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Panne globale est le premier livre du politicologue David McNally à être présenté au public francophone. Traduit et préfacé par Jonathan Martineau, ce travail est le fruit d’une réflexion sur la crise financière de 2007-2008 et présente un effort de clarification pertinent sur la nature politique, économique et sociale de la crise, c’est-à-dire « son origine et son parcours probable dans les années à venir » (p. 17). McNally appartenant à une école de pensée précise, on pourrait s’attendre à un discours savant, voire trop opaque pour un lecteur étranger à ce courant. Or le livre réussit à présenter l’argument du marxisme politique non seulement dans ses paramètres contemporains, mais également dans une langue compréhensible, claire et stimulante. Le vocabulaire marxiste ne devrait donc pas effrayer le lecteur en terrain inconnu.
De son propre aveu, McNally l’a écrit « avec l’intime conviction qu’il existe un savoir critique dont nous avons besoin pour comprendre le monde dans lequel nous vivons » et sortir du « jargon » destiné qu’à intéresser un « cercle restreint d’experts » (p. 38). À cet égard, l’auteur présente à la fin du livre un glossaire fort intéressant pour les non-initiés aux théories marxistes. La disposition des chapitres et les thématiques qui y sont abordées rendent la lecture de cet ouvrage particulièrement aisée. Nous présenterons ici les principaux sujets de chacun des chapitres et tenterons d’apprécier la réflexion qu’ils suggèrent. Panne globale n’est certainement pas qu’un livre sur la crise, mais plus largement un regard sur le capitalisme aujourd’hui. McNally y aborde en premier lieu la crise pour mieux présenter, comme par un effet de point de fuite, l’état du capitalisme aujourd’hui et de sa résistance mondiale.
Les deux premiers chapitres traitent de la crise financière de 2007-2008 d’un point de vue chronologique. McNally y relate la panique qui se dessine dans les cercles financiers dès 2007 à la suite de plusieurs faillites. Cette première phase de crise alerte les autorités concernées et révèle les mécanismes obscurs de certains instruments financiers. La seconde phase de la crise financière s’ouvre avec l’effondrement de la banque Lehman Brothers en septembre 2008. McNally esquisse ensuite les différentes transitions du néolibéralisme qui, d’un point de vue idéologique, ont abouti à ce contexte très précis qu’était 2007-2008. Il soutient, contrairement à d’autres économistes politiques, que le capitalisme a connu depuis 1945 différentes phases d’expansion (1948-1973 et 1982-2007) et de crise (1973-1982 et 2007 à aujourd’hui) (p. 62) et que celui-ci n’était pas en crise depuis 40 ans. En contrepartie, 2007 clôt et commence à la fois un cycle qui « rompt qualitativement avec le quart de siècle qui le précède » (p. 108).
Les troisième et quatrième chapitres, les plus intéressants à notre avis, reviennent d’abord sur les leçons de 1929 et poussent l’analyse jusqu’à nos jours. McNally tente de dégager de cette toute première crise moderne une « loi de base du capitalisme » fondée sur le surinvestissement et la suraccumulation, jetant ainsi une nouvelle lumière sur la loi tendancielle du taux de profit esquissée auparavant par Marx. Ce « système de profit » qui se dévoile tranquillement pendant tout le vingtième siècle se présente à nous au vingt et unième siècle avec un aspect différent, mais dont les motivations premières restent les mêmes. À ce titre, McNally développe une lecture des crises précédentes à partir des catégories d’analyse marxistes et montre de quelle manière le capitalisme comme mode de production économique et social parvient à surmonter ses propres contradictions et, ainsi, à persister. Abordant ensuite la financiarisation du capitalisme, McNally réussit à rendre un peu plus clairs les mécanismes de reproduction financière – titrisations, dérivés, dettes, swaps et « valeurs à risque ». À travers ces nouveaux instruments, le capitalisme financier « transforme le risque en marchandise » (p. 175). Toute l’intrication financière paraît de plus en plus claire et on y voit se dessiner un système d’exploitation puissant qui lie les simples salariés aux banques, aux compagnies d’assurance et aux dettes privées.
C’est d’ailleurs dans le chapitre suivant que McNally aborde la discipline qu’impose aux travailleurs le capitalisme moderne, un capitalisme qui ne « se résume pas à une série de mécanismes économiques spécifiques [mais qui est] bel et bien un système de relation sociale » (p. 180). Selon lui, ce système s’appuie sur un processus racisé de division du travail mondial, participe à la dépossession matérielle et, par la dette, renforce la reproduction des classes sociales. C’est ainsi que se présente « le vrai visage du capitalisme néolibéral » (p. 223). Dans son dernier chapitre, McNally s’interroge sur une grande résistance qui secoue déjà le Sud du globe en revenant sur des cas inusités d’exploitation tout en précisant ce que l’on peut en retirer au Nord pour les luttes à venir. Il s’agit de la résistance qu’entreprennent le Movimiento al Socialismo (MAS) et la Central Obrera Boliviana (COB) en Bolivie dans la crise de l’eau à Cochabamba et les résistances contre l’exploitation en Martinique et en Guadeloupe. L’apparition de groupes politiques comme le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en France et Syriza en Grèce, ou de larges regroupements de travailleurs comme le J4J (Justice for Janitors) en Californie, donne à voir les prémisses d’une résistance au Nord.
Bien sûr, les thématiques abordées semblent à première vue archiconnues, les enjeux étant débattus au sein de la gauche depuis plusieurs décennies. Pourtant, le livre de McNally a le mérite de lier en un tout cohérent les origines des crises économiques, la financiarisation du capitalisme, la discipline qu’impose le néolibéralisme et l’exploitation des travailleurs du Sud aux diverses formes de résistance globale faisant du capitalisme un problème mondial et non pas uniquement occidental. Plus encore, la nouveauté de ces configurations, particulièrement en Europe et au Canada, réside dans la contestation des politiques d’austérité qui découlent de la crise financière américaine et dont la réponse politique s’est subitement transformée en discours sur la réduction de la dette publique. L’austérité se présente alors comme la nouvelle parole du néolibéralisme. De cette parole se matérialise une série d’actions répressives, ce que McNally reconnaît comme la « stratégie de choc » où les élites dirigeantes ne peuvent mener à bien une restructuration radicale « sans traumatiser la population » (p. 275).
Si les arguments sont convaincants à plus d’un titre, ce livre porte les défauts de ses qualités. En effet, la réflexion ratisse large et ne permet pas d’approfondir en détail tous les enjeux soulevés, si bien que Panne globale s’apparente davantage à une réflexion à voix haute d’une gauche qui aujourd’hui cherche désespérément à s’enraciner et à emporter l’adhésion d’une partie importante de la société. Il faudra lire ce livre comme un manifeste sur notre temps et comme un outil de réflexion indispensable pour développer a minima un esprit critique sur sa société. D’ici là, espérons voir un jour une traduction de l’incontournable ouvrage de David McNally, Against the Market (Verso, 1993).