Recensions

Jean-François Roussel, Kateri Tekahkwitha : traverser le miroir colonial, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2022, 229 p., ISBN 9782760646452[Notice]

  • Guy Laperrière

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  • Recensé par :
    Guy Laperrière
    Professeur retraité, département d’histoire, Université de Sherbrooke

C’est à un regard neuf sur la figure de Kateri Tekahkwitha que nous convie Jean-François Roussel, théologien de l’Université de Montréal, intéressé aux études autochtones. Sur un ton personnel et engagé, il se livre ici à une « entreprise décoloniale » (p. 31). L’auteur part des récits de deux missionnaires jésuites, Claude Chauchetière et Pierre Cholonec, publiés en 1695 et 1696, soit quinze ans après le décès de Kateri (1656-1680), qu’ils ont tous deux connue. Il a aussi lu l’ensemble de la production hagiographique produite sur la sainte, production qui culmine avec la canonisation par Benoît XVI en 2012. C’est surtout cette image d’une vierge iroquoise qui fait le lien entre foi chrétienne et culture autochtone qu’il veut revoir, en situant les écrits dans leur contexte. Il utilise à cette fin deux types d’études : les ouvrages historiques, notamment ceux d’Allan Greer (2007) et de Darren Bonaparte, un historien mohawk (2009), et les recherches en anthropologie sur l’Iroquoisie, d’une quantité et d’une qualité qui peut surprendre ceux et celles qui ne les fréquentent pas : Jon Parmenter (2010), Vera B. Palmer (2014) ou Susan M. Hill (2017), pour n’en citer que quelques-unes. J’aurais aimé qu’il puisse aussi enrichir sa réflexion de l’ouvrage de Jean-Michel Wissmer, Kateri Tekakwitha : l’entrée du Christ chez les Iroquois. Voyage au coeur de l’Amérique indienne et coloniale (Les Éditions GID, 2017), qui tente un parallèle entre Kateri et Sor Juana Ines de la Cruz, une religieuse mexicaine du XVIIe siècle. Mais ne boudons pas notre plaisir : la recherche de Jean-François Roussel est exhaustive et elle tire le meilleur parti de tout ce qu’il a lu sur le sujet. Mieux encore, l’auteur a recours à la tradition orale des Mohawks, telle que reconstituée par écrit, et s’est lui-même immergé dans cette culture, fréquentant régulièrement la communauté de Kahnawake et allant jusqu’à se mettre à l’étude de la langue mohawk. À la limite, j’allais dire qu’il s’est presque fait missionnaire, non pas dans le sens prosélyte, bien au contraire, mais avec la volonté de pénétrer au mieux la culture qu’il veut analyser. Le résultat de cette démarche est impressionnant. Nous revisitons avec l’auteur les différentes étapes de la vie de Tekahkwitha : ses origines, à Gandaouagué, un peu à l’ouest d’Albany (N.Y.), la mort de sa mère de la petite vérole, qui l’atteint également, à l’âge de 4 ans, son baptême en 1676, alors qu’elle reçoit le nom de Catherine (Kateri), les « persécutions » dont elle est alors victime, son départ l’année suivante pour la mission du Sault (Kahnawake), ses pratiques pénitentielles avec ses compagnes, poussées à un tel point qu’elle en meurt en 1680, à l’âge de 24 ans. Quels sont les principaux apports de la recherche de Jean-François Roussel ? D’abord, il veut montrer que, loin d’être la personne singulière et exceptionnelle que les hagiographes récents ont caractérisée comme « un lys parmi les épines », les épines étant le peuple de Gandaouagué, Tekahkwitha est une membre active de sa communauté. Lorsque, à la Mission, elle se pare de colliers et d’autres ornements, elle répond à ceux qui l’interrogent qu’elle fait toujours « comme elle l’avait vu faire aux Iroquois » (p. 82). Là où les missionnaires développent un récit d’antagonisme et de rupture (le chapitre équivalent dans l’ouvrage s’intitule « Déchirure »), Roussel montre bien comment les actions et les décisions de Kateri s’insèrent bien dans la vie communautaire mohawk. Il explique ainsi qu’il y avait une vie chrétienne à Gandaouagué, que le départ pour la Mission du Sault, loin d’être une fuite, un exil ou les suites d’une persécution, fait …