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Ce numéro de Nouvelles pratiques sociales commence, selon l’habitude de la revue, par une entrevue. Menée par Pascal Aura et Laurence Lamarche, elle rend compte de l’action du Cirque Hors piste, qui mobilise l’art circassien pour intervenir auprès de jeunes en situation de précarité. Ensuite, le dossier thématique, coordonné par Mélanie Bourque, Josée Grenier et Stéphane Rullac, contient huit articles consacrés aux tensions qui traversent le champ du travail social. La rubrique Perspectives regroupe pour sa part cinq articles : deux de ces textes abordent des problèmes sociaux relatifs au logement, les trois autres proposant une analyse de dispositifs d’intervention, en examinant leurs fondements éthiques, leurs modalités ou encore leurs retombées. Se trouvent également dans ce numéro l’article gagnant du dernier concours étudiant, un écho de pratique consacré à la participation citoyenne dans l’organisation des services en santé mentale adulte et, finalement, un compte rendu de lecture d’un ouvrage portant sur la sociopsychanalyse réalisé par Yann Tremblay-Marcotte.

L’entrevue

Pascal Aura et Laurence Lamarche, tous deux aux études à la maîtrise en travail social (UQAM), ont rencontré la directrice du Cirque Hors piste, Karine Lavoie. Ce texte retrace la naissance de l’organisme, issu de l’action sociale du Cirque du Soleil, puis présente les bases des interventions qui y sont menées. Ces interventions partent du « développement d’une approche qu’on appelle une ‟approche Tandemˮ, qui implique le travail conjoint d’un intervenant social et d’un artiste ou un instructeur de cirque ». Les arts du cirque, en tant que « leviers dans le cadre de l’intervention », y sont mobilisés comme outils de transformation sociale pour développer la confiance et la participation sociale de jeunes ayant des parcours d’itinérance, de toxicomanie ou vivant diverses formes de marginalisation. Par le biais du spectacle, qui permet la rencontre entre les participant.e.s et un public, il s’agit également de modifier « le rapport à la communauté ainsi que les perceptions que pourrait avoir la communauté face aux personnes avec lesquelles nous travaillons ». Cette entrevue fort intéressante propose, par ailleurs, une réflexion sur l’importance du corps dans la rencontre de l’autre et le rapport à soi.

Le dossier thématique

Le dossier thématique, Travail social : des pratiques en tension?, est coordonné par Mélanie Bourque et Josée Grenier, toutes deux professeures à l’École de travail social de l’Université du Québec en Outaouais, et Stéphane Rullac, professeur à la Haute École de travail social et de la santé de Lausanne. Ce dossier propose un portrait des enjeux rencontrés dans divers contextes d’intervention : protection de la jeunesse, organismes dédiés aux situations de handicap sur le plan physique ou intellectuel, organisation communautaire, milieux d’insertion socioprofessionnelle et intervention relative au logement. Ce dossier présente l’intérêt de pouvoir rendre compte, de façon transversale à la multiplicité des problèmes sociaux et des modalités d’intervention visant à y répondre, de tensions qui se manifestent actuellement dans le champ du travail social. Il met ainsi en évidence que ces tensions, qu’elles soient structurantes pour l’action ou qu’elles la déstabilisent, traduisent la pluralité des logiques (transformation sociale, aide et soutien dans l’instant présent, dimensions organisationnelle, légale, politique…) avec lesquelles les intervenant.e.s doivent composer, quel que soit leur milieu de pratique. Les textes regroupés dans ce dossier montrent, également, que ces tensions reflètent les conflits de valeurs et d’intérêts traversant inévitablement le social. Bien qu’une certaine distance soit de mise, face à ces conflictualités, le travail social est bien souvent amené à se positionner – que ce soit dans l’actualisation quotidienne des interventions ou dans sa théorisation. L’analyse de ces tensions, de leurs sources et de leurs implications, se révèle alors précieuse pour éclairer et orienter les dynamiques des interventions sociales.

La rubrique Perspectives

La rubrique Perspectives comprend cinq articles. Le premier article, rédigé par Claudine Parent (professeure à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval) et de nombreuses collaboratrices, s’intitule « Un programme novateur en ligne pour les couples de familles recomposées ». Les auteures présentent un programme dont le but est « de fournir une expérience éducative en ligne aux couples/parents afin qu’ils puissent enrichir leurs connaissances de la recomposition familiale ainsi que leurs habiletés à communiquer et à résoudre leurs problèmes ». Ce dispositif destiné aux familles repose sur le fait « de rendre disponibles les résultats des recherches les plus pertinents pour prévenir la détérioration de leurs relations conjugales et familiales ». Le texte présente ainsi la démarche de recension d’écrits effectuée en vue d’alimenter le programme en ligne, puis le décrit brièvement.

Le deuxième texte, «Vivre en habitation à loyer modique (HLM) : quels éléments de contexte permettent de comprendre la situation de vulnérabilité de leurs résidents ?», est l'oeuvre de Zoé Dick Bueno (Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement, Université de Bordeaux), Caroline Adam (École de santé publique, Université de Montréal), Ginette Boyer (Institut de recherche en santé publique, Université de Montréal) et Louise Potvin (Département de médecine sociale et préventive, Université de Montréal). L’article met en évidence que, si l’intégration d’une habitation à loyer modique apporte une sécurité financière par rapport au logement, ses habitant.e.s témoignent « de problèmes de salubrité, de voisinage et de stigmatisation ». Partant de l’enquête menée auprès d’habitant.e.s de HLM à Montréal, les auteures concluent que « par la génération de ces éléments de contexte, l’environnement des HLM limite les effets positifs et entraîne une exposition accrue de ses habitants à un risque, avec une possibilité moindre ou inexistante de mobiliser les ressources, droits et capacités nécessaires pour y faire face ».

Le troisième texte, « Conceptualisation du harcèlement sexuel dans le logement : une revue des écrits », a été rédigé par Marie-Ève Desroches, candidate au doctorat en études urbaines (Institut national de la recherche scientifique). À partir d’articles, ouvrages et rapports publiés sur cette question, l’auteure inventorie en premier lieu les pressions, harcèlements et violences dont les femmes peuvent faire l’objet de la part de leurs propriétaires, concierges, gestionnaires d’immeuble, voisins ou cochambreurs. En second lieu, la recension s’attarde sur les caractéristiques susceptibles de rendre les femmes plus vulnérables à ces conduites problématiques : cela pointe que la pauvreté, bien entendu, mais aussi les contextes de monoparentalité et de célibat, de racisation ou encore d’immigration rendent le harcèlement ou les violences plus probables. Finalement, l’article relève que « la plupart des écrits recensés soulignent les nombreux obstacles à la formulation de plaintes ou à la demande d’aide ».

Le quatrième article procède également à une recension des écrits, celle-ci portant sur « Les conduites éthiques et le rétablissement ». Mélissa Roy, candidate au doctorat en service social à l’Université d’Ottawa, y défend la thèse suivante : « si le rétablissement d’autrefois s’ancrait dans une volonté de contester le statu quo, celui contemporain semble plutôt normalisateur, en demandant aux personnes ayant des problèmes de santé mentale d’agir en accord avec des attentes sociales, en se responsabilisant, se motivant, se travaillant et en étant autonome ». En explorant les conceptions qui sous-tendent le rétablissement visé, dans la littérature consultée, l’auteure discute des repères éthiques qui y sont mobilisés pour mettre en avant que le rétablissement est régulièrement relié à une « éthique du soi » valorisant la responsabilité et l’autonomie individuelles, l’initiative personnelle et la productivité. S’éloignant ainsi du rapport critique aux normativités prédominantes qui prévalait lors de l’émergence de ce concept, le texte pointe que son usage peut devenir compatible avec la marginalisation de personnes perçues comme peu impliquées dans leur rétablissement. Le texte conclut qu’« il importe de réfléchir de façon critique aux modèles, normes et styles de vie que le travailleur social peut inconsciemment imposer lorsqu’il intervient à partir du rétablissement ».

Le dernier texte de la rubrique est intitulé « Évaluation du Service de consultation interculturelle du Centre jeunesse de Montréal - Institut universitaire : sa contribution à la pratique, du point de vue des intervenantes ». Ses auteures, Annie Lebrun (candidate au doctorat en psychologie, Université du Québec à Montréal), Ghayda Hassan (professeure de psychologie, Université du Québec à Montréal) et Mylène Boivin (psychologue en pratique privée), y rendent compte de la démarche évaluative réalisée avec des intervenant.e.s ayant eu recours au service de consultation interculturelle de leur institution. L’article souligne que près de 40 % du public du Centre jeunesse de Montréal est issu de minorités ethnoculturelles, ce qui le conduit à devoir « s’adapter aux changements ethniques, religieux et culturels de la clientèle et développer des services correspondant aux besoins de celle-ci ». À partir des entrevues de recherche réalisées, les auteures concluent que « le SCI agit de manière alternée comme un lieu de réflexion ou comme un lieu d’action, selon les attentes et intérêts des intervenantes, ainsi que selon leur disposition à se remettre en question, à revisiter leurs pratiques ou encore, à réfléchir sur l’intervention à mettre en place ». Leur recherche montre que ce service de consultation peut jouer un rôle important pour développer une sensibilité aux enjeux culturels.

Le concours étudiant 2017

L’article gagnant du concours étudiant 2017 a été rédigé par Madeleine Huot, à la suite de la réalisation d’une maîtrise en travail social à l’Université de Montréal. Il s’intitule « La médiation familiale en présence de violence conjugale : quels sont les moyens mis en place pour assurer la sécurité des personnes? » L’auteure situe la problématique de la violence conjugale, en identifiant les enjeux qu’elle soulève pour la médiation familiale à partir d’une recension d’écrits. La démarche consiste ensuite à recueillir le point de vue de médiatrices ayant eu à intervenir en contexte de violence conjugale – ce point de vue venant globalement confirmer les constats issus de la recension d’écrits. L’article discute finalement des pistes de solution, en se basant sur les propositions formulées lors des entrevues de recherche.

Échos de pratique

Cet écho de pratique - « Soutenir la participation citoyenne dans l’organisation des services en santé mentale adulte : co-construction d'un outil de consultation des besoins dans les quartiers Ahuntsic et Montréal-Nord », est rédigé par Marie-Pier Cyr à partir d’une démarche réalisée dans le cadre d’une maîtrise en travail social à l’Université de Montréal. Il retrace un projet d’intervention développé entre septembre 2018 et avril 2019. Celui-ci visait à favoriser la participation d’adultes faisant appel à des ressources en santé mentale, au sein d’une démarche centrée sur l’identification de besoins en matière de santé mentale et à l’amélioration des services offerts dans ce domaine. Dans ce but, le projet a conduit à « co-construire un outil qui permet l’identification des besoins collectifs en matière de ressources et services en santé mentale adulte ». L’auteure présente par ailleurs les retombées de cette démarche, en particulier sur le plan de la mobilisation des personnes concernées et d’une meilleure connaissance de leurs réalités.

Bonne lecture !