’OA inclus dans les programmes de formation soutenus par le CNFS. Le sondage en ligne a été envoyé en 2012 à tous les membres du personnel enseignant de ces programmes. De façon générale, les données du sondage rempli par 123 éducatrices et éducateurs concordent avec les conclusions de la recension d’écrits. Ces personnes ont indiqué se sentir peu outillées pour bien former leurs étudiantes et étudiants à travailler en contexte francophone minoritaire. En outre, 71 % ont répondu qu’elles n’avaient pas reçu de formation sur les stratégies d’enseignement et d’apprentissage favorisant la préparation des futurs professionnels appelés à travailler auprès des CFSM. Plusieurs personnes ont aussi indiqué qu’elles souhaitaient recevoir de la formation dans le but de nourrir leurs propres connaissances pour transmettre ce savoir-faire à leurs étudiantes et étudiants (Benoît et al., 2015). Ces travaux jetaient les bases du dossier de la formation à l’OA sur lequel ont porté plusieurs recherches au cours des années qui ont suivi.

La recherche sur les CFSM révèle qu’il s’avère aussi essentiel de sensibiliser les anglophones à l’importance de l’OA, car le soutien organisationnel, incluant l’appui du gestionnaire et l’attitude des membres des équipes de soin, est un élément important qui facilite les comportements d’OA par les professionnels francophones (Bouchard et al., 2009; J. Savard et al., 2017; S. Savard et al., 2017). De plus, la compétence à offrir activement des services en français doit être assurée au sein de toute l’équipe pour que les personnes francophones soient dirigées vers les professionnels qui peuvent offrir des services en français (Drolet et al., 2017; J. Savard et al., 2020).

2. Définir les objectifs d’apprentissage

Pour les personnes étudiantes des programmes de formation soutenus par le CNFS, les objectifs à atteindre sont une meilleure sensibilisation aux réalités des CFSM, incluant les questions de qualité et de sécurité des soins reliées aux barrières linguistiques, le développement d’un sentiment de fierté de pouvoir contribuer au bien-être de la communauté ainsi que l’acquisition d’un savoir-faire pour offrir activement les services en français. Ces éléments composent la compétence à l’OA (Lortie et Lalonde, en collaboration avec P. Bouchard, 2012; Dubouloz et al., 2017).

Pour les personnes ne pouvant offrir elles-mêmes le service en français, il s’agit surtout de développer une meilleure sensibilisation aux réalités des CFSM, aux questions de qualité et de sécurité des soins reliés aux barrières linguistiques ainsi que la capacité à diriger les francophones vers les ressources linguistiquement adaptées (Bouchard, J. Savard et al., 2017; Drolet et al., 2017).

3. Définir les contenus de formation

Avec le soutien du CNFS, le GRIOSS et le GReFoPS se sont penchés chacun à leur façon sur les objectifs et les contenus d’une formation initiale sur l’OA. L’exercice dialogique mené par Bouchard et ses collègues (2009; 2010) a été suivi de l’élaboration d’un profil de connaissances et de compétences à inclure dans les programmes de formation soutenus par le CNFS, profil qui est publié dans le Cadre de référence pour la formation à l’offre active des services de santé en français (Lortie et al., 2012). Afin de conduire les personnes étudiantes vers une meilleure compréhension des enjeux liés à la langue dans le domaine de la santé et de favoriser leur engagement, des thèmes tels la langue comme déterminant de la santé, la notion d’OA, l’approche centrée sur la personne, l’impact des barrières linguistiques sur la qualité et la sécurité des soins, les réalités des CFSM et les caractéristiques particulières du travail en contexte minoritaire doivent faire partie des « savoirs » à incorporer dans le cheminement pédagogique. L’affirmation de soi et de son identité, le devoir éthique, les compétences interprofessionnelles et l’engagement envers la francophonie sont quelques exemples des « savoir-faire » et des « savoir-être » qui y sont présentés comme pouvant mener les personnes étudiantes vers un « savoir agir » mobilisateur (Lortie et al., 2012).

Les savoirs du Cadre de référence, ainsi que les résultats de la recension d’écrits et du sondage menés par le GreFoPS (Benoît et al., 2015), ont mené à la rédaction de lignes directrices entourant l’intégration de l’OA dans les programmes de formation postsecondaires en santé et service social offerts en français (Dubouloz et al., 2014). Ces lignes directrices ont été élaborées en consultation avec un groupe pancanadien constitué de personnes étudiantes ou expertes en éducation postsecondaire, dans le but de servir d’outil de référence pour les milieux de formation. Elles visent plus particulièrement à définir les appuis nécessaires à différents paliers : l’institution, les facultés, les programmes d’études et les membres du personnel enseignant.

Par la suite, Dubouloz et al. (2017) ont proposé un cadre conceptuel éducationnel pour la formation à l’OA. Tenant compte des notions andragogiques de l’apprentissage, de l’enseignement aux adultes et du paradigme critique, le cadre éducationnel combine les concepts de la situation pédagogique de Legendre (1983; 2005) ainsi que l’interrelation des trois savoirs de base (savoir, savoir-faire et savoir-être) pour le développement d’une compétence professionnelle (Boudreault, 2002), menant à un savoir-agir au sujet de l’OA. Dans le cadre éducationnel, le savoir-être est placé au premier plan par rapport aux deux autres savoirs pour son importance dans les relations d’enseignement et d’apprentissage, et le savoir-agir est représenté comme une conséquence des acquis de l’ensemble des composantes du cadre. La personne enseignante assume un double rôle dans la formation à l’OA : celui de formateur et celui d’acteur en matière d’OA. Dans son rôle de formateur, la personne enseignante accompagne les personnes apprenantes dans le développement de savoir (connaissances), savoir-faire (comportements) et savoir-être (attitudes) liés à l’OA qui seront appliqués dans leur future pratique professionnelle. Dans son rôle d’acteur, elle démontre son savoir, son savoir-faire (ses propres comportements avec des personnes étudiantes) et son savoir-être (ses propres attitudes et valeurs vis-à-vis des personnes apprenantes et des CFSM). Son savoir-être et l’engagement qu’elle démontre envers les CFSM auront un effet important sur la sensibilisation des personnes apprenantes à l’égard de l’OA (Dubouloz et al., 2017).

4. Formuler les stratégies d’enseignement, développer le matériel pédagogique et diffuser la formation

4.1 Stratégies d’enseignement

La transmission de contenu dans un mode magistral ou à l’aide de fiche de lecture peut être efficace pour l’acquisition de certains savoirs (Dubouloz et al., 2017), comme ceux relatifs à l’évolution démographique et à la répartition géographique des CFSM, ou encore aux droits linguistiques dans les différentes provinces. Pour l’enseignement du savoir-faire et du savoir-être, on aura davantage recours à des approches liées à la perspective d’apprentissage en situation réelle et à la réflexion critique (Dubouloz et al., 2017).

Ainsi, la présentation de témoignages a été retenue comme stratégie utile pour sensibiliser les personnes apprenantes aux risques associés à une mauvaise communication dans sa langue. En faisant la lumière sur l’impact des barrières linguistiques, les témoignages ont le potentiel de faire réagir les personnes apprenantes sur le plan émotif (Cormier, 2020).

Les études de cas sont perçues comme un moyen aussi efficace que les témoignages pour stimuler la réflexion et les échanges en salle de classe et renforcer la capacité d’intervention des futurs professionnels, en leur présentant la perspective d’acteurs (bénéficiaires de soins, professionnels, gestionnaires, etc.) confrontés à des situations difficiles relativement à la langue des services et à la question de l’OA en milieu de soin (Bouchard, Vézina et al., 2017). Ces études de cas peuvent offrir des exercices de réflexion, amenant à proposer des solutions aux difficultés rencontrées.

Les expériences de stages cliniques sont perçues comme une autre occasion de sensibiliser les personnes étudiantes à l’importance de l’OA pour les personnes bénéficiaires de soins et d’appliquer les connaissances en contexte réel en utilisant le jugement clinique pour adapter les comportements d’OA aux profils sociolinguistiques des bénéficiaires et des membres de l’équipe interprofessionnelle (Bouchard, Vézina et al., 2017; Dubouloz et al., 2017; J. Savard et al., 2018).

4.2 Une nouvelle piste : l’apprentissage de l’offre active par la simulation interprofessionnelle

Le fait de parler la langue de la personne bénéficiaire de soin et de connaitre les principes de l’OA ne garantit pas que les futurs professionnels auront le réflexe de mettre ces principes en action dans leur milieu de pratique (Bouchard et Vézina 2009). Des stratégies novatrices sont essentielles pour intégrer le savoir avec le savoir-faire et le savoir-être, conduisant au savoir-agir (la compétence). La simulation (SIM) est une activité d’apprentissage expérientiel permettant de pratiquer ses savoirs en toute sécurité dans des mises en situation inspirées d’événements authentiques qui peuvent avoir lieu en milieux de pratique (Shin et al., 2015; Foronda et al., 2020). Elles permettent aux personnes apprenantes d’appliquer l’OA dans des environnements de soins ainsi que d’apprendre de leurs expériences et de leurs erreurs sans mettre à risque les bénéficiaires (Rosa et Giroux, 2022).

Développer des scénarios de SIMs en OA demande du temps et de la réflexion pour y inclure l’apprentissage de plusieurs actions clés permettant l’accès et la continuité des soins en français. Pour que les personnes enseignantes puissent les inclure dans les programmes déjà chargés, ces scénarios doivent aussi inclure le développement d’autres compétences exigées par les normes professionnelles de chaque profession. L’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation des compétences de collaboration interprofessionnelle (CIP) sont exigés par les normes d’agrément des programmes de formation des futurs professionnels (Grymonpre et al., 2021). De plus, les compétences en CIP sont importantes pour sensibiliser les parties prenantes aux besoins de soins en français pour les CFSM ainsi que pour la gestion efficace de conflits, d’où la pertinence d’intégrer les compétences de la CIP (Consortium pancanadien pour l’interprofessionnalisme en santé, 2010) aux SIMs sur l’offre active.

Dans cette optique, le GReFoPS a conçu une variété de SIMs interprofessionnelles, dont certaines permettent aux personnes apprenantes de déterminer la langue de préférence du bénéficiaire et de réfléchir à leurs capacités à offrir elles-mêmes le service en français ou à la nécessité de le diriger vers une autre personne. À d’autres moments, elles amènent à considérer les outils et les ressources éducatives qui peuvent mieux soutenir les francophones et les actions à poser lorsqu’on dirige une personne francophone vers un autre service (Giroux et Savard, 2022; Giroux et al., 2022). Des SIMs synchrones impliquent l’interaction en personne ou en mode virtuel (vidéoconférence) entre, d’une part, une patiente ou un patient simulé et d’autre part, une personne ou un groupe de personnes étudiantes.

Une récente collaboration avec CAN-Sim a permis de découvrir le monde des SIMs virtuelles asynchrones, parfois appelées « jeux sérieux » (Giroux et Tyerman, 2022). Ce type de simulation implique de filmer des scénarios de SIMs qui offrent différents choix d’actions aux personnes apprenantes. Le choix d’une action sous-optimale ou optimale s’accompagne d’une justification qui offre une rétroaction immédiate. La sélection de l’action la plus optimale permet de progresser dans le scénario. Les personnes apprenantes peuvent explorer ces SIMs publiées en ligne à leur propre rythme.

Les sessions de débreffage incluses dans les activités de simulation sont cruciales pour solidifier les apprentissages. Elles permettent une double réflexion sur l’apprentissage, personnelle et en groupe, avec les pairs et les personnes enseignantes dans une approche socioconstructiviste (Levett-Jones et Lapkins, 2014). Ces interactions, qui peuvent se dérouler en contexte interprofessionnel, enrichissent encore davantage les perspectives et l’apprentissage.

En somme, peu importe le format, l’apprentissage par SIMs peut offrir une occasion unique de développer progressivement les compétences de l’OA et de la CIP en utilisant une pédagogie de conscientisation et d’engagement (PELF, 2014; Ferrer et Allard, 2002) afin que les futurs professionnels puissent démontrer les divers comportements d’OA et de CIP, augmenter leur niveau de confiance en leurs habiletés à le faire et développer une habitude qu’ils maintiendront une fois sur le marché du travail en milieu anglodominant. La pédagogie de conscientisation et d’engagement, prônée pour la pédagogie dans les écoles de langue française en contexte minoritaire, repose sur le fait que « ni l’action sans réflexion ni la réflexion sans action ne suffit » (PELF, 2014). « [Les apprenants] doivent comprendre les enjeux qui conditionnent leur vie et doivent s’engager à transformer les situations qui ne leur conviennent pas en participant aux prises de décisions » (Freire, 1985 cité par PELF, 2014). La conscientisation va au-delà de la sensibilisation pour amener une compréhension plus complète des enjeux et de l’action. Cette conscientisation critique favorise le développement d’un plus grand engagement à l’égard de sa communauté ou du monde (Ferrer et Allard, 2002). Il semble que les simulations permettent cette prise de conscience critique par la confrontation avec une situation réaliste, dans laquelle la réaction des acteurs peut varier, les amenant à comprendre les diverses facettes des problèmes que posent la langue dans les services sociaux et de santé ainsi qu’à envisager des solutions à ces problèmes.

Les SIMs ont été expérimentées en 2021-22 et 2022-23 auprès de 1001 étudiants et étudiantes. Certaines SIMs offertes à distance ont permis d’inclure des personnes étudiantes de programmes soutenus par le CNFS provenant de trois provinces différentes, d’autres ont été conçues pour inclure des personnes apprenantes provenant de programmes offerts en anglais. Des données ont été recueillies par sondage sur la satisfaction des personnes apprenantes ainsi que sur leur anxiété, leur motivation et leur perception d’autoefficacité à mettre en oeuvre les compétences de l’OA et de la CIP. Les analyses préliminaires indiquent que les personnes apprenantes qui ont participé à ces SIMs en 2021-2022 étaient très satisfaites de leur apprentissage et de leur performance au moment des SIMs et se sentent plus aptes à appliquer l’OA (Giroux et al., 2022).

4.3 Outils pédagogiques

Puisque le personnel enseignant affirmait ne pas avoir le temps ni l’expertise pour l’élaboration de formation sur les notions d’OA (Bouchard et al., 2010, Benoît et al., 2015), divers outils leur furent proposés.

Une première initiative en la matière fut la réalisation de neuf capsules vidéo présentant les témoignages de personnes ayant vécu l’impact direct des barrières linguistiques au moment d’avoir recours à des soins de santé. Ces témoignages touchants ont suscité un vif engouement de la part de tous les acteurs. Les capsules ont été utilisées dans les activités de formation des établissements membres du CNFS ainsi que dans plusieurs organisations de santé cherchant à sensibiliser leur personnel à l’OA (Cormier, 2020). De plus, un très grand nombre d’études de cas, fondées sur des situations authentiques et accompagnées d’outils de réflexion, ont été rédigées en vue de bonifier la formation à l’OA (Bouchard, Vézina et al., 2017).

Plusieurs de ces outils ont été regroupés dans une boîte à outils virtuelle, élaborée par le GRIOSS avec l’appui d’un comité d’orientation national du CNFS. La Boîte à outils de l’offre active, initialement mise en ligne en novembre 2013, permet d’assurer un accès rapide à une multitude de fiches de lectures, de témoignages, d’études de cas, de capsules vidéo, d’exercices de réflexion ainsi qu’à une grille d’observation en stage. Elle constitue une ressource inestimable pour les personnes enseignantes (CNFS, 2020a). Dans un désir d’actualiser ses contenus, en 2020, la Boîte à outils de l’offre active est devenue le Carrefour de l’offre active[2] et certaines de ces ressources ont été traduites en anglais.

Des boîtes à outils pour la simulation ont aussi été créées, incluant une dizaine de scénarios de SIMs interprofessionnelles en OA pouvant être réalisés en présentiel ou à distance, en mode synchrone ou asynchrone ainsi que le matériel requis pour mettre en place, exécuter ces SIMs et observer les comportements d’OA démontrés par les personnes apprenantes (Giroux et Savard, 2022). Ces boîtes à outils en libre accès contiennent des scénarios pour les personnes apprenantes, des scénarios pour les actrices ou acteurs, des guides pour les personnes enseignantes ou facilitatrices, incluant des guides de débreffage, et des grilles d’observation des indicateurs de compétences en OA et en CIP. L’accès à ces outils est possible à l’aide d’une page internet unique[3] sur le site du GReFoPS.

4.4 Diffusion des formations sur l’offre active

4.4.1 Énoncé d’engagement et stratégie d’intégration des contenus relatifs à l’offre active dans les programmes soutenus par le CNFS

À partir de 2013, le CNFS a mis en branle sa stratégie d’intégration, invitant chacun de ses établissements membres à mettre en place, selon leur capacité et leurs ressources, un plan d’action afin d’accroître la sensibilisation à l’OA de leur corps professoral et de leur communauté étudiante (CNFS, 2014; Cormier, 2020). En 2013, les personnes dirigeant un établissement membre du CNFS ont signé un énoncé d’engagement dans lequel elles affirmaient leur volonté de prendre les moyens nécessaires pour que les diplômées et les diplômés puissent acquérir les compétences nécessaires pour agir en faveur de l’OA et ainsi participer à l’amélioration continue de l’accès aux services sociaux et de santé en français. Cet engagement a été renouvelé en 2020 (CNFS, 2020b).

Plusieurs initiatives ont été rapportées dans des écrits à la suite de cet engagement. Par exemple, de 2014 à 2020 à l’Université de Moncton, le GRIOSS, avec la participation de membres du corps professoral, a offert des ateliers de formation dans un grand nombre de cours de divers programmes (diététique, psychologie, science infirmière et gestion des services de santé). Un comité interprogramme composé de professeures et professeurs des trois campus a été formé afin de les soutenir dans leur démarche d’intégration et d’encourager le partage de bonnes pratiques. Des activités extracurriculaires ont aussi été organisées, notamment en collaboration avec une équipe qui se penchait sur le développement de compétences en collaboration interprofessionnelle.

À l’Université d’Ottawa, en 2014-2015, dans une approche de recherche collaborative, le GReFoPS a entrepris un projet pilote d’implantation et d’évaluation d’une formation à l’OA. Ensemble, les chercheurs et les professeures de deux programmes (ergothérapie et service social) ont identifié des objectifs et des activités pédagogiques qui pouvaient être intégrés dans un ou des cours, tout en respectant les besoins et la culture spécifiques de chaque programme. Grâce à cette expérience, les professeures participantes ont pris conscience de l’importance de l’enseignement et de l’apprentissage de l’OA. Elles ont également souligné le besoin de ressources matérielles et motivationnelles pour leur venir en aide dans leur enseignement (Dubouloz et al. 2019).

À l’Université de Saint-Boniface, une École d’été sur la collaboration interprofessionnelle (CIP) et l’OA a été organisée pendant 4 étés, de 2016 à 2019. D’une durée de cinq jours, les objectifs de cette formation étaient de mieux comprendre les enjeux et les défis liés aux barrières linguistiques pour les populations de langue officielle en contexte minoritaire, d’approfondir les connaissances quant aux pratiques de CIP et d’explorer la manière dont l’OA et la CIP peuvent améliorer l’accès à des services de qualité et sécuritaires pour les CFSM (de Moissac, 2020)[4].

À l’Université de l’Alberta, l’OA a été intégrée dans le curriculum du baccalauréat bilingue en sciences infirmières à partir de 2013, à l’aide du contenu de la Boîte à outils de l’offre active. Tout au long du programme, les étudiantes et étudiants sont sensibilisés à l’importance de l’OA dans une perspective d’équité en santé et développent un sens des responsabilités pour le maintien des services en français dans l’Ouest canadien (Tellier, 2020).

En travaillant à ces initiatives, plusieurs éducateurs et éducatrices formulaient un besoin d’appui (CNFS, 2014). Afin d’accompagner le personnel enseignant dans l’intégration des contenus relatifs à l’OA dans les salles de classe, l’équipe du GRIOSS a offert, à l’échelle nationale et selon la demande, des ateliers de sensibilisation et de formation dans de nombreux établissements membres du CNFS, dont le Collège Éducacentre, le Collège Boréal et le Campus Saint-Jean, pour ne nommer que ceux-là. Ces ateliers présentaient les notions d’OA et les contenus de la Boîte à outils de l’offre active et offraient au personnel enseignant une vitrine pour partager les meilleures pratiques et exprimer les défis rencontrés dans l’espoir qu’il puisse prendre le relais et s’engager envers l’intégration des contenus dans leur programme (Cormier, 2020).

Par ailleurs, en 2015, dans une approche de recherche-développement, le GReFoPS a conçu une formation des formateurs à partir des besoins nommés par le personnel enseignant au cours des recherches antérieures. La première formation en présentiel comprenait trois ateliers de trois heures. Les données d’évaluation ont montré que les personnes participantes avaient une compréhension et une sensibilisation plus approfondie de l’OA et qu’elles se sentaient dorénavant suffisamment outillées pour enseigner l’OA à leurs étudiantes et étudiants (Duchesne et al., 2019). Cependant, le problème d’horaire et de temps a mené à l’idée d’une formation en ligne qui peut être suivie de manière autonome (Benoît, 2020). La formation en ligne sur l’enseignement de l’OA[5] s’adresse à toutes les personnes qui enseignent au sein des programmes collégiaux et universitaires des domaines de la santé et des services sociaux et comprend des objectifs et des contenus sur le savoir (concept de l’OA et apprentissage adulte selon une perspective socioconstructiviste), le savoir-faire (préparation d’une activité d’apprentissage) et le savoir-être (sensibilisation et ouverture envers l’importance de l’enseignement de l’OA).

Malgré ces appuis, la formation en OA au sein des programmes soutenus par le CNFS varie d’un établissement à l’autre, et même d’un programme à l’autre, au gré des capacités des ressources humaines en place et du temps disponible étant donné les contenus concurrents à inclure dans les programmes de formation. C’est pour cette raison que le CNFS national a souhaité pouvoir offrir une formation nationale menant à une attestation de compétence. C’est le Bureau de la formation continue de l’Université de Moncton qui a conçu cette formation en ligne, disponible depuis juin 2023 pour la clientèle étudiante des programmes de formation en santé soutenus par le CNFS[6].

4.4.2 Étendre la formation à d’autres programmes, au-delà du mandat du CNFS

Comme mentionné précédemment, dans les établissements anglodominants, le soutien organisationnel et l’appui de l’ensemble des membres du personnel sont essentiels pour que les personnes francophones obtiennent des services en français. Ces gestionnaires et membres du personnel des établissements de santé et services sociaux anglophones, francophones ou francophiles peuvent avoir été formées en anglais, ou en français dans des milieux où le français est en situation majoritaire, et ne pas être sensibilisées aux réalités des CFSM. Ainsi, le prochain défi consiste à étendre la sensibilisation au-delà des programmes de formation en santé et service social soutenus par le CNFS pour rejoindre les personnes francophones et francophiles qui suivent leur formation en anglais. Ces personnes n’ont pas toujours confiance en leur capacité d’offrir des services en français (Burnier et al., 2021; de Moissac et al., 2017; J. Savard et al., 2018; Giroux et al., 2023). Elles ont besoin d’appui pour participer à l’OA, à la fois pour maintenir leurs compétences linguistiques et pour se sensibiliser aux enjeux de l’offre de services en français en contexte minoritaire. Parmi les expériences recensées, notons des cliniques simulées pour renforcer les compétences linguistiques des étudiantes et étudiants en médecine en Saskatchewan (Burnier et al., 2021), des stages en français offerts à Ottawa à des étudiantes et étudiants francophiles qui poursuivaient leur formation en anglais (J. Savard et al., 2018) ainsi que certains des scénarios de simulation conçus par le GReFoPS qui permettent aux étudiantes et étudiants anglophones d’expérimenter les barrières linguistiques et la collaboration entre professionnels francophones et anglophones pour assurer des soins de qualité aux francophones[7] (Giroux et al., 2023; Tyerman, et al., 2023).

Enfin, la formation à l’OA doit s’étendre à l’ensemble des membres des organisations de soins et services, incluant les gestionnaires et le personnel anglophone, afin de créer un environnement qui valorise les soins culturellement et linguistiquement adaptés. À cet effet, le collège Éducacentre offre des formations linguistiques adaptées pour les professionnels de la santé qui souhaitent améliorer leurs compétences en français (Collège Éducacentre, s.d.). Le collège Boréal (Collège Boréal, 2023) ainsi que le Réseau du mieux-être en français du Nord de l’Ontario (Quintas et Sylvestre, 2022) rendent disponible des formations en ligne sur l’OA à l’intention des membres du personnel et des gestionnaires d’établissements de santé et services sociaux en Ontario. Le Centre de recherche en santé dans les milieux ruraux et du nord de l’Université Laurentienne a créé le programme de formation continue Ici on parle! Comment activement engager vos patients francophones, afin de sensibiliser les médecins francophones et anglophones aux préférences linguistiques des personnes qui les consultent et aux façons de réduire l’impact des barrières linguistiques (Timony, 2020).

5. Élaborer une stratégie d’évaluation des apprentissages

En terminant, il faut aussi mentionner les projets qui ont porté sur les façons d’évaluer les apprentissages relatifs à l’OA. On en recense trois.

5.1 La Mesure de l’offre active

Pour mesurer les comportements d’OA, c’est-à-dire le savoir-faire, une équipe a développé la Mesure de l’offre active (J. Savard et al., 2014; 2015; 2017). L’objectif était double : évaluer dans quelle mesure les personnes apprenantes posent les gestes qui permettent d’actualiser l’OA et permettre d’étudier les déterminants ou les facteurs qui expliquent la propension à poser ces gestes d’OA en milieu de pratique. La Mesure de l’offre active comprenait deux sections : une mesure des comportements individuels d’OA et une mesure du soutien organisationnel à l’OA. Elle a été élaborée à partir d’une recension d’écrits et par consultation d’un groupe d’experts. Sa conception et sa validation de contenu sont décrites dans un premier article (J. Savard et al., 2015). La mesure a ensuite été expérimentée auprès d’un groupe de récents diplômés et diplômées pour en vérifier sa stabilité temporelle ou fidélité test-retest, une qualité essentielle pour un outil destiné à mesurer le changement (J. Savard et al., 2014). Si l’outil a été utilisé avec succès pour étudier les déterminants de l’OA (J. Savard et al., 2017), puisque la fidélité de certains items s’est avérée plus faible que souhaité, les auteures ne recommandent pas son utilisation pour mesurer l’apprentissage dans une approche sommative. Elles suggèrent plutôt d’utiliser la Mesure de l’offre active comme outil d’autoévaluation et de réflexion (J. Savard et al., 2014; 2017). Une étude subséquente utilisant la modélisation de Rash a offert certaines pistes pour améliorer l'outil, dont entre autres, la réduction du nombre d'options de réponses possibles pour certains items (Grondin et al., 2017).

5.2 Grille d’observation des comportements d’offre active de services en français par la simulation

Dans un contexte de simulation, les évaluations sont généralement formatives et prennent souvent la forme de grilles d’observation des comportements verbaux et non verbaux. Celles-ci permettent de guider et d’informer les personnes apprenantes sur le niveau attendu de compétence en facilitant le processus de rétroaction entre la personne enseignante et la personne apprenante lors des séances de débreffage. Les stratégies d’évaluation qui favorisent la rétroaction et la réflexion sont d’ailleurs reconnues comme un facteur majeur pouvant affecter la motivation envers l’apprentissage (Tsingos et al., 2015), ce qui vient renforcer la nécessité d’employer un processus rigoureux lors du développement de nouveaux outils de réflexion et d’amélioration continue.

Dans cette optique, en 2018, Vincent et ses collègues (2021) ont créé la Grille d’observation des indicateurs de la compétence en offre active des services en français par la simulation. Une première version de cette grille a été produite à partir de la recension des comportements d’OA provenant de travaux antérieurs (J. Savard et al., 2015; 2017) ainsi que d’un sondage auprès des institutions d’enseignement membres du CNFS. La grille reprend de ces outils antérieurs seulement les éléments qui peuvent être observés en situation de simulation. Cette grille a été soumise à deux comités d’experts afin d’en valider le contenu (Vincent et al., 2021). Par la suite, le degré de fidélité interjuges de la grille, soit la concordance entre les cotes attribuées par différents évaluateurs ou évaluatrices pour la même personne apprenante lors de la même SIM, a été évalué en utilisant les enregistrements vidéo de 93 étudiantes et étudiants ayant effectué des SIMs sur l’OA entre 2018 et 2020. La grille présente généralement un niveau de fidélité élevé, ce qui permet d’encourager son utilisation dans les établissements d’enseignement offrant l’apprentissage par SIMs de la compétence en OA (Vincent et al., 2023). La version finale de la grille comporte un total de 20 indicateurs de compétence correspondant chacun à un comportement observable de l’OA qui peut être démontré en contexte de SIMs. Elle est accompagnée d’un guide d’utilisation détaillant son fonctionnement et offrant des exemples d’éléments qui peuvent être intégrés à des SIMs afin d’évaluer chaque indicateur de compétence de façon optimale[8].

5.3 Attestation de compétence en offre active des futurs professionnels de la santé

Le CNFS-Volet Collège Éducacentre, en collaboration avec un comité d’experts composé de sept personnes, a développé un dispositif d’évaluation pour décerner une attestation de compétence à la suite d’une formation nationale en OA[9] offerte aux personnes inscrites dans les programmes de formation en santé et service social, tant au niveau collégial qu’universitaire (Dionne et al., soumis). Les recommandations de Lane et al. (2016) ont servi de base théorique pour appuyer les différentes étapes menant au développement de ce dispositif basé sur la méthode des tests de concordance de script (TCS) (Charlin et al., 2007). Les TCS permettent à la personne apprenante de réfléchir à la meilleure façon de procéder lorsqu’elle est confrontée à un problème d’OA réellement vécu dans un contexte de pratique (p. ex. : clinique, communautaire). Plus spécifiquement, la personne apprenante est amenée à lire un scénario pour lequel elle doit choisir la réponse la plus probable ou pertinente (Charlin et al., 2002). Elle peut ensuite comparer sa réponse avec celle du panel d’experts qui a contribué à la validation de l’épreuve afin de consolider davantage son raisonnement clinique et son jugement professionnel, cela dans l’espoir de favoriser la transférabilité de ses connaissances dans différents milieux de stage ou de travail. Au total, 32 scénarios ont été développés à partir de situations authentiques selon les réalités vécues dans les diverses régions francophones au Canada. Un panel d’experts, composés de 14 personnes reconnues comme étant spécialistes en OA, ainsi que de membres de la communauté étudiante représentatifs des différentes CFSM au Canada, ont participé à la validation du contenu de cette épreuve.

6. Discussion et pistes pour le futur

Après 20 ans d’efforts depuis la création du CNFS, il était temps de faire une synthèse permettant à l’ensemble des parties prenantes de voir le chemin parcouru et les manques à combler. Cette synthèse démontre que les programmes soutenus par le CNFS ont travaillé très activement à mettre en oeuvre différentes stratégies pour suivre les recommandations du rapport Leblanc (2008) et de l’étude sur l’outillage (Bouchard et al., 2009; 2010) quant à la préparation des futurs professionnels à travailler auprès des CFSM. Elle démontre les avancées dans la formation à l’OA des futurs professionnels de la santé formés dans ces programmes. Après une première phase visant la mise en place d’activités de sensibilisation à la fois pour le personnel enseignant et les personnes apprenantes, la formation a évolué vers des approches innovantes, comme l’apprentissage expérientiel par SIMs et la formation nationale utilisant des vignettes et les tests de concordance de script pour mener à une attestation de compétences. Les SIMs interprofessionnelles s’implantent maintenant à travers le pays pour soutenir la formation des futurs professionnels de multiples disciplines à l’OA. La formation a commencé à s’étendre à diverses parties prenantes à l’extérieur des programmes de formation en français, d’abord avec la formation en ligne du RMEFNO diffusée dans plusieurs milieux de pratique et les premiers efforts pour intégrer des étudiants et des étudiantes de programmes anglophones dans des activités de simulation sur l’offre active.

6.1 Défis et pistes pour le futur

Malgré un certain partage à l’échelle nationale, stimulé par le CNFS et les colloques sur la santé en français, chaque établissement, voire chaque programme professionnel d’un même établissement, demeure libre de la façon d’intégrer la formation à l’OA et de la quantité de formation qui est offerte dans ses programmes. Nous constatons donc que les efforts à travers le pays sont fractionnés, soutenus par des personnes championnes. Certaines activités ont été financées sous la forme de projets et les ressources qui les ont soutenus ne sont pas toujours renouvelées. Ceci pose un risque de perte des acquis lors du départ des personnes championnes ou du manque de ressources.

Une piste qui permettrait de soutenir cette formation serait de systématiser l’intégration de la compétence en OA dans les résultats d’apprentissage des programmes de formation, malgré l’absence de compétences en OA dans les référentiels de compétences des différentes professions en santé et service social au Canada. Il faut une certaine créativité dans les programmes de formation pour intégrer cette compétence à l’OA sous les compétences de communication ou de sécurité culturelle des exigences professionnelles nationales.

Il faut intensifier la concertation entre les acteurs clés des milieux de recherche, d’éducation et de pratique à travers le pays pour partager les meilleures pratiques et systématiser les connaissances sur ce qui fonctionne le mieux au plan pédagogique pour différentes audiences (personnes étudiantes des programmes francophones, celles des programmes anglophones, gestionnaires et intervenants des milieux de pratique) et dans différents contextes géographiques (rural vs urbain, forte ou faible densité de francophones, etc.).

Au départ, la recherche surtout qualitative a permis de saisir les défis de cette formation à l’OA au plan pédagogique. Elle permettait moins d’en mesurer les impacts. On observe maintenant un début d’efforts d’évaluation de ces initiatives à l’aide de méthodes quantitatives, incluant surtout l’évaluation de la satisfaction et l’autoévaluation de la perception de la confiance à pratiquer l’OA (Giroux et al., 2023), mais aussi de l’observation d’indicateurs de compétence de l’OA (Vincent et al., 2021; 2023) et l’évaluation par test de concordance de script (Dionne et al., soumis).

Pour évaluer jusqu’à quel point les initiatives mises en place nous rapprochent de la cible des professionnels sensibilisés et engagés, il faudrait évaluer l’impact des initiatives sur l’utilisation de cette compétence par les professionnels sur le marché du travail, dans divers milieux de pratiques des diplômés (désignés pour offrir des services en français vs non désignés, urbains vs ruraux, etc.).

Une collaboration entre les institutions d’enseignement, le CNFS, les réseaux de santé en français et les organismes gouvernementaux ou paragouvernementaux (par ex. Bureau d’appui aux communautés de langue officielle [BACLO] de Santé Canada, Institut canadien d’information sur la santé [ICIS], Commissariat aux langues officielles du Canada) serait nécessaire pour obtenir des données populationnelles sur les diplômés et évaluer certaines retombées des formations à l’OA. Par exemple, si les données de l’ICIS sur les professionnels de la santé incluaient, en plus de la langue dans laquelle les professionnels offrent des services, la langue et le milieu de l’obtention du diplôme professionnel, nous pourrions avoir une meilleure idée du nombre de personnes susceptibles d’avoir reçu une formation à l’OA dans leur programme professionnel et analyser les relations entre cette formation, l’offre de services en français et l’accès à ces services.

6.2 Forces et limites de cette synthèse

D’une part, bien que cette synthèse de la littérature soit exhaustive, elle n’a pas été complétée en utilisant la méthodologie de revue systématique. D’autre part, cette synthèse descriptive est fondée sur ce qui a été publié dans les écrits ou présenté dans les conférences (Acfas, colloques régionaux du CNFS, etc.). D’autres programmes ont pu développer de nouvelles approches de formation à l’OA qui, lorsqu’elles ne sont pas mises en oeuvre dans le cadre de projet de recherche, demeurent souvent non publiées, et de ce fait pourraient ne pas avoir été repérées. Par contre, les autrices ont eu des liens avec plusieurs équipes de recherche différentes, permettant une connaissance de plusieurs initiatives réalisées dans l’ensemble du pays.

Conclusion

En conclusion, les travaux réalisés depuis 2008 indiquent une progression de la formation en OA des personnes apprenantes francophones et d’autres professionnels des services sociaux et de santé qui devrait ultimement faire avancer la pratique de cette OA en milieu de soins. Les défis demeurent nombreux pour systématiser cette formation et il faut continuer les efforts et la recherche quant à la formation des professionnels en OA pour aider à mieux répondre aux besoins des CFSM. Il reste aussi à évaluer l’impact des formations sur l’utilisation de cette compétence par les professionnels qui travaillent dans des milieux de soins anglodominants, sur l’offre de services de santé en français et sur l’accès à ces services par les CFSM.