Avant-propos

Violences structurelles[Notice]

  • Michel Parazelli

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Aborder la question des violences structurelles dans l’intervention sociale soulève chaque fois les difficultés de les considérer au-delà de leur simple évocation. Pour plusieurs intervenants, agir directement sur les individus semble de prime abord plus accessible et concret que d’interpeller les institutions sociales ou les forces économiques qui produisent des inégalités. L’essentiel du travail social actuel ne consisterait-il pas à travailler sur les conséquences de ces violences structurelles ? L’histoire des luttes pour les droits civils et sociaux témoigne pourtant des possibilités bien concrètes d’agir sur ce qui produit les inégalités sociales ou sur ce qui menace les droits de la personne. Grâce aux actions syndicales, associatives ou militantes, un certain nombre de ces violences structurelles ont pu être mises au jour de façon à les combattre pour éviter d’en subir les conséquences sociales problématiques. Mais ce type d’actions tend à être dévalorisé par un certain nombre d’acteurs qui, par la voie médiatique, condamnent les opérations de défense de droits des citoyens locaux notamment, en qualifiant ces pratiques « d’immobilisme » eu égard aux projets de développement économique ou aux réformes néolibérales de politiques sociales. Les débats autour du comité Castonguay sur la réforme des services de santé sont éloquents à ce sujet. Pourtant, plusieurs se souviennent des effets désastreux du système privé de services de santé sur les personnes qui n’avaient pas les moyens de payer. Ce fait n’empêche pas certains groupes d’acteurs de tenter de persuader la population des bienfaits du privé dans ce domaine. D’autres types de violences structurelles existent aujourd’hui comme si elles faisaient partie de notre vie quotidienne ou que leurs conséquences n’étaient pas d’origine structurelle, mais comportementale, individuelle. L’exemple de l’augmentation fulgurante de l’obésité dans les sociétés industrielles est intéressant à ce sujet, car si la plupart des spécialistes accusent les transformations du mode de vie industriel, les pistes de solutions les plus souvent envisagées sont axées sur la responsabilité diététique individuelle ou, dit autrement, la « médicalisation de l’alimentation » (Mongeau, 2007 : 75). Et, pour ne pas aborder directement l’intoxication de masse qui est en jeu, on qualifiera ce problème d’« épidémie » ou de « pandémie » laissant jouer symboliquement la métaphore biomédicale de l’infection qui s’attraperait telle une maladie (Mongeau, 2007). Autrement dit, le type de rapport que nous établissons avec les violences structurelles semble correspondre à ce que Taussig (cité par Salazar, 2006 : 78) appelle le « secret public » : « Un “secret public” se définit comme “ce qui est de notoriété publique mais ne peut être articulé” (Taussig 1999 : 5). Il s’agit d’une connaissance communément partagée qui doit être réprimée, car elle menace l’illusion de la normalité nécessaire pour poursuivre la vie quotidienne ordinaire. » Selon cette hypothèse, il serait trop déprimant de reconnaître l’existence de ces violences dans la vie quotidienne alors il vaut mieux en nier la cause politique, sinon les manifestations de ces violences elles-mêmes. Signalons que, de façon générale, on définit la violence structurelle comme une forme d’agression commise par des organisations d’une société donnée qui a pour effet d’empêcher la réalisation des individus. Salazar (2006 : 78) précise cette définition en apportant quelques nuances sur la particularité de ce type de violence : Pensons au racisme, à l’élitisme, au sexisme, mais aussi à la relégation économique des travailleurs au nom du progrès économique ; à la privatisation des liens sociaux au nom de l’autoréalisation de soi ; et à la marchandisation croissante des activités humaines au prix de la non-prise en compte des subjectivités. Les trois dernières violences traversent de plus en plus de sphères de la vie sociale dans …

Parties annexes