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Ce collectif, sous la direction de Guy Lachapelle, s’appuie sur un appel de l’historien Yvan Lamonde – qui signe d’ailleurs un des chapitres – à la reconnaissance par les Québécois de leur américanité. Cette américanité, loin d’être une américanisation ou une acceptation de l’impérialisme étasunien, est plutôt l’appartenance continentale qui rend souvent les Québécois plus près des Étatsuniens dans leurs valeurs que des Français dont ils se réclament plus volontiers. Dix ans après une première enquête d’opinion, le Groupe de recherche sur l’américanité a procédé à une nouvelle enquête afin d’évaluer l’évolution de l’américanité et l’américanisation des Québécois. Ce sont les résultats de cette nouvelle enquête qui ont servi de base à cette monographie. Celle-ci procède à un tour riche de l’histoire et de l’état des relations du Québec avec son voisin du sud par des approches économique, politique, sociologique et historique. Ce livre emprunte une approche pluridisciplinaire, ce qui permet de cerner le sujet selon des points de vue qui sont composites et complémentaires. Le sujet est ainsi abordé sous des angles beaucoup plus diversifiés que ne le laisse entendre son titre qui appelle déjà à une grande variété d’approches. On y trouve tant les événements qui ont mené à l’émigration massive des Québécois vers les États-Unis peu avant la naissance du Canada que la revue des ententes environnementales signées par le Québec avec ses voisins fédérés au sud de la frontière, en passant par l’américanité et l’antiaméricanisme en tant que tel.

La ligne directrice, axée sur l’évolution des valeurs, des perceptions et de l’imaginaire des Québécois, soutient bien le contenu du livre. Les différentes parties permettent de garder l’unité des textes qui les composent. Toutefois, le texte d’Yves Roby sur l’histoire des émigrants canadiens-français aux États-Unis, qu’il dépeint avec une profonde érudition, s’en écarte quelque peu librement. Bien que ce chapitre présente avec une grande clarté la situation de ces émigrants et qu’il met en relief leur processus d’américanisation – entre autres par l’anglicisation de leurs écoles, alors que l’anglais est passé du statut d’objet d’enseignement à celui de moyen d’enseignement –, les textes qui suivent dénotent bien la ligne directrice tout en traitant des Québécois sur leur propre territoire ainsi que de leur relation avec les États-Unis. Cependant, s’il est pris comme une mise en garde contre les risques d’une trop grande américanisation de la culture, le texte de Roby trouve une certaine pertinence face à l’ensemble.

Les auteurs sont généralement en accord les uns avec les autres. Une seule exception très notable brise cette harmonie. Dans leur texte, Luc Bernier, Geneviève Blouin et Mathieu Faucher soulignent que le Québec a inclus dans sa politique internationale un volet sécurité qui, disent-ils, n’est pas de son ressort. Cependant, le chapitre de Stéphanie von Hlatky et Jessica N. Trisko porte précisément sur ce sujet. Celles-ci concluent que le système actuel a contribué à la visibilité du Québec en tant qu’acteur majeur en matière de sécurité frontalière. De plus, Patrick Leblond consacre une partie de son texte au rôle du Québec en matière de sécurité à la suite de l’entente sur le Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité (PSP), rôle que le Québec doit poursuivre, selon lui.

La première partie du livre regroupe les textes avec un contenu davantage historique. Ces chapitres font ressortir les liens qui sont très tôt apparus entre les Québécois et les États-Unis. Les libéraux de l’époque, Louis-Joseph Papineau après son retour de France, ainsi que Jean-Baptiste-Éric Dorion, éditeur du journal L’Avenir, voient d’un très bon oeil les idées des présidents américains Thomas Jefferson et Andrew Jackson, les amenant à considérer sérieusement l’annexion du Québec aux États-Unis. Toutefois, le rapport Durham et les politiques britanniques poussent une migration massive principalement vers les États du Nord-Est américain, ce qui jugule le mouvement autonomiste. En 1900, c’est 45 pour-cent de la population canadienne-française qui vit à l’extérieur des frontières du Québec, faisant dire à certains qu’un jour Boston sera le centre du Canada français. En 1912, on compte 1 200 000 francophones vivant dans les « petits Canada ». Ce mouvement migratoire a eu pour effet de redéfinir l’appartenance continentale des Québécois, leur américanité.

La deuxième partie s’intéresse à l’américanisation et à l’antiaméricanisme des Québécois. L’américanisation des cultures est fréquemment associée à la mondialisation. Cependant, celle-ci amène également un renforcement des entités subétatiques lié à leur particularité culturelle. Ainsi, on y apprend que les Québécois ne s’identifient que très peu au Canada, mais se considèrent sans contredit comme appartenant au continent nord-américain. Karine Prémont démontre qu’il y a une américanisation des formats culturels au Québec comme partout ailleurs. Toutefois, son texte n’explore pas la raison pour laquelle les formats s’américanisent : est-ce pour suivre le modèle américain – une véritable américanisation – ou serait-ce plutôt que les Américains ont trouvé avant les autres le format qui est économiquement rentable – une américanisation par défaut ? Cela dit, l’auteure fait ressortir que la langue et l’âge servent de frein à une américanisation des contenus. Cette analyse est en accord avec celle de Frédérick Gagnon et de Marc Desnoyers pour qui la nature de l’antiaméricanisme des Québécois est différente de celle des Canadiens du reste du Canada, parce qu’ils ne partagent pas la même langue et que leurs valeurs sont éloignées de celles des Américains. En s’appuyant sur les types d’antiaméricanisme définis par Peter Joachim Katzenstein et Robert O. Keohane (2007), ils font ressortir que celui des Québécois serait de type social associé aux valeurs, donc structurel et peu affecté par les changements à Washington, ce qui ne veut pas dire que leur perception n’est pas influencée par les changements présidentiels. Ainsi, au cours des années où George W. Bush a été au pouvoir, leur perception du gouvernement américain s’est détériorée, selon l’analyse d’Aubert Lavigne-Descôteaux. Cependant, leur perception du peuple américain n’a pas changé.

La troisième partie porte un regard sur le rôle du Québec dans les négociations entourant différents accords et ententes avec les États-Unis. On y trouve naturellement l’Accord de libre-échange (ALÉ), ainsi que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Gilbert Gagné et Laurent Viau rappellent dans leur texte que les points défendus par le Québec lors de ces négociations concernaient principalement l’exception culturelle – qui était toutefois partagée par les autres États de la fédération canadienne –, la protection des lois linguistiques et des compétences provinciales, ainsi que le maintien de la gestion de l’offre. Si, au départ, les effets de ces accords ont été très positifs, ceux-ci ont été plutôt mitigés après 2001, laissant entendre qu’ils avaient atteint les limites de leur potentiel imposées par leurs dispositions institutionnelles. De nouvelles négociations tripartites (incluant alors le Mexique) ont été entreprises en 2005 pour la création du PSP. Si le Québec n’a pas pris part à ces négociations, il a toutefois développé sa politique de relation internationale sur celui-ci. En effet, trois des cinq objectifs de cette politique sont liés au PSP. Cependant, depuis la rencontre des chefs de gouvernement de l’ALÉNA à Guadalajara en 2009, la première du président Barack Obama, le PSP n’est plus une priorité. Le Québec a pris un rôle de leader parmi les États fédérés avec cette approche, rôle qu’il doit poursuivre ; le nombre d’ententes environnementales avec ses voisins américains et sa participation à plusieurs organisations réunissant des États américains et des provinces canadiennes en font foi. D’ailleurs, ces ententes favorisent une « course vers le sommet ».

La quatrième et dernière partie détaille la politique de relations internationales du Québec. Louis Balthazar est égal à lui-même en offrant un excellent texte qui passe en revue l’état des relations (para)diplomatiques du Québec aux États-Unis. Il met en exergue la reconnaissance tacite de cette diplomatie par le gouvernement américain, bien que celui-ci continue d’officiellement passer par les voies canadiennes. Notons finalement le chapitre 14 de Stéphane Paquin et Annie Chaloux qui présente les différentes organisations regroupant des États fédérés canadiens et américains auxquelles participe le Québec. Il nous permet de mieux comprendre le rôle et les enjeux liés à chacun de ceux-ci. Du même coup, il fait ressortir que, faute d’obtenir une reconnaissance politique officielle comparable à celle qu’il a avec la France par le gouvernement américain, le dynamisme des relations internationales du Québec avec les États américains, et plus particulièrement ceux du Nord-Est, lui a permis de développer des relations riches et privilégiées.

L’ensemble de l’ouvrage permet de mieux comprendre que les liens qui unissent les Québécois et les Américains sont beaucoup plus profonds que leur interdépendance économique. Il fait également ressortir les sources des positions du Québec dans ses politiques en rapport avec les États-Unis. Il démontre avec des approches très variées et pluridisciplinaires que cette relation est beaucoup plus intense et diversifiée qu’elle ne pourrait le laisser croire à première vue.