Disputatio

Justification et rationalité des émotions[Notice]

  • Anne Meylan

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  • Anne Meylan
    Université de Zürich

À la manière des expériences perceptuelles qui nous présentent des formes, des couleurs, des sons, des textures, etc., les émotions nous présentent des propriétés évaluatives. Ainsi, les émotions constituent un type d’expérience perceptuelle spécifique, un type qui nous donne accès à des valeurs (plutôt qu’à des propriétés non axiologiques). Cette théorie d’origine meinongienne doit beaucoup à Christine Tappolet qui y consacre un second livre, Emotions, Values and Agency, que tous les amoureux des choses vraiment bien faites ne pourront qu’apprécier. Cet article est consacré à deux problèmes auxquels est confronté le partisan de la théorie perceptuelle des émotions, c’est-à-dire, de la théorie selon laquelle les émotions constituent un type spécifique d’expériences perceptuelles. Ce sont les problèmes de la justification et de la rationalité des émotions. Loin d’ignorer ces difficultés, Tappolet y consacre une partie de son premier chapitre (p. 31-45). Cette contribution a plus précisément deux objectifs. Le premier est de montrer pourquoi la justification ne pose pas un problème aussi sérieux que la rationalité à la théorie perceptuelle des émotions. Son second but est d’expliquer pourquoi je doute que la solution de Tappolet au problème de la rationalité soit efficace. Les états émotionnels sont évaluables sur le plan de leur rationalité. Un exemple typique d’émotion irrationnelle est la peur de l’avion chez un individu qui croit, par ailleurs pour de bonnes raisons, que l’avion n’est pas un moyen de transport dangereux. Qu’est-ce qu’un état mental rationnel ? La réponse à cette question est très controversée. Toutefois, un signe distinctif très largement attribué à la norme de rationalité des états mentaux est le suivant : Autrement dit, la base de survenance de la rationalité d’un état mental d’un individu est constituée par ses propriétés mentales. Supposons, par exemple, que j’aie l’intention de vous faire plaisir, que je croie que le seul moyen de vous faire plaisir est de vous inviter à manger un carpaccio de coquilles St-Jacques, mais que je n’aie par l’intention de vous inviter à dîner. La plupart d’entre nous s’entendront pour dire qu’il n’est pas rationnel de ne pas vous inviter à dîner dans ce cas, compte tenu de ce que je crois et de ce que j’ai l’intention de faire par ailleurs. Supposons maintenant que j’aie tort, et que ne pas vous inviter soit, en réalité, le meilleur moyen de vous faire plaisir. Cela me rend-il moins irrationnel ? Tel n’est pas le cas. Le fait qu’en quelque sorte « la chance soit avec moi » ne change rien au fait suivant : il n’est pas rationnel d’avoir l’intention d’accomplir une action B, de croire que faire A est le seul moyen de réaliser l’intention de faire B, et de ne pas avoir l’intention de faire A. Deux autres normes à l’aune desquelles les états émotionnels sont souvent évalués sont la norme de correction et la norme de justification. Brièvement, il est couramment admis que la norme de correction est satisfaite lorsque l’objet sur lequel porte un certain état émotionnel exemplifie l’objet formel typique de cet état émotionnel. La peur que j’éprouve lors de mon voyage à bord d’un avion de la compagnie aérienne Emirates est correcte si le voyage en question instancie la propriété d’être dangereuse. Comme ce n’est pas le cas, ma peur est incorrecte. Quant à la norme de justification, les philosophes des émotions estiment souvent que les émotions sont évaluables sur le plan de leur justification dans la mesure où il fait sens de demander « pour quelle raison as-tu peur ? » . Inversement, les expériences perceptuelles ne sont pas évaluables sur ce plan puisqu’il n’est …

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