Résumés
Résumé
Un outil de dépistage et d’intervention en violence conjugale a été implanté dans différents départements de deux centres hospitaliers. Ce projet de recherche évaluative fait état des facteurs qui ont favorisé ou nui à l’implantation du protocole. Ces facteurs ont été rapportés lors d’entrevues qualitatives réalisées avec les cadres des hôpitaux qui se sont impliqués dans le processus d’implantation. Ainsi, ces facteurs sont organisationnels (ressources humaines et budgétaires de l’hôpital, roulement de personnel, fonctionnement des départements et mandat des hôpitaux), reliés à l’intervention (confidentialité, suivi régulier de la clientèle) et personnels (attitude des intervenants et intervenantes et implication des personnes clés).
Abstract
A screening and intervention protocol in domestic violence has been implemented in two hospitals in the Montreal region. This research project looks at the factors that have helped or impaired this implementation. These factors have been reported during qualitative interviews with hospital management implicated in the implementation process. In fact, these factors are organisational, related to intervention and personal.
Corps de l’article
Suivant la mise sur pied de la politique d’intervention en matière de violence conjugale : Prévenir, dépister et contrer la violence conjugale, la Direction de santé publique de Montréal-Centre et la Direction de santé publique de la Montérégie ont pris l’initiative d’élaborer, en collaboration avec le Comité Priorité Violence Conjugale (CPVC), un programme de formation au dépistage et à l’intervention en matière de violence conjugale pour les intervenants et intervenantes de leur territoire. Dans ce contexte, un très grand nombre de professionnels et professionnelles de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont et du Centre hospitalier régional du Suroît ont été formés au dépistage et à l’intervention en violence conjugale.
Après avoir suivi ces formations, les professionnels et professionnelles de la santé ont manifesté l’intérêt d’avoir un outil pour les soutenir dans leurs interventions auprès des femmes vivant cette problématique. C’est dans cette optique qu’une trousse d’instruments de dépistage et d’intervention en violence conjugale a été préparée par des membres du CPVC grâce au financement conjoint de la Direction de santé publique de Montréal-Centre et de la Direction de la santé publique de la Montérégie. Par la suite, les deux Directions de santé publique ont demandé que la trousse d’instruments et son implantation dans les centres hospitaliers soient évaluées. Des chercheures du Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes (CRI-VIFF) ont ainsi été associées aux partenaires afin de réaliser l’implantation et l’évaluation de la trousse d’instruments.
Ce projet est novateur en ce sens qu’il intègre une démarche d’intervention préventive en violence conjugale dans le milieu hospitalier québécois. Il s’agit ainsi d’une première démarche d’implantation d’instruments de dépistage et d’intervention portant sur cette problématique sociale en milieu hospitalier. Une expérience similaire a déjà été réalisée en 1994 au CLSC Saint-Hubert avec des outils de dépistage et a eu un franc succès auprès des intervenants et intervenantes et des gestionnaires de l’établissement (Rinfret-Raynor, Turgeon et Dubé, 2001).
Cette expérience montre que la problématique est devenue plus visible et a pris plus d’importance dans le travail quotidien de tout le monde au CLSC. Le personnel professionnel et les cadres en discutent davantage. Plus précisément, après l’implantation du protocole de dépistage et d’intervention en violence conjugale, les intervenants et intervenantes du CLSC disent se sentir mieux outillés pour saisir les enjeux lorsque la violence conjugale est présente. Les professionnels et les professionnelles se sentent ainsi plus légitimés d’aborder la violence conjugale avec les femmes qui en sont victimes, même si celles-ci n’en parlent pas spontanément ou ne l’identifient pas nécessairement. Enfin, les professionnels du CLSC qui craignaient que le dépistage n’entraîne une augmentation de leur tâche, ont constaté, au contraire, qu’il leur a permis d’être plus efficaces auprès des clientes à qui ils donnaient déjà des services sans tenir compte de la violence. Ils se disent plus satisfaits de leur intervention auprès de cette clientèle.
Problématique
La violence conjugale a des effets néfastes à long terme sur la santé des femmes qui en sont l’objet. Ceux-ci se manifestent par un état de santé plus fragile, une qualité de vie moindre et un plus grand recours aux services de santé (Rinfret-Raynor et al., 2004). Ainsi, un pourcentage important de femmes victimes de violence conjugale consulte les urgences des hôpitaux pour des blessures physiques, des troubles gastriques, une perte d’appétit ainsi que pour des problèmes cardiaques (Coker et al., et Létourneau, Holmes et Chasendunn-Roark, cités dans Campbell, 2002 ; Smith Stover, 2005). La violence conjugale affecte aussi la santé mentale des femmes qui la subissent. Les psychiatres rencontrent des femmes violentées par leur conjoint pour des problèmes aussi variés que la dépression, le stress post-traumatique, l’anxiété, l’insomnie ainsi que la diminution de l’estime et de la confiance en soi (Watts, Zimmerman et Campbell, 2002 ; Ramos et Carlson, 2004). La consommation d’alcool et de drogues peut être un indice de la présence de la violence conjugale (Golding, cité dans Campbell, 2002 ; Rogers et al., 2003), certaines femmes consommant pour atténuer les symptômes de stress post-traumatique (Stark et Flitcraft, 1996). De plus, plusieurs femmes violentées consultent en gynécologie pour des problèmes associés à l’abus sexuel (Coker et al., et Létourneau et al., cités dans Campbell, 2002). La grossesse est aussi un facteur déclencheur ou aggravant de la violence conjugale (Jasinski, 2004). L’effet le plus connu de cette violence étant le risque de donner la mort à la mère et au foetus (Parson et Harper, cités dans Campbell, 2002 ; Campbell, García-Moreno et Sharps, 2004).
Comme nous l’avons relevé plus haut, les femmes victimes de violence conjugale recourent davantage aux services de santé. Une étude canadienne révèle que les femmes violentées par leur conjoint ont reçu trois fois plus de soins médicaux que les femmes qui ne le sont pas (Ratner, cité dans Campbell, 2002). Hotch et al. (1995) montrent aussi, dans leur étude, qu’un grand nombre de femmes violentées se sentent plus en sécurité au service des urgences de l’hôpital qu’ailleurs dans la collectivité, surtout lorsqu’elles recherchent de l’aide pour la première fois. Le nombre élevé de femmes victimes de violence conjugale qui recourent aux hôpitaux amène Campbell (2002) à recommander que le dépistage de cette violence se fasse dans tous les secteurs de la santé. Cette recommandation est d’autant plus pertinente que les femmes violentées qui consultent pour des problèmes de santé ne dévoilent que rarement la violence dont elles sont victimes (Sharps et al., 2001). Les médecins qui n’incluent pas le dépistage dans leur pratique peuvent perdre beaucoup de temps à chercher d’autres explications à des problèmes découlant d’une situation de violence conjugale (Campbell, 2002), ce qui, au bout du compte, fait vivre de l’impuissance à la victime ainsi qu’au personnel professionnel et coûte cher au système de santé (Zink et Putnam, 2005). Or, très peu d’hôpitaux canadiens utilisent des protocoles de dépistage de la violence conjugale (Hotch et al., 1996). Et lorsque ces protocoles existent, ils ne comprennent pas les trois interventions clés permettant d’identifier et d’aider les victimes de violence conjugale (avoir un protocole écrit, faire du dépistage systématique et donner un soutien moral sur place ainsi que des références).
Des études portant sur l’implantation de protocoles de dépistage de la violence conjugale en milieu hospitalier relèvent les lacunes soulevées par les professionnels et les professionnelles qui les utilisent. À ce sujet, les membres du personnel professionnel interrogé par Davis et Harsh (2001) indiquent que la formation inhérente au programme de dépistage était de trop courte durée et incomplète, particulièrement en ce qui concerne les références et le suivi. Dans le même ordre d’idées, une étude réalisée par Beaudoin et al. (2000) révèle que les intervenants et les intervenantes ne veulent pas dépister s’ils n’ont pas les connaissances adéquates pour développer les habiletés leur permettant de pousser plus avant leur intervention (évaluation, documentation, références, suivi, etc.). Gamble (2000) mentionne également que plusieurs membres du personnel hospitalier vont accepter de dépister les femmes à condition d’avoir les connaissances et les outils pour intervenir et offrir un suivi. Aux États-Unis, l’étude de Zink et Putnam (2005) indique que la Commission conjointe pour l’accréditation des organisations en soins de la santé a décrété obligatoires la formation et les protocoles en violence conjugale dans les services de santé, dont les hôpitaux, pour recevoir cette accréditation. Ces résultats de recherche incitent les chercheurs et les chercheuses à penser qu’il faut développer des outils d’intervention afin de répondre aux besoins des professionnels de la santé qui demandent d’être outillés dans leur pratique auprès des femmes victimes de violence conjugale.
Toutefois, l’implantation d’instruments de dépistage et d’intervention en violence conjugale dans les milieux hospitaliers exige que l’on tienne compte de certains facteurs. Selon Gamble (2000), la formation pré-implantation ne suffit pas pour intéresser les professionnels et les professionnelles de la santé à intervenir en violence conjugale. Une formation continue est nécessaire, entre autres, afin de s’assurer que les nouveaux membres du personnel reçoivent l’information, que les professionnels en place soient au courant des changements apportés au protocole et que les intervenants et intervenantes de première ligne puissent réagir sur ce dernier. À ce propos, l’étude de Zink et Putnam (2005) révèle que le dépistage et l’aménagement de protocoles en violence conjugale font partie intégrante du programme de formation continue pour les divers membres du corps professionnel des établissements de soins de santé. Diverses auteures (Gamble, 2000 ; Stayton et Duncan, 2005) vont plus loin que la suggestion de formation continue en violence conjugale et proposent que des cours portant sur la violence conjugale soient intégrés au programme offert en médecine et en sciences infirmières de sorte que les jeunes professionnels soient sensibilisés à la problématique et à son dépistage très tôt dans leur pratique. Cette façon de procéder pourrait faciliter l’implantation d’un protocole et son intégration à long terme dans leur futur établissement hospitalier. De plus, les cadres devraient être partie prenante dans l’intégration d’un programme d’intervention en violence conjugale afin de s’assurer de leur appui décisionnel et financier ainsi que de leurs connaissances du système bureaucratique et des politiques de l’hôpital. Les groupes communautaires locaux avec lesquels les intervenants doivent entrer en contact devraient eux aussi être des partenaires associés au programme.
On peut penser que les contraintes inhérentes à l’infrastructure d’un centre hospitalier (diminution des ressources humaines et financières, roulement de personnel, mandat des hôpitaux et fonctionnement des départements) peuvent rendre plus ardue l’implantation, en son sein, d’un ensemble d’outils de dépistage et d’intervention en violence conjugale. Cependant, aucune étude, à l’heure actuelle, ne relève ce type de difficultés.
Pour comprendre les résultats du processus d’implantation et d’évaluation de la trousse d’instruments de dépistage et d’intervention en violence conjugale dans un contexte hospitalier, nous présenterons, dans la section sur la méthodologie, une brève description de cette trousse, les démarches et les stratégies d’implantation, les méthodes utilisées pour évaluer cette implantation et les entraves à la réalisation de cette recherche évaluative. Par la suite, nous exposerons les résultats. Ceux-ci aborderont principalement la perception de la trousse d’instruments par les gestionnaires quant à son contenu, son format et son utilisation et les facteurs du milieu hospitalier qui ont favorisé ou nui à son implantation, soit 1) les caractéristiques organisationnelles, 2) celles reliées à l’intervention et 3) celles qui sont propres aux professionnels et gestionnaires du milieu hospitalier. Plus précisément, le premier type de caractéristiques concerne les ressources humaines et budgétaires de l’hôpital, le roulement du personnel, le fonctionnement des départements et le mandat des hôpitaux. Le deuxième type de caractéristiques a trait à la confidentialité et au suivi de la clientèle et le troisième type se rapporte à l’attitude des intervenants et des intervenantes et à l’implication des personnes clés. Dans un troisième temps, nous discuterons des résultats et, finalement, nous conclurons cet article.
Les objectifs
Certains objectifs ont été établis afin d’évaluer l’implantation d’une trousse d’instruments de dépistage et d’intervention en violence conjugale en milieu hospitalier ; les voici :
recueillir le point de vue des gestionnaires des hôpitaux et des départements ciblés concernant la trousse d’instruments de dépistage et d’intervention en violence conjugale implantée dans leur milieu ;
relever les facteurs facilitant ou entravant l’implantation de la trousse d’instruments ;
proposer des recommandations pour faciliter l’implantation des outils d’intervention en violence conjugale dans les milieux hospitaliers.
La méthodologie
La recherche comporte donc deux volets principaux, soit l’implantation d’une trousse d’instruments de dépistage et d’intervention en violence conjugale dans deux milieux hospitaliers ciblés et l’évaluation de cette implantation.
Présentation de la trousse d’instruments
Le DÉDRI est une trousse d’instruments qui vise à faciliter le Dépistage, l’Évaluation, la Documentation, la Référence et l’Intervention en violence conjugale pour les professionnels et les professionnelles de la santé et des services sociaux oeuvrant en milieu hospitalier. Il comporte deux principaux types d’instruments : des aide-mémoire et des formulaires. Les aide-mémoire renferment certaines notions importantes concernant la violence conjugale ; les intervenants et intervenantes s’y réfèrent au besoin pour se rappeler certains principes ou certaines façons de faire. Les formulaires, quant à eux, correspondent à des fiches à remplir à partir des informations recueillies lors de la rencontre avec la femme ; ces formulaires sont ensuite intégrés au dossier médical de la patiente. Pour l’un des deux hôpitaux, les formulaires sont plutôt insérés dans un dossier créé spécialement pour conserver les informations traitant de la violence conjugale.
Implantation
L’implantation de la trousse d’instruments s’est effectuée dans sept départements des deux hôpitaux participant à l’étude, soit le département de l’urgence, le centre mère-enfant (département d’obstétrique et de pédiatrie) et le département de psychiatrie (interne et externe) du Centre hospitalier régional du Suroît ; et dans les départements de gynécologie et d’obstétrique, de pédiatrie, de psychiatrie (interne et externe) et l’unité de médecine familiale de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. La sélection des départements s’est effectuée à partir de la littérature et des contraintes relatives au contexte hospitalier prévalant au Québec au moment de l’étude. Notons que le projet de recherche n’a pas été mené de manière simultanée dans les deux hôpitaux.
La première étape de l’implantation a consisté en une formation sur la problématique, le dépistage et l’intervention en violence conjugale ainsi que sur la trousse d’instruments implantée dans chacun des départements participant à la recherche évaluative. La formation visait à sensibiliser les intervenants et les intervenantes à la violence conjugale, à les préparer à utiliser les instruments de la trousse et à intervenir avec plus d’aisance auprès de la clientèle des femmes violentées. La formation, d’environ 12 heures, a été répartie en plusieurs sessions selon les disponibilités du personnel des départements. Au Centre hospitalier régional du Suroît, elle s’est déroulée sur trois jours de février à mai 2001. Durant la première journée, les professionnels et les professionnelles ont été formés à la problématique de la violence conjugale. Cette journée n’était pas obligatoire pour les gens qui avaient déjà reçu une formation sur la problématique. La deuxième journée était consacrée à l’intervention et à l’utilisation de la trousse d’instruments (obligatoire pour tous) et la troisième journée, qui regroupait le contenu des premières rencontres de formation, s’adressait exclusivement aux intervenants sociaux. En ce qui concerne la formation à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, elle était subdivisée en blocs de deux ou trois heures plutôt qu’en journées et s’est échelonnée de mai à décembre 2001. Le contenu des deux premiers blocs portait sur la problématique de la violence conjugale et celui des deux autres sur l’intervention et l’utilisation des instruments implantés. Comme précédemment, les intervenants ayant reçu une formation antérieure n’étaient pas obligés d’assister aux deux premiers blocs pour être considérés comme étant formés. Les rencontres de formation ont été développées et données par des membres du Comité Priorité Violence Conjugale et ont été financées par la Direction de santé publique de chacune des régions. En tout, 39 professionnels du Centre hospitalier régional du Suroît et 58 de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont ont suivi la formation en entier.
Par la suite, plusieurs stratégies ont été mises en oeuvre par l’équipe de recherche afin de sensibiliser à la violence conjugale les professionnels et les professionnelles n’ayant pas reçu la formation. D’abord, un mois après la fin des formations, des kiosques et des dépliants portant sur la violence conjugale ainsi que sur son dépistage ont été réalisés. Ces journées d’informations ont eu lieu dans un endroit passant de l’hôpital, afin d’atteindre le plus grand nombre possible de personnes y travaillant. De plus, des affiches ont été installées dans les départements touchés par la recherche évaluative. Elles illustraient divers instruments de dépistage et d’intervention en violence conjugale, compris dans la trousse d’outils qui allait être implantée.
Après les formations, une professionnelle de recherche s’est rendue à l’hôpital une journée par semaine afin de répondre aux questions des intervenants et des intervenantes. Toutefois, cette démarche n’a pas été reprise dans le second hôpital, car elle ne semblait pas adaptée au contexte du milieu hospitalier. En effet, en un mois, aucun intervenant ou intervenante n’est venu consulter la professionnelle de recherche.
Peu avant la mise en place de la trousse d’instruments, une lettre, signée par la direction de l’hôpital, a été envoyée aux chefs des départements afin de les informer de l’arrivée de la trousse. Ce sont ces derniers qui se sont occupés de distribuer les documents aux endroits préalablement établis avec l’équipe de recherche (un an après les formations). Le nombre et l’emplacement des documents ont été déterminés avec chacun des chefs d’unité des deux hôpitaux.
Méthodes d’évaluation
Afin de répondre aux trois objectifs mentionnés, soit 1) recueillir la perception des cadres à l’égard de la trousse d’instruments, 2) relever les facteurs ayant influencé le processus d’implantation et 3) formuler des recommandations pour une future démarche d’implantation d’un instrument de dépistage et d’intervention en violence conjugale dans les milieux hospitaliers, des entrevues qualitatives ont été réalisées auprès des cadres ayant participé à l’implantation de la trousse d’instruments dans les deux hôpitaux. Ces derniers étaient tous des chefs d’équipe, donc des superviseurs et des superviseures au quotidien. Ces personnes clés ont été privilégiées pour participer aux entrevues parce qu’elles ont effectué le lien entre le milieu hospitalier et le milieu de recherche tout au long du projet. À cause de leur rôle dans le milieu hospitalier, elles possèdent une vision à la fois globale et précise du processus d’implantation dans chacun des départements ciblés pour celle-ci. Les entrevues se sont déroulées six mois après l’implantation de la trousse d’instruments de dépistage et d’intervention en violence conjugale. Au total, trois cadres du Centre hospitalier régional du Suroît et cinq cadres de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont ont été rencontrés. La moyenne d’âge des répondants était de 49 ans (É.T. = 6,88) et les femmes étaient majoritaires (62,5 %). Ces cadres avaient, en moyenne, 14 années d’expérience (É.T. = 6,23) en tant que gestionnaire en milieu hospitalier.
Entraves à la réalisation de la recherche évaluative
Certains éléments ont fragilisé la structure de la recherche. Un an s’est ainsi passé entre le moment où les deux directions d’hôpitaux ont donné leur aval au projet et celui où la subvention a été accordée. Ce laps de temps comprend la création du projet de recherche évaluative, l’élaboration d’une demande de financement détaillée à un organisme subventionnaire gouvernemental pour réaliser le projet et l’évaluation de la pertinence et de la qualité de l’un et de l’autre par l’organisme subventionnaire.
Entre-temps, le départ du directeur des services professionnels dans l’un des deux hôpitaux ainsi que l’absence d’une nouvelle personne à ce poste durant la période de la recherche ont rendu difficile l’appui à l’implantation du projet dans cet établissement. Ajoutons à ces conditions peu favorables de nombreuses compressions budgétaires dans le secteur de la santé au Québec qui ont entraîné une diminution de la disponibilité du milieu hospitalier dans la gestion de nouvelles priorités sanitaires. Ces facteurs ont fait en sorte que les milieux de pratique n’ont pas été aussi bien préparés que les chercheuses l’eussent souhaité à la venue du projet. Afin d’atténuer ces difficultés, plusieurs rencontres ont dû être effectuées avec les directions des hôpitaux pour les convaincre de poursuivre leur engagement dans ce projet de recherche évaluative et de mettre en place les conditions nécessaires pour sa réussite.
Les résultats
Perception de la trousse d’instruments
Les entrevues qualitatives ont permis de recueillir le point de vue des gestionnaires des hôpitaux et des départements ciblés concernant la trousse d’instruments de dépistage et d’intervention en violence conjugale implantée dans leur milieu.
Pour ce qui est du contenu de la trousse d’instruments, les répondants et les répondantes considèrent qu’elle est complète et apporte beaucoup d’informations sur la problématique. La trousse apparaît comme un bon outil de formation et de transmission des connaissances. Selon les cadres, la trousse d’instruments rend les interventions plus efficaces. Toutefois, les formulaires ne semblent pas pertinents pour les répondants, car ils ont déjà leur propre méthode de travail. Les participants et participantes rapportent d’ailleurs que ces formulaires leur posent problème, car le fait de les remplir leur occasionne un surplus de travail. De plus, ceux-ci considèrent que le fait de créer un dossier spécial pour la violence conjugale afin de conserver ces formulaires vient alourdir leur tâche.
Les gestionnaires interrogés ont également donné leur point de vue relativement au format de la trousse d’instruments. Ceux-ci apprécient son organisation et sa présentation. L’algorithme (schéma arborescent guidant l’utilisateur de la trousse d’instruments à travers les différentes étapes d’intervention en violence conjugale) et un tableau synthèse (énumération des outils retrouvés à chacune des étapes d’intervention ainsi que les pages où ils se retrouvent dans le guide) contenus dans la trousse facilitent sa consultation. Cependant, il s’agit d’un document « imposant » (pour le nombre de pages) et coûteux, ce qui limite sa diffusion dans l’ensemble de l’hôpital. Afin de combler cette lacune, les répondants et les répondantes suggèrent de produire une formule abrégée de la trousse d’instruments, ce qui en augmenterait la diffusion et l’accessibilité à l’ensemble du personnel hospitalier en plus de faciliter le dépistage et l’intervention, car sa consultation en serait rendue plus efficace.
D’après les participants et les participantes rencontrés, la trousse d’instruments semble très peu utilisée par les professionnels et professionnelles de la santé. L’utilisation principale de la trousse d’instruments consiste en sa consultation afin d’acquérir plus de connaissances sur la problématique. La trousse est également utilisée comme outil d’enseignement et de transmission de connaissances. Elle a même été incluse dans la formation relative à la violence conjugale donnée aux médecins résidents. À cet effet, certains répondants et répondantes suggèrent d’ajouter une section à la trousse permettant aux intervenants et intervenantes d’insérer des documents (articles, dépliants) concernant la violence conjugale.
Facteurs d’implantation
L’analyse qualitative des entrevues avec les cadres révèle trois catégories principales de caractéristiques qui ont facilité ou entravé l’implantation de la trousse d’instruments de dépistage et d’intervention en violence conjugale. Ces catégories concernent le milieu hospitalier, soit les caractéristiques organisationnelles, celles reliées à l’intervention et celles rattachées aux professionnels et professionnelles de l’hôpital. Le tableau 1 en fin de section résume ces facteurs.
Certaines caractéristiques organisationnelles ont influencé l’implantation de la trousse d’instruments. D’abord, le facteur le plus souvent rapporté par les répondants et les répondantes a trait aux ressources humaines et budgétaires de l’hôpital. Plus précisément, le manque de personnel de remplacement a fait en sorte que peu d’infirmières ont pu bénéficier de la formation inhérente à l’implantation. Au service des urgences, seulement deux personnes ont reçu la formation dans le premier hôpital et aucune dans le second. La pénurie d’infirmières amène aussi une surcharge de travail, leur laissant peu de temps pour dépister la violence conjugale et, par conséquent, pour utiliser la trousse d’outils. À l’inverse, les gestionnaires des cliniques externes rattachées aux départements ciblés ont pu facilement libérer l’ensemble des membres de leur personnel pour recevoir la formation et ainsi se familiariser avec la trousse implantée.
Une autre caractéristique organisationnelle desservant l’implantation est le roulement de personnel. Les congés de maladie occasionnent plusieurs remplacements. Dans le cas de l’unité de médecine familiale, comme il s’agit d’une unité d’enseignement, les médecins résidents y restent peu de temps. Ce roulement de personnel a entraîné une limitation du nombre de personnes formées lors de la mise en place de la trousse d’instruments.
D’autres facteurs relatifs au fonctionnement des départements à l’étude ont influencé l’implantation de la trousse d’instruments. Son intégration a été facilitée, par exemple, par la présence d’équipes multidisciplinaires. Ainsi, le fait que tous les professionnels et professionnelles impliqués auprès d’un patient se voient lors de réunions d’équipe met en perspective la prise en compte des problématiques sociales dans le dossier. La concertation amène une sensibilisation à la violence conjugale dans l’intervention et à l’utilisation de la trousse d’instruments qui ne serait peut-être pas présente chez tous les professionnels du département. Toutefois, des éléments relatifs au fonctionnement des départements ciblés et de l’hôpital ont entravé l’implantation de la trousse d’instruments. Selon un gestionnaire, le militantisme syndical d’un département a amené les infirmières à voir l’utilisation de la trousse comme un surplus de travail. Les participants et participantes soulignent aussi des changements structurels au plan hospitalier. Ainsi, le fonctionnement de l’hôpital s’effectuant maintenant par programme de clientèle plutôt que par département, le nombre de personnes formées dans les équipes de travail est réduit.
Il importe aussi de prendre en compte le rôle des hôpitaux relativement à l’implantation d’instruments de dépistage et d’intervention en violence conjugale. Le mandat des hôpitaux est plus axé sur le traitement des problèmes de santé physique de la clientèle rendant ainsi les problématiques sociales moins pressantes pour ceux-ci. Dans ces circonstances, il va sans dire que la mise en place de la trousse d’instruments devient plus difficile.
Certaines caractéristiques liées à l’intervention dans les milieux hospitaliers ont aussi influencé l’implantation de la trousse d’instruments ; la plus déterminante est la confidentialité. Selon les répondants et répondantes, la section de la trousse d’instruments comprenant les formulaires à intégrer au dossier médical de la patiente lui porte préjudice, car l’information concernant la violence conjugale est divulguée à l’ensemble des professionnels qui consultent son dossier médical.
Les répondantes relatent, néanmoins, que les professionnels et les professionnelles qui suivent leurs patientes sur une base régulière, c’est le cas notamment des intervenants et intervenantes de l’unité de médecine familiale et de la pédiatrie, sont mieux à même de faire des constatations par rapport à la violence conjugale subie par la femme et d’aborder la problématique avec elle. De plus, on rapporte que le contact régulier avec la clientèle de l’hôpital rend les professionnels plus sensibilisés aux problématiques sociales.
Les caractéristiques personnelles des professionnels et des gestionnaires du milieu hospitalier sont d’autres facteurs à considérer dans l’évaluation de l’implantation. En effet, les répondants et répondantes perçoivent l’attitude des intervenants et intervenantes et l’implication des personnes clés comme des éléments fondamentaux de l’implantation de la trousse d’instruments. D’abord, l’ouverture et l’intérêt des intervenants et surtout des gestionnaires ont grandement facilité l’implantation. Les répondants soulignent aussi la sensibilisation des intervenants et des intervenantes à la problématique. Par contre, l’implication ou non des médecins a grandement influencé l’implantation. En effet, l’implication des médecins était déterminante dans la volonté des intervenants d’utiliser ou non la trousse d’instruments. Également, le manque de personnes ressources rattachées au projet pour chacun des départements a fait en sorte que la trousse d’instruments a été oubliée à cause de la lourdeur des tâches quotidiennes.
Discussion
La nécessité de dépister et d’intervenir en violence conjugale dans les milieux hospitaliers a été clairement démontrée dans cette recherche évaluative. Toutefois, certaines conditions doivent être réunies pour rendre cette intervention la plus efficace possible. Les hôpitaux sont des institutions où la probabilité d’intervenir en contexte d’urgence est une des plus élevées dans le domaine de la santé et des services sociaux. Ils répondent, avant tout, à une culture curative ou palliative de la souffrance physique. En ce sens, la promptitude et l’exactitude pour évaluer un problème et le traiter caractérisent en général le processus d’intervention. Or, il ne faut pas oublier que le dépistage en violence conjugale a d’abord été conçu dans un esprit d’intervention préventive, et ce, à différents stades de prévention (Rinfret-Raynor, Turgeon et Dubé, 2001 ; 2002). De plus, la réalité singulière du milieu de la santé au Québec actuellement rend extrêmement difficile la gestion de l’urgence. La prévention dans ce contexte n’est pas une priorité, surtout en l’absence de blessures physiques.
La perception et les recommandations des cadres interrogés dans l’étude deviennent dès lors importantes à considérer pour la prise en compte de cette problématique sociale dans les milieux hospitaliers québécois. Ainsi, ils mentionnent que le contenu et le format du DEDRI en font un ouvrage de consultation, de formation continue et même d’enseignement permettant à leur personnel d’améliorer l’efficacité des interventions en violence conjugale. En revanche, selon eux, le DEDRI ne doit pas être utilisé comme un instrument de travail quotidien. Les professionnels et professionnelles de la santé parlent d’un outil trop volumineux, dont les formulaires sont trop laborieux à remplir et à consigner dans des dossiers propres à la problématique. C’est pourquoi les cadres suggèrent de modifier et de simplifier la trousse d’instruments afin qu’elle devienne un outil de dépistage facilement utilisable par tout le personnel de l’hôpital. Les répondants et répondantes affirment qu’un outil de dépistage est plus important qu’un outil d’intervention pour le milieu hospitalier, ce milieu étant centré davantage sur la santé physique des personnes que sur les problématiques sociales vécues par celles-ci. Pourtant, il est démontré que le fait d’évaluer la santé d’une personne avec une vision globale, qui tient compte à la fois des déterminants physique, social, affectif, psychologique, spirituel et culturel, a des répercussions sur le bien-être de celle-ci (Santé Canada, 1997). Le dépistage et l’intervention en violence conjugale dans le milieu hospitalier fait partie des approches de prévention sociale promouvant à la fois la santé physique, psychologique et mentale des femmes puisqu’ils permettent de réduire le nombre de femmes victimes de cette violence ou d’en atténuer les conséquences.
Une récente étude présente la notion de facteurs muables et immuables dans le dépistage de la violence conjugale (Stayton et Duncan, 2005). L’outil de dépistage fait partie des facteurs muables. Ainsi, dans un but d’efficience, il est possible d’adapter l’outil en fonction du milieu d’utilisation. Il sera ainsi plus approprié pour certains départements d’hôpitaux, tels que l’urgence par exemple, d’avoir un instrument plus court, privilégiant des questions directes (Stayton et Duncan, 2005). Une étude a récemment été réalisée auprès de gens consultant l’urgence afin de vérifier si une question simple et directe concernant le vécu de violence conjugale semblait appropriée dans le contexte d’une consultation médicale à l’urgence (Hurley et al., 2005). La majorité des gens à qui l’on a demandé s’il était approprié de poser la question suivante à une femme victime de violence conjugale consultant l’urgence « Est-ce que vous subissez des comportements violents ou des menaces de comportements violents de quelqu’un qui vous est intimement lié ? » ont répondu par l’affirmative.
Les cadres rapportent aussi certaines caractéristiques organisationnelles qui ont desservi l’implantation du DEDRI. Ils mentionnent ainsi un manque de ressources humaines (pénurie d’infirmières, roulement de personnel) et budgétaires. Ces caractéristiques ne sont pas indépendantes du contexte hospitalier québécois au moment de la recherche. La mise à la retraite massive et anticipée des infirmières et les compressions budgétaires dans le système de la santé ont eu de nombreux effets directs et indirects, entre autres, sur la prestation des services. Ces effets pour la plupart impossibles à mesurer et donc à contrôler conduisent à repenser la notion de dépistage et d’intervention en violence conjugale pour les professionnels et les professionnelles du secteur hospitalier.
Les cadres recommandent ainsi des stratégies d’implantation d’un outil de dépistage plus élargies, moins coûteuses et réparties à l’ensemble des professionnels et des professionnelles de la santé. En ce sens, ils suggèrent des campagnes de sensibilisation à la problématique auprès de l’ensemble de la clientèle et des membres du personnel hospitalier. Ils proposent aussi le lancement officiel du programme d’implantation et l’implication de tous les membres du personnel hospitalier dans l’application de ce programme. Ils précisent aussi que l’implication des médecins est particulièrement importante puisqu’ils représentent des personnes influentes dans les départements. Ces stratégies auraient un impact certain sur l’implantation d’un outil de dépistage puisqu’elles tiennent compte du fonctionnement multidisciplinaire des départements. Ainsi, le fait que tous les professionnels impliqués auprès d’un patient se voient lors de réunions d’équipe favorise la prise en compte des problématiques sociales. À cet égard, une sensibilisation élargie à l’ensemble du personnel hospitalier fournirait une base équivalente de connaissances sur la problématique aux équipes multidisciplinaires.
Les caractéristiques organisationnelles ne sont pas les seules à jouer un rôle dans l’application d’un programme de dépistage et d’intervention en violence conjugale dans le milieu hospitalier. Deux caractéristiques liées à l’intervention sont nommées par les cadres : la confidentialité et le suivi auprès de la clientèle. La première caractéristique est liée à l’outil. Les formulaires du DEDRI à remplir pour chacune des femmes dépistées sont intégrés à leur dossier médical. Le comité d’éthique d’un des deux hôpitaux participants, craignant la divulgation trop élargie de ces informations confidentielles, a demandé la conservation de ces formulaires dans un dossier spécial. Or, le surplus de travail qu’engendre cette décision a rebuté plusieurs professionnels et professionnelles à dépister et intervenir en violence conjugale. Les cadres suggèrent ainsi de laisser à leur discrétion la façon de s’approprier les connaissances fournies dans le DÉDRI. Selon eux, les professionnels vont chercher le matériel dont ils ont besoin selon leurs habiletés à dépister et intervenir en violence conjugale.
L’autre caractéristique liée à l’intervention concerne le suivi auprès de la clientèle. Les cadres ont identifié la facilité de dépister et d’intervenir en violence conjugale lorsque les professionnels et professionnelles rencontrent les femmes sur une base régulière. Le suivi leur donne plus d’occasions et de latitude pour dépister la violence conjugale et répondre de façon appropriée aux besoins d’intervention des femmes.
Deux autres caractéristiques favorisant l’implantation d’outils de dépistage et d’intervention en violence conjugale sont plus reliées à des déterminants personnels de l’individu. Les cadres relèvent ainsi l’attitude des intervenants et des intervenantes ainsi que l’implication des personnes clés. Ces deux caractéristiques dépendent, du moins en partie, de la motivation intrinsèque à dépister et intervenir en violence conjugale. La sensibilisation des personnes clés et des gestionnaires aux répercussions positives de ce type d’intervention sociale a permis une plus grande ouverture et davantage d’implication du personnel hospitalier. Le personnel clé, porteur du dossier, doit être particulièrement convaincu du bien-fondé de dépister et d’intervenir en violence conjugale afin de prévenir et de faire cesser cette violence, et ce, d’autant plus s’il est peu nombreux.
Conclusion
L’expérience acquise lors de cette étude ainsi que l’analyse des résultats mettent en lumière quelques pistes d’action à considérer pour des recherches évaluatives futures portant sur l’implantation d’outils de dépistage et d’intervention en violence conjugale dans les milieux hospitaliers.
D’abord, l’expérience vécue au cours de la recherche montre à quel point il est difficile d’insérer la recherche sociale dans les milieux hospitaliers, où le mandat principal est de traiter les problèmes de santé physique de la population. Ainsi, les chercheurs et chercheures doivent s’assurer d’avoir un appui clair de tout l’hôpital, de la direction ainsi que des intervenants et intervenantes, avant l’implantation et tout au long de la recherche, afin de maintenir le statut prioritaire de la problématique de la violence conjugale.
Les stratégies de sensibilisation, à ce titre, deviennent des plus importantes, non seulement pour favoriser une motivation véritable de la part des professionnels et professionnelles de la santé envers une problématique sociale, mais aussi pour en intégrer, de façon durable, sa connaissance, son dépistage et son intervention. La formation continue, en ce sens, est une stratégie de sensibilisation appropriée à la problématique de la violence conjugale et à toute problématique sociale. Elle permet de fait aux intervenants et intervenantes de maintenir à jour leurs connaissances ainsi que leur façon de dépister et d’intervenir en leur permettant de répondre de façon ponctuelle à leurs interrogations. Toutefois, une mise en garde, exprimée par les cadres, quant au contenu de cette formation doit être prise en considération lors de l’élaboration de celle-ci. Ainsi, la formation doit être relativement courte et donnée à plusieurs reprises ; elle doit aussi être adaptée à différents secteurs de pratique et axée sur l’intervention et l’application des outils.
En plus de la formation continue, il pourrait être judicieux d’offrir à l’université, dans les programmes de médecine et de sciences infirmières, des cours portant sur la problématique de la violence conjugale (incluant le dépistage et l’intervention). Cette façon de procéder recèle plusieurs avantages. Elle pourrait permettre le renforcement de pratiques adéquates pour intervenir et dépister la violence conjugale chez de nombreux professionnels et professionnelles qui sont, pour la plupart, à leur première formation en violence conjugale. Avec l’intégration universitaire, on se prévaudrait d’une formation de base de qualité et équivalente pour tous, les connaissances théoriques et pratiques étant constamment remises à jour. On s’assurerait aussi de l’instauration d’un réflexe adéquat de dépistage et d’intervention en violence conjugale auprès d’individus déjà en formation.
Les infirmières au triage, comme elles constituent le premier contact de la patiente avec l’hôpital, sont des personnes clés dans le dépistage et l’intervention en violence conjugale, mais aussi des personnes difficiles à rejoindre étant donné la nature de leur travail. D’où l’importance de former des infirmières-chefs qui, à leur tour, pourront former leur personnel ou encore, d’avoir une personne de confiance connue du personnel hospitalier qui se chargera de les sensibiliser par de la formation continue. Cette personne de confiance pourrait provenir des maisons d’hébergement ou y être associée, le personnel de ces organismes démontrant une spécialisation en matière de violence conjugale. La concertation entre le monde hospitalier et le milieu communautaire, par leur complémentarité, serait ainsi des plus bénéfiques pour les femmes victimes de violence conjugale. Les soins physiques indispensables aux victimes s’accompagneraient de l’intervention sociale tout aussi nécessaire.
Actuellement, au Québec, les hôpitaux doivent agir dans un contexte de réduction budgétaire tout en maintenant la qualité des soins auprès de la clientèle. Cette situation amène les professionnels et professionnelles à intervenir davantage sur le plan de la santé physique que sur le plan social. Ce contexte laisse donc peu de place pour le dépistage de la violence conjugale et encore moins pour l’utilisation d’instruments complexes pour ce faire. Les résultats démontrent l’importance de construire un outil de dépistage et d’intervention mieux adapté à la réalité du milieu hospitalier. Il doit à la fois être court, précis et efficace, compte tenu du peu de temps dont disposent les professionnels et les professionnelles de la santé.
Parties annexes
Notes biographiques
Maryse Rinfret-Raynor
Elle est professeure titulaire de l’École de service social de l’Université de Montréal. Directrice du Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes (CRI-VIFF) de 1993 à 2006, elle a dirigé de nombreux projets de recherche portant sur la violence conjugale. Les effets de la violence conjugale sur les femmes, les facteurs associés à celle-ci, son dépistage, les services offerts aux femmes et aux hommes en matière de violence conjugale, la garde et les droits d’accès en contexte de violence conjugale ne sont que quelques-uns des thèmes abordés dans ses études. Son investissement dans le champ de la violence faite aux femmes a donné un essor majeur à nos connaissances sur cette problématique au Québec, et placé notre province au centre des discussions internationales relatives à la violence faite aux femmes.
Myriam Dubé
Elle a complété des études postdoctorales en 2004 sur les facteurs psychosociaux du filicide avec le CRI-VIFF de l’Université Laval. Ses travaux ont fait principalement ressortir le lien entre le filicide et la violence conjugale. Elle est présentement chercheure au CRI-VIFF et en service social à l’Université de Montréal où elle est responsable de deux projets de recherche : l’évaluation du projet pilote d’implantation d’un protocole de collaboration intersectorielle pour les enfants exposés à la violence conjugale et l’analyse des situations d’homicides intrafamiliaux en contexte de séparation conjugale. Elle termine présentement une recherche-action, en partenariat avec la Maison d’hébergement Assistance aux femmes de Montréal, qui porte sur la garde et l’exercice des droits de visite en contexte de violence conjugale.
Christine Drouin
Elle est professionnelle de recherche au CRI-VIFF de l’Université de Montréal. Elle termine présentement une recherche-action en partenariat avec la Fédération des ressources d’hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec portant sur l’homicide conjugal. Son engagement dans ce projet a permis l’élaboration d’un guide, qu’elle a implanté dans les maisons de la Fédération, intitulé Agir pour prévenir l’homicide de la conjointe, dont elle est coauteure avec Julie Drolet. Elle travaille présentement sur la violence conjugale subie par les femmes âgées ainsi que sur les interventions réalisées auprès d’elles, et à l’implantation en Gaspésie d’un outil de dépistage de la violence conjugale qu’elle a développé en collaboration avec l’Alliance des maisons d’aide et d’hébergement de la Gaspésie pour femmes violentées dans un contexte conjugal et leurs enfants.
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