Résumés
Résumé
L’étude qualitative longitudinale dont il est fait part dans cet article portait sur l’influence d’une formation continue de deux ans, Alloscol, centrée sur le soutien au développement du français comme langue des apprentissages scolaires chez des élèves allophones scolarisés ou sous-scolarisés, et visant le développement du savoir agir d’enseignants de français langue seconde, d’enseignants disciplinaires et de conseillères pédagogiques intervenant dans diverses écoles de la région de Québec. Basée sur un recueil substantiel de données, incluant des entrevues, des observations, la veille d’un site Internet participatif, ainsi que le recueil de planifications de l’enseignement réalisées par les participants, la recherche doctorale dont il est question fut l’occasion de développer une stratégie de triangulation à niveaux multiples (Mucchielli, 2009) et d’exposer comment des procédures explicites et appuyées par le recours aux technologies peuvent soutenir la rigueur du chercheur dans un paradigme de recherche empirico-inductif.
Mots-clés :
- Formation des enseignants,
- élèves allophones,
- inclusion,
- français langue seconde,
- langue scolaire
Corps de l’article
Introduction
L’éducation se réalisant dans des situations distinctes et complexes, les recherches qualitatives dites inductives ou exploratoires seraient, selon Van der Maren (2004), particulièrement utiles à la compréhension des contextes dans lesquelles elle se déroule. Cependant, le choix de ce paradigme scientifique apporte son lot de défis au chercheur (Vandenberghe, 2006). Miles posait en 1979 le problème essentiel des démarches empiriques qualitatives, qui résiderait dans le fait que leurs méthodes d’analyse ne seraient pas clairement formulées et pourraient, faute de garde-fous méthodologiques, conduire à des découvertes « erronées » (Miles & Huberman, 2003, p. 12). Si, dans les décennies qui ont suivi cette assertion, des progrès majeurs ont été faits – notamment grâce au partage des savoir-faire des chercheurs – l’enjeu demeure pour la recherche qualitative de se distancier d’une approche intuitive des données empiriques, et ce, au profit de démarches méthodologiques explicitées et donc transparentes pour le lecteur scientifique (Lejeune, 2014; Miles & Huberman, 2003). Drapeau (2004) dresse d’ailleurs une liste des critères de scientificité en recherche qualitative, en rappelant que la « valeur d’une recherche scientifique est en grande partie dépendante de l’habileté du chercheur à démontrer la crédibilité de ses découvertes » (p. 80). La validité interne implique de vérifier si le chercheur observe vraiment ce qu’il croit observer, et donc de réévaluer constamment ses théories ou ses interprétations. La validité externe, qui mise davantage sur la puissance statistique dans les approches quantitatives, est recherchée à travers la saturation ou la complétude dans les travaux qualitatifs. Ce critère est directement lié à celui de la fidélité, autrement dit la cohérence interne d’une étude, soutenue par des techniques telles que la vérification par d’autres chercheurs, la description en profondeur, l’implication à long terme sur le terrain, la recherche de la concordance des résultats ou le recours à des descripteurs faiblement inférés. L’auteur conclut que le critère le plus important en recherche qualitative demeure la rigueur, et que celle-ci devrait se retrouver à différents niveaux dans les efforts pour démontrer la crédibilité de la progression de la recherche. Cela inclut le cheminement, la méthodologie, l’analyse des données, l’étude des aléas et épiphénomènes sociohistoriques, ainsi que la présentation des résultats. En cette ère de l’avènement du numérique, le recours aux technologies de l’information et de la communication (TIC) peut soutenir le devoir de rigueur du chercheur en études qualitatives, une rigueur qui implique de considérer la complexité inhérente à son environnement de recherche.
Dans le cadre de notre étude doctorale, nous avons ainsi déployé une stratégie de triangulation à niveaux multiples (Mucchielli, 2009) à l’aide de logiciels initialement voués ou non au traitement de données qualitatives, et impliquant l’intervention de plusieurs chercheuses dans les procédés menant à leur analyse et à leur interprétation. Dans cet article, nous présentons une synthèse de notre thèse, initialement intitulée Influence d’une formation continue sur les croyances, les représentations et les pratiques d’enseignants et de conseillères pédagogiques à l’égard de l’intégration des élèves allophones, et nous soulignons comment cette stratégie de triangulation, associée à un effort de réflexivité tout au long de l’étude, a permis de prévenir et de limiter les biais associés au traitement et à l’analyse d’une importante panoplie de données qualitatives.
À cette fin, nous résumons dans un premier temps notre problématique avant d’expliquer les fondements des choix méthodologiques correspondant aux étapes de collecte, de traitement, puis d’analyse et d’interprétation. Nous présentons finalement une discussion des résultats de notre étude à la lumière du cadre que nous aurons décrit.
Assise problématique de l’étude longitudinale
Visant par essence la compréhension d’une situation complexe et contextualisée, la problématique spécifique à l’origine de notre étude campait tout d’abord les conditions d’accueil et d’intégration des élèves allophones dans les écoles québécoises, ainsi que les conditions professionnelles des enseignants qui intervenaient auprès de ce public au début de la formation Alloscol. Nous y abordions ensuite l’avancement des connaissances en matière de formation continue pour soutenir les enseignants, et plus particulièrement l’influence des programmes de formation sur leur adaptation à des milieux scolaires en transformation. Les lignes argumentaires de la problématique sociale et de la problématique scientifique sont résumées ci-dessous.
La scolarisation des élèves allophones et la formation initiale des enseignants au Québec
La question de l’accueil et de la scolarisation des élèves allophones au Québec telle que nous la connaissons remonte aux années 1960. Comme le souligne McAndrew (2011), la société québécoise a dû s’adapter à la présence de plus en plus marquée d’élèves issus de l’immigration, notamment ceux dont le français n’est pas langue première (L1). Pour répondre à leurs besoins, l’École s’est dotée au fil du temps de différents modèles de service, recensés en 2012 par De Koninck et Armand :
la classe d’accueil fermée, dans laquelle les élèves allophones sont regroupés et suivent l’intégralité de leurs cours;
la classe d’accueil avec aide à l’intégration de la part d’une personne-ressource;
l’intégration partielle qui combine classe d’accueil et intégration avec les élèves francophones dans certains cours;
l’intégration totale en classe ordinaire avec soutien à l’apprentissage du français (désormais SAF);
l’intégration totale sans soutien linguistique.
Les chercheuses ont montré que si la majorité des élèves allophones de la province passaient par les classes d’accueil, le modèle d’intégration en classe ordinaire avec SAF était le plus fréquemment rencontré en région. Parallèlement, cette étude a mis en exergue un effet de polarité démographique. Ainsi, si la métropole montréalaise concentre une grande partie de l’immigration économique, il est apparu que davantage d’élèves allophones en région étaient réfugiés au sens de la convention de Genève. Bien que l’on ne puisse réduire ce groupe d’élèves à une problématique de retard scolaire, les chercheuses ont établi que, dans la région de la Capitale-Nationale, un élève allophone sur quatre présentait un retard scolaire d’au moins trois ans à son arrivée au Québec. Ainsi, dans les modèles d’intégration à la classe ordinaire, les enseignants peuvent être amenés à travailler simultanément avec des élèves francophones, avec des élèves allophones scolarisés et avec des élèves allophones sous-scolarisés.
Par ailleurs, la prévalence du modèle d’intégration à la classe ordinaire avec SAF en région implique que la responsabilité de l’accueil, habituellement dévolue aux seuls enseignants d’intégration linguistique, scolaire et sociale (ILSS), s’étend à toute l’équipe pédagogique. Pourtant, dans leur portrait sur la formation universitaire des enseignants à la diversité linguistique, ethnoculturelle et religieuse au Québec, Larochelle-Audet, Borri-Anadón, McAndrew et Potvin (2013) ont fait ressortir le manque et même l’absence de préparation adéquate des enseignants non spécialistes à intervenir en milieu multilingue. Parallèlement, De Koninck et Querrien (2014) rappelaient qu’en région, il arrivait encore que des enseignants de français L1 ou d’adaptation scolaire soient affectés à l’ILSS en complément de tâche ou pour une durée limitée (une ou deux années scolaires, parfois moins), et ce, sans avoir reçu de formation à la didactique des langues secondes (L2) ou à l’éducation interculturelle. Dans un tel contexte se pose alors la question de savoir si la formation continue peut permettre aux enseignants d’opérer des changements dans leurs interventions en faveur d’une approche inclusive.
La formation continue pour soutenir le développement du français comme langue des apprentissages scolaires chez les élèves allophones
Dans le domaine de la formation des enseignants, Dong (2004) a identifié quatre dimensions à développer chez les enseignants intervenant auprès d’élèves allophones :
l’empathie envers les élèves (difficultés qu’ils rencontrent et différences culturelles);
la compréhension des processus d’acquisition d’une L2;
l’adaptation des contenus et des consignes pour répondre aux besoins des élèves;
l’enseignement intégré de la langue spécifique aux disciplines et des compétences de littératie.
De plus récentes recherches se sont penchées sur la capacité d’adaptation des enseignants. Réalisées en domaines anglophones, elles ont porté sur l’influence de la formation continue vis-à-vis de l’intégration des élèves allophones en considérant spécifiquement le développement de la langue des apprentissages scolaires. Les programmes étudiés avaient la particularité d’intégrer la théorie cognitiviste et la contextualisation des activités de formation, et les résultats de recherche ont montré qu’elles pouvaient influencer positivement les enseignants et leur permettre de mettre en oeuvre des changements en faveur d’une meilleure inclusion (Adamson, Santau, & Lee, 2012; Hansen-Thomas & Grosso Richins, 2015; Hutchinson & Hadjioannou, 2011; Shanahan & Shea, 2012). Tous basés sur des protocoles empirico-inductifs, ces travaux ont mesuré les changements opérés par les participants à partir de leurs croyances, de leurs représentations et de leurs pratiques professionnelles. Corollairement, ceux-ci ont soulevé la question de l’influence de la formule de formation continue sur les changements observés.
Puisqu’aucun travail empirique de la sorte n’était répertorié au Québec lorsque nous avons envisagé nos objets de recherche, une étude sur l’évolution des croyances, des représentations et des pratiques d’enseignants impliqués dans une formation continue pouvait contribuer à faire avancer les connaissances sur leur capacité d’adaptation quant à l’inclusion des élèves allophones, particulièrement en région. Notre recherche doctorale s’est inscrite dans le contexte d’une formation continue du personnel scolaire financée par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec réalisée entre 2012 et 2014, dont nous livrons les détails opérationnels plus bas. Notre démarche reposait sur deux niveaux de traitement de données qu’étaient, d’une part, la description des changements opérés par les participants en cours de projet et, d’autre part, l’interprétation de l’influence de la formation sur ces changements. Ces niveaux sont définis en trois objectifs de recherche dans notre thèse : 1) faire état des croyances et des représentations des participants au début de la formation; 2) faire état des changements opérés par les participants dans leur discours et dans leurs planifications d’enseignement au cours et à l’issue de la formation; 3) vérifier comment les participants avaient perçu Alloscol et s’ils reconnaissaient son influence sur les changements en question.
Définition du cadre conceptuel de l’étude
Les concepts que nous avons retenus devaient en premier lieu être utilisés pour déterminer la nature des changements faits par les participants. De plus, en raison de la spécificité de la formation dans laquelle s’ancrait notre étude, il nous fallait définir ce qu’est la langue scolaire pour être en mesure de confronter sa signification dans la littérature scientifique à la compréhension qu’en avaient les répondants. Nous livrons donc une synthèse des deux champs conceptuels sur lesquels nous nous sommes appuyée.
Les cognitions des enseignants : clé de voûte du processus d’adaptation
Selon Richer (2011), dans le domaine de l’enseignement des langues, la compétence et le savoir agir de l’enseignant se composeraient, entre autres, de savoirs déclaratifs, de savoir-faire procéduraux ainsi que de savoir-être, c’est-à-dire d’éléments relevant du comportement et des relations à autrui. La compétence n’existerait pas tant qu’elle n’est pas traduite par une action, c’est-à-dire tant qu’elle n’affronte pas l’évènement ou l’imprévu. Cette conception situe la compétence dans une dynamique d’adaptation envers des situations spécifiques. Dans le contexte d’une formation continue d’enseignants, il faut donc comprendre les processus qui les conduisent à opérer des changements.
Borg (2006) envisage l’ensemble des évènements mentaux d’un enseignant de langue, liés à ce qu’il pense, à ce qu’il sait, à ce qu’il croit et à ce qu’il fait, comme relevant de sa cognition. Avant même que n’intervienne la notion d’adéquation dans le savoir agir, ce sont les interactions entre la cognition de l’enseignant et sa propre expérience d’apprenant, sa formation et les facteurs contextuels de son milieu de travail – dont les expériences vécues en classe – qui influenceront ses savoirs, ses savoir-faire et ses savoir-être. C’est au cours de ce processus complexe, où réflexion, prise de décision et passage à l’action s’alternent, que l’enseignant formule et confronte ses croyances ou ses représentations. Bien que ne constituant pas des savoirs à proprement parler, ces évènements cognitifs sont déterminants dans la capacité d’un enseignant à s’engager dans l’effort d’adaptation, puisqu’ils sont les indicateurs du changement dans la réponse qu’il produit par rapport à une situation donnée (Borg, 2006; Korthagen, 2010).
En matière de pédagogie de formation, Korthagen (2010) affirme que les activités d’accompagnement professionnel devraient rejoindre les enseignants en respectant leurs expériences pratiques. Il propose, d’une part, de considérer la perception que l’enseignant a de ses expériences de terrain dans les apprentissages qu’il fait en formation et, d’autre part, d’envisager les enseignants en tant que communauté de pratique. Sur le plan conceptuel, cette approche comporte une dimension réflexive qui, plutôt que d’imposer aux enseignants une théorie, les invite à remanier, à schématiser et à former la leur sur une base empirique. Concrètement, cela se traduit par des activités stimulant la réflexion à l’échelle individuelle, mais aussi en interaction avec les pairs.
Ces principes, réunissant théorie cognitiviste et apprentissage contextualisé chez les enseignants en fonction, ne peuvent exister que s’ils sont actualisés par des objectifs de formation. Voyons donc de plus près ce que devaient comprendre les participants à Alloscol pour mettre en oeuvre des changements probants, à savoir les besoins des élèves allophones.
Définir les besoins des élèves allophones pour comprendre les changements opérés par les enseignants
En plus de devoir maîtriser le français comme langue de communication, les élèves allophones font face au défi de devoir acquérir des compétences dans la langue dite scolaire pour suivre efficacement les apprentissages en L2. La langue scolaire est plus exigeante que la langue du quotidien, différence qui peut être facilement appréhendée par la distinction que faisait Cummins (1979) entre BICS (Basic Interpersonal Communication Skills) et CALP (Cognitive Academic Language Proficiency). Les particularités de la langue scolaire sont la présence très marquée de l’écrit et le recours à la langue décontextualisée (Cummins, 1981), c’est-à-dire ne faisant pas référence à l’ici et maintenant du locuteur au moment de l’acte de communication. Apprendre à lire, à écrire et à interagir dans la langue scolaire requiert un soutien afin que l’apprenant puisse s’investir dans des demandes communicatives hautement exigeantes sur le plan cognitif, notamment lorsqu’il est débutant dans la langue cible et plus encore lorsqu’il est peu ou n’est pas lettré dans sa L1. Quelques pratiques courantes en enseignement illustrent ces exigences : les sollicitations d’explication ou de description, notamment scientifiques (Snow, 1984), les définitions dites formelles (Snow, Cancino, De Temple, & Schley, 1991), ou encore les questions non motivées des enseignants, c’est-à-dire dont ils connaissent la réponse et qu’ils n’utilisent que pour obtenir une réponse de l’élève (Heath, 1987).
À cette dimension du cheminement académique s’ajoute la dimension culturelle d’une scolarisation en L2. Scarcella (1990) associe par exemple la compétence sociolinguistique à la connaissance d’actes de parole adaptés au milieu scolaire, dans la continuité des usages de la société. En domaine francophone, Chnane-Davin (2011) souligne également l’importance des habitudes socioculturelles en classe et à l’école dans les efforts que l’élève allophone aura à fournir pour s’adapter à son nouveau milieu et aux interactions avec les enseignants ou les autres acteurs de la vie scolaire, qui peuvent lui être inhabituelles.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons ainsi défini la langue scolaire comme le prolongement de la langue de communication, résultant d’une restructuration des savoirs développés au quotidien, caractérisée par des énoncés souvent décontextualisés, des usages socioculturels propres à son contexte d’énonciation, ainsi que de hautes exigences linguistiques et cognitives pour les élèves allophones.
Délimitation des procédés empiriques dans un contexte de formation continue
La durée de la formation Alloscol impliquait une collecte de données répartie sur deux années scolaires. Les 39 participants à l’étude représentaient 16 écoles primaires ou secondaires; ils ont assisté à 38 modules de formation parfois sous-divisés en situations intermédiaires, ont produit 21 planifications d’enseignement en plusieurs versions, et ont participé à 24 forums de discussion en ligne incluant jusqu’à 20 publications chacun. Ces quelques conditions donnent un aperçu de la diversité des types de données, des sites et des moments de collecte qui ont caractérisé notre travail empirique. S’y ajoutent les nombreux changements dans la population de l’étude, notamment dus à la précarité endémique des tâches d’enseignement en ILSS (De Koninck & Querrien, 2014), qui ont entraîné une rotation importante des participants. Bien que ces aspects aient fait l’objet d’une description détaillée dans notre thèse, nous n’en restituons ci-dessous qu’un condensé.
Conditions et participants
La formation Alloscol présentait plusieurs particularités : elle constituait un projet inédit, elle réunissait des participants représentant différentes spécialités et issus de différents milieux, et elle reposait sur des principes de formation intégrant la prise en compte de leur perspective professionnelle, de leur réflexivité ainsi que des activités collaboratives (Korthagen, 2010).
Assistant à six journées de formation, données sur deux années scolaires (2012-2014), les enseignants et les conseillères pédagogiques disposaient de surcroît d’un site Internet collaboratif. Il était alimenté en cours de projet avec des synthèses de recherche et il permettait aux participants de communiquer entre eux ou avec les formatrices[1] via 24 forums contenant chacun jusqu’à 20 publications. Les 38 modules d’Alloscol portaient notamment sur l’acquisition du français comme L2, la littératie, les particularités de la langue scolaire, le vocabulaire des disciplines, le retard scolaire et ses implications, la dimension culturelle des apprentissages scolaires, ainsi que les dynamiques socioscolaires entre élèves et au sein des équipes-écoles. Les activités de formation proposées étaient conçues pour susciter la réflexion, notamment en partant de mises en situation telles que l’immersion en langue étrangère (consistant à faire un apprentissage scolaire, comprendre des consignes ou bien identifier des termes dans une langue inconnue, parfois même dans un code écrit inconnu.) Les participants ont également eu à produire chacun trois démarches pédagogiques collaboratives en cours de projet, dont le but était d’adapter une planification d’enseignement ordinaire pour des élèves allophones scolarisés ou sous-scolarisés, et ce, en formant des dyades incluant un enseignant d’ILSS et un enseignant de classe ordinaire. Les 21 démarches originales produites faisaient l’objet de rétroactions de la part des formatrices et les participants en ont conséquemment remanié jusqu’à trois versions.
Au total, ce sont 30 enseignants et 10 conseillères pédagogiques qui ont assisté à la formation. Le recrutement pour participer à Alloscol a été réalisé par les répondants des commissions scolaires partenaires du projet (conseillères pédagogiques ou coordonnateurs.) Parmi ces 40 participants, 39 ont accepté de participer à l’entrevue initiale réalisée dans le cadre de la formation (seule une participante n’a jamais répondu à l’invitation d’entrevue.) Les participants à notre étude étaient tous d’origine québécoise et de L1 française. Ils représentaient 16 écoles (que nous avons numérotées de E1 à E16) appartenant à 4 commissions scolaires de la ville de Québec et de sa région proche (CS1 à CS4). À l’issue de la formation, seuls 23 répondants ont participé à l’entrevue finale, dont 17 enseignants et 6 conseillères pédagogiques. Cette différence entre les deux groupes de répondants – que nous avons désignés comme « initial » et « final » – s’explique d’abord par des changements de tâche ou d’institution, mais aussi par des raisons personnelles qui les ont poussés à quitter le projet, ou encore par une démobilisation de certains qui n’ont pas répondu à l’invitation à l’entrevue finale. Fait à souligner, bien qu’ils soient moins nombreux dans le groupe final, tous les domaines d’intervention des participants y étaient tout de même représentés, comme l’illustre le Tableau 1.
Autre fait à souligner, aucun des répondants issus des CS1 et CS2 n’était spécialisé en enseignement du français L2, y compris les enseignants d’ILSS en SAF ou en classe d’accueil et les conseillères pédagogiques. La pratique de recrutement d’intervenants non spécialisés avait également cours dans les CS3 et CS4, bien que cette dernière accuse un meilleur taux d’attribution des tâches d’ILSS aux spécialistes.
En plus de considérer en détail les profils professionnels des répondants, nous avons dressé un portrait local des services d’accueil et d’intégration des élèves allophones pour chaque milieu représenté en nous basant sur la recension de De Koninck et Armand (2012). Nous avons ainsi retrouvé trois des cinq modèles qu’elles décrivent. La classe d’accueil fermée était présente dans plusieurs milieux et était parfois même conçue spécifiquement pour des élèves sous-scolarisés. C’est toutefois le modèle d’intégration en classe ordinaire ou en cheminement particulier continu (CPC), c’est-à-dire en adaptation scolaire, qui était le modèle le plus fréquent dans les écoles, dans un rapport de deux offres sur trois. En y regardant de plus près, il apparaît que sept variations de volume horaire de SAF sont identifiables dans cette seule offre de service, ce qui témoigne d’une grande diversité d’un milieu à l’autre. Deux classes semi-ouvertes ont également été répertoriées, et un nouveau modèle de service – non décrit par De Koninck et Armand (2012) – a été identifié, à savoir la « classe pivot » [2] (Querrien, 2017, p. 142).
Ainsi, le contexte empirique comprenait des variantes à plusieurs niveaux, le rendant propice à une recherche qualitative. Dans la section suivante, nous introduisons notre stratégie de triangulation pour documenter cette situation complexe.
Déploiement d’une stratégie de triangulation à niveaux multiples
À l’origine de notre postulat épistémologique, la nature inédite d’Alloscol, l’approche socioconstructiviste mise en oeuvre par les formatrices et la diversité des moments et des sites de collecte potentiels rendaient un protocole de recherche hypothético-déductif inadapté. Le résumé situationnel que nous avons fourni montre – sur une période de seulement deux ans – que nombre d’intervenants des Services d’accueil et de soutien à l’apprentissage du français (SASAF) sont sujets à un effet de rotation des ressources humaines. Le choix de restituer cette réalité par la définition de deux groupes, initial et final, illustre notre positionnement empirico-inductif sous l’égide de la fidélité, et ce, plutôt qu’en élidant les profils de participants qui n’avaient pas participé aux deux entrevues.
Cette démarche s’est prolongée dans l’instrumentation de recherche en mettant en oeuvre ce que Mucchielli (2009) qualifie de triangulation à niveaux multiples. Dans notre modèle de recherche, trois types de triangulation structuraient notre collecte et notre analyse de données : la triangulation méthodologique, la triangulation des données – qui comporte plusieurs dimensions de recoupement – et la triangulation du chercheur (nous traitons de cette dernière dans la section Élaboration d’un protocole d’analyse dynamique).
La triangulation méthodologique s’est caractérisée par le recours à plusieurs techniques de recueil de données, à savoir la conduite d’entrevues semi-dirigées initiales et finales auprès des répondants engagés dans le projet Alloscol, la prise de notes lors des journées de formation, le relevé des démarches pédagogiques produites par les équipes de participants associées aux rétroactions des formatrices, ainsi que le relevé systématique de participation sur les forums de la plateforme collaborative.
Les données de notre étude ont fait l’objet d’une triangulation temporelle puisqu’elles ont été collectées à différents moments au cours d’Alloscol. Elles ont également fait l’objet d’une triangulation par combinaison de niveaux, puisqu’elles ont été recueillies auprès de différents acteurs, à savoir des enseignants et des conseillères pédagogiques intervenant dans des milieux scolaires distincts et avec des conditions professionnelles différentes. La triangulation méthodologique a de plus induit une triangulation spatiale, dans la mesure où les contextes de collecte étaient multiples (journées de formation suivies collectivement, entrevues conduites individuellement et recueil numérique de données sur la plateforme collaborative.)
La Figure 1 illustre l’organisation chronologique de l’étude longitudinale pour les deux années scolaires de collecte. Cela représente, pour les phases de conception des instruments de recherche et de recueil empirique, l’effort de triangulation à niveaux multiples.
Les avantages d’une telle triangulation sont considérables. En l’occurrence, cette stratégie contribue à limiter et compense les biais de chacune des techniques de collecte de données considérée isolément (Miles & Huberman, 2003; Mucchielli, 2009). Elle rend également possible le dépassement de l’analyse des propos des participants au profit de la prise en compte d’autres indicateurs de changement que les seules déclarations recueillies en entrevue. Enfin, elle renforce la fiabilité et la validité des résultats de l’étude.
Notre positionnement épistémologique et l’orientation méthodologique que nous avons prise dans le cadre de ce paradigme exploratoire-interprétatif nous ont poussée à faire preuve d’une grande rigueur lors de la collecte et du traitement des données, ainsi que de réflexivité dans la manière d’aborder les instruments de recherche et l’analyse. La nature longitudinale de notre étude et le fait que nous avons procédé à l’examen empirique des données au fur et à mesure de la collecte ont quant à eux permis de nous appuyer sur des phénomènes émergents – notamment les épiphénomènes dont parle Drapeau (2004) – pour ajuster certains instruments et donc enrichir les données en vue de leur interprétation.
Instrumentation triangulaire et recours aux TIC
Notre arsenal de recueil comprenait plusieurs instruments de recherche. Les entrevues initiales et finales ainsi que les démarches pédagogiques associées aux rétroactions des formatrices colligées constituaient les deux principales sources de données. Pour les entrevues, nous avons utilisé des guides d’entrevue semi-dirigée adaptés à chaque période (initiale ou finale) et aux différents profils de participants (enseignants ILSS, enseignants de classe ordinaire ou d’adaptation et conseillères pédagogiques), tandis que les démarches et les rétroactions faisaient l’objet d’un relevé systématique. En vue d’optimiser la triangulation, nous avons également eu recours à un journal de bord de la chercheuse, à une base de données programmée spécifiquement pour nos besoins de recherche, à des grilles d’observation complétées lors des journées de formation ainsi qu’au relevé de la participation sur les forums du site collaboratif.
Bien que nous ne puissions décrire en détail tous les instruments, il convient de souligner que les différentes versions des guides d’entrevue semi-dirigée initiale étaient organisées en cinq sections, dont trois ont été reprises en miroir dans les guides d’entrevue finale pour mesurer les changements dans les croyances et les représentations des répondants. Pour les entretiens finaux, nous y avons ajouté une sixième section visant à colliger l’évaluation de la formation Alloscol par les répondants, ainsi que l’influence perçue des activités de formation sur ces changements. Les entrevues ont été transcrites au fur et à mesure de la collecte par trois assistantes de recherche qui se sont succédé et que nous avons formées à la transcription conventionnée en vue d’une analyse discursive.
En raison de l’intervention de plusieurs chercheuses, ainsi que du nombre de participants et de leur diversité professionnelle, il nous a paru évident dès les prémices du recueil de données qu’il fallait mettre en oeuvre des moyens pour éviter les biais provenant des effets du site de collecte et des conditions de traitement sur notre interprétation (Miles & Huberman, 2003). Nous avons donc programmé une base de données à l’aide du logiciel File Maker pour y faire apparaître les données factuelles et les résumés des réponses issues des entrevues, et pouvoir obtenir pour chaque répondant une fiche synthèse parallèle (entrevue initiale/entrevue finale). Un tel instrument permet de consulter l’information en mode formulaire (une fiche par répondant) ou en mode synthèse (un tableur avec les informations de tous les répondants, présentées par colonne). Bien que cette base de données constitue un soutien à la validité interne, elle comporte des limites, puisqu’elle ne saurait restituer toute la complexité d’une entrevue. Nous ne nous sommes donc pas reposée sur elle pour l’analyse à proprement parler, mais nous l’avons utilisée comme instrument complémentaire pour vérifier que la sériation des données était fiable. Elle a en outre facilité la navigation à travers le corpus, substantiel.
Afin d’illustrer comment chaque source de données en soutenait une autre dans la stratégie de renforcement de la validité et de la fidélité de l’étude, la Figure 2 rassemble les instruments de recherche et leurs relations dynamiques sous l’égide de la triangulation des données.
Élaboration d’un protocole d’analyse dynamique
Pour Miles et Huberman (2003), l’analyse qualitative s’articule en trois composantes que sont la condensation, la présentation et l’élaboration/vérification des données, lesquelles caractérisent un processus cyclique et interactif opéré par le chercheur tout au long de l’étude. Dans le cas de notre recherche, les choix analytiques incluant ces trois composantes découlaient, certes, de nos objectifs de recherche, mais également de la forme et de l’interaction des différentes données collectées. Pour cette raison, notre méthodologie d’analyse était de type phénoménologique (Paillé & Mucchielli, 2013). En l’occurrence, les sources de données principales étaient les entrevues et les démarches pédagogiques réalisées par les participants. Puisqu’elles différaient en nature et en contenu, nous avons choisi d’analyser les transcriptions d’entrevue selon une approche par catégories conceptualisantes (Lejeune, 2014; Paillé & Mucchielli, 2013), tandis que les démarches pédagogiques ont fait l’objet d’une approche situationnelle phénoménologique (Paillé & Mucchielli, 2013).
Analyse des entrevues : approche par catégorisation conceptuelle
Dans le cas des entrevues, la richesse du matériau nous a amenée à transposer la triangulation temporelle à une approche dynamique. Nous avons ainsi ajouté à chaque processus de traitement une étape d’examen empirique, servant à identifier des tendances ou des informations émergeant du corpus et à contrôler le traitement opéré. Pour cette raison, notre démarche d’analyse relève de ce que Mucchielli (2007) nomme « la théorisation ancrée » (p. 7). Concrètement, nous avons fractionné notre protocole d’analyse en quatre étapes majeures, réalisées à l’aide du logiciel d’étiquetage QDA Miner et appuyées par le recours à notre base de données File Maker. En voici un exemple basé sur les segments d’entrevue où les répondants s’expriment sur leur propre expérience d’apprentissage d’une L2 à l’école :
codage thématique (ex. : souvenir du répondant de son apprentissage d’une L2 à l’école);
codage qualitatif (ex. : souvenir positif, négatif, mitigé ou non existant);
définition de rubriques et extraction logicielles des segments (ex. : pratiques d’enseignement d’une L2 les plus appréciées);
définition de catégories conceptuelles issues de chaque rubrique indépendante (ex. : pratiques réinvesties dans l’enseignement aux élèves allophones).
Un premier examen empirique consistant à lire et relire les transcriptions et à réécouter les enregistrements d’entrevues a permis de construire la liste de codes thématiques, et ce, en nous appuyant également sur les guides d’entrevue. Ce procédé a été réitéré après les étapes (2) et (3), et finalement à la toute fin du traitement pour s’assurer de la saturation des données. L’ensemble du processus est schématisé dans la Figure 3.
Les codages thématiques et qualitatifs ont fait l’objet de différentiels interjuges, respectivement pour les entrevues initiales et finales des enseignants et des conseillères pédagogiques. Nous avons éprouvé chaque type de codes séparément à deux reprises et sur 20 % du corpus, à concurrence d’une fiabilité de codage interne de 96 % pour les codes qualitatifs. Les épreuves de codage différentielles ont ensuite été effectuées avec une assistante de recherche indépendamment sur 20 % des transcriptions choisies au hasard. Une confrontation a conduit à ajuster la liste de codes et à les développer en codes qualitatifs. Ainsi, lors de la seconde épreuve, le taux de fiabilité externe était de 93,7 % pour l’entrevue initiale et de 93,9 % pour l’entrevue finale.
Analyse des démarches pédagogiques : approche situationnelle phénoménologique
Les planifications d’enseignement colligées dans le cadre de notre étude – autrement appelées démarches pédagogiques – présentaient des variations naturelles à plusieurs égards, notamment dans les contenus d’enseignement, dans la composition des équipes de travail, dans les formats de rétroaction fournis par les formatrices, ou encore dans le nombre de versions remises par une équipe collaborative donnée. En l’occurrence, dès le premier examen empirique des démarches et de leurs rétroactions, il apparaissait qu’un système de codage ne conviendrait pas à la diversité des données et que des tendances seraient difficilement dégagées en suivant le processus de catégorisation. Il importait cependant de tenir compte de la nature dialectique des démarches sériées, c’est-à-dire des changements opérés de version en version, et ce, à la lumière des rétroactions des formatrices. Nous avons donc choisi de procéder par une analyse de nature situationnelle phénoménologique, entendant par là une analyse opérée sur des actions posées dans des situations comparables du point de vue du vécu des participants (Paillé & Mucchielli, 2013). Cette méthode analytique visant à tirer le sens général par cas se prêtait efficacement à l’analyse des différentes démarches, en raison notamment de sa nature dialectique.
Voyons maintenant comment nous avons interprété les résultats issus de cette analyse triangulaire pour répondre à nos objectifs.
Interprétation des résultats et apports de notre recherche
Miles et Huberman (2003) classifient les « tactiques » (p. 437) d’analyse des données qualitatives en deux temps que sont l’élaboration puis la vérification des conclusions de l’interprétation des résultats empiriques. Ces tactiques s’inscrivent dans la continuité des choix méthodologiques mis en oeuvre lors de la définition des objectifs, puis de la conception des instruments de recherche et du protocole d’analyse.
Pour leur part, Paillé et Mucchielli (2013) décrivent les processus en jeu à travers le prisme du parcours du chercheur. Selon les auteurs, l’analyste réalise en premier lieu un travail de proximité avec les catégories qu’il a définies et structurées au fil des examens empiriques. En relation les unes avec les autres, ces catégories donnent alors forme à une compréhension tout d’abord morcelée, sous la forme « d’insights ou d’eurêkas » (Paillé & Mucchielli, 2013, p. 398) qui ne suivent ni ordre apparent ni logique d’ensemble. C’est à ce stade que le chercheur fait un choix interprétatif majeur : il peut s’en tenir à une structuration des résultats sous la forme d’une typologie, d’études de cas ou encore d’un rubriquage, ou il peut dépasser la structuration et dégager un phénomène traversant significativement le corpus et permettant, ultimement, de répondre aux objectifs de recherche de façon originale et synthétique.
En raison de la diversité de nos données et du déploiement de l’effort de triangulation à niveaux multiples, c’est pour cette seconde approche que nous avons opté afin d’interpréter nos résultats. Nous en résumons ci-dessous les grandes lignes selon la portée de nos objectifs de recherche, puis sous l’égide de la transversalité en question.
Objectifs de recherche 1 et 2 : portée descriptive des changements opérés par les participants à Alloscol
Pour pouvoir faire fidèlement état des changements opérés par les enseignants et les conseillères pédagogiques impliqués dans Alloscol, il nous fallait en premier lieu faire état de leurs croyances, de leurs représentations et de leurs pratiques au début de la formation. L’analyse et l’interprétation des données issues des entrevues initiales et des sources de données attingentes ont alors permis de faire ressortir des constats sensibles au regard des objectifs de la formation Alloscol, notamment : 1) l’inadéquation des croyances vis-à-vis du temps d’acquisition langagier pour suivre des apprentissages scolaires en français, particulièrement chez les participants non formés en didactique des L2; 2) la réutilisation des pratiques d’enseignement identifiées comme positives par les répondants dans leur propre expérience d’apprentissage d’une L2; 3) le fait que les enseignants intervenant uniquement en SAF, et particulièrement ceux non formés à la didactique des L2, déclarent un plus faible sentiment d’efficacité que les enseignants qui avaient de l’expérience en classe d’accueil. Ce dernier constat faisait écho aux résultats présentés par De Koninck et Armand (2012) dans des contextes scolaires comparables. Ces résultats corroboraient ainsi le cadre de Borg (2006), selon lequel l’expérience scolaire d’un enseignant, sa formation et ses expériences professionnelles influencent fortement ses croyances et ses représentations. S’ajoutaient à ces tendances une quatrième observation majeure traversant le corpus, à savoir une perception très compartimentée des rôles des enseignants d’ILSS, souvent identifiés comme les (seules) personnes-ressources pour les élèves allophones, ainsi que des rôles des enseignants de classe ordinaire qui se cantonnaient à un soutien à l’intégration sociale. Cette perception était d’ailleurs corroborée par les représentations des conseillères pédagogiques, et ce constat démontrait l’intérêt d’une triangulation par combinaison de niveaux en ce sens que le recueil des points de vue d’acteurs endossant différentes fonctions sur des phénomènes comparables nous a permis de repérer une forte convergence des croyances sur l’imputabilité dévolue aux enseignants.
L’analyse à portée descriptive des entrevues finales et des différentes versions des démarches pédagogiques a ensuite mené à l’atteinte de notre second objectif de recherche, celui visant à établir les changements opérés par les participants à Alloscol. Sur le plan discursif, les répondants avaient largement remanié leurs croyances quant au temps d’acquisition du français à des fins scolaires, en ce sens que leurs attentes envers la progression des élèves allophones étaient finalement plus réalistes et conformes à ce qu’en dit la littérature scientifique (Collier, 1989). Dans la même ligne interprétative, nous avons pu constater que les participants avaient finalement révisé la circonscription de leurs rôles – plutôt rigide en début de formation – en démontrant une meilleure compréhension des besoins académiques, mais aussi sociaux des élèves allophones. En fin de formation, les enseignants d’ILSS cherchaient ainsi à préparer davantage l’entrée en classe ordinaire, et les enseignants disciplinaires avaient pris conscience de leur potentiel en tant qu’agents de soutien au développement du français chez les élèves allophones. De plus, toujours en écho aux cognitions et aux déclarations initiales, il est apparu que les pratiques déclarées par les enseignants semblaient mieux adaptées aux besoins des élèves allophones et, comparativement aux études antérieures conduites en domaines anglophones (Adamson et al., 2012; Shanahan & Shea, 2012), les participants à Alloscol ont démontré un plus grand niveau de précision dans la qualité des réponses qu’ils formulaient à cet égard.
Sur le plan descriptif, l’analyse des différentes versions considérées à la lumière des rétroactions des formatrices a mis en évidence des améliorations didactiques tangibles pour soutenir le développement cognitif, académique et social des élèves allophones, ce qui corroborait les conclusions colligées à partir des entrevues et renforçait la fiabilité des résultats en nous basant sur les pratiques observées. De surcroît, force fut de constater que certaines dyades de participants – composées, rappelons-le, d’un enseignant d’ILSS et d’un enseignant de classe ordinaire – étaient en mesure de produire dès la première version de leur démarche des planifications répondant aux besoins des élèves allophones scolarisés ou sous-scolarisés intégrés en classe ordinaire.
Objectif de recherche 3 : portée interprétative de la capacité d’adaptation des participants vis-à-vis des élèves allophones
Une fois établis les changements dans les croyances, les représentations et les pratiques des enseignants et des conseillères pédagogiques, il nous fallait les rattacher aux facteurs d’influence de la formation Alloscol. La triangulation par combinaison de niveaux, et particulièrement la prise en compte des profils des participants selon le cadre de Borg (2006), a clairement mis au jour un élément central pour mesurer ces facteurs, à savoir que la progression des croyances et des savoirs de chacun d’entre eux était unique et dépendait de son positionnement en début de projet. Concrètement, les étapes de catégorisation scandées par plusieurs examens empiriques ont abouti à une vue d’ensemble complexe, révélant que la marge de progression des participants telle qu’observée dans le corpus était individuelle et dépendait en grande partie de la formation et des croyances initiales de chacun des répondants. Restituons un exemple : les participants n’ayant pas reçu de formation en didactique des langues démontraient une progression en matière de compréhension des processus d’acquisition du français L2 en contexte scolaire, tandis que les spécialistes en L2 affinaient leurs connaissances en matière de sous-scolarisation.
Mais, au-delà des savoirs déclaratifs, l’explicitation méthodologique de l’évaluation de la formation dans les guides d’entrevue finale a fait émerger un autre constat : les activités à portée réflexive – mises de l’avant par Korthagen (2010) – ont été identifiées par les participants comme les plus bénéfiques à leur progression, notamment les activités inductives partant d’une immersion en langue étrangère. En reprenant plus largement le cadre de Richer (2011) en matière de développement du savoir agir, l’interprétation des résultats relevant des objectifs de recherche 1 et 2 et incluant donc les croyances, les savoirs déclaratifs et les pratiques déclarées ou observées (savoir-faire et savoir-être), a conduit à la définition d’une étape intermédiaire de remaniement des cognitions au sens où Borg (2006) et Korthagen (2010) l’entendent, que nous avons nommée « étape de validation empirique » (Querrien, 2017, p. 373). Cette étape s’articule avec une première étape d’acquisition de nouveaux savoirs ou de validation des croyances basées sur les apprentissages faits en formation, suivie d’une seconde étape d’application des pratiques préconisées en classe. C’est après avoir constaté l’utilité ou la portée bénéfique d’une pratique préconisée donnée pour les élèves ou pour l’enseignant que les participants la validaient et achevait, de fait, le processus de développement de leur savoir agir, que nous présentons dans la Figure 4. Il convient de préciser que ces étapes ne sont pas systématiquement linéaires, mais plutôt ancrées dans un processus dynamique. Les changements dans les savoir-être et les savoir-faire ou la validation empirique peuvent ainsi alimenter la réflexion et entrainer un nouvel effort de validation ou d’infirmation des croyances en cours de processus, ce que Korthagen (2010) désigne par le terme « réduction » (p. 100) (indiquée par les flèches courbées dans la Figure 4.)
Lecture transversale des résultats
En dépassant la portée descriptive des résultats, nous avons ainsi pu dégager un modèle soutenant le développement du savoir agir chez des intervenants scolaires impliqués dans un programme de formation continue. Outre le paradigme du savoir agir en contexte de ressourcement professionnel, deux aspects que nous n’avions pas anticipés dans nos objectifs de recherche ont émergé de l’examen empirique transversal. Le premier porte sur l’ordre d’enseignement des participants à Alloscol : les enseignants du secondaire semblent avoir davantage profité des activités de formation que leurs pairs du primaire. Le second, toujours en comparant le cheminement des divers répondants, est un effet de la commission scolaire d’affiliation sur le degré de développement du savoir agir. Ainsi, les répondants issus des CS1 et CS2 mettaient moins l’accent sur leur progression que leurs collègues des CS3 et CS4, lesquelles commissions avaient d’ailleurs tendance à embaucher davantage d’intervenants formés en didactique des L2 pour intervenir en ILSS.
Bien qu’il faille appréhender ces observations avec caution en raison de la représentativité inégale des ordres ou des commissions scolaires chez les participants du groupe final, le parallèle entre deux répondants issus de chacun des ordres ou des différents milieux illustre sans équivoque une différence à ces égards.
Conclusion
Ainsi, ce sont une meilleure compréhension des conditions d’intervention des enseignants et des conseillères pédagogiques intervenant auprès d’élèves allophones en région au Québec, la confirmation de l’efficacité d’une approche intégrative en formation continue incluant réflexion, contextualisation et collaboration, ainsi que la modélisation du développement du savoir agir d’intervenants scolaires en démarche de ressourcement professionnel qui ont constitué l’apport de notre travail sur le plan de la connaissance. Cette contribution résulte d’une stratégie méthodologique complexe, dont l’instrumentation de recherche était soutenue par une assistance logicielle originale et qui était caractérisée par un effort de triangulation à tous les niveaux de préparation, d’analyse et d’interprétation du matériau empirique.
En guise de prospective, nous souhaitons que la démonstration que nous livrons de ce protocole de recherche intégratif fournisse des pistes méthodologiques pour la conduite de recherches analogues en Éducation, notamment par un renforcement de certains instruments de recherche. En matière d’accompagnement des élèves allophones, nos conclusions montrent qu’il importe également de poursuivre les recherches contextualisées en milieu régional et de documenter les initiatives éducatives en considérant les conditions dans lesquelles interviennent les enseignants et les conseillers pédagogiques. Ce qui, à la lumière de nos constats empiriques, implique d’implanter des stratégies méthodologiques visant avant tout l’objectivité et la rigueur, des vertus scientifiques qu’il convient aujourd’hui d’associer à une utilisation éclairée et efficace des TIC.
Parties annexes
Note biographique
Diane Querrien, Ph. D., est professeure adjointe depuis 2017 à l’Université Concordia. Elle a obtenu son Master à l’Université Rennes II, en France, avant de poursuivre sa formation doctorale à l’Université Laval à Québec. Ses recherches, principalement qualitatives, portent sur la didactique du français langue seconde ou étrangère, et plus particulièrement sur le développement professionnel des enseignants pour soutenir l’accueil, l’intégration et la scolarisation des élèves allophones en domaine francophone.
Notes
-
[1]
Formatrices d’Alloscol : Zita De Koninck, Ph. D., Université Laval, et Lucia Flores, Ph. D., Université Laval.
-
[2]
La classe pivot est comparable aux Sheltered Content Courses répertoriés dans certains états américains. Voir Dabach (2014), ainsi que le protocole Sheltered Instruction Observation Protocol (SIOP) du Center for Applied Linguistics (Washington, DC), à l’adresse suivante : http://www.cal.org/siop/?fbclid=IwAR2mWoduP27y9VU0xXG6J8S4y7YDIl-fTLF1iL45LfrMim1Ah191vCJoNXE
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