Si Léo Ferré chantait, en mai 1968, « il n’y a pas que des albatros du côté de Nanterre », c’était pour rappeler l’ampleur et l’étendue des événements de ce printemps révolutionnaire. L’ouvrage d’A. Feenberg et de J. Freedman se veut une introduction mais aussi un rappel de la contribution soixante-huitarde à la politique moderne. Faisant fi de la realpolitik de plus en plus étouffant dans lequel nous nous trouvons, les auteurs présentent une initiation à « Mai 68 » destinée aux générations ignorantes des événements mais tout de même soucieuses d’un avenir autre que celui préconisé par la démocratie libérale mondialisée. Aux alternatives politiques quelque peu stériles qui sont les nôtres, ils opposent l’effervescence révolutionnaire et utopique du Mai français. La thèse des auteurs est que Mai 68 marque le dernier soupir d’une certaine tradition socialiste et la première apparition d’un type nouveau d’opposition (p. XXII). Leur livre demeure cependant moins un livre à thèse qu’une introduction aux événements et aux enjeux de Mai 68. Néanmoins, les auteurs ne se cachent pas derrière une quelconque objectivité ou neutralité scientifique. Bien au contraire, nous nous confrontons au récit engagé de deux universitaires jadis « ardent participants » aux événements parisiens (4e de couverture). La préface du spécialiste américain de Herbert Marcuse, Douglas Keller, établit bien les objectifs des auteurs : contrer l’oubli de l’histoire ; conserver l’espoir dont Mai 68 était porteur ; penser à nouveau cette expérience historique ; établir des liens avec la situation actuelle ; et élaborer des modes alternatifs de pensée et d’action à l’extérieur de ceux de la politique actuelle (p. XIX). Cet ouvrage s’inscrit aussi dans la tentative actuelle de repenser la gauche et le gauchisme après l’effondrement du bloc soviétique, devant son incapacité à gouverner autrement que les partis de droite ou du centre. Cette nécessité de repenser la gauche semble également impliquer une reconsidération des formes ou des modes d’organisation et de participation politiques, d’où l’importance de Mai 68 dans cet horizon intellectuel. L’ouvrage est divisé en deux parties. La première présente une synthèse historique des événements centrée sur l’idée selon laquelle Mai 68 s’est développé d’abord comme une lutte estudiantine contre la société pour ensuite se transformer ou s’élargir au point de devenir une lutte de la société contre l’État. La second est constituée d’une série de textes ou de documents publiés pendant les événements ; elle est précédée d’un commentaire visant à les replacer dans un contexte théorique plus large. Ces textes sont rassemblés suivant ce que les auteurs considèrent comme les quatre grands enjeux de Mai 68 : 1) la technocratie ; 2) la participation des classes moyennes ; 3) l’alliance ouvriers-étudiants ; et 4) l’autogestion. A. Feenberg et J. Freedman rappellent avec étonnement que Mai 68 s’est développé à partir de Nanterre, banlieue bourgeoise et jeune dont l’avenir dépendait largement de la réussite économique et politique du système capitaliste. La convergence de trois phénomènes à l’Université de Nanterre, en 1968, fera toutefois d’elle le haut lieu de la révolte étudiante. D’une part, le « phénomène Nanterre » en soi, à savoir son aspect physique ou architectural qui fait ressembler cette université davantage à une usine qu’à quoi que ce soit d’autre ; de plus son isolement qui obligeait les étudiants à rester sur le campus où il y avait peu de choses à faire. D’autre part, la mise en oeuvre des réformes Fouchet (du nom du ministre gaulliste de l’Intérieur), visant à rendre plus efficace le fonctionnement des universités françaises, a provoqué le refus de participer aux cours de la part d’un certain nombre d’étudiants nanterrois. Enfin, …
When Poetry Ruled The Streets : The French May Events of 1968 d’Andrew Feenberg et Jim Freedman, Albany, State University of New York Press, 2001, 192 p.[Notice]
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Martin Breaugh
Université de Paris VII — Denis-Diderot