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Le présent article a pour objectif de raconter le parcours de la planification et de la mise en oeuvre d’une évaluation des processus au sein d’un organisme communautaire en économie sociale. Cette évaluation relate les facteurs qui facilitent et entravent la mise en oeuvre de notre programme La Cantine dans les écoles, telle que suggérée par Ridde et Dagenais (2009). Elle est également formative afin de stimuler des réflexions, des apprentissages et des prises de décision relatives à la gestion du programme. L’objectif ambitionné de cette évaluation des processus est d’augmenter la capacité et la rapidité des employé.e.s à répondre à nos clients, soit les organismes-traiteurs. L’évaluation des processus concerne La Cantine dans les écoles, un programme d’alimentation scolaire qui vise à offrir aux enfants des écoles primaires du Québec l’accès à des dîners sains et abordables. Le programme, déployé en 2019, est piloté par La Cantine pour tous, un organisme à but non lucratif qui plaide pour l’accès à une alimentation scolaire saine et universelle au Québec. Actuellement, le programme La Cantine dans les écoles permet aux élèves de 40 écoles primaires dans six régions du Québec d’avoir accès à des repas préparés par des organismes-traiteurs locaux selon un modèle de contribution financière volontaire des parents. Parallèlement, ce programme propose des occasions de croissance pour les organismes oeuvrant dans le secteur de la production alimentaire, faisant ainsi tourner la roue de l’économie sociale.

Depuis sa mise en oeuvre, le programme mobilise un nombre grandissant d’organismes-traiteurs afin d’offrir aux enfants des repas sains. Afin de soutenir ce rythme de croissance, La Cantine pour tous a souhaité entamer une évaluation des processus de son programme La Cantine dans les écoles afin de répondre de façon plus efficace à un volume plus grand d’organismes-traiteurs. Parmi ces processus, on compte notamment la certification des organismes-traiteurs pour devenir membre de La Cantine pour tous, leur intégration au programme La Cantine dans les écoles, leur association à une école pour la livraison des repas et le recrutement des écoles. Pour conseiller l’équipe sur une méthodologie d’évaluation, l’organisation a formé un comité constitué de partenaires des directions de santé publique qui a recommandé qu’une chargée d’évaluation de programmes chapeaute l’évaluation de La Cantine dans les écoles, d’où l’embauche de Mireille Morin pour l’année scolaire 2021-2022.

L’article suivant vise à relater les grandes étapes de la méthodologie d’évaluation des processus menée de juillet 2021 à mars 2022. Ces grandes étapes sont l’identification des besoins d’évaluation, la définition du problème (écart entre l’état initial et l’état désiré), la collecte de données pour la compréhension des processus et l’analyse des écarts, la rétroaction et l’expérimentation. Cette expérience démontre l’importance accordée aux aspects techniques d’une démarche réflexive participative ainsi que ses apports humains, en exposant les retombées de la pratique et les apprentissages effectués.

L’identification du besoin d’évaluation et début de la collecte de données

Actuellement, l’organisme opère de façon similaire au modèle de start-up, dans lequel il est fréquent de trouver un nombre restreint d’employé.e.s qui maîtrisent chacun une expertise spécifique de la chaîne de processus. Selon notre expérience, ce type d’organisation du travail, dite « organisation scientifique du travail » (Alter, 2012), limite considérablement la visibilité des employé.e.s sur les étapes des processus dans lesquelles ils ou elles ne sont pas impliqué.e.s. Ce fonctionnement peut créer des enjeux de communication entre les postes de travail lorsque l’équipe vit une croissance, et une surcharge de travail lorsque le nombre de partenaires augmente. Le travail à la chaîne fragilise aussi la prestation de service auprès des partenaires lorsqu’un employé quitte l’organisation, puisque ses tâches ne sont pas familières au reste de l’équipe (Alter, 2012). Parmi les objectifs de l’évaluation de l’automne 2021 se trouvaient le développement de jeux de coopération entre les employé.e.s ainsi que les outils technologiques pour évoluer vers une organisation plus flexible du travail (Meddeb, 1996 et 2013). Cette dernière permet de maintenir la qualité de la prestation de service, même en cas de mouvement sur le plan des ressources humaines.

Dans un premier temps, pour procéder à l’évaluation des processus, il était essentiel de les coucher sur papier afin de les comprendre, de les consigner et de les officialiser. Le tout a été réalisé au moyen d’une cartographie visant à dessiner l’enchaînement des activités réalisées et sa gestion au sein d’un processus existant (Club des pilotes de Processus, 2021). Afin de faciliter l’implication de tous les employé.e.s de l’organisation, Mireille a pris connaissance de la documentation interne et a réalisé des entrevues afin de rédiger une version préliminaire des processus. Par la suite, les collègues les ont révisées, puis ont présenté leur cartographie complétée aux autres membres de l’équipe. L’équipe a ensuite discuté de l’organisation du travail en place, sans manquer de mentionner les facteurs facilitants de leurs processus respectifs. Cet exercice a permis d’offrir une vue d’ensemble à l’équipe, à travers une prise de conscience de la chaîne d’activités nécessaire à l’opérationnalisation du service.

Ces rencontres se posent aussi comme une façon de discuter des activités jugées problématiques, incluant des facteurs entravants et des améliorations souhaitées (p. ex : « Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous ? »). Les employé.e.s ont verbalisé leur besoin de limiter le travail en silo et de faciliter l’accès à l’information. Leur constat était que les moments de transition interprocessus créent un temps d’arrêt dans la prestation de service auprès d’un organisme-traiteur et une frustration, tant pour les employé.e.s que pour les partenaires. Spontanément, l’équipe a convenu de stratégies pour regrouper les données les plus importantes, comme la transition en mode réseau pour faciliter l’accessibilité et la diffusion. L’amélioration de la communication entre collègues s’est révélée un enjeu commun et mobilisateur. Comme souhaité, les discussions ont permis d’identifier des jeux de coopération et d’entraide émergents entre collègues pour la diffusion des apprentissages professionnels.

La définition du problème et la suite de la collecte de données

Une fois la cartographie complétée avec l’identification des facteurs facilitants et entravants des processus, l’équipe devait sélectionner ceux jugés prioritaires à réviser pour l’amélioration de la prestation de service envers les organismes-traiteurs. L’objectif de cette étape était de circonscrire le cadre de l’analyse et de définir le problème par la documentation de l’écart entre la situation actuelle et celle qui était désirée. Pour ce faire, Mireille a présenté le répertoire de processus aux employé.e.s en leur demandant de les noter selon une échelle de 0 à 10. Le chiffre 0 signifiait un processus fonctionnel sans besoin d’amélioration à court terme, et le chiffre 10 était attribué aux processus présentant des lacunes majeures. Une échelle de faisabilité était aussi utilisée pour mettre en évidence les facteurs rigides des processus. Les employé.e.s attribuaient la note 0 s’ils n’avaient aucun contrôle sur les irritants du processus, et la note 10 s’ils avaient un niveau de contrôle élevé. Malgré la tenue d’un exercice de priorisation, les employé.e.s peinaient à concilier les besoins pour leur poste et pour l’organisation dans cette classification. Les discussions ont plutôt débouché vers des solutions pour remédier aux difficultés vécues, qui ont été écoutées et listées dans le but de stimuler leur implication dans la démarche. Même si adopter une approche « solutions » n’est pas conseillé dès les premières rencontres, il était intéressant de constater que les employé.e.s avaient déjà en tête des solutions réalistes. Aussi, ces discussions ont permis une forme de priorisation des processus à réviser, puisque les suggestions proposées traduisent souvent l’importance octroyée aux enjeux. Un premier processus à réviser a été identifié de cette façon, c’est-à-dire qu’il était au coeur des préoccupations verbalisées par les membres de l’équipe.

La capacité collective à écouter nos collègues et à nous centrer sur leurs besoins a permis de susciter leur engouement à s’impliquer dans cette démarche d’évaluation. Après avoir été révisée avec l’équipe, cette liste a été mise de côté le temps d’identifier les causes profondes d’insatisfaction. D’autres facteurs ont également été pris en compte dans la sélection des processus à améliorer, tel le degré d’écart entre la situation souhaitée et la situation actuelle, soit le caractère problématique du processus. Aussi, nous avons considéré les facteurs rigides inhérents à notre secteur d’activité, comme les exigences de nos bailleurs de fonds et celles des instances gouvernementales qui encadrent le secteur agroalimentaire. En résumé, ces discussions ont ancré l’équipe dans la démarche en stimulant leurs apprentissages en évaluation pour identifier collectivement les processus irritants.

L’analyse du problème et des écarts pour la rétroaction

Pour donner suite à l’identification du problème, nous avons scindé les processus problématiques en activités afin d’identifier des facteurs entravants qui méritaient d’être éliminés. Pour ce faire, les employé.e.s ont répondu aux questions suivantes :

  • Qu’est-ce qui est le plus irritant dans nos processus de travail ?

  • Quels sont les goulots d’étranglement dans nos processus de travail ?

  • Y a-t-il des activités réalisées sans valeur ajoutée pour nous ou nos partenaires ?

  • Avons-nous des activités à valeur non ajoutée dans nos processus ?

L’identification des facteurs entravants permet d’attirer l’attention et de s’interroger sur les événements dérangeants. Il importait de scruter les raisons pour lesquelles ces situations ont une connotation négative afin de dégager les causes profondes. Ces dernières ont été mises en évidence lors de discussions concernant l’énumération des activités à valeur non ajoutée pour l’organisation et ses partenaires. À titre d’exemple, les principales activités identifiées concernaient des déplacements jugés sans valeur ajoutée pour les organismes-traiteurs et la production de données ou de documents qui n’étaient pas consultés. Les causes étaient ensuite classées par catégories, par exemple, les enjeux liés aux ressources matérielles, aux ressources humaines, aux opérations et à la méthode de travail. De ces causes, nous avons favorisé une approche « solutions faisables » pour les enjeux prioritaires pour l’équipe. L’idée était de trouver des solutions facilement applicables pour obtenir un gain visible et apprécié par l’équipe. Ces gains rapides pouvaient également favoriser la motivation des collègues à poursuivre la mise en oeuvre de solutions jugées plus compliquées.

Les rétroactions sur les activités à valeur non ajoutée ont démontré l’importance de considérer la présence de facteurs rigides et immuables comme limite à la révision de certains processus. Par exemple, une préoccupation majeure identifiée lors de la démarche d’évaluation était liée au mode de financement incertain de l’organisation, un facteur rigide dépendant des subventions annuelles. Bien que les processus qui en dépendent comprennent des activités à valeur non ajoutée identifiées en équipe, ces étapes ne peuvent être éliminées puisqu’elles deviennent nécessaires si l’entièreté du financement est reçue. Par exemple, une prévision financière optimiste détermine le nombre de traiteurs qui amorceront une accréditation pour répondre à nos exigences, mais l’ensemble des partenariats ne sera pas concrétisé si les ressources financières ne le permettent pas. D’autres facteurs rigides qui ont été considérés sont ceux liés au cadre réglementaire du secteur alimentaire et des centres de service scolaire. L’ensemble de ces contraintes peut créer un cadre stressant pour l’équipe, avant même qu’il soit question de modifier sa routine de travail. Considérer cet ensemble de normes a ainsi permis de sensibiliser l’équipe d’évaluation à la capacité d’absorption dans la mise en place de changements, soit les compétences de l’employé à assimiler, à intégrer ou à appliquer une nouvelle connaissance (Song et coll., 2018). Le degré de tolérance à l’absorption est variable selon les employé.e.s, et sans doute influencé par le degré d’adaptation que demandent déjà les tâches en place.

L’expérimentation

Enfin, Mireille a rencontré les employé.e.s concerné.e.s par les processus ciblés afin de discuter de l’expérimentation des solutions aux enjeux identifiés. L’objectif de cette étape était de sélectionner les solutions les plus réalistes aux facteurs entravants et aux activités à valeur non ajoutée identifiées, puis de permettre aux employé.e.s d’intégrer les modifications.

L’un des facteurs entravants identifiés concernait le manque de points de contrôle critiques auprès de l’organisme-traiteur, entraînant une variabilité de la qualité de la prestation de service. Lors des discussions avec les employé.e.s, la dernière activité du processus d’intégration d’un organisme-traiteur a été identifiée comme très stressante pour tous. De surcroît, l’équipe venait de vivre une expérience désagréable avec un partenaire qui s’était désisté au dernier stade de l’intégration au programme, engendrant une activité à valeur non ajoutée importante. En réunion, une piste de réflexion avancée était de solidifier le processus en amont afin d’éviter une pression excessive durant les dernières semaines. Dans ce cas, l’ajout d’activités de vérification chronophages pour permettre une meilleure fluidité jusqu’à l’étape de livraison de repas s’avérait rentable en matière de satisfaction des employé.e.s. Ces activités de validation permettent aussi de maintenir une communication franche avec le partenaire en présentant nos attentes en début de processus, ce qui favorise sa satisfaction.

Les activités à valeur non ajoutée les plus faciles à éliminer étaient la production de données et de documents non consultés ou contenant des doublons. L’équipe était généralement favorable aux modifications puisque leur élimination représente souvent une diminution de la lourdeur des tâches professionnelles. Par exemple, l’élagage de la liste de pièces justificatives demandée à l’entrée au programme a permis de réduire environ de moitié le nombre de documents demandés, engendrant du même coup une augmentation de l’efficacité des suivis pour l’employé.e et un gain de temps pour les partenaires.

Retombées de l’évaluation des processus et apprentissages réalisés

Comme mentionné tout au long du l’article, l’évaluation des processus du programme La Cantine dans les écoles a permis de générer plusieurs retombées de nature individuelle, technique, sociale et organisationnelle, exposées dans la figure suivante. Elle a également permis de mettre en lumière des apprentissages se posant comme facteurs de succès lors de la démarche.

Figure 1

Retombées de cette démarche d’évaluation des processus

Retombées de cette démarche d’évaluation des processus

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Sur le plan organisationnel, la démarche d’évaluation utilisée a sans doute contribué à épurer les processus en place, afin d’assurer la pertinence de chaque tâche réalisée par les employé.e.s et de chaque requête faite aux partenaires. L’augmentation de la fluidité d’enchaînement des processus et le fait de clarifier la suite d’étapes à l’intégration ont contribué à la satisfaction des partenaires. La satisfaction des employé.e.s a aussi été augmentée, favorisant l’implication et la motivation intrinsèque à participer à l’évaluation, ce qui représente une retombée très positive pour la suite des démarches d’amélioration continue. En matière de retombées sociales, les employé.e.s ont également pris conscience de l’importance des jeux de coopération pour obtenir des gains de production et assurer la pérennité de leur organisation. Sur le plan technique, l’évaluation a permis de dégager les besoins de l’équipe en documentation et de développer des stratégies pour le partage efficace de ces informations. Les retombées techniques ont engendré une augmentation de l’efficacité des suivis et un gain de temps pour l’organisation et ses partenaires. Enfin, l’évaluation visait également à générer des retombées sur le plan individuel, notamment une sensibilisation aux concepts en évaluation, comme reconnaître l’importance de cartographier collectivement les processus pour prendre conscience de la vue d’ensemble des activités productives de leur organisation. Le rôle de Mireille était de les accompagner dans leur développement de compétences pour favoriser une culture réflexive et apprenante au sein de l’organisation.

L’importance de la notion de temps

Le fait d’avoir eu du temps pour réaliser les discussions sur les routines de travail, puis pour dessiner les processus et les exposer, a permis de dégager une perspective globale et systémique des enjeux. Ceci permet aussi à l’équipe d’intégrer les démarches et ses solutions à un rythme adapté. Nous pensons que les solutions spontanées sont souvent liées à l’ajout de ressources financières ou humaines, alors qu’une évaluation des causes profondes où les employé.e.s prennent le temps de comprendre, d’analyser et d’optimiser les processus permet de diminuer les activités à valeur non ajoutée. Le fait d’avoir une personne dédiée à l’évaluation, représentant l’agent de changement, a permis de préserver l’objectif et de maintenir la mobilisation de l’équipe.

L’importance de l’intelligence collective

Par cette évaluation, basée sur les principes d’une démarche d’amélioration continue de type Lean Management, nous retenons l’importance d’impliquer les employé.e.s dès le début de l’évaluation pour obtenir la perception de leur processus de travail, des facteurs entravants et facilitants, des situations désagréables expérimentées et des pistes d’amélioration potentielles. Ils représentent une source incroyable d’informations concernant les activités à valeur ajoutée pour eux et pour les partenaires. Par exemple, un élément formateur mis en lumière par les discussions sur les activités à valeur non ajoutée est que certains gestes étaient jugés comme tel sur le plan théorique, mais nécessaire pour les employé.e.s. Impliquer l’équipe de travail augmente donc les chances que la démarche génère des solutions pertinentes à long terme et que les modifications soient bien intégrées. En effet, l’intuition et les expériences vécues des collègues stimulent leur désir d’améliorer leurs méthodes et leurs outils de travail. De plus, nous remarquons que des employé.e.s favorables à l’évaluation présenteront beaucoup moins de résistance au changement et peuvent éventuellement devenir des allié.e.s dans la présentation des démarches à leurs collègues. Ainsi, les gains de productivité réalisés ont favorisé l’intérêt des employé.e.s à poursuivre la mise en oeuvre des autres améliorations soulevées lors de l’évaluation. En ce sens, l’intelligence collective est au coeur des démarches d’amélioration, afin de tendre vers un idéal commun où la collaboration permet de rendre les processus plus fluides.

La culture organisationnelle de type apprenant et réflexif

Par ce projet, La Cantine pour tous a mis de l’avant sa culture organisationnelle de type apprenant et réflexif. En effet, l’ouverture des employé.e.s à réfléchir à leurs méthodes de travail pour constamment offrir un service adapté aux partenaires a été un grand facteur de succès dans la démarche d’évaluation. De plus, le soutien de la direction générale et de la responsable de projet a été un facteur contributif à la mobilisation de l’équipe.

Conclusion

En conclusion, l’évaluation effectuée permet de relater tant les aspects techniques de la démarche que les apports humains, tels que l’importance de la coopération, l’entraide et la tolérance au changement. Nos expérimentations nous incitent à croire que, lorsqu’une organisation est soucieuse de susciter des apprentissages concrets avec et pour tous, une démarche d’évaluation présente un potentiel considérable pour la bonification des interventions en milieu communautaire pour parvenir à une organisation flexible du travail.