Revue de droit de l'Université de Sherbrooke
Volume 17, numéro 1, 1986
Sommaire (10 articles)
La Charte des droits et libertés de la personne
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ALLOCUTION DE MONSIEUR HERBERT MARX, MINISTRE DE LA JUSTICE
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LA CHARTE QUÉBÉCOISE DES DROITS ET LIBERTÉS DE LA PERSONNE VUE DE L’EXTÉRIEUR
Alexandra Kiss
p. 7–17
RésuméFR :
La Charte québécoise présente un intérêt particulier dans la mise en oeuvre de principes internationalement reconnus. Elle désigne des organes chargés d’assurer l’application de certains droits et libertés garantis : le législatif de la province, des tribunaux mais aussi des organismes exerçant des fonctions quasi-judiciaires et même des établissements d’enseignement. Elle assigne aussi des responsabilités à des individus et des organismes privés : devoirs réciproques des époux dans le mariage, devoir de porter secours en cas de péril, obligation de ne se livrer a aucun acte de discrimination, de respecter les droits et libertés d’autrui. Ainsi, la Charte est un modèle intéressant pour les pays qui doivent appliquer dans leur ordre juridique interne les principes et règles internationaux.
EN :
The Charter of Rights and Freedoms, adopted in Quebec ten years ago, is an interesting example of the implementation of internationally recognized principles. Indeed, it designates the authorities responsible for ensuring the application of the guaranteed freedoms and rights: the provincial Parliament, courts as well as organisms which exercise quasi-judicial functions, and even educational institutions. The Charter also recognizes the responsibilities of individuals and of private organizations in this field: reciprocal duties in marriage, the duty to assist those in peril, the obligation not to discriminate and to respect the rights and freedoms of others. The Quebec Charter is therefore an interesting model for countries which apply international principles and rules protecting human rights within their domestic legal systems.
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LA CHARTE QUÉBÉCOISE DES DROITS ET LIBERTÉS DE LA PERSONNE ET LE DOGME DE L’INTERPRÉTATION SPÉCIFIQUE DES TEXTES CONSTITUTIONNELS
Alain-François Bisson
p. 19–48
RésuméFR :
Selon une majorité d’auteurs et de nombreuses déclarations jurisprudentielles, les textes constitutionnels ou quasi constitutionnels seraient justiciables d’une méthode spécifique d’interprétation, de nature « extensive ». Un examen attentif de l’interprétation judiciaire de la Charte québécoise durant les dix premières années de son existence ne permet pas de vérifier une telle assertion. Tous les moyens classiques d’interprétation ont été a peu près utilisés et les résultats de l’interprétation ont été tantôt extensifs, tantôt restrictifs. Il semble qu’il ne puisse guère en être autrement et que la nature même du droit et, par conséquent, la finalité de l’interprétation condamnent d’avance toute prise de position a priori sur les méthodes d’interprétation, qu’il s’agisse d’ailleurs de l’interprétation de textes constitutionnels ou quasi constitutionnels ou de celle des lois dites ordinaires.
EN :
According to a majority of writers and many judicial dicta, constitutional or quasi constitutional enactments should be interpreted in a specific, "extensive" in nature, manner. A careful examination of the judicial interpretation of the Quebec Charter during its ten first years of existence does not warrant such a statement. All the classical tools of interpretation have been more or less used and the results of the interpretation have been sometimes extensive, sometimes restrictive. It is suggested that it could not be otherwise. The very nature of the law and consequently the finality of the interpretation process make it dangerous, and indeed impossible, to take any a priori position on the methods of construction, whether constitutional or quasi constitutional enactments are at stake or, for that matter, so-called ordinary statutes.
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LA COEXISTENCE DES CHARTES CANADIENNE ET QUÉBÉCOISE : PROBLÈMES D’INTERACTION
André Morel
p. 49–84
RésuméFR :
L’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés a eu pour effet de placer la Charte des droits et libertés de la personne du Québec dans une position ambivalente. Selon les orientations que prendra la jurisprudence, la Charte constitutionnelle peut tout aussi bien servir à banaliser la Charte québécoise qu’à mettre en évidence ses traits propres et son originalité. Cette ambivalence apparaît lorsqu’on examine d’abord les problèmes reliés a la méthode d’interprétation des deux chartes, puis ceux qui touchent aux recoupements et aux divergences entre leurs dispositions. Pour chacune de ces questions, l’auteur souligne les risques que la Charte québécoise soit graduellement considérée comme un document de second ordre et d’une efficacité réduite et montre comment l’interaction entre les chartes peut au contraire servir a valoriser la Charte québécoise et à en faire un instrument qui assure une meilleure protection des droits et libertés.
EN :
Since the Canadian Charter of Rights and Freedoms came into force, the Quebec Charter of Human Rights and Freedoms has been placed in an equivocal situation. Depending on the direction that will be taken by our courts, the constitutional Charter may be used as a means of depreciating the Quebec Charter or of enhancing its distinctive features and its originality. This ambiguity is present in the choice of a method of interpreting the two charters, and in the manner of dealing with the fact that their respective provisions partly overlap and partly differ in substance. Under these two aspects, there is some risk that the Quebec Charter be gradually considered as a document of lesser importance and value. The author shows how the interaction between the charters may, on the contrary, be useful for enhancing the Quebec Charter as an instrument for the better protection of rights and freedoms.
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LES MÉANDRES DU CONCEPT D’ÉGALITÉ ET LA CHARTE QUÉBÉCOISE DES DROITS ET LIBERTÉS DE LA PERSONNE
Pierre Blache
p. 85–148
RésuméFR :
L’auteur veut surtout révéler et explorer l’ambiguïté que recèle l’option d’un ordre juridique en faveur de l’égalité.
Dans une première partie, il s’interroge sur la nature même de la discrimination que l’on peut vouloir prohiber. Il étudie alors diverses perspectives selon lesquelles l’on peut établir la liste des facteurs de discrimination auxquels il sera défendu d’avoir recours. Il oppose ensuite les systèmes antidiscriminatoires selon qu’ils prohibent la classification en tant que telle ou ne prohibent celle-ci que là où elle paraît non raisonnable ou non rationnelle.
Dans une seconde partie, la classification elle-même retient son attention. Il s’agit alors de vérifier à quelles conditions le rapport d’un acte donné avec un facteur prohibé transforme cet acte en discrimination. Les diverses possibilités sont regroupées selon deux perspectives : celle de l’intention de l’acteur et celle de la relation objective de l’acte et des facteurs prohibés.
Au long de l’étude, l’auteur exprime ses préférences face aux diverses voies possibles et s’efforce de préciser lesquelles furent retenues dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
EN :
The author's aim is to explore the ambiguities inherent in a juridical system adopting the principle of equality.
In the first part, he examines the fundamental types of discrimination to be proscribed. He identifies various approaches towards determining a list of prohibited factors. He then compares two systems for combating discrimination: one where any classification is prohibited and the other, where a classification is to be avoided only if it is unreasonable or irrational.
In the second part, the author deals with the notion itself of classification. The conditions upon which the relationship between a given action and a prohibited classifying trait gives rise to discrimination are ascertained. He then opposes two categories of such relationship; one based on the actor's intention, the other on the objective link between the action and the prohibited factor.
The author expresses his personal preferences on the various questions raised and points out which choices were made in the Quebec Charter of Rights and Freedoms of the Person.
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LES PROGRAMMES D’ACCÈS À L’ÉGALITÉ AU QUÉBEC : UNE CONDITION NÉCESSAIRE MAIS NON SUFFISANTE POUR ASSURER L’ÉGALITÉ DES FEMMES
Ginette Legault et Évelyne Tardy
p. 149–189
RésuméFR :
L’hypothèse de base de ce texte veut que les revendications des femmes en termes d’égalité des droits aient été une condition nécessaire pour mettre en lumière les inégalités vécues par les femmes et ont amené des corrections importantes. Les politiques et les programmes d’égalité des chances ou d’accès à l’égalité s’inscrivent dans cette perspective de correction de ces inégalités. Une seconde hypothèse postule que les revendications des femmes en termes d’égalité des droits sont insuffisantes pour changer la réalité sexuée des marchés de travail. Après avoir tracé un bref historique des revendications des femmes du Québec en matière d’égalité en emploi et après avoir démontré les liens que le mouvement des femmes a eu et a encore aujourd’hui avec l’État, une synthèse des politiques et des programmes mis en place au Québec pour corriger les inégalités vécues par les femmes dans le domaine de l’emploi est présentée. Enfin, dans la dernière partie du texte, il est démontré, à travers les différents enjeux autour de la question des programmes d’accès à l’égalité pour les femmes, que plus ces dernières demandent des mesures correctives, plus l’opposition à de telles mesures s’intensifie. C’est ce qui expliquerait les limites inhérentes aux revendications visant l’égalité entre les hommes et les femmes, particulièrement dans le domaine de l’emploi.
EN :
The basic premise of this article is that womens' demands for equality of rights have been a necessary condition in identifyng the forms of inequality that women encounter and in making important corrections. Policies and programmes of equality of opportunity or access to equality are part of this correcting of inequalities. A second premise holds that women's demands for equality are not enough to change the sexist reality of the job market. After tracing a brief history of the demands of Quebec women in the area of equality of employment and illustrating the links that the womens' movement has had and still has with the goverment, the authors present a résumé of the policies and programmes elaborated in Quebec in order to correct the employment inequalities that women encounter. Lastly, this article illustrates, through the different considerations surrounding the issue of affirmative action programmes, that the more women demand corrective measures, the greater becomes opposition to such measures. This explains the inherent limits to womens' claims for equality between the sexes, expecially in the area of employment.
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POUR UNE APPROCHE INTÉGRÉE DE LA DISCRIMINATION SYSTÉMIQUE : CONVERGENCES ET CONTRIBUTIONS DES SCIENCES SOCIALES ET DU DROIT
Muriel Garon
p. 191–242
RésuméFR :
Ce texte veut souligner les convergences et l’interdépendance des sciences sociales et du droit dans l’identification et la définition de la discrimination systémique, sa démonstration devant les tribunaux et le développement de remèdes appropriés.
Au plan de l’identification du phénomène, les sciences sociales ont mis en évidence des ensembles de conceptions, règles et pratiques profondément ancrés dans la vie sociale et qui ont des effets d’exclusion. Ce constat trouve son parallèle dans la reconnaissance, dans les textes juridiques et la jurisprudence, d’effets d’exclusion qui se développent au-delà des intentions individuelles.
La mise en preuve de ces chaînes de facteurs exige le développement d’outils nouveaux pour le droit auquel les méthodes des sciences sociales peuvent apporter une contribution non négligeable.
Finalement, le développement d’une juste réparation exige également une évaluation précise des modalités de développement des effets discriminatoires de même qu’une mesure adéquate du rattrapage à effectuer : deux tâches pour lesquelles la contribution des sciences sociales peut être précieuse.
EN :
This article attempts to emphasize the areas in which law and the social sciences overlap and depend on each other in identifying and defining systemic discrimination, in proving such discrimination within legal proceedings and in developing appropriate remedies.
With respect to the identification of the phenomenon of systemic discrimination, the social sciences have illustrated a number of concepts, rules and practices deeply rooted in society which have exclusionary effects. Similar to this is the recognition, within legal texts and cases, of exclusionary effects which ernerge regardless of the intentions of the individuals involved.
Evidence of these chains of factors requires that new legal tools be developed and in this the social sciences could make more than a minor contribution.
Lastly, the development of a form of just compensation requires a precise method for evaluating how discriminatory effects develop as well as an adequate measure of what is to be recuperated; two functions in which input from the social sciences could be precious.
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JUSTICE, ÉGALITÉ, ET ACTION POSITIVE : JUSTIFICATION ET LIMITES
Michel Rosenfeld
p. 243–346
RésuméFR :
Le débat sur la légitimité et la constitutionnalité de l’action positive a été vigoureusement poursuivi aussi bien par des juristes que par des philosophes, sans pour autant avoir abouti à une solution satisfaisante des problèmes difficiles qu’elle soulève. Ceci est dû, en grande partie, au fait que la plupart des théories énoncées jusqu’à présent au sujet de l’action positive ne sont pas fondées sur des conceptions adéquates de la justice et des multiples faces de l’égalité. À partir d’une grammaire structurale de l’égalité conçue au cours de travaux récents, cet article cherche à définir les limites de la justification de l’action positive dans le cadre de la philosophie politique libérale basée sur l’idéologie de l’individualisme et des droits à l’égalité conférés par les constitutions du Canada et des États-unis. La thèse principale de cet article est, à savoir, que l’action positive est justifiée selon le principe de la justice en tant que réversibilité pour remédier aux effets présents de la discrimination dans le passé, dans le contexte des sociétés qui ont adopté le principe de l’égalité des chances comme norme de distribution par rapport à l’éducation et aux emplois.
EN :
Philosophers and legal scholars have intensely debated the legitimacy and constitutionality of affirmative action, without yet having provided a satisfactory solution to the multiple and complex issues which it raises. This is in significant part due to the failure to examine affirmative action in terms of an adequate conception of justice and equality. By making use of recent work resulting in the development of a structural grammar of equality, this article examines the nature and scope of justification which can be offered for affirmative action in the context of adherence to a liberal political philosophy based on the ideology of individualism and of the rights of equality prescribed by the constitutions of Canada and the United States. The article argues that affirmative action is justified under the principle of justice as reversibility to remedy the present effects of past discrimination in the context of a society that is committed to the implementation of equality of opportunity in the fields of education and of competition for scarce employment positions.
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JUSTICE, ÉGALITÉ, ET ACTION POSITIVE : UNE CRITIQUE DU PROFESSEUR ROSENFELD
Michel Krauss
p. 347–364
RésuméFR :
L’auteur explique brièvement, dans cette réponse au texte de Michel Rosenfeld, sa thèse voulant que la justification que donne ce dernier a l’action positive soit incompatible, dans ses prémisses, avec les fondements d’une société volontariste. Il trace ensuite sa propre justification philosophique de l’action positive, qui est plus restreinte que celle de Rosenfeld.
FR :
The author briefly outlines, in this response to Michel Rosenfeld's text, his view that Rosenfeld's defense of affirmative action is incompatible with the premisses of a free society. He sketches his own philosophical justification of affirmative action, and finds it to be more restrictive than Rosenfeld's.
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LA COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE CONDAMNÉE À L’ÉVOLUTION