Volume 8, numéro 1, novembre 2012 Sur le thème de l'homogénéisation et de la différenciation Sous la direction de Simon Laflamme et Claude Vautier
Sommaire (11 articles)
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Avant-propos
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Dialectique de l’homogénéité et de la différence
Simon Laflamme
p. 15–33
RésuméFR :
Deux grandes visions s’affrontent au XXe siècle : l’une veut que les sociétés humaines évoluent en se diversifiant, l’autre maintient que ces sociétés tendent vers la similitude. Mais ces visions sont nourries beaucoup plus par l’observation sommaire et l’autoréflexion que par l’analyse empirique. Les travaux empiriques qui se penchent sur cette problématique inclinent à relever une évolution double. Dans cet article, nous faisons état du positionnement contradictoire des visions en sciences humaines, nous tentons de fournir une explication de la double tendance que mettent en relief les travaux empiriques en en dialectisant les éléments et nous reprenons quelques-uns de nos travaux qui témoignent par l’observation de cette dialectique.
EN :
The twentieth century is dominated by two great visions: one maintains that human societies tend toward differentiation, the other tells us that they tend, rather, toward homogeneity. Both visions, however, are mainly supported by self-reflection, fleeting observations and little empirical data. The empirical works which have focused on this question speak of a twofold evolution. In this paper, we outline the contradictory postures of the main theoretical frameworks in the human sciences; we attempt to provide an explanation to the dual movement revealed through the above stated empirical works by treating as dialectical its elements; and we discuss some of our works in which we have observed this theorized dialectic.
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Pour une sociologie de l’écart. Affiliation et différenciation dans les processus de socialisation et d’urbanisation
Franck Dorso
p. 35–59
RésuméFR :
Le texte aborde la question de la tension entre homogénéisation et différenciation à partir des usages informels et illégaux de la ville. Au-delà des condamnations dont ils font l’objet, ces usages remplissent des rôles essentiels de régulation, au Nord comme au Sud, en termes économiques, urbains, sociaux, politiques. Ils constituent des formes de soupape des processus d’urbanisation mais aussi, plus globalement, de socialisation. Ils permettent dans ce registre des épisodes de retrait ou de transgression vis-à-vis du contexte normatif, sans pour autant remettre en cause l’ordre social. Cette logique de l’écart renvoie à la tension affiliation normative-différenciation qui innerve la socialisation. Le texte explore la dynamique de cette tension, comme une modalité du couple homogénéisation-différenciation, ainsi que ses implications en termes sociologiques et d’action urbanistique.
EN :
The text addresses the tension between homogenization and differentiation from the informal and illegal uses of the city. Beyond the condemnations they are subjects, these uses perform essential roles of regulation, both North and South, in economic, urban, social, political. They are forms of valve into the processes of urbanization but also, more generally, of socialization. They allow episodes of retreat or transgression toward the normative context, without calling into question the social order. This logic of yaw/swerve is an analyzer on the tension between normative affiliation and differentiation which innervates socialization. The text explores the dynamics of this tension, as a form of the couple homogenization-differentiation, and its implications into sociology and urbanistic action.
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L’injonction à être soi-même : entre quête de singularité et standardisation
Christian Le Bart
p. 61–81
RésuméFR :
L’injonction à être soi-même constitue une norme essentielle au sein des sociétés contemporaines. Dans un contexte de relatif déclin des identités prescrites, chacun est incité à effectuer un travail identitaire spécifique afin de découvrir une supposée identité vraie. Celle-ci, véritable mythologie de notre temps, est pensée comme tout à la fois substantialisée, cachée, et singulière. D’où l’importance des expériences identitaires par lesquelles les individus tentent de s’en approcher. On s’intéressera ici plus particulièrement, à partir d’une enquête sur les fans des Beatles, à la musique en tant que support identitaire spécifique.
EN :
The order to be oneself is an essential standard in the contemporary societies. In a context of relative decline of the prescribed identities, everyone is incited to make a specific work to discover his true identity. This identity, real mythology of our time, is thought as hidden and singular. The individuals try to approach it with identity experiments. We shall use in this text a research about the French fans of the Beatles.
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Se différencier ou se conformer : enjeux de la recherche en sociologie sur les cultures juvéniles, enjeux des cultures juvéniles…
Sylvain Aquatias
p. 83–117
RésuméFR :
Depuis quelques années, les sociologues qui étudient les cultures juvéniles s’opposent : d’un côté, on décrit un ensemble tendant à s’homogénéiser par la puissance des normes adolescentes ou à s’hétérogénéiser du fait d’un d’éclectisme généralisé, de l’autre on réaffirme la force primordiale des socialisations familiales et scolaires et des effets de distinction des goûts culturels. Les résultats de la recherche présentée ici montrent que c’est dans l’action conjointe des situations familiales, des parcours scolaires et des réseaux amicaux que se créent des zones d’influence plus ou moins puissantes, déterminées en grande partie par la cohésion sociale des différentes instances en présence. Ainsi, la qualité des relations avec les parents, les modes de scolarisation, les filières et la cohésion interne des groupes classes sont d’importants facteurs d’explication d’une emprise plus ou moins durable sur les goûts adolescents. Conformité et distinction prennent sens dans ces configurations d’influences.
EN :
Since a few years, the sociologists who studied youth cultures are in desagreement. Some describe either a standardization, due to the mighty influence of the young people’s peers, or a dispersion through a widespread eclecticism. Others reassert the primordial strength of the family and school socializations and of the distinctive effects of the cultural tastes. The results of the present research demonstrate that the influences are created by the interactions of the familial situations, the school sociability and the friends network, ascertained by the social cohesion inside these groups. The quality of the family’s relations, the school career and the internal cohesion of the classes are important variables who explain the durability of the teenagers’s cultural tastes. Conformity and singularity become significant in the confrontation of these influences.
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Aux racines de la « bonne sociologie »
Raymond Boudon
p. 119–160
RésuméFR :
Les travaux sociologiques considérés comme majeurs suivent trois règles communes à toutes les disciplines scientifiques. Elles sont à la racine du paradigme sociologique qui s’installe aujourd’hui sous l’étiquette de la sociologie analytique. Ces règles sont cruciales s’agissant de tous les sujets d’intérêt pour le sociologue. On le suggérera à l’exemple de l’explication que proposent des travaux sociologiques classiques et modernes des croyances collectives représentationnelles et normatives, de leur changement dans le temps et de leurs différences d’une société à l’autre.
EN :
The sociological works considered as genuine scientific achievements follow three rules common to all scientific disciplines. They are at the roots of the sociological paradigm becoming popular today under the label analytical sociology. These rules are crucial notably as far as the sociological explanation of beliefs, both representational and normative, of their over-time change and inter-societal differences is concerned, as examples drawn from the work of classical and modern social scientists illustrate.
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Une sociologie cosmopolite : esquisse d’un changement paradigmatique
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De la différenciation biologique à la différenciation sociale (XIXe-XXe siècles): quelques jalons historiques
Emmanuel d’Hombres
p. 191–220
RésuméFR :
Au XVIIIe siècle, « différenciation » est un terme de mathématique exclusivement. La différenciation nomme alors un procédé utilisé en analyse pour réduire le nombre de variables inconnues d’une équation. Ce n’est qu’au début du XIXe siècle que le terme commence sa carrière dans les sciences empiriques, biologie (embryologie puis anatomie comparée) tout d’abord, sciences sociales (anthropologie, sociologie et histoire) ensuite. Le vocable fait son apparition dans des travaux d’embryologie de langue allemande de l’époque romantique, marquée par la Naturphilosophie et récemment convertie au principe de l’épigenèse (principe de plasticité du développement); il est employé concurremment aux termes de complication et de composition progressive pour désigner un des aspects morphologiques du développement embryonnaire. Il faut cependant attendre la fin des années 1820 et la parution du premier volume de l’opus magnum d’Ernst Von Baer (Über Entwickelungsgeschichte der Thiere, 1828), pour voir le concept de différenciation accéder au statut épistémologique de concept modal principal en biologie du développement. Dans les années 1840, l’articulation des concepts de différenciation et de division du travail physiologique ouvrait la voie à l’extension du concept de différenciation au champ entier de l’anatomie comparée, et allait conduire de nombreux naturalistes à penser que le problème du fondement rationnel du lien entre différenciation et perfectionnement de l’organisation était en passe d’être enfin résolu.
À peu près à la même époque, le terme différenciation fait son entrée en science sociale; il va servir à exprimer l’aspect institutionnel du développement historique des sociétés. Aux belles heures de l’évolutionnisme culturel, la différenciation verra sa juridiction s’étendre au domaine des phénomènes morphologiques relevant de l’anthropologie (analyse comparée des sociétés) et de l’histoire (analyse comparée des formations historiques d’une même société). De la même manière qu’en biologie le niveau de différenciation traduit le degré de perfection atteint par une formation embryonnaire ou par un organisme achevé, en sciences sociales le niveau de différenciation indique la place occupée par une formation historique du passé ou par une société actuelle dans l’échelle de la civilisation. Le « doublet anatomo-physiologique différenciation / division du travail » est désormais un couple notionnel requis aussi bien pour la compréhension des modalités du développement embryonnaire que pour l’intelligibilité des modalités de l’évolution culturelle.
Nous nous attacherons dans cet article à esquisser les jalons d’une partie de l’histoire transdisciplinaire et complexe de ce concept de différenciation, dont les sciences sociales traitant du « développement » (économique, politique, social) sont aujourd’hui dans une certaine mesure héritière. Nous tâcherons ce faisant de montrer les bénéfices que peut en tirer l’historien des idées concernant la compréhension de la genèse de l’évolutionnisme culturel, en dégageant notamment le rôle joué par les doctrines naturalistes dites du parallélisme anatomo-embryologique dans l’étiologie de ce courant de pensée majeur des sciences sociales d’hier, et dont le présent ne laisse pas de porter quelque trace.
EN :
Morphogenesis and differentiation are the words which are used today to indicate the two basic modalities of ontogenesis in biology. Morphogenesis refers to the process of progressive ‘complexification’ during embryonic development, whereas differentiation refers to that of the functional specialization of the egg’s cells. Paradoxically, for more than a century, the term of differentiation has been employed to express the first of these variables, mainly if not exclusively. How did it come in developmental biology to name the physiological phenomenon which is parallel to structural complexification and which 19th century naturalists readily called the division of physiological labour? In fact, it appears that this inversion is only the latest episode in a series of semantic adventures affecting the history of the concept over nearly two centuries. We intend to explain them in this communication.
We shall retrace the following steps: the term ‘differentiation’ appears in the field of animal anatomy at the beginning of the 19th century, because of its resemblance to ‘complication’, which is currently used by morphologists at this period (term which is itself practically synonymous with what 18th century naturalists called the “composition of the organization”). From comparative anatomy the term will migrate to embryology when the principle of epigenesis triumphs, and will know a considerable rise in epistemological status, reaching its climax when ranked by Von Baer as a fundamental concept of new scientific embryology. Its pairing with the concept of the division of physiological labour will confer on differentiation the role of criterion with which anatomists on the one hand, embryologists on the other hand, will judge the degree of improvement reached by embryonic formations and adult forms, respectively. Then the morphological significance of the term is enriched with a new evolutionary meaning, through the diffusion of the Darwinian theory and the adoption of the biogenetic law. At this degree of conceptual elaboration, we witness an extension of differentiation’s field to the phenomena concerned with anthropology (comparative analysis of different societies) and history (comparative analysis of different formations of the same society) thanks to sociologists such as Spencer who adopted the principle of cultural evolutionism. Evolutionary meanings of differentiation will regress correlatively, in life sciences and social sciences, during the inter-war period, to such an extent that its legitimate field of extension is reduced only to developmental biology. Consequently with the invalidation of the problem of the organic basis of living beings, differentiation loses its quasi etiological function (degree of differentiation as criterion of organic improvement) and comes back to its modal and descriptive primitive status.
We shall focus in this paper a part of the history of this complex and interdisciplinary concept of differentiation, of which contemporary social sciences inherit to some extent, showing particularly the benefits of such an inquiry for the understanding of cultural evolutionism, which was so influent in the past social sciences, and even today.
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Instances audiovisuelles françaises et programmation : la place des études sur la représentation des minorités ethniques à la télévision
Catherine Ghosn
p. 221–236
RésuméFR :
Associer « représentation de la diversité ethnique » et « télévision » dans une juste mesure ne relève-t-il pas d’une impossibilité? Pour répondre à cette question, nous considérons d’abord les fondements scientifiques, souvent venus de l’étranger, qui ont déterminé la prise en compte d’objets « hors normes », différents de ceux habituellement traités en sciences sociales. En France, ces recherches restent majoritairement limitées au domaine universitaire et scientifique. Il faut attendre l’année 2000 puis l’année 2008 pour consulter les deux études menées par des chercheurs et destinées à des instances audiovisuelles. Quelles répercussions ces démarches et résultats scientifiques ont-ils concrètement sur la politique télévisuelle? Nous nous appuyons sur deux rapports rédigés par les instances audiovisuelles françaises pour évaluer dans quelles mesures ces intentions modifient effectivement le paysage audiovisuel.
EN :
Is it possible to associate “representation of ethnic minority” with “television”? To answer this question, we first consider the scientific origins, often from abroad, that took into account subjects “out of standards” and different from those usually treated in research. In France, these researches are mostly limited to the academic and scientific field. We must wait until the year 2000 and the year 2008 to read the two studies conducted by researchers, for audiovisual instances. What impact these scientific results have on the television policy?
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De la naturopathie rurale à la santé naturelle : distanciation et assimilation autour de la notion d’espace