Portés par plusieurs théoriciennes et chercheuses féministes, un renouvellement des travaux sur le soin (care) et une réappropriation de ses problématiques sur le plan éthique, politique et pratique sont observés depuis les années 2000. Dans cette mouvance, la revue Recherches féministes publiait l’an dernier un numéro thématique intitulé « L’éthique et la voix des femmes » (Doré et Lambert 2015). Tantôt soupçonnés de relayer une vision différentialiste des sexes (Molinier 2015) et plus tard accusés d’être une catégorie « de référence abstraite, un peu fourre-tout » (Cresson 2011 : 197), les réflexions et les travaux féministes sur le care demeurent relativement peu connus au Québec et, de façon générale, peu présents dans les plans de cours. L’ouvrage Le care : éthique féministe actuelle, sous la direction de Sophie Bourgault et de Julie Perreault, tombe donc à point nommé. En guise d’introduction, Bourgault et Perreault dressent les grandes lignes des transformations qui ont marqué le développement du paradigme du care depuis la publication en 1982 du livre In a Différent Voice de Carol Gilligan. Cette présentation ouvre sur leur positionnement en filiation avec la « seconde génération » d’auteures féministes sur le care et en rapport avec des historiennes et des chercheuses spécialisées en travail social au Québec. La visée poursuivie par les directrices de l’ouvrage est ambitieuse : souligner le potentiel critique du care pour les féministes afin de transformer les discours publics, universitaires et politiques. Relevant les défis d’un double décloisonnement, à fois disciplinaire et linguistique (anglo/franco), ce collectif met en avant, dans la foulée de Marie Garrau et Alice Le Goff (2010 et 2012), la réalité plurivoque du care. Celui-ci est ainsi posé comme « une activité humaine, universelle, une pratique sociale bien concrète, une épistémologie et une posture éthique » (p. 10). L’ouvrage se décline en trois parties. La première, intitulée « Relectures féministes », s’ouvre sur le texte de Julie Perreault qui propose une relecture de l’ouvrage In a Different Voice en mettant en avant les apports de l’étude de Gilligan relativement à la décision d’avorter d’Américaines durant les années 70. À partir d’une perspective phénoménologique, Perreault expose l’importance accordée par Gilligan à la temporalité propre au processus de développement de soi « qui se déploie et prend sens dans l’histoire des vies individuelles » (p. 42). Selon Perreault, le développement du jugement moral chez Gilligan ne s’inscrit donc pas dans « un a priori d’“ homme ” ou de “ femme ” », mais découle de « l’expérience que les sujets en ont » (p. 36) et « des relations génériques disponibles dans l’espace social » (p. 48). À l’instar de l’auteure, on voit bien comment les critiques d’essentialisme adressées à la pensée de Gilligan tiennent difficilement la route. Le deuxième texte est celui de Patricia Paperman qui, reprenant des contenus exposés dans son ouvrage Care et sentiment (2013), aborde les implications épistémologiques liées au fait d’adopter une perspective féministe du care. Selon Paperman, celui-ci engage un nouveau rapport à la connaissance et à la pratique scientifique. Une perspective féministe permet par ailleurs de rendre compte de l’« invisibilisation », voire de la délégitimation, du care dans les sciences sociales (p. 54). Inspirant, et peut-être déstabilisant à certains égards, ce texte étaie l’importance de revenir aux sujets du care et à leur propre expérience en tant que personnes porteuses du care, qu’elles soient prestataires, bénéficiaires ou les deux à la fois. Il souligne également la nécessité de se baser sur leurs connaissances du monde et leurs expériences morales afin de circonscrire les objets de la sociologie. Ce retournement épistémologique, …
Parties annexes
Références
- BAILLARGEON, Denyse, 2012 Brève histoire des femmes au Québec. Montréal, Boréal.
- CORBEIL, Christine, et Isabelle MARCHAND, 2010 L’intervention féministe d’hier à aujourd’hui. Portrait d’une pratique sociale diversifiée. Montréal, Les éditions du remue-ménage.
- CRESSON, Geneviève, 2011 « Le care : soin à autrui et objet de controverses », Travail, genre et sociétés, 2, 26 : 195-198.
- DORÉ, Chantal, et Cécile LAMBERT, 2015 « Éthique et voix des femmes », Recherches féministes, 28, 1 : 1-10.
- DUMONT, Micheline, et Andrée DUFOUR, 2004 Brève histoire des institutrices au Québec de la Nouvelle-France à nos jours. Montréal, Boréal.
- GARRAU, Marie, et Alice LE GOFF, 2012 Politiser le care? Perspectives sociologiques et philosophiques. Lormont, Le Bord de l’eau.
- GARRAU, Marie, et Alice LE GOFF, 2010 Care, justice et dépendance. Introduction aux théories du care. Paris, Presses universitaires de France.
- GILLIGAN, Carole, 1982 In a Different Voice. Cambridge, Havard University Press.
- GUBERMAN, Nancy, Pierre MAHEU et Chantal MAILLÉ, 1993 Et si l’amour ne suffisait pas… Femmes, familles et adultes dépendants. Montréal, Les éditions du remue-ménage.
- MOLINIER, Pascale, 2015 « Des différences dans les voix différentes : entre l’inexpressivité et la surexpressivité, trouver le ton », Recherches féministes, 28, 1 : 45-60.
- PAPERMAN, Patricia, 2013 Care et sentiment. Paris, Presses universitaires de France.