En d’autres termes, l’ouvrage propose un portrait de chaque famille, de l’essentiel des quatre entretiens réalisés dans chacune des vingt familles. Il se divise donc en vingt sections qui s’organisent en fonction des canevas d’entretiens disponibles à la fin du premier tome. Ainsi, les chercheuses et le chercheur dégagent les représentations de l’avenir des adolescentes et des adolescents, leurs représentations de l’école, leur relation au travail scolaire, leurs relations dans le groupe de pairs et leurs représentations des rapports sociaux de sexe. Le point de vue des parents est également omniprésent, que ce soit au sujet de leurs propres représentations de l’école fréquentée par leurs enfants, de la réussite de leur fille et de leur fils ou des rapports sociaux de sexe. À ces données s’ajoutent des renseignements contextuels, souvent impossibles à repérer dans le premier tome, sur chaque famille : l’occupation professionnelle des parents, leur niveau de scolarité, les préférences des enfants en ce qui concerne la lecture et les loisirs, leurs tâches domestiques ; bref, un panorama concis de leur mode de vie, de leurs habitudes et de leur personnalité. Les hypothèses de recherche et le cadre théorique ayant présidé à l’analyse de ces données, qui sont explicités dans le premier tome, ne sont pas formulés de nouveau dans le second. Il importe néanmoins de les conserver en mémoire à la lecture des Héritières du féminisme, car cet ouvrage se situe dans la même trajectoire, bien qu’il apporte réellement un autre éclairage au phénomène étudié. Bouchard et son équipe montrent ainsi à travers les deux tomes que les parents adoptent, devant le projet scolaire de leurs enfants, des attitudes différenciées selon le sexe, c’est-à-dire qu’ils interviennent différemment avec leurs filles et leurs fils. Les mères, particulièrement, afficheraient une volonté d’émancipation des modèles traditionnels de sexe et de mobilité sociale pour leurs filles. Par ailleurs, l’affirmation de soi et l’idée de « prendre sa place » reviennent de manière beaucoup plus récurrente chez les filles que chez les garçons dans les définitions que donnent les jeunes de ce que signifie devenir une femme ou un homme. Ainsi, la diffusion des idées féministes quant à l’éducation des filles et la volonté maternelle que leurs filles connaissent une « mobilité de sexe », observées dans les entretiens, semblent être en corrélation avec la réussite scolaire des filles : « Le fait de résister aux assignations identitaires stéréotypées est associé statistiquement au succès scolaire » (p. 270). Inversement, la culture masculine traditionnelle, à laquelle paraissent adhérer davantage les garçons des milieux populaires, serait contradictoire avec la culture scolaire. Par ailleurs, l’autonomie et le sens des responsabilités caractérisent les jeunes filles en situation de réussite scolaire rencontrées, tout comme la motivation à l’égard de l’école et les ambitieuses aspirations scolaires. Néanmoins, ces qualités observées chez les filles ne sont pas, précisent Bouchard et son équipe en conclusion, un attribut de sexe, car les garçons en situation de réussite présentent des attitudes, des valeurs et des comportements similaires. Cette « non-différence », ajoutée au fait que la différence du taux de décrochage scolaire entre les garçons et les filles de 17 ans n’est que d’environ 5 %, laisse entrevoir que d’autres facteurs que le sexe doivent être étudiés pour comprendre la réussite et l’échec scolaire. Si l’ouvrage Les héritières du féminisme permet de rencontrer une majorité de jeunes filles et de mères soucieuses de dépasser les stéréotypes de genre en ce qui a trait notamment à l’avenir professionnel, à l’homophobie et aux relations amoureuses, il dévoile également la persistance de vieux modèles de division du travail selon le sexe : le fait que les …
Pierrette Bouchard, Jean-Claude St-Amant, Natalie Rinfret, Claudine Baudoux et Natasha Bouchard Les héritières du féminisme, t. II. Québec, Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes, Université Laval, 2003, 270 p.[Notice]
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Hélène Charron
Doctorante en sociologie
Université de Montréal