Notes de lecture

OLIVIER NEVEUX, Contre le théâtre politique, Paris, La Fabrique, 2019, 314 p.[Notice]

  • Philippe Manevy

…plus d’informations

  • Philippe Manevy
    Université de Montréal

Refusant de partir d’une définition a priori de la politique, Neveux entreprend d’examiner des manifestations et des spectacles récents qui revendiquent une intention ou une action politiques. Ce faisant, il déconstruit les présupposés dominants, dénonce les illusions de la bonne conscience contemporaine, et indique des voies possibles pour une alliance, dynamique et conflictuelle, de l’art théâtral et de l’activité politique. La première partie expose tout d’abord les caractéristiques de la « dé-politique culturelle » actuellement menée en France à partir du festival Paroles citoyennes, créé en 2018 par Jean-Marc Dumontet, propriétaire de plusieurs théâtres privés et ami du président Macron. De façon symptomatique, la revendication d’une mission civique – voire civilisatrice – pour le théâtre coexiste, dans ce festival, avec la promotion du modèle entrepreneurial. Le macronisme culturel se caractérise en effet par plusieurs traits convergents : retrait de l’État et incitation à la recherche de financements privés, primauté de la communication sur la culture, logique du projet et mise en concurrence des compagnies soumises à la dictature de l’efficacité. Dans ce cadre, l’affirmation répétée de la vocation politique du théâtre apparaît comme un « mantra » (8) destiné à masquer la vacuité réelle de nombre de propositions artistiques. Au-delà de l’ère macronienne, Neveux met au jour les origines de cette situation, sans épargner les gouvernements de gauche : la « dé-politique culturelle » était déjà en place durant la présidence de François Hollande (2012-2017) et certains de ses fondements ont été consolidés sous François Mitterrand (1981-1995). Ainsi, s’il a entretenu une alliance provisoire entre les artistes et le chef de l’État, Jack Lang, célèbre ministre de la culture du président socialiste, a aussi discrédité l’action culturelle et jeté les bases d’une valorisation de l’art par les profits économiques que cela engendre – idée dont Neveux démontre, avec force, le caractère pernicieux. En réaction, le critique entreprend une défense lucide du théâtre public. Sans idéaliser cette institution, Neveux valorise notamment le « travail concret mené à la rencontre des publics, sans efficace comptable » (73). Plus globalement, il réactive l’idéal d’un « théâtre service public », selon l’expression de Jean Vilar, c’est-à-dire l’existence de lieux de création soutenus par les fonds publics, mais indépendants et ayant pour vocation d’offrir à tous et toutes un accès à l’art et à la culture. Même si cet idéal remonte à l’après-guerre, il retrouve, pour Neveux, une actualité, car il implique d’arracher le temps du loisir à la logique omniprésente de la rentabilité. Passant de la critique des discours à l’analyse des formes, la deuxième partie s’attache au réalisme, identifié comme une esthétique théâtrale dominante. Olivier Neveux prolonge alors la réflexion d’Annie Lebrun qui, dans Du trop de réalité, dénonçait la saturation d’informations étouffant toute possibilité critique. Cette partie s’ouvre par une analyse de Ça ira (1) fin de Louis, spectacle de Joël Pommerat (2015). « Spectacle sur les pouvoirs de la parole » plus que spectacle politique, Ça ira conjugue « évocation de l’histoire » (les prémisses et les débuts de la Révolution française, de 1787 à 1791) et « exploration de quelques politiques contemporaines » (101). Mais Neveux reproche à Pommerat de présenter le discours politique comme un tout déjà constitué, rhétorique et spectaculaire, et d’évoquer les différentes formes de prises de parole selon une logique purement thématique. Plus encore, il critique l’idéal de neutralité qui anime le metteur en scène : cet idéal masque, selon lui, soit un impensé politique, soit une idéologie sous-jacente. Avec Jusque dans vos bras, une création des Chiens de Navarre (2018), l’essayiste s’attaque de manière plus virulente à une autre tendance du théâtre …

Parties annexes