Échos et débats

La stratégie de lutte contre la pauvreté : comparaison France-Québec[Notice]

  • Lionel-Henri Groulx

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  • Lionel-Henri Groulx
    École de service social
    Université de Montréal

Au Québec, l’élaboration et l’adoption d’une stratégie de lutte contre la pauvreté marquent-elles un tournant significatif dans la mise en oeuvre des politiques sociales et de l’action de l’État ? Nous trouvons-nous enfin devant le tournant social-démocrate attendu par certains ou plutôt dans la continuité de l’approche libérale qui s’est cristallisée dans la politique du déficit zéro ? Une manière de contribuer au débat consiste à comparer la stratégie québécoise avec la loi d’orientation française sur la pauvreté et les exclusions sociales qui a été votée en 1998 par un gouvernement soutenu par une gauche plurielle. Cette comparaison apparaît d’autant plus pertinente que le gouvernement du Québec affirme s’être inspiré de la législation française, allant jusqu’à employer les mêmes formules : « impératif national », « approche globale et innovatrice », « la pauvreté comme atteinte à la dignité humaine ». Malgré une rhétorique commune autour de la citoyenneté et de la solidarité, on retrouve des différences importantes entre les deux législations. Quatre thèmes liés à cette politique seront abordés, soit 1) la conception de la pauvreté et de l’exclusion sociale, 2) la vision de la prévention, 3) la vision du filet de sécurité sociale et 4) l’accès à l’emploi. Cette division ne fait que reprendre les orientations et les axes d’intervention de la stratégie de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale exposés dans l’énoncé de politique du gouvernement du Québec en juin 2002. On estime généralement que le concept de pauvreté en politique sociale trouve son origine dans la tradition libérale anglo-saxonne de recherche et d’action sociale, contrairement à celui d’exclusion sociale qui se rattacherait à la tradition républicaine française. L’énoncé québécois de politique définit peu ou pas le terme « exclusion », mais consacre un chapitre entier à décrire la situation du Québec en termes de pauvreté ou d’écarts de revenus et à repérer les groupes et territoires plus touchés par la pauvreté. Dans le projet québécois, la notion d’exclusion est formulée au singulier, contrairement à la loi d’orientation française qui traite des exclusions au pluriel. La notion d’exclusion est préférée, en France, à celle de pauvreté. On la conjugue au pluriel pour souligner son caractère multidimensionnel. On ne cherche pas à identifier des groupes cibles, mais on désigne plutôt des situations, des conditions difficiles d’existence en fonction des domaines de privation (logement, santé, emploi, éducation, culture, loisirs). La définition française des exclusions est surtout politique en tant que non-réalisation effective ou déni des droits sociaux garantis, obligeant à une approche transversale qui prend en compte la complexité et la multidimensionnalité des problèmes à résoudre. Par la notion d’exclusion, il s’agit moins de désigner des catégories particulières de la population, des groupes statistiques définis par un manque de ressources, que d’établir des parcours, des trajectoires et des processus ayant des causes multiples et entraînant un cumul de désavantages, donc des formes plurielles d’exclusion. La définition québécoise est plutôt socioéconomique. Le projet de loi québécois définit la pauvreté en tant que condition de privation de ressources et de moyens, de l’absence de choix et de pouvoir nécessaires pour acquérir et maintenir son autonomie économique (art. 2). On reste en continuité avec une logique des groupes cibles, enfermés ou piégés dans un état de pauvreté persistant ou des personnes en situation de non-autonomie économique (dépendance sociale). Une lecture en termes de groupe cible ou à risque peut entraîner des effets pervers. Malgré l’objectif de cibler pour intégrer plus efficacement, il arrive souvent qu’on isole ce groupe : au mieux, on le marginalise, au pire, on le stigmatise. Celui-ci devient entièrement défini par son manque. On en vient alors à …